RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 21/00568 - N° Portalis DBVH-V-B7F-H6BV
MS/EB
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AVIGNON
11 janvier 2021
RG :
[D]
C/
S.A.S. QUALICONSULT
S.A.R.L. QUALICONSULT CONSTRUCTION MAROC
Grosse délivrée le 10 MAI 2023 à :
- Me
- Me
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 10 MAI 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AVIGNON en date du 11 Janvier 2021, N°
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Leila REMILI, Conseillère
M. Michel SORIANO, Conseiller
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
A l'audience publique du 02 Février 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 Mai 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [L] [D]
né le 25 Septembre 1983 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, avocat au barreau de NIMES
Représenté par Me Séverine LE BIGOT, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMÉES :
S.A.S. QUALICONSULT
[Adresse 1],
[Adresse 1]
Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Maître Sarah USUNIER, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Margaux SUCCURO, avocat au barreau de PARIS
S.A.R.L. QUALICONSULT CONSTRUCTION MAROC
[Adresse 4],
[Adresse 4]
[Adresse 4])
Représentée par Me Emmanuelle VAJOU de la SELARL LEXAVOUE NIMES, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Maître Sarah USUNIER, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Margaux SUCCURO, avocat au barreau de PARIS
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 19 Janvier 2023
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 10 Mai 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [L] [D] a été engagé par la société Qualiconsult France à compter du 1er août 2007 suivant contrat de travail à durée indéterminée du 17 juillet 2007, en qualité d'ingénieur généraliste, statut cadre, position 1.2 de la convention collective de bureaux d'études techniques.
Par avenant d'expatriation en date du 22 octobre 2014, M. [D] a été affecté au sein de la filiale Qualiconsult Construction Maroc (anciennement Qualiconsult Quacot), pour une durée de 3 à 5 ans en qualité de chargé d'affaires contrôle construction.
À compter du 5 janvier 2015, M. [D] a été engagé par la société Qualiconsult Construction Maroc.
Par courrier du 21 mars 2018, il a été notifié au salarié la fin de son expatriation au sein de Qualiconsult Construction Maroc ; il lui a été proposé un repositionnement au sein de
Qualiconsult France à l'agence de [Localité 6], au poste d'ingénieur chargé d'affaires confirmé en contrôle construction et il lui a été précisé que, conformément aux dispositions de l'avenant d'expatriation, la cessation de son expatriation n'interviendrait pas avant l'expiration d'un délai de 3 mois, soit au 30 juin 2018.
Par courrier du 11 juin 2018, réitéré par courriers du 18 et 20 juin 2018, M. [D] a sollicité de la part de la société Qualiconsult France une rupture conventionnelle de son contrat de travail, qui a été refusée.
Par courrier remis en main propre et adressé au groupe le 29 juin 2018, et par courriel adressé à la société Qualiconsult France, M. [D] a démissionné de ses fonctions.
Suivant requête du 28 février 2019, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes d'Avignon aux fins de voir requalifier sa démission en prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et par conséquent voir condamner solidairement la société Qualiconsult France et la société
Qualiconsult Construction Maroc à lui verser diverses sommes.
Par jugement contradictoire du 11 janvier 2021, le conseil de prud'hommes d'Avignon a :
- dit et jugé que la loi française n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce,
- dit et jugé que seule la loi marocaine est applicable à la relation de travail entre M. [D] et la société Qualiconsult Construction Maroc,
- constaté l'absence de tout fondement juridique en droit marocain apporté par M. [D]
- débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes lesquelles se fondent exclusivement et à tort sur l'application du droit français,
- débouté M. [D] de sa demande de condamner la société Qualiconsult Construction Maroc à lui verser la somme de 691,00 euros au titre de son solde de tout compte,
- débouté M. [D] de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [D] à verser à la société Qualiconsult Construction Maroc la somme de 150 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [D] aux entiers dépens de l'instance.
Par acte du 10 février 2021, M. [D] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 05 janvier 2022, M. [L] [D] demande à la cour de :
- dire et juger son appel régulier et fondé en son principe
- réformer le jugement du conseil de prud'hommes d'Avignon en date du 11 janvier 2021
- se déclarer compétent en vertu de son contrat de travail
A titre principal
- dire et juger la loi française applicable
- dire et juger que sa démission constitue une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, et que cette rupture est aux torts exclusifs de l'employeur,
- dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse
- condamner solidairement la société Qualiconsult et la société Qualiconsult Quacot à lui payer les sommes suivantes :
* la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat
* la somme de 8256 euros au titre du préavis
* la somme de 825 euros au titre des congés payés sur préavis
* la somme de 11.486 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
* la somme de 45.408 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
* la somme de 5.000 euros au titre de la rupture vexatoire
* la somme de 1106 euros au titre des frais de rapatriement
* la somme de 691 euros au titre de son solde de tout compte
A titre subsidiaire si la loi marocaine est applicable
- dire et juger que sa démission constitue une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, et que cette rupture est aux torts exclusifs de l'employeur.
- dire et juger que son licenciement est abusif
- condamner solidairement la société Qualiconsult et la société Qualiconsult Quacot à lui payer les sommes suivantes :
* la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat
* la somme de 8256 euros au titre du préavis
* la somme de 825 euros au titre des congés payés sur préavis
* la somme de 11.486 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
* la somme de 45.408 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse
* la somme de 5.000 euros au titre de la rupture vexatoire
* la somme de 1106 euros au titre des frais de rapatriement
* la somme de 691 euros au titre de son solde de tout compte
* remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 30 par jour de retard,
* 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entier dépens.
Il soutient que :
sur la compétence du conseil de prud'hommes d'Avignon
- par avenant en date du 22 octobre 2014, les conditions de son expatriation ont été fixées par la société Qualiconsult,
- l'article 7 alinéa 3 prévoit que « tout litige éventuel susceptible de naître entre les parties, pendant l'exécution du contrat de travail comme à l'occasion de la cessation de ses effets quel qu'en soit le motif, sera de la seule compétence des tribunaux français, interdisant ipso facto tout recours, de part ou d'autre, devant l'instance judiciaire du pays étranger du lieuxd'exécution du travail. »
- le contrat de travail marocain signé de manière concomitante avec la filiale de la société Qualiconsult ne remet en aucun cas en cause cette clause d'attribution,
- les documents de fin de contrat mentionnent uniquement la société Qualiconsult France en qualité d'employeur, tout comme le certificat de travail,
- aux termes de l'article 6 paragraphe 2 de la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles, à défaut de choix d'une loi exercé par les parties, le contrat de travail est régi par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat de travail, accomplit habituellement son travail, à moins qu'il ne résulte de l'ensemble des circonstances, que le contrat de travail présente des liens étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de cet autre pays est applicable,
- son contrat de travail est étroitement lié à la France,
- ses liens avec la société Qualiconsult France sont demeurés omniprésents pendant son expatriation,
- la société Qualiconsult France a été sa seule interlocutrice face aux difficultés rencontrées dans l'exécution de son contrat de travail, ainsi que lors de la rupture,
- la société Qualiconsult France était le seul employeur et a exercé son pouvoir de direction à son encontre. C'est elle qui a ordonné son retour en France puis son maintien au Maroc,
- la société marocaine était uniquement l'exécutante de la société Qualiconsult France,
sur l'exécution déloyale du contrat de travail
- aucune information concernant la nouvelle direction ne lui a été communiquée,
- aucune explication ne lui a été donnée sur les retards de paiement de ses salaires des mois d'avril et mai,
- la direction lui a retiré les moyens nécessaires pour exécuter son contrat de travail en déménageant les locaux, en interdisant aux collaborateurs de communiquer avec lui, en interférant dans ses dossiers et en réglant de manière tardive son salaire,
- il a subi, pendant cette période, de fortes pressions du fait de la réception tardive des emails et des SMS,
- l'ensemble de ces agissements, ainsi que les insultes proférées par la direction, caractérisent le harcèlement subi,
sur la rupture du contrat de travail
- la dégradation de ses conditions de travail était parfaitement connue par la direction française, celle-ci étant son seul interlocuteur,
- en décembre 2017, une nouvelle direction est installée sans ordre de service, ni descriptif de mission,
- le 26 février 2018, il s'est adressé par courriel à sa hiérarchie française pour lui fait part de son incompréhension face aux agissements subis (défauts d'information, mise à l'écart),
- contre toute attente, une proposition de réaffectation de la direction française interviendra le 21 mars 2018,
- le 02 avril 2018, la direction française a rendu caduque cette proposition de réaffectation en France en informant les clients marocains de son maintien sur un certain nombre de projets,
- en dépit de sa réintégration officielle, sa mise à l'écart a continué,
- en mai et début juin, il a pu constater le retard dans le règlement de son salaire sans la moindre explication,
- sa démission intervient dans des circonstances qui la rendent équivoque,
- suite à ces événements, il a été contraint de se rapprocher de sa direction française afin de solliciter une rupture conventionnelle, en vain,
- il n'avait aucun intérêt à démissionner de son poste, il l'a fait en raison de la pression subie,
subsidiairement, sur l'application de la loi marocaine
- il s'est vu infliger des conditions de travail extrêmement difficiles, non conformes aux obligations de son employeur, en méconnaissance de l'article 231 du code des obligations et contrats marocain,
- la législation marocaine reconnaît l'existence de la démission forcée ou le licenciement déguisé, licenciement abusif,
- si le droit du travail marocain s'applique, il sollicite la condamnation des deux sociétés sur le fondement de l'article 41 du code du travail marocain compte tenu du licenciement abusif subi.
En l'état de ses dernières écritures en date du 28 juillet 2021, contenant appel incident, la SAS Qualiconsult demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
* dans sa motivation, « dit et jugé qu'il se trouve incompétent pour statuer quant au litige opposant les parties en présence et ce, au profit des juridictions marocaines compétentes » ;
* dit et jugé que la loi française n'avait pas vocation à s'appliquer en l'espèce ;
* dit que seule la loi marocaine est applicable à la relation de travail entre M. [D] et la société Qualiconsult Construction Maroc ;
* constaté l'absence de tout fondement juridique en droit marocain apporté par M. [D] ;
* débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes lesquelles se fondent exclusivement et à tort sur l'application du droit français ;
* débouté M. [D] de ses demandes de condamnation de la société à lui verser
691 euros au titre de son solde de tout compte ;
* débouté M. [D] de son article 700 du code de procédure civile ;
* condamné M. [D] à verser à la société Qualiconsult Construction Maroc la somme de 150 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné M. [D] aux entiers dépens ;
En tout état de cause :
- réparer l'omission de statuer du conseil de prud'hommes dans son dispositif, de par l'effet dévolutif dès lors qu'il a omis dans son dispositif, de reprendre le contenu de sa motivation dans lequel il a « dit et jugé qu'il se trouve incompétent pour statuer quant au litige opposant les parties en présence et ce, au profit des juridictions marocaines compétentes » ;
- constater que la démission de M. [D] est claire et non équivoque ;
- dire et juger que la démission de M. [D] ne produit pas les effets d'une prise d'acte ;
En conséquence
- débouter M. [D] de sa demande visant à faire produire à sa prise d'acte les effets
d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- débouter M. [D] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions y afférentes ;
- débouter M. [D] de sa demande relative aux frais de rapatriement ;
- débouter M. [D] de sa demande au titre de son solde de tout compte ;
- débouter M. [D] de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires
- condamner M. [D] à payer à la société Qualiconsult Construction Maroc la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel.
Elle fait valoir que :
sur la démission
- par courrier du 11 juin 2018, M. [D] a demandé à bénéficier d'une rupture conventionnelle, laquelle a été refusée,
- quinze jours plus tard, M. [D] a adressé au Groupe une lettre de démission ne comportant aucune réserve,
- l'appelant a ainsi démissionné de ses fonctions au sein du Groupe de façon claire et non équivoque le 29 juin 2018, mettant ainsi volontairement un terme à sa relation de travail, à la fois avec Qualiconsult France et avec Qualiconsult Maroc,
- le salarié n'apporte pas la preuve du caractère équivoque de sa démission sans réserves,
- au cours de sa relation de travail, M. [D] n'a jamais adressé à Qualiconsult France et Qualiconsult Maroc, ni oralement, ni par écrit, une mise en demeure, ou une simple alerte sur un quelconque manquement à ses obligations contractuelles,
-la plupart des faits reprochés aujourd'hui par M. [D] avaient disparu au moment de sa démission le 29 juin 2018,
- les échanges concernant la proposition de réaffectation du salarié au sein de Qualiconsult France ont eu lieu entre le 2 mars et le 18 avril 2018, la nouvelle direction étant arrivée au sein de Qualiconsult Construction Maroc au mois de décembre 2017,
- par courriel du 18 avril 2018, le salarié a parfaitement accepté de maintenir son expatriation jusqu'au mois de juin 2019,
- les deux retards de versements concernant la partie marocaine du salaire de M. [D] ont été régularisés bien avant la démission,
- en l'absence de preuve d'un différend antérieur ou contemporain à la démission, celle-ci ne peut être remise en cause,
- le caractère tardif de la contestation du salarié exclut toute possibilité de requalification de sa démission en prise d'acte,
- la Cour de cassation considère que pour pouvoir être considérée comme équivoque, la démission doit être contestée dans un délai raisonnable,
- ce n'est que le 28 février 2019 soit plus de 8 mois après sa démission notifiée le 29 juin 2018, que M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes aux fins de voir requalifier sa démission en prise d'acte de la rupture de son contrat de travail,
- M. [D] a demandé la réduction de son délai de préavis, ce qui a été accepté, le profil Linkedin du salarié faisant état d'un poste de « Responsable de Missions Contrôle Technique » au sein de la société BTP Consultants à [Localité 5] depuis septembre 2018 soit 2 mois après sa démission,
sur la prise d'acte
- le salarié n'invoque aucun grief à l'encontre de Qualiconsult France, mais uniquement à l'encontre de Qualiconsult Maroc,
- en application de l'avenant d'expatriation, le contrat de travail initial a été suspendu à compter du 5 janvier 2015, jusqu'à la démission du salarié,
- en outre, les prétendus griefs invoqués par le salarié ne sont soit pas établis, soit ont été régularisés, soit ne sont pas suffisamment graves pour faire obstacle à la poursuite du contrat de travail et ne peuvent donc justifier la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail,
- les deux retards de paie procèdent d'une erreur des services de paie marocains et ont concerné tous les salariés de Qualiconsult Maroc. Ils ont été régularisés le 2 mai 2018 pour le salaire d'avril et le 19 juin 2018 pour le salaire de mai,
- contrairement à ce que soutient l'appelant, les salariés ont bien été informés du recrutement d'un nouveau Directeur Général, M. [B], à la tête de la société marocaine,
- il n'existe aucune obligation d'informer les salariés quant à la décision d'une société de procéder au recrutement d'un nouveau directeur général ou encore de faire évoluer l'organisation de la gérance ou des organes décisionnels, lesquelles relèvent d'un choix de gestion interne,
- dans son courriel du 27 février 2018, le salarié émet plusieurs jugements de valeur sur les décisions prises par la direction de la société ou par M. [B],
- or, aucune de ces critiques ne vise la situation personnelle de M. [D], qui rendrait impossible la poursuite de son contrat de travail,
- M. [D] ne démontre aucune situation de harcèlement moral,
- les conditions de la proposition de réaffectation du salarié au sein de Qualiconsult France sont intervenues loyalement et dans le strict respect des dispositions contractuelles,
- lors d'une réunion le 2 mars 2018, M. [D] ainsi qu'un autre salarié ont été informés de la fin de leur expatriation au Maroc, comme le permet l'avenant d'expatriation,
- par courrier du 21 mars 2018, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'avenant d'expatriation, il a été notifié au salarié la fin de son expatriation au sein de Qualiconsult Construction Maroc dans un délai de 3 mois et elle lui a proposé un repositionnement au sein de Qualiconsult France à l'agence de [Localité 6] au poste d'ingénieur chargé d'affaires confirmé en contrôle construction,
- le Groupe a proposé à M. [D], ainsi qu'à son équipe, de reporter le terme de son expatriation à la fin de l'année 2018, ceci afin de permettre la finalisation des projets de construction en cours, et ce par courriel du 13 avril 2018,
- après avoir refusé par courriel du 16 avril 2018, M. [D] va accepter ce report le 18 avril 2018, et ce jusqu'au mois de juin 2019,
sur l'exécution du contrat de travail
- M. [D] n'invoque aucun élément à l'encontre de Qualiconsult France,
- les griefs invoqués sont les mêmes que ceux reprochés à l'employeur pour justifier la prise d'acte du salarié, lesquels ne sont pas avérés.
Par conclusions en date du 28 juillet 2021, la SARL Qualiconsult Construction Maroc (anciennement dénommée Qualiconsult Quacot) demande à la cour de:
In limine litis :
- se déclarer incompétente
- renvoyer M. [D] à mieux se pourvoir ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
* dans sa motivation, « dit et jugé qu'il se trouve incompétent pour statuer quant au litige opposant les parties en présence et ce, au profit des juridictions marocaines compétentes » ;
* dit et jugé que la loi française n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce ;
* dit et jugé que seule la loi marocaine est applicable à la relation de travail entre M. [D] et la société Qualiconsult Construction Maroc;
* constaté l'absence de tout fondement juridique en droit marocain apporté par M. [D] ;
* débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes lesquelles se fondent exclusivement et à tort sur l'application du droit français.
* débouté M. [D] de sa demande de condamner la société Qualiconsult Construction Maroc à lui verser la somme de 691 euros au titre de son solde de tout compte ;
* condamner M. [D] à payer à la société Qualiconsult Construction Maroc la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamner M. [D] aux entiers dépens.
En tout état de cause
- réparer l'omission de statuer du conseil de prud'hommes dans son dispositif, de par l'effet dévolutif dès lors qu'il a, omis dans son dispositif, de reprendre le contenu de sa motivation dans lequel il a « dit et jugé qu'il se trouve incompétent pour statuer quant au litige opposant les parties en présence et ce, au profit des juridictions marocaines compétentes » ;
- dire et juger que la loi française n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce;
- dire et juger que seule la loi marocaine est applicable à la relation de travail entre M. [D] et la société Qualiconsult Construction Maroc ;
- constater l'absence de tout fondement juridique en droit marocain apporté par M. [D] ;
- En conséquence, débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes lesquelles se fondent exclusivement et à tort sur l'application du droit français.
- condamner M. [D] à payer à la société Qualiconsult Construction Maroc la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamner M. [D] aux entiers dépens.
- débouter M. [D] de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires
- condamner M. [D] à payer à la société Qualiconsult Construction Maroc la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel.
Elle soutient que :
sur l'incompétence de la Cour d'appel au profit des juridictions marocaines
- l'ensemble des règles régissant la compétence internationale des juridictions exclut la compétence de la cour d'appel pour statuer sur le contrat de travail conclu entre M. [D] et la société Qualiconsult Construction Maroc (Règlement européen Bruxelles I),
- l'application de l'article R 1412-1 du code du travail exclut également la compétence des juridictions françaises :
le lieu d'accomplissement de son travail par le salarié est à Casablanca ;
le lieu où l'engagement a été contracté se situe à Casablanca ;
le lieu où l'employeur a son siège social est située à Casablanca, la Qualiconsult Construction Maroc étant une société de droit marocain.
La clause attributive de compétence invoquée par le salarié au bénéfice des juridictions françaises est stipulée au sein du contrat de travail de droit français conclu entre M. [D] et la société Qualiconsult France et ne concerne que ce contrat de travail,
- M. [D] a adressé sa demande de bénéficier d'une rupture conventionnelle et son courrier de démission aux deux sociétés, française et marocaine,
- dans la mesure où M. [D] était expatrié, il a reçu des documents de fin de contrat de la part des deux entités,
sur la loi applicable
- la loi française est inapplicable au litige entre M. [D] et la société marocaine,
- c'est à celui qui prétend écarter la loi du lieu d'accomplissement habituel du travail, de rapporter la preuve que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays,
- le contrat de travail marocain à effet au 5 janvier 2015, conclu entre Qualiconsult Construction Maroc et M. [D] précisait expressément que celui-ci était soumis à la législation marocaine,
- en application des deux premiers critères relatifs au lieu de travail et au siège de l'établissement prévus par l'article 8 du Règlement Rome I, c'est bien la loi marocaine qui est applicable au contrat de travail marocain,
- l'appelant percevait une rémunération réglée et versée par Qualiconsult Construction Maroc en dirhams,
- la prise des congés payés était fixée par son employeur, la société Qualiconsult Construction Maroc,
subsidiairement sur les demandes de M. [D]
- la notion de prise d'acte est totalement étrangère au droit marocain,
- une simple démission, ne mentionnant pas les griefs reprochés à l'employeur ne peut pas être requalifiée en licenciement abusif,
- le salarié ne s'est pas inscrit dans le cadre des dispositions de l'article 40 du code du travail marocain, qui seul permet valablement à un salarié de prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur,
- M. [D] ne s'est pas conformé aux dispositions relatives à la faute grave de l'employeur prévue par l'article 40 du code du travail marocain et il est dès lors infondé à obtenir une quelconque indemnisation,
- l'appelant a démissionné sans aucune équivoque et sans faire part, au moment de la rupture, d'un quelconque manquement fautif de la part de la société et sans adresser une quelconque mise en demeure ni même une simple information préalable,
sur le solde de tout compte
- elle a bien transmis à M. [D] son solde de tout compte concernant la part marocaine pour un montant de '13.400 dirhams nets dont 17.932,86 dirhams bruts' correspondant à l'indemnité compensatrice de congés payés et produit l'ordre de virement correspondant,
- en outre, l'article 75 du code du travail marocain prévoit que le reçu pour solde de tout compte peut être dénoncé dans les soixante jours suivant la date de sa signature,
- aucune contestation n'ayant été formulée par le salarié dans les délais et formes requises, ce dernier est irrecevable à contester le quantum de son solde de tout compte.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 25 novembre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 19 janvier 2023. L'affaire a été fixée à l'audience du 02 février 2023.
MOTIFS
Sur la compétence des juridictions françaises
Un avenant a été conclu entre M. [D] et la société Qualiconsult France, lequel prévoit expressément que tout litige lié à l'exécution ou à la cessation de ses effets sera soumis à la juridiction française, 'interdisant ipso facto tout recours, de part ou d'autre, devant l'instance judiciaire du pays étranger du lieu d'exécution du travail.'
Pour autant, les différends qui ont pu naître à l'occasion du travail effectué par M. [D] pour la société marocaine ne relèvent pas de l'exécution de l'avenant mais de l'exécution du contrat de travail qui a été passé entre cette société et M. [D].
La cour constate encore que le salarié a exécuté son travail au Maroc de manière durable, le centre de ses activités professionnelles étant dans ce pays, où il s'était installé avec sa famille, le lieu d'exécution habituel du travail de M. [D] étant effectivement au Maroc.
Le lieu de travail habituel est l'endroit où le travailleur accomplit la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur en tenant compte de l'intégralité de la période d'activité du travailleur.
En cas de périodes stables de travail dans des lieux successifs différents, le dernier lieu d'activité devrait être retenu dès lors que, selon la volonté claire des parties, il a été décidé que le travailleur y exercerait de façon stable et durable ses activités, soit en l'espèce au Maroc.
Bien plus, l'avenant prévoit que les conditions de l'expatriation entraîneront la suspension du contrat de travail initial, ce qui se justifie suite à la signature d'un contrat de travail entre M. [D] et la société marocaine.
De l'ensemble de ce qui précède, il résulte que la juridiction prud'homale française est incompétente pour connaître de la relation contractuelle entre la Sarl Qualiconsult Construction Maroc et M. [D].
Le jugement querellé sera dans ces circonstances confirmé en ce qu'il a jugé, sans le reprendre dans son dispositif, que le conseil de prud'hommes était incompétent pour statuer sur les demandes présentées par M. [D] à l'encontre de la Sarl Qualiconsult Construction Maroc, les motifs de la cour se substituant à ceux des premiers juges.
Sur les demandes présentées à l'encontre de la SAS Qualiconsult
La compétence du conseil de prud'hommes ne peut être déniée, s'agissant d'une société française ayant son siège social en France et d'un salarié français.
Pour autant, il résulte des explications développées par le salarié que les manquements concernent la société marocaine, reprochant à la société française de ne pas avoir informé les salariés du changement de direction au sein de la première et de ne pas avoir réagi suite à la dénonciation de la dégradation de ses conditions de travail depuis la mise en place de la nouvelle direction de la filiale marocaine.
L'appelant soutient ainsi avoir été contraint de donner sa démission, cette dernière étant équivoque, constituant une prise d'acte devant produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La démission est valable si elle est l'expression d'une volonté libre et réfléchie, elle doit être exprimée librement en dehors de toute contrainte ou pression exercée par l'employeur et de façon explicite.
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.
Le juge doit apprécier le caractère équivoque ou non équivoque de la démission au regard de circonstances antérieures ou contemporaines à celle-ci.
Le salarié doit ainsi rapporter la preuve que la rupture du contrat de travail est imputable au non-respect par l'employeur de ses obligations substantielles rendant impossible la poursuite du contrat de travail.
L'existence d'un litige avec l'employeur, antérieur ou contemporain de la démission, est de nature à donner à celle-ci un caractère équivoque.
Un lien de causalité entre les manquements imputés à l'employeur et l'acte de démission doit exister et ce lien est établi si lesdits manquements sont antérieurs ou au moins contemporains de la démission et s'ils avaient donné lieu à une réclamation, directe ou indirecte du salarié.
Une fois le lien de causalité établi, le juge examine les griefs afin de déterminer s'ils caractérisent des manquements suffisamment graves pour entraîner la requalification en un licenciement ou une prise d'acte de rupture.
Par ailleurs, pour produire effet, la démission doit être donnée en dehors de toute pression émotionnelle.
En l'espèce, M. [D] démissionne par un courrier du 29 juin 2018, sans réserve, ainsi libellé :
'Je soussigné [L] [D], ai l'honneur de vous présenter ma démission du poste de Chef de groupe de l'agence de Casablanca, à compter de la date de ce courrier.
J'ai bien noté que les termes de mon contrat de travail prévoient un préavis d'une durée de trois mois. Cependant, et par dérogation, je sollicite une dispense partielle de ce préavis visant à le ramener à une durée de un mois au lieu de trois mois. Dans cette hypothèse, mon contrat de travail expirerait le 29/07/2018.
A la date de mon départ, je vous demanderai de bien vouloir me transmettre un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail ainsi qu'une attestation Pôle emploi.
De plus je souhaiterai que le solde tout compte soit intégralement versé en euros sur mon compte bancaire français (salaire de juillet, congés payés, ...).
Dans l'attente de votre réponse, veuillez agréer mes salutations
distinguées.
Cordialement'
Ce n'est que dans le cadre de la saisine du conseil de prud'hommes que M. [D] va contester la démission susvisée, soit le 28 février 2019.
Il résulte encore du profil Linkedin de M. [D] que ce dernier a intégré la société BTP Consultants à compter du mois de septembre 2018, ce qui explique sa demande de dispense partielle du préavis de trois mois pour le ramener à un mois.
Il apparaît encore que les manquements reprochés à la société marocaine n'ont aucunement empêché l'appelant de poursuivre l'exécution du contrat de travail avec la société Qualiconsult Construction Maroc, M. [D] acceptant de prolonger son détachement au Maroc jusqu'au mois de juin 2019, la SAS Qualiconsult lui ayant antérieurement signifié son retour en France au mois d'avril 2018.
Il convient de rappeler que le contrat de travail entre l'appelant et la SAS Qualiconsult était suspendu pendant toute la durée de l'expatriation.
La cour constate encore que la démission litigieuse est intervenue suite au refus de l'employeur d'accepter la proposition de rupture conventionnelle sollicitée par le salarié par courrier du 11 juin 2018, ce dernier motivant sa demande par son souhait de se consacrer à de nouveaux projets professionnels.
De surcroît, les manquements invoqués concernent la société marocaine et sa gestion par la nouvelle direction et ont été régularisés avant la démission du salarié et il n'existe aucune obligation d'informer les salariés du changement de direction, cette décision relèvant d'un choix de gestion interne.
Enfin, la remise en cause de sa démission par M. [D] n'est pas intervenue dans un délai raisonnable, aucune contestation ou remise en cause de celle-ci n'étant intervenue avant la saisine de la juridiction prud'homale huit mois plus tard.
M. [D] devra dans ces circonstances être débouté de sa demande de requalification de sa démission en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes financières subséquentes.
Il sera statué sur les dépens et frais irrépétibles dans les termes du dispositif.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 11 janvier 2021 par le conseil de prud'hommes d'Avignon en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute M. [L] [D] de ses demandes présentées à l'encontre de la SAS Qualiconsult,
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Laisse les dépens d'appel à la charge de M. [L] [D],
Arrêt signé par le président et par la greffiere.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,