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15/06/2023 | FRANCE | N°21/00845

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5e chambre pole social, 15 juin 2023, 21/00845


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 21/00845 - N° Portalis DBVH-V-B7F-H6Y4



EM/DO



TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D'AVIGNON

28 novembre 2019



RG :15/01393





S.A. [10]



C/



FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE VAUCLUSE















Grosse délivrée le 15 JUIN 2023 à :



- Me FRANGIE MOUKANAS

- FIVA

- CPAM VAUCLUSE











COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

5e chambre Pole social



ARRÊT DU 15 JUIN 2023





Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AVIGNON en date du 28 Novembre 2019, N°15/01...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 21/00845 - N° Portalis DBVH-V-B7F-H6Y4

EM/DO

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D'AVIGNON

28 novembre 2019

RG :15/01393

S.A. [10]

C/

FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE VAUCLUSE

Grosse délivrée le 15 JUIN 2023 à :

- Me FRANGIE MOUKANAS

- FIVA

- CPAM VAUCLUSE

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5e chambre Pole social

ARRÊT DU 15 JUIN 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AVIGNON en date du 28 Novembre 2019, N°15/01393

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 04 Avril 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 15 Juin 2023.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.A. [10]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Joumana FRANGIÉ MOUKANAS de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES :

FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

[Adresse 11]

[Adresse 11]

[Localité 4]

non comparant, non représenté

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE VAUCLUSE

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par M. [E] [M] en vertu d'un pouvoir spécial

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 15 Juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

M. [P] [U], décédé le 18 mai 2015, a été salarié de la société [7], devenue [5] puis la Sa [10], du 1er juin 1976 au 1er février 1993, en qualité de technicien électricien.

Le 12 février 2015, M. [P] [U] a établi une déclaration de maladie professionnelle sur la base d'un certificat médical initial du 07 février 2015 qui mentionnait : 'mésothéliome pleural primitif'.

Par décision du 22 juin 2015, la Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse a pris en charge la maladie déclarée de M.[P] [U] au titre du tableau 30D des maladies professionnelles.

Le 05 août 2015, la Sa [10] a saisi la commission de recours amiable en contestation de cette décision, laquelle, par décision du 27 octobre 2015 a confirmé la décision de la Caisse et a déclaré opposable à la société la prise en charge de la maladie déclarée par M. [P] [U] au titre de la législation sur les risques professionnels.

Par lettre recommandée du 12 novembre 2015, la Sa [10] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Avignon d'un recours contre la décision de la Commission de recours amiable.

Le 18 mai 2015, [P] [U] est décédé.

Par décision du 13 août 2015, la Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse a pris en charge le décès au titre de la législation sur les risques professionnels.

Le 29 septembre 2015, la Sa [10] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable.

Par lettre recommandée du 02 décembre 2015, la Sa [10] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Avignon d'un recours contre la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable.

Par jugement du 28 novembre 2019, le pôle social du tribunal de grande instance d'Avignon a:

- ordonné la jonction des recours n°15-01393 et 15-01501,

- débouté la société [5] devenue [10] de l'ensemble de ses demandes,

- confirmé la décision de la Commission de recours amiable de la Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse du 27 octobre 2015 et déclaré opposable à la société [5] devenue [10] la prise en charge du décès de M. [P] [U] au titre de la législation sur les risques professionnels,

- condamné la société [5] devenue [10] à payer les entiers dépens de l'instance.

Par lettre recommandée du 16 décembre 2019, la Sa [10] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

L'affaire a été radiée pour défaut de diligence des parties le 15 janvier 2021, avant d'être ré-inscrite à la demande de la Sa [10] le 1er mars 2021.

Suivant acte du 27 décembre 2022, l'affaire a été fixée à l'audience du 04 avril 2023 à laquelle elle a été retenue.

Par conclusions déposées et développées oralement à l'audience, la Sa [10] anciennement [5] demande à la cour de :

- la juger recevable et bien fondée en son appel,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

- dire et juger que le caractère professionnel de la maladie de M. [U] n'est pas établi à son encontre,

- dire et juger que la Caisse primaire d'assurance maladie du Vaucluse a manqué à son obligation d'information à son égard,

- en conséquence, dire et juger que la décision de prise en charge de la maladie de M. [U] du 22 juin 2015 lui est inopposable,

- dire et juger que le caractère professionnel du décès de M. [U] n'est pas établi à son encontre,

- dire et juger que la décision de prise en charge du décès de M. [U] du 13 août 2015 lui est inopposable.

Elle soutient que :

- le 28 mai 2015, le médecin conseil de la caisse primaire a émis le diagnostic de 'mésothéliome pleural' sans caractériser le caractère primitif et sans préciser la localisation de la maladie ; le colloque médico-légal ne fait référence à aucun élément médical extrinsèque analysé par le médecin conseil et particulièrement l'examen anatomopathologique pour poser le diagnostic de mésothéliome ; le caractère primitif du mésothéliome de M. [P] [U] ne résulte donc d'aucune pièce médicale de la caisse primaire ; or, la primitivité du mésothéliome est une condition de reconnaissance de la maladie au titre du tableau 30D ; ainsi, la condition relative à la désignation de la maladie n'est pas démontrée par la caisse,

- la preuve de l'exposition au risque n'est pas rapportée par l'agent enquêteur ; l'avis de la CARSAT, pourtant obligatoire dans le cadre d'un mésothéliome, n'a pas été sollicité par la caisse primaire ; aucune synthèse, aucun rapport d'enquête administrative n'a été établi par la caisse ; M. [P] [U] situe son exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante lorsqu'il occupait le poste d'électricien ; les éléments recueillis par la caisse sont manifestement insuffisants pour rapporter la preuve d'une exposition habituelle au risque allégué, lesquels ne reposent que sur les seules déclarations de M. [P] [U] lesquelles sont en totale contradiction avec ses propres déclarations ; M. [P] [U] n'était pas dévolu exclusivement à la surveillance visuelle des installations électriques situées dans une galerie où étaient stockés des câbles contenant de l'amiante et cette tâche était réalisée quatre ou cinq fois par an ; à aucun moment la qualité de ces plaques d'amiante mises en place dans cette galerie technique lors de la construction du site de [Localité 9] n'a été remise en cause par l'agent enquêteur de la caisse primaire ; ces plaques étaient des produits finis qui ne dégageaient pas par elles-mêmes de la poussière et il n'est pas établi que M. [P] [U] en effectuait l'usinage pour les remplacer,

- la caisse primaire n'a pas respecté le principe du contradictoire en ne lui garantissant pas un accès complet et effectif aux pièces du dossier ; elle s'est déplacée dans les locaux de la caisse primaire pour consulter les pièces du dossier où manquait l'avis du médecin conseil sur la nature ou l'origine de la maladie ; la caisse primaire ne lui a donc pas mis à disposition un dossier complet ; la communication du colloque médico-administratif est intervenue postérieurement à la décision de prise en charge sur le caractère professionnel de la maladie et n'est pas de nature à régulariser le caractère incomplet du dossier qu'elle a consulté,

- l'imputabilité du décès de M. [P] [U] à la maladie prise en charge par la caisse primaire n'est pas démontrée ; elle n'a pas été en mesure de connaître la teneur des 'investigations' de la caisse et n'a pas été destinataire du certificat médical faisant état du décès de M. [P] [U] ; elle n'a pas été tenue informée d'un éventuel avis du médecin conseil de la caisse sur ce point, de sorte qu'elle considère que le caractère professionnel du décès de M. [P] [U] n'est pas établi à son égard.

Par conclusions déposées et développées oralement à l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 28 novembre 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance d'Avignon,

- dire et juger que le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [P] [U] est établi,

- déclarer la prise en charge de la maladie professionnelle de M. [P] [U] au titre de la législation sur les risques professionnels opposable à la société [5] devenue Sa [10],

- dire et juger que le caractère professionnel du décès de M. [P] [U] est établi,

- déclarer la prise en charge du décès de M. [P] [U] au titre de la législation sur les risques professionnels opposable à la société [5] devenue Sa [10].

Elle fait valoir que :

- le certificat médical initial établi le 07 février 2015 a diagnostiqué un mésothéliome pleural primitif ; le caractère primitif de la maladie a donc été clairement mentionné ; dans une fiche de liaison du 31 juillet 2019, le médecin conseil précise la nature histologique de la tumeur qui répond bien à celle désignée par le tableau 30D ; elle produit copie des pièces médicales ayant permis au médecin conseil de se prononcer,

- elle a mené une enquête contradictoire et fondé sa décision sur les éléments relevés auprès de l'employeur et du salarié ; au terme de ces éléments, elle a clairement démontré que M. [P] [U] a bien été exposé au risque amiante,

- contrairement à ce que soutient la Sa [10], l'employeur ne rapporte pas la preuve des manquements invoqués et de l'absence du colloque médico-administratif lors de sa consultation du dossier ; ses arguments sont fondés sur ses seules allégations alors que l'employeur a eu accès à l'intégralité du dossier ; elle considère que le principe du contradictoire a bien été respecté,

- par suite du décès de M. [P] [U], un courrier du 23 juillet 2015 donnait la possibilité à l'employeur de venir consulter le dossier avant la prise de décision sur l'imputabilité du décès à la maladie professionnelle ; or, l'employeur ne s'est pas déplacé ; le dossier contenait la pièce médicale faisant le lien entre le décès et la maladie professionnelle, soit le certificat médical final du 22 juin 2015 établi par le docteur [X].

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures déposées et soutenues oralement lors de l'audience.

MOTIFS

L'article L461-1 du code de la sécurité sociale dispose que les dispositions du présent livre sont applicables aux maladies d'origine professionnelle sous réserve des dispositions du présent titre. En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident.

Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.

Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.

Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1.

L'article L461-2 du même code énonce que des tableaux annexés aux décrets énumèrent les manifestations morbides d'intoxications aiguës ou chroniques présentées par les travailleurs exposés d'une façon habituelle à l'action des agents nocifs mentionnés par lesdits tableaux, qui donnent, à titre indicatif, la liste des principaux travaux comportant la manipulation ou l'emploi de ces agents. Ces manifestations morbides sont présumées d'origine professionnelle.

Des tableaux spéciaux énumèrent les infections microbiennes mentionnées qui sont présumées avoir une origine professionnelle lorsque les victimes ont été occupées d'une façon habituelle aux travaux limitativement énumérés par ces tableaux.

D'autres tableaux peuvent déterminer des affections présumées résulter d'une ambiance ou d'attitudes particulières nécessitées par l'exécution des travaux limitativement énumérés.

Les tableaux mentionnés aux alinéas précédents peuvent être révisés et complétés par des décrets, après avis du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels. Chaque décret fixe la date à partir de laquelle sont exécutées les modifications et adjonctions qu'il apporte aux tableaux. Par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l'article L. 461-1, ces modifications et adjonctions sont applicables aux victimes dont la maladie a fait l'objet d'un certificat médical indiquant un lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle entre la date prévue à l'article L. 412-1 et la date d'entrée en vigueur du nouveau tableau, sans que les prestations, indemnités et rentes ainsi accordées puissent avoir effet antérieur à cette entrée en vigueur. Ces prestations, indemnités et rentes se substituent pour l'avenir aux autres avantages accordés à la victime pour la même maladie au titre des assurances sociales. En outre, il sera tenu compte, s'il y a lieu, du montant éventuellement revalorisé, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, des réparations accordées au titre du droit commun.

Dans les rapports CPAM/employeur, la charge de la preuve que les conditions du tableau des maladies professionnelles sont remplies incombe à la caisse, de sorte qu'en l'espèce, il appartient à la la Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse, subrogée dans les droits des ayants droit de [P] [U], de démontrer que les conditions du tableau 30D des maladies professionnelles dont elle invoque l'application sont remplies.

La présomption d'imputabilité s'applique aux maladies professionnelles inscrites sur les tableaux officiels dès lors que les conditions posées par ceux-ci sont remplies ; ainsi, la pathologie du salarié doit répondre à trois conditions: être inscrite sur un tableau, avoir été médicalement constatée dans le délai de prise en charge et avoir été provoquée par l'exécution de certains travaux exposant à un risque professionnel.

Constitue un élément susceptible de faire grief à l'employeur, devant figurer au dossier constitué par la caisse, l'avis du médecin-conseil transmis au service administratif de la caisse et portant sur le caractère professionnel de la maladie. L'avis du médecin-conseil résulte en général, de la fiche médico-administrative de liaison entre le service du contrôle médical et les services administratifs de la caisse, lequel n'est pas couvert par le secret médical, peu importe qu'il soit motivé et signé.

Le tableau 30D des maladies professionnelles dans sa version applicable :

- désigne la maladie suivante : mésothéliome malin primitif de la plèvre, du péritoine, du péricarde,

- prévoit un délai de prise en charge de 40 ans,

- liste de façon indicative les principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies : travaux exposant à l'inhalation de poussières d'amiante, notamment : extraction, manipulation et traitement de minerais et roches amiantifères. Manipulation et utilisation de l'amiante brut dans les opérations de fabrication suivantes : amiante-ciment ; amiante-plastique ; amiante-textile ; amiante-caoutchouc ; carton, papier et feutre d'amiante enduit ; feuilles et joints en amiante ; garnitures de friction contenant de l'amiante ; produits moulés ou en matériaux à base d'amiante et isolants ; Travaux de cardage, filage, tissage d'amiante et confection de produits contenant de l'amiante. Application, destruction et élimination de produits à base d'amiante : amiante projeté ; calorifugeage au moyen de produits contenant de l'amiante ; démolition d'appareils et de matériaux contenant de l'amiante, déflocage. Travaux de pose et de dépose de calorifugeage contenant de l'amiante. Travaux d'équipement, d'entretien ou de maintenance effectués sur des matériels ou dans des locaux et annexes revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante. Conduite de four. Travaux nécessitant le port habituel de vêtements contenant de l'amiante.

Sur la condition relative à la désignation de la maladie :

La maladie telle qu'elle est désignée dans les tableaux de maladies professionnelles est celle définie par les éléments de description et les critères d'appréciation fixés par chacun des tableaux.

S'il n'y a pas lieu à procéder à une analyse littérale du certificat médical initial, par contre, la maladie déclarée doit correspondre précisément à celle décrite au tableau, avec tous ses éléments constitutifs et doit être constatée conformément aux éléments de diagnostic éventuellement prévus, et la charge de la preuve de la réunion des conditions exigées par l'article L. 461-1 susvisé, pèse sur l'organisme social, lorsque ce dernier a décidé d'une prise en charge contestée par l'employeur.

Il entre dans les compétences du médecin conseil de la caisse, en application de l'article L.315-1 du code de la sécurité sociale, de vérifier si la pathologie mentionnée au certificat médical initial correspond à une maladie mentionnée dans un tableau de maladies professionnelles.

En l'espèce, le certificat médical initial établi le 07 février 2015 par le docteur [Z] [X] mentionne 'mésothéliome pleural primitif découvert le 15/05/2014 à l'occasion d'une dyspnée...'.

La Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse produit par ailleurs un avis du médecin conseil établi le 31 juillet 2019 qui indique que :

- sur le site de l'INRS (institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents de travail et des maladies professionnelles), il est mentionné au tableau 30 les critères médicaux de reconnaissance du mésothéliome 'aucune exigence légale n'est demandée. On notera cependant que la nature histologique de la tumeur figure dans l'intitulé et qu'une confirmation anatomo pathologique est donc demandée. Toutefois, cette confirmation histologique pouvant être impossible (décès rapide, impossibilité technique), elle est remplacée par des arguments indirects tirés essentiellement de l'évolution clinique et de l'aspect de la tumeur sur l'imagerie' ,

- s'agissant du dossier de M. [P] [U], le compte rendu du service de pathologie de l'hôpital [8] du 24 juin 2014 confirme la nature histologique de la tumeur :'prolifération tumorale dont les aspects morphologiques et le profil immuno histochimique sont en faveur d'un mésothéliome malin de type épithélioïde' ; la caisse produit aux débats cette pièce médicale.

En outre, il résulte du colloque médico-administratif du médecin conseil de la Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse du 28 mai 2015, que la maladie déclarée par M. [P] [U] a été instruite sur la base du code syndrome 030ADC450 avec mention du libellé complet du syndrome 'mésothéliome pleural'.

Contrairement à ce que soutient la Sa [10], l'avis du médecin conseil et les pièces médicales produites par la caisse confortent la pathologie mentionnée dans le certificat médical initial lequel vise le caractère primitif du cancer de la plèvre.

Il convient de noter que les examens médicaux dont fait référence l'employeur (examen anatomopathologique et double lecture par un pathologiste expert du réseau national de référence anatomopathologique MESOPATH) ne sont pas exigés dans les conditions médicales visées au tableau n°30D et n'avaient donc pas à être produits dans le cadre de l'instruction du dossier.

La Sa [10] ne produit aucun élément de nature à remettre en cause les avis du médecin conseil de la caisse primaire et du médecin à l'origine du certificat médical initial.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que le caractère primitif du mésothéliome malin de la plèvre déclarée par M. [P] [U] le 12 février 2015 est caractérisé.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Sur la condition relative à l'exposition au risque :

L'employeur qui n'apporte pas la preuve que le travail n'a joué aucun rôle dans le développement de la maladie ne peut s'exonérer de la présomption d'imputabilité dès lors que la cour d'appel a relevé divers éléments tendant à prouver l'exposition au risque du salarié.

Au cours de son instruction, la Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse a adressé un questionnaire à :

- M. [P] [U] sur lequel il a listé ses employeurs successifs et en dernier lieu le CEA (1960/1966) et la [7] (1967/1993) tous deux exploitants du site de [Localité 9] ; il a indiqué avoir exercé le métier d'électricien sur le site de [Localité 9], qu'il était ainsi amené à vérifier, entretenir, dépanner ou modifier des installations électriques des réacteurs nucléaires G1 puis des Célestins 1 et 2, que dans ces derniers réacteurs, il assurait la surveillance manuelle et remplaçait parfois des plaques d'amiante défectueuses ; il a précisé que la surveillance s'exerçait également dans une galerie technique qui comportait de chaque côté des câbles électriques tous protégés contre l'incendie par des plaques d'amiante, que lorsque ces plaques étaient abîmées, ou cassées, il y avait dans son atelier un stock de plaques entreposées qu'il fallait découper et ajuster pour leur remplacement ; il ajoute que d'une manière générale, l'ensemble des circuits électriques du site de [Localité 9] étaient protégés contre l'incendie par des plaques d'amiante et avoir été exposé aux poussières d'amiante sur le site de [Localité 9] pendant environ une vingtaine d'années et avoir inhalé fréquemment des poussières d'amiante,

- l'employeur qui a adressé un courrier daté du 20 avril 2015 dans lequel il indique que M. [P] [U] a été 'repris' le 1er juin 1976 par la société [7] de [Localité 9] devenue [5] [Localité 9], a travaillé au sein du service maintenance où il assurait un poste de technicien électricien, et a joint une fiche de poste et nuisances du 1er janvier 1986.

La Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse verse aux débats par ailleurs un :

- courrier de l'inspection du travail du 30 mars 2015 qui indique 'au vu des éléments transmis, M. [P] [U] a été employé en contrat à durée indéterminée au sein de la société [5] établissement de [Localité 9], des activités de démantèlement nucléaire et de conduite d'installation pour le compte du CEA...Au vu de la période de référence, l'inhalation de fibres d'amiante constitue...un risque professionnel avéré dès lors que la présence d'amiante y est fortement répandue du fait d'une utilisation tant sous forme liée qu'en tant que produit de calorifugeage ou d'isolation...',

- des articles de presse relatifs à la création d'une unité mobile par le bureau d'études Alfadir chargée d'effectuer des prélèvements d'air sur les chantiers amiante en milieu nucléaire et à l'accréditation de cette unité mobile pour travailler sur le site de [Localité 9],

- un document de l'INRS selon lequel l'amiante était présente de façon habituelle dans les bâtiments construits avant 1997 et que le métier d'électricien faisait partie d'un des métiers présentant un risque d'exposition à l'amiante.

La Sa [10] conteste toute exposition à l'amiante tout en reconnaissant néanmoins dans ses conclusions soutenues oralement à l'audience, que M. [P] [U] a été amené à travailler dans un environnement contenant de l'amiante puisqu'elle indique que les câbles électriques situés dans la galerie où travaillait le salarié contenaient des protections constituées de plaques d'amiante.

Les travaux réalisés par M. [P] [U] figurent bien parmi ceux listés dans le tableau 30D des maladies professionnelles : travaux d'équipement, d'entretien ou de maintenance effectués sur des matériels ou dans des locaux et annexes revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante.

Le médecin conseil de la Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse a retenu que l'exposition de M. [P] [U] à l'amiante était prouvée.

L'ensemble des éléments communiqués par la Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse non sérieusement contestés par la société appelante, établissent suffisamment l'exposition de M. [P] [U] à l'amiante et ce de façon habituelle, peu important que le niveau d'exposition ne soit pas connu, un tel niveau n'étant pas requis au titre des conditions du tableau n°30D.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que la preuve de l'exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante de façon certaine et habituelle est bien rapportée dans le cadre des fonctions d'électricien exercées par M. [P] [U] au sein de la société [7] devenue [5] devenue [10].

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Sur le respect du principe du contradictoire :

L'article R441-11 du code de la sécurité sociale dispose que :

I. La déclaration d'accident du travail peut être assortie de réserves motivées de la part de l'employeur.

Lorsque la déclaration de l'accident en application du deuxième alinéa de l'article L. 441-2 n'émane pas de l'employeur, la victime adresse à la caisse la déclaration de l'accident. Un double est envoyé par la caisse à l'employeur à qui la décision est susceptible de faire grief par tout moyen permettant de déterminer sa date de réception. L'employeur peut émettre des réserves motivées. La caisse adresse également un double de cette déclaration au médecin du travail.

En cas de rechute d'un accident du travail, le double de la demande de reconnaissance de la rechute de l'accident du travail déposé par la victime est envoyé par la caisse primaire à l'employeur qui a déclaré l'accident dont la rechute est la conséquence par tout moyen permettant de déterminer sa date de réception. L'employeur peut alors émettre des réserves motivées.

II. - La victime adresse à la caisse la déclaration de maladie professionnelle. Un double est envoyé par la caisse à l'employeur à qui la décision est susceptible de faire grief par tout moyen permettant de déterminer sa date de réception. L'employeur peut émettre des réserves motivées. La caisse adresse également un double de cette déclaration au médecin du travail.

III. - En cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés. Une enquête est obligatoire en cas de décès.

L'article R441-13 du même code énonce, dans sa version applicable, que le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre ;

1°) la déclaration d'accident ;

2°) les divers certificats médicaux détenus par la caisse ;

3°) les constats faits par la caisse primaire ;

4°) les informations parvenues à la caisse de chacune des parties ;

5°) les éléments communiqués par la caisse régionale.

Il peut, à leur demande, être communiqué à l'assuré, ses ayants droit et à l'employeur, ou à leurs mandataires.

Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l'autorité judiciaire.

L'article R441-14 du même code stipule, dans sa version applicable, que lorsqu'il y a nécessité d'examen ou d'enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l'employeur avant l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article R. 441-10 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. A l'expiration d'un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d'accidents du travail ou trois mois en matière de maladies professionnelles à compter de la date de cette notification et en l'absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu.

En cas de saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, mentionné au cinquième alinéa de l'article L. 461-1, le délai imparti à ce comité pour donner son avis s'impute sur les délais prévus à l'alinéa qui précède.

Dans les cas prévus au dernier alinéa de l'article R. 441-11, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception, l'information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l'article R. 441-13.

La décision motivée de la caisse est notifiée, avec mention des voies et délais de recours par tout moyen permettant de déterminer la date de réception, à la victime ou ses ayants droit, si le caractère professionnel de l'accident, de la maladie professionnelle ou de la rechute n'est pas reconnu, ou à l'employeur dans le cas contraire. Cette décision est également notifiée à la personne à laquelle la décision ne fait pas grief.

Le médecin traitant est informé de cette décision.

En l'espèce, il résulte des éléments communiqués par les parties que la Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse a informé la société [7] par courrier du 02 juin 2015 de la fin de l'instruction et de la possibilité de consulter les pièces constitutives du dossier de M. [P] [U], et a précisé la date à laquelle une décision est susceptible d'intervenir, le 22 juin 2015, de sorte que le délai réglementaire de 10 jours francs a été respecté ; il est constant que l'employeur est venu consulter le dossier le 17 juin 2015.

La caisse primaire produit le colloque médico-administratif établi le 28 mai 2015 par son médecin conseil, le docteur [R] [V], et justifie avoir numérisé ce document le 04 juin 2015, et que cette pièce était accessible sur le logiciel Diadème auquel les employeurs ont accès lors de la consultation des dossiers.

La Sa [10] soutient que la caisse n'aurait pas respecté le principe du contradictoire en ne lui ayant pas mis à disposition le dossier complet de M. [P] [U] lors de sa consultation ; cependant, force est de constater que dans le courrier qu'elle a adressé à la caisse, daté du 17 juin 2015, et dans lequel elle mentionne les pièces qu'elle a pu prendre connaissance (déclaration de maladie professionnelle, certificat médical initial, lettre de réserves de l'employeur, questionnaire salarié, lettre de l'inspecteur du travail du 30 mars 2015), elle ne mentionne en aucun cas une quelconque difficulté liée à l'impossibilité d'avoir pu consulter le colloque médico-administratif, ce qu'elle n'aurait pas manqué de faire alors que la décision de la caisse devait être rendue au plus tard le 22 juin 2015.

La caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse justifie avoir satisfait à son obligation d'information de manière complète en mettant à disposition de l'employeur l'ensemble des pièces consultables du dossier de M. [P] [U].

Il se déduit des éléments qui précèdent qu'il n'est pas établi que la Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse n'a pas respecté le principe du contradictoire dans l'instruction du dossier de maladie professionnelle déclarée par M. [P] [U].

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Sur l'opposabilité de la décision de prise en charge du décès de M. [P] [U] :

Il résulte de la combinaison des articles L. 443-1, L. 443-2, R. 441-10 et R. 443-4 du code de la sécurité sociale que la caisse n'est tenue de mettre en oeuvre les dispositions des articles R. 441-11 et suivants du code de la sécurité sociale, dans leurs rédactions applicables en l'espèce, que lorsque l'aggravation d'une lésion déjà prise en charge entraîne pour la victime la nécessité d'un traitement médical, qu'il y ait ou non nouvelle incapacité temporaire, et non lorsque la demande ne porte que sur une nouvelle fixation des réparations, en cas d'aggravation de l'infirmité ou de décès de la victime par suite des conséquences de l'accident ou de la maladie .

Ainsi, si aucune disposition du code de la sécurité sociale ne prévoit l'information préalable de l'employeur après décès imputable à une maladie professionnelle reconnue, c'est à la condition que celui-ci ait été régulièrement informé de celle-ci.

Il est de jurisprudence que la reconnaissance d'une maladie professionnelle liée à l'amiante établit par présomption le lien de causalité entre l'exposition à l'amiante et le décès.

En l'espèce, la Sa [10] soutient que l'imputabilité du décès de M. [P] [U] survenu le 18 mai 2015, à la maladie professionnelle prise en charge par la Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse au titre de la législation sur les risques professionnels n'est pas démontrée.

Cependant, la caisse primaire produit aux débats le certificat médical final établi le 22 juin 2015 par le docteur [Z] [X] qui mentionne 'décédé le 18/05/2015 au centre hospitalier d'[Localité 6] des suites de son mésothéliome pleural' et justifie avoir notifié à l'employeur , suivant courrier du 23 juillet 2015 notifié le 28 juillet 2015, la possibilité de consulter le dossier.

La Sa [10] ne produit aucun élément de nature à combattre utilement le lien de causalité entre le décès de M. [P] [U] et la maladie professionnelle résultant de son exposition à l'amiante.

C'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que le décès de M. [P] [U] était la conséquence de l'évolution et des complications de la pathologie reconnue d'origine professionnelle.

En effet, il existe une présomption suffisamment sérieuse entre la reconnaissance de la maladie et la pathologie développée par M. [P] [U] conduisant à établir un tel lien, étant observé par ailleurs qu'aucun facteur exogène n'est rapporté ni même allégué.

Dès lors, seule la pathologie prise en charge au titre de la maladie professionnelle se trouve à l'origine de l'hospitalisation puis du décès de M. [P] [U], l'existence d'un lien certain et direct est établie sans qu'il soit nécessaire d'établir l'existence d'un lien exclusif.

Il convient en conséquence de conclure que la décision de prise en charge du décès de M. [P] [U] au titre de la législation sur les risques professionnels est opposable à la Sa [10].

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce sens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière de sécurité sociale et en dernier ressort;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 novembre 2019 par le Tribunal de grande instance d'Avignon, contentieux de la protection sociale,

Déboute la Sa [10] de l'intégralité de ses prétentions,

Condamne la Sa [10] aux dépens de la procédure d'appel.

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5e chambre pole social
Numéro d'arrêt : 21/00845
Date de la décision : 15/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-15;21.00845 ?
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