La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/06/2023 | FRANCE | N°21/01115

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5ème chambre sociale ph, 13 juin 2023, 21/01115


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 21/01115 - N° Portalis DBVH-V-B7F-H7OT



EB/LR



CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE NIMES

22 février 2021



RG :F 17/00080







S.A.S. TEL AND COM





C/



[F]





















Grosse délivrée le 13 JUIN 2023 à :



- Me VAJOU

- Me DUMA

S LAIROLLE













COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH



ARRÊT DU 13 JUIN 2023





Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NIMES en date du 22 Février 2021, N°F 17/00080



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBAT...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 21/01115 - N° Portalis DBVH-V-B7F-H7OT

EB/LR

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE NIMES

22 février 2021

RG :F 17/00080

S.A.S. TEL AND COM

C/

[F]

Grosse délivrée le 13 JUIN 2023 à :

- Me VAJOU

- Me DUMAS LAIROLLE

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 13 JUIN 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NIMES en date du 22 Février 2021, N°F 17/00080

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Leila REMILI, Conseillère, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président,

Madame Catherine REYTER-LEVIS, Conseiller,

Madame Leila REMILI, Conseillère.

GREFFIER :

Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier lors des débats et Madame Emmanuelle BERGERAS, Greffière lors du prononcé de la décision.

DÉBATS :

A l'audience publique du 16 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 Juin 202 prorogé à ce jour prorogé au 13 juin 2023

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.A.S. TEL AND COM

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉE :

Madame [V] [F]

née le 03 Janvier 1992 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Nicolas CASTAGNOS de l'AARPI JURICAP, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représentée par Me Julien DUMAS LAIROLLE, avocat au barreau de NIMES

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 13 Juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

Le 3 décembre 2012, Mme [V] [F] a été engagée par la société Tel and com, qui commercialisait les offres de différents opérateurs en matière de téléphonie mobile, suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, affectée sur le site d'[Localité 7], en qualité de conseillère vente, employée niveau N3, coefficient 170 de la convention collective du commerce de détail en papeterie, fourniture de bureau.

Par avenant du 27 juin 2013, son lieu de travail a été modifié et elle a été affectée au sein du magasin de [Localité 5].

La société Tel and com ayant un effectif de plus de cinquante salariés et projetant de prononcer des licenciements pour motif économique concernant plus de dix salariés sur une même période de trente jours, elle a élaboré un premier plan de sauvegarde de l'emploi.

Le 24 avril 2015, la société Tel and com a transmis à Mme [V] [F] un questionnaire de mobilité internationale, visant à apprécier la possibilité d'un reclassement au sein de la filiale espagnole et auquel elle n'a pas répondu favorablement.

Par décision du 18 mai 2015, le plan de sauvegarde de l'emploi a été homologué par la DIRECCTE du Nord-Pas-De-Calais.

Le 25 juin 2015, la société Tel and com a formulé à Mme [F] une proposition de quatre offres de reclassement, auxquelles elle n'a pas donné suite.

Le 16 juillet 2015, la société lui a proposé de souscrire à un contrat de sécurisation professionnelle et a prononcé à son encontre, à titre conservatoire et en cas de refus de souscription de ce contrat, un licenciement.

Mme [F] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle et, dans ce cadre, la société Tel and com lui a notifié son licenciement par courrier du 7 août 2015.

Parallèlement, une action en contestation de la décision d'homologation de la DIRECCTE du 18 mai 2015 a été engagée par trois salariés de la société Tel and com devant les juridictions administratives.

Le tribunal administratif de Lille a, aux termes d'un jugement du 14 octobre 2015, annulé la décision d'homologation du premier plan de sauvegarde de l'emploi, au motif que l'administration avait commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant comme suffisantes les mesures de reclassement.

Suivant arrêt du 11 février 2016, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel interjeté par les sociétés de l'union économique et sociale Tel and com.

La société Tel and com a alors établi un second plan de sauvegarde de l'emploi dont l'homologation par la DIRECCTE Nord-Pas-De-Calais du 3 février 2016, a également donné lieu à contestation devant les juridictions administratives.

Par requête du 15 juillet 2016, Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes afin de voir prononcer avec leurs conséquences indemnitaires : la nullité de son licenciement ou, à tout le moins, la reconnaissance de son caractère injustifié, la nullité du contrat de sécurisation professionnelle, la nullité de la rupture du contrat de travail, le prononcé d'une rupture aux torts exclusifs de son employeur.

Par jugement du 22 mai 2017, le conseil de prud'hommes de Nîmes a sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure administrative et de la décision du Conseil d'Etat.

Statuant sur le recours inhérent à l'homologation du premier plan de sauvegarde de l'emploi, le Conseil d'Etat a, aux termes d'un arrêt du 7 février 2018, annulé l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Douai du 11 février 2016, rouvert les débats sur la question du périmètre d'appréciation du groupe de moyens à prendre en considération par l'administration pour le contrôle du caractère suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi et sursis à statuer sur le fond.

Par arrêt du 24 octobre 2018, le Conseil d'Etat a :

* confirmé l'annulation de la décision administrative du premier plan de sauvegarde de l'emploi en l'état d'une erreur de l'administration qui n'a pas procédé au contrôle des mesures du plan dans le bon périmètre du groupe de moyens, en omettant d'intégrer la holding, et en déduit que la décision d'homologation litigieuse est entachée d'illégalité,

* dit n'y avoir lieu à statuer sur la question du caractère suffisant des mesures du premier plan de sauvegarde de l'emploi.

Suivant jugement du 6 février 2020, le conseil de prud'hommes de Nîmes a refusé de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité visant à apprécier la conformité à la constitution de l'article L.1235-16 du code du travail qui avait été soulevée devant elle par la société Tel and com et a renvoyé l'affaire devant le bureau de jugement.

Par jugement de départage du 22 février 2021, le conseil de prud'hommes de Nîmes :

- s'est déclaré incompétent pour statuer sur le caractère suffisant ou insuffisant des mesures contenues dans le plan de sauvegarde de l'emploi,

- a rejeté la demande de nullité du licenciement de Mme [V] [F] et la demande d'indemnisation spécifique fondées sur les dispositions des articles L. 1235-10 et L.1235-11 du code du travail,

- rejeté l'exception d'inconventionnalité de l'article L.1235-16 du code du travail formée par la société Tel and com,

- rejeté les demandes de nullité du contrat de sécurisation professionnelle, nullité de la rupture de son contrat de travail et de prononcé d'une rupture aux torts exclusifs de l'employeur,

- condamné la société Tel and com à payer à Mme [V] [F] une indemnité spécifique d'un montant de 8.835,12 euros nets en application des dispositions de l'article L.1235-16 du code du travail,

- débouté Mme [V] [F] du surplus de ses demandes,

- condamné la société Tel and com à payer à Mme [V] [F] la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Par acte du 18 mars 2021, la société Tel and com a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions du 10 mars 2023, la SAS Tel and com demande à la cour de :

Le déclarant recevable et bien fondé,

Y faisant droit,

- vu l'article 803 du code de procédure civile, vu la cause grave, rabattre l'ordonnance de clôture et juger recevables les présentes conclusions ainsi que la pièce n°45,

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

* rejeté l'exception d'inconventionnalité de l'article L.1235-16 du code du travail formée par elle ;

* l'a condamné à payer à Mme [V] [F] une indemnité spécifique d'un montant de 8.835,12 euros nets en application des dispositions de l'article L.1235-16 du code du travail ;

* l'a condamné à payer à Mme [V] [F] la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; et l'ayant condamné aux entiers dépens de l'instance.

Statuant à nouveau,

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul sur le fondement des articles L.1235-10 alinéa 2 et L.1235-11 du code du travail

- juger que les articles L.1235-10 al. 2 et L.1235-11 du code du travail ne trouvent pas application, le PSE n'ayant pas été annulé en raison d'une quelconque insuffisance de ses mesures au sens de l'article L.1235-10 alinéa 2 du code du travail,

En conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* débouté Mme [F] de sa demande de nullité et d'indemnisation afférente,

* débouté Mme [F] de sa demande de remboursement du préavis et des congés payés afférents.

Sur la demande subsidiaire de nullité du licenciement ou de licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L.1235-16 du code du travail

- juger que l'article L.1235-16 du code du travail est inconventionnel « in abstracto »,

- juger que l'article L.1235-16 du code du travail est inconventionnel « in concreto »,

En conséquence,

- débouter Mme [F] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

- débouter Mme [F] de sa demande de remboursement du préavis et des congés payés afférents.

A titre très subsidiaire et, si par extraordinaire la cour de céans de céans prononce la nullité du licenciement ou l'absence de cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L.1235-16

- constater qu'elle conteste la réalité du préjudice invoqué,

- juger que l'article L.1235-4 du code du travail ne prévoit pas le remboursement des indemnités chômage à Pôle Emploi en cas d'application des dispositions de l'article L.1235-16 du code du travail,

En conséquence,

- limiter la condamnation à l'équivalent de 6 mois de salaire.

Sur la demande de rappel de salaire

- juger que cette demande n'est pas formée devant la cour d'appel de céans

Sur la demande d'indemnité légale de licenciement

- juger que cette demande n'est pas formée devant la cour d'appel de céans

Sur l'indemnité légale de licenciement

- juger que Mme [F] a perçu son indemnité de licenciement

- juger que cette demande n'est pas formée devant la cour d'appel de céans

L'indemnité de préavis et les congés payés afférents

- juger que ces demandes sont mal fondées,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [F] de sa demande d'indemnité de préavis et de congés payés afférents.

Sur les autres demandes

- débouter Mme [F] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter Mme [F] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires outre appel incident.

- condamner Mme [F] à lui verser la somme de 1.000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [F] aux entiers dépens.

En l'état de ses dernières écritures du 16 septembre 2021, contenant appel incident, Mme [V] [F] demande à la cour de :

- statuer ce que de droit sur l'appel principal interjeté par la société Tel and com.

- au fond le dire mal fondé.

- confirmer le jugement de départage en date du 22 février 2021 en ce que le conseil de prud'hommes de Nîmes a :

* rejeté l'exception d'inconventionnalité de l'article L. 1235-16 du code du travail soulevée par la société Tel and com.

* condamné la société Tel and com à lui payer une indemnité spécifique d'un montant de 8.835,12 euros nets en application des dispositions de l'article L. 1235-16 du code du travail.

* condamné la société Tel and com à lui payer la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

- infirmer le jugement de départage en date du 22 février 2021 en ce que le conseil de prud'hommes de Nîmes a :

* rejeté la demande de nullité de son licenciement et la demande d'indemnisation spécifique fondée sur les dispositions des articles L. 1235-10 et L. 1235-11 du code du travail.

* rejeté les demandes de nullité du contrat de sécurisation professionnelle, nullité de la rupture de son contrat de travail et de prononcé d'une rupture aux torts exclusifs de l'employeur.

* l'a débouté du surplus de ses demandes.

Quoi faisant et statuant à nouveau :

- constater l'annulation par le tribunal administratif de Lille, puis par la cour administrative d'appel de Douai, et enfin par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 24 octobre 2018, de la décision en date du 18 mai 2015 par laquelle la Direccte a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi relatif au projet de licenciement économique mis en oeuvre par la société Tel and com.

En conséquence :

- prononcer la nullité du licenciement et de la procédure de licenciement qui ont été mis en oeuvre à son endroit et juger en toute hypothèse la procédure de licenciement irrégulière et dépourvue de cause réelle et sérieuse.

- prononcer la nullité du Contrat de Sécurisation Professionnelle auquel elle a adhéré.

- prononcer la nullité de la rupture de son contrat de travail.

- juger que le contrat de travail a été rompu aux torts exclusifs de la société Tel and com.

Quoi faisant :

- condamner la société Tel and com au paiement des sommes suivantes :

* à titre principal, 17.670,24 euros nets, soit 12 mois de salaire au titre de l'indemnité spécifique prévue par l'article L. 1235-11 du code du travail en cas de licenciement économique nul ;

* à titre subsidiaire, si la cour d'appel devait considérer que l'annulation de la décision d'homologation du PSE se fonde sur un motif autre que l'insuffisance des mesures de reclassement qu'il contient : 8.835,12 euros nets, soit 6 mois de salaire au titre de l'indemnité spécifique prévue par l'article L. 1235-16 du code du travail en cas de licenciement économique nul et en toute hypothèse sans cause réelle et sérieuse suite à une annulation de l'autorisation administrative ayant homologué le PSE, outre intérêts moratoires depuis le22 février 2021, date du jugement de départage rendu par le conseil de prud'hommes.

En toutes hypothèses :

- condamner la société Tel and com au paiement des sommes suivantes :

* 2.945,04 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice du préavis qu'elle n'a pas été en mesure d'exécuter et qui ne lui a pas été réglé (soit deux mois de salaire), avec intérêts au taux légal depuis la date de la saisine du conseil de prud'hommes, soit le 15 juillet 2016 ;

* 294,50 euros bruts au titre de l'indemnité de congés payés afférente à l'indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal depuis la date de la saisine du conseil de prud'hommes, soit le 15 juillet 2016 ; article

* 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

* aux entiers dépens.

- condamner la société Tel and com à remettre, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir, les documents sociaux de fin de contrat (attestation Pôle Emploi, certificat de travail, bulletin de salaire, valant solde de tout compte) rectifiés au regard des condamnations qui seront prononcées.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

Par ordonnance en date du 7 décembre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 2 mars 2023. L'affaire a été fixée à l'audience du 16 mars 2023.

MOTIFS

En l'absence d'opposition, l'ordonnance de clôture a été révoquée à la demande de l'appelante afin d'accueillir ses conclusions déposées le 10 mars 2023 et la pièce n° 45 qui est la décision du tribunal administratif de Lille du 20 février 2023, nécessaire aux débats.

Sur la demande de nullité du licenciement sur le fondement des articles L. 1235-10 et L. 1235-11 du code du travail

Aux termes de l'article L. 1235-10 du code du travail :

« Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, le licenciement intervenu en l'absence de toute décision relative à la validation ou à l'homologation ou alors qu'une décision négative a été rendue est nul.

En cas d'annulation d'une décision de validation mentionnée à l'article L. 1233-57-2 ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-3 en raison d'une absence ou d'une insuffisance de plan de sauvegarde de l'emploi mentionné à l'article L. 1233-61, la procédure de licenciement est nulle.

Les deux premiers alinéas ne sont pas applicables aux entreprises en redressement ou liquidation judiciaires. »

Dans sa version applicable, l'article L. 1235-11 du même code dispose que :

« Lorsque le juge constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle, conformément aux dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 1235-10, il peut ordonner la poursuite du contrat de travail ou prononcer la nullité du licenciement et ordonner la réintégration du salarié à la demande de ce dernier, sauf si cette réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible.

Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois. »

Mme [V] [F] fait valoir que l'annulation, par le tribunal administratif puis par la cour administrative d'appel et enfin par le Conseil d'Etat, d'une décision d'homologation de PSE entraîne automatiquement l'annulation de tous les licenciements et de toutes les ruptures des contrats de travail pour motifs économiques subséquents ainsi que la réintégration des salariés.

Elle précise qu'en l'espèce, la cour administrative d'appel de Douai, dans un arrêt du 11 février 2016, a annulé la décision d'homologation du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Nord-Pas-de-Calais du 18 mai 2015, estimant souverainement que les mesures de reclassement contenues dans le plan de sauvegarde de l'emploi élaboré unilatéralement par la société Tel and com étaient insuffisantes. Elle ajoute que par arrêt définitif du 24 octobre 2018, le Conseil d'Etat a également annulé la décision d'homologation de la DIRECCTE, en retenant que celle-ci n'a pas procédé au contrôle des mesures du plan au sein du périmètre du groupe de moyens, sans même avoir à se prononcer sur le caractère suffisant des mesures du PSE. Il est donc acquis, selon la salariée, que la décision d'homologation du PSE par l'administration est nulle, et, partant, que les procédures de licenciements économiques mises en oeuvre consécutivement le sont aussi.

La SAS Tel and com fait valoir que le Conseil d'Etat a remis en cause l'insuffisance du plan qui avait été retenue par le tribunal administratif de Lille et la cour administrative d'appel comme cause d'annulation. Selon elle, Mme [V] [F] ne peut invoquer les dispositions de l'arrêt de la cour administrative d'appel puisqu'il a été annulé par le Conseil d'Etat. Ce dernier n'a pas annulé la décision administrative d'homologation en raison d'une quelconque insuffisance des mesures du PSE mais uniquement en raison d'une erreur de droit commise par l'administration. Le fondement de l'annulation de la décision administrative d'homologation n'est donc pas l'insuffisance des mesures du PSE au sens de l'article L. 1235-10 alinéa 2, de sorte que l'article L. 1235-11 n'est pas applicable. Elle précise que le Conseil d'Etat a expressément refusé de statuer sur le moyen tiré de la prétendue insuffisance des mesures du PSE alléguée par les salariés. Elle ajoute que, seul le juge d'administratif est compétent pour dire et juger que les mesures d'un PSE sont insuffisantes; une telle demande ne relevant en aucun cas de la compétence du juge prud'homal. Surabondamment, il n'est nullement démontré l'insuffisance des mesures du PSE par la seule absence de prise en compte de la holding Sarto Finance dans le groupe Squadra.

Par de très justes motifs que la cour adoptera, le juge départiteur, rappelant les termes de l'article L. 1235-10 du code du travail qui ne prévoient la nullité de la procédure de licenciement qu'en cas d'annulation d'une décision d'homologation par la DIRECCTE en raison d'une absence ou d'une insuffisance de plan de sauvegarde de l'emploi et examinant les motivations des différentes décisions intervenues, a constaté qu'au final le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 7 février 2018 avait annulé l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 11 février 2016 en ce qu'elle avait jugé que les mesures du plan de sauvegarde de l'emploi étaient insuffisantes puis qu'aux termes de son arrêt du 24 octobre 2018, il avait annulé la décision administrative de la DIRECCTE du 3 février 2016 homologuant le PSE, au motif de l'erreur de droit commise par l'administration qui n'avait pas procédé au contrôle des mesures du plan dans le périmètre du groupe de moyens mais ne s'était pas prononcé sur le caractère suffisant ou insuffisant des mesures contenues dans le plan de sauvegarde.

Le premier juge a encore justement retenu que le conseil de prud'hommes ne pouvait se substituer à la juridiction administrative dans l'appréciation de l'insuffisance des mesures prévues au plan de sauvegarde de l'emploi et a constaté que les conditions des articles L. 1235-10 et L. 1235-11 du code du travail n'étaient pas réunies, rejetant en conséquence la demande de nullité du licenciement fondée sur ces dispositions ainsi que la demande d'indemnisation spécifique prévue par le second de ces textes.

Il convient donc de confirmer le jugement déféré sur ce point.

Sur les demandes de nullité du contrat de sécurisation professionnelle, de nullité de la rupture du contrat de travail et sur le prononcé d'une rupture aux torts exclusifs de l'employeur

Mme [V] [F] forme ici appel incident. Il sera cependant rappelé que l'appel est la critique du jugement déféré. Or, la salariée ne développe aucune argumentation spécifique sur ce point.

En tout état de cause, le conseil de prud'hommes a justement considéré que l'annulation de la décision d'homologation du plan de sauvegarde pour l'emploi n'entraînait pas la nullité du contrat de sécurisation professionnelle ou de la procédure de licenciement et ne privait pas ce dernier de cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera encore confirmé.

Sur la demande subsidiaire fondée sur l'article L. 1235-16 du code du travail

Aux termes de l'article L. 1235-16 du code du travail :

« L'annulation de la décision de validation mentionnée à l'article L. 1233-57-2 ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-3 pour un motif autre que celui mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 1235-10 donne lieu, sous réserve de l'accord des parties, à la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

A défaut, le salarié a droit à une indemnité à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9. »

Il est constant que cet article a vocation à s'appliquer puisque la décision d'homologation de la DIRECCTE a été annulée pour un « motif autre » que celui mentionné à l'article L. 1235-10 alinéa 2 du code du travail.

Sur l'inconstitutionnalité de cet article, il convient de relever que la Cour de cassation, saisie par la cour d'appel d'Aix-en-Provence d'une question prioritaire de constitutionnalité, sur demande de la SAS Tel and com dans ce même contentieux, a, par arrêt du 5 février 2020, dit n'y avoir lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel et a considéré que la question ne présentait pas de caractère sérieux, en ce que :

-l'article L. 1235-16 a pour objet d'assurer aux salariés une indemnisation minimale de la perte injustifiée de leur emploi en cas de licenciement non suivi de réintégration,

-il ne fait pas obstacle, sur le recours de l'employeur, à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant de l'illégalité de la décision d'homologation,

-il n'institue pas une sanction ayant le caractère d'une punition au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789,

-le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi est inopérant puisque le licenciement d'un salarié intervenu en l'absence de toute décision relative à l'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi ou alors qu'une décision négative a été rendue est nul et relève, en ce qui concerne les conséquences indemnitaires, des dispositions de l'article L. 1235-11 du code du travail, non de celles de l'article L. 1235-16 du même code.

La Cour de cassation considérant in fine que les dispositions contestées ne sont contraires ni à la liberté d'entreprendre, ni au principe de responsabilité, ni au droit de propriété, ni à l'exigence de proportionnalité des sanctions, ni encore au principe d'égalité.

La SAS Tel and com soulève ensuite l'inconventionnalité de l'article L. 1235-16 du code du travail en ce que :

-l'erreur de droit commise par l'administration dans le contrôle du PSE ne lui est pas imputable

-ce texte prévoit la condamnation automatique de l'employeur à verser des dommages et intérêts au salarié, sans conditionner cette condamnation à une quelconque responsabilité de l'employeur dans l'illégalité du licenciement et au moindre préjudice, en violation de l'article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996 et de l'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT sur le licenciement, du protocole additionnel n° 1 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'en violation du droit au procès équitable consacré par l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Il sera rappelé que les dispositions de la charte sociale européenne n'ont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, de sorte que l'appelante ne peut l'invoquer pour voir écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-16 du code du travail.

L'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT, qui est pour sa part d'effet direct en droit interne, prévoit qu'en cas de « licenciement injustifié », le juge doit pouvoir ordonner le versement d'une indemnité « adéquate » au salarié.

Or, le terme « adéquate » doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d'appréciation, étant relevé que l'article L. 1235-16 prévoit la possibilité d'une réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis et lorsque celle-ci est refusée par l'une ou l'autre des parties, le juge octroie une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. L'Etat français n'a fait qu'user de sa marge d'appréciation.

Enfin, les décisions du comité européen des droits sociaux (CEDS) dont fait état également l'employeur n'ont pas de caractère contraignant en droit français.

La SAS Tel and com fait plus précisément valoir que le principe « d'indemnité adéquate » suppose que le préjudice soit imputable à l'employeur. Si effectivement, l'un des objectifs d'une indemnité « adéquate », selon la position du conseil d'administration de l'OIT, est que la perspective de son versement dissuade suffisamment l'employeur de licencier sans cause réelle et sérieuse, ce qui fait référence au principe de responsabilité, pour autant, il n'en résulte aucune violation des dispositions conventionnelles, dès lors que ce texte a pour objet principal d'assurer au salarié une indemnisation injustifiée de son emploi en cas de licenciement non suivi de réintégration alors que le juge a le pouvoir d'évaluer l'indemnité à la hausse en fonction des circonstances de l'espèce et du préjudice subi par le salarié.

Il n'en résulte pas non plus une atteinte aux biens en violation du protocole n°1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni de restrictions disproportionnées par rapport à l'objectif d'intérêt général poursuivi, s'agissant d'une indemnité réparant le préjudice résultant pour le salarié du caractère illicite de son licenciement. L'argument consistant à soutenir que l'illégalité du licenciement n'est nullement imputable à l'employeur mais exclusivement à l'administration n'est pas pertinent dès lors que la décision de rupture est bien le fait de l'employeur auquel il appartient de communiquer à l'administration tous les éléments nécessaires à la détermination du périmètre du groupe.

Le juge départiteur a d'ailleurs justement considéré qu'une erreur pouvait être reprochée à l'employeur dans l'appréciation du périmètre du groupe de moyens portée dans le cadre du document unilatéral transmis à l'administration alors que l'instruction faite par le tribunal administratif de Lille, ainsi que cela ressort de sa décision du 20 février 2023, relève également le manque de clarté des documents sur l'inclusion de la holding Sarto Finances dans le périmètre du groupe.

De plus, la loi du 6 août 2015 a limité les effets liés à l'annulation judiciaire des décisions de validation ou d'homologation d'un PSE en cas d'insuffisance de motivation par la DIRECCTE.

S'agissant de la violation de l'article 6§1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article L. 1235-6 du code du travail n'est pas un obstacle procédural à un procès équitable, étant relevé que l'employeur dispose d'un recours devant le tribunal administratif afin d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice résultant de l'illégalité de la décision d'homologation. L'exigence d'une faute lourde pour pouvoir engager la responsabilité de l'Etat n'est pas contraire aux dispositions conventionnelles et ne remet pas en cause l'effectivité du droit à un procès équitable.

Enfin, l'argument tiré de l'inconventionnalité « in concreto » de ce texte en ce qu'il prévoit un montant « plancher » de condamnation à hauteur de six mois de salaire minimum est inopérant, en ce qu'il est prévu une indemnisation raisonnable et mesurée de la perte injustifiée de l'emploi du salarié.

Il convient donc de confirmer le jugement déféré en qu'il a justement considéré que l'article L. 1235-16 du code du travail n'était pas atteint d'inconventionnalité.

Sur les demandes indemnitaires

Le conseil de prud'hommes a justement accordé à Mme [V] [F] la somme de 8835,12 euros sur le fondement de l'article L. 1235-16 du code du travail.

Il a également été à juste titre considéré que la réintégration n'étant pas sollicitée, Mme [V] [F] ne pouvait prétendre à un rappel de salaire.

La salariée ayant adhéré à un contrat de sécurisation professionnelle, elle est légalement privée de l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférents, l'annulation de la décision d' homologation n'ayant pas pour effet de la rendre créancière de telles indemnités.

Le jugement sera confirmé ainsi qu'en ce qu'il considéré qu'à défaut de rappel de salaire, la salariée ne pouvait prétendre à un complément d'indemnité légale de licenciement.

Sur les demandes accessoires et les dépens

Il n'y a pas lieu à délivrance de documents de fin de contrat.

Les dépens seront mis à la charge de la SAS Tel and com et l'équité justifie d'accorder à Mme [V] [F] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort

-Ordonne le rabat de l'ordonnance de clôture avec nouvelle clôture à la date de l'audience,

-Confirme le jugement rendu le 22 février 2021 par le conseil de prud'hommes de Nîmes en toutes ses dispositions,

-Condamne la SAS Tel and com à payer à Mme [V] [F] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-Rejette le surplus des demandes,

-Condamne la SAS Tel and com aux dépens de l'appel.

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5ème chambre sociale ph
Numéro d'arrêt : 21/01115
Date de la décision : 13/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-13;21.01115 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award