La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/03/2023 | FRANCE | N°22/03053

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 4ème chambre commerciale, 08 mars 2023, 22/03053


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS















ARRÊT N°



N° RG 22/03053 - N° Portalis DBVH-V-B7G-ISA7



CO



TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER

18 janvier 2017

RG:2015007548



[W]



C/



[B]

[E]

PROCUREUR GÉNÉRAL





























Grosse délivrée

le 08 MARS 2023

à

Me Charles FO

NTAINE Me Alexia COMBE















COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale





ARRÊT DU 08 MARS 2023





Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de MONTPELLIER en date du 18 Janvier 2017, N°2015007548



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Mme Chr...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/03053 - N° Portalis DBVH-V-B7G-ISA7

CO

TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER

18 janvier 2017

RG:2015007548

[W]

C/

[B]

[E]

PROCUREUR GÉNÉRAL

Grosse délivrée

le 08 MARS 2023

à

Me Charles FONTAINE Me Alexia COMBE

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

4ème chambre commerciale

ARRÊT DU 08 MARS 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de MONTPELLIER en date du 18 Janvier 2017, N°2015007548

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,

Madame Claire OUGIER, Conseillère,

Madame Agnès VAREILLES, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Isabelle DELOR, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

DÉBATS :

A l'audience publique du 16 Février 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 08 Mars 2023.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANT :

Monsieur [Y] [W]

né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 14] (MAROC)

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représenté par Me Charles FONTAINE de la SCP FONTAINE ET FLOUTIER ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représenté par Me Florian KAUFFMANN, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMÉS :

Madame [F] [B], Mandataire judiciaire, agissant ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL CIEL CONSTRUCTIONS, désignée à ces fonctions par jugement du Tribunal de commerce de MONTPELLIER en date du 16.11.2012

née le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 12]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Catherine KERDONCUFF, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représentée par Me Alexia COMBE, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Monsieur [C] [E]

né le [Date naissance 5] 1978 à [Localité 11]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représenté par Me Marie-julie KALOUSTIAN-AGNIEL, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représenté par Me Mourad RABHI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de MONTPELLIER

Madame PROCUREURE GÉNÉRALE, domiciliée en ses bureaux

[Adresse 8]

[Adresse 8]

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 09 Février 2023

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 08 Mars 2023,par mise à disposition au greffe de la Cour

EXPOSÉ

Vu l'appel interjeté le 27 janvier 2017 par Monsieur [Y] [W] à l'encontre du jugement prononcé le 18 janvier 2017 par le tribunal de commerce de Montpellier dans l'instance n°2015007548 ;

Vu l'appel interjeté le 3 février 2017 par Monsieur [C] [E] à l'encontre du jugement prononcé le 18 janvier 2017 par le tribunal de commerce de Montpellier dans l'instance n°2015007548 ;

Vu l'arrêt rendu par la cour d'appel de Montpellier le 22 octobre 2019, statuant sur ces deux appels après jonction ;

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2022 cassant et annulant l'arrêt du 22 octobre 2019 rendu par la cour d'appel de Montpellier sauf en ce qu'il a prononcé à l'encontre de Monsieur [C] [E] une mesure de faillite personnelle d'une durée de cinq ans, et renvoyant, sauf sur ce point, l'affaire et les parties devant la cour d'appel de Nîmes, dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt ;

Vu la déclaration de saisine après cassation transmise par voie électronique le 13 septembre 2022 par Monsieur [Y] [W] ;

Vu les déclarations de saisine après cassation transmises par voie électronique les 13 et 16 septembre 2022 par Monsieur [C] [E] ;

Vu l'ordonnance du 19 septembre 2022 ordonnant la jonction de ces trois procédures de saisine ;

Vu l'avis de fixation de l'affaire à bref délai après renvoi sur cassation du 20 septembre 2022 ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 9 janvier 2023 par Monsieur [Y] [W], appelant principal et intimé, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 10 novembre 2022 par Monsieur [C] [E], appelant principal et intimé, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 9 janvier 2023 par Maître [F] [B] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Ciel constructions, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les conclusions du Ministère public transmises par la voie électronique le 17 janvier 2023 ;

Vu l'ordonnance de clôture de la procédure du 20 septembre 2022 à effet différé au 9 février 2023 ;

* * *

La SARL Ciel constructions a été créée le 9 mars 2005 par Monsieur [Y] [W] et son frère, Monsieur [V] [W], et a pour activité des travaux de bâtiment et de maçonnerie générale.

En novembre 2007 et juin 2008, Monsieur [V] [W] a cédé à Monsieur [M] [A] et Monsieur [C] [E] l'intégralité de ses parts.

A compter du 20 juin 2008, la société Ciel constructions était dirigée par trois cogérants : Monsieur [Y] [W], Monsieur [M] [A] et Monsieur [C] [E].

Monsieur [A] a quitté ses fonctions de gérant le 23 juin 2011 et Monsieur [W] a démissionné des siennes le 27 mars 2012.

Le capital social de 40.000 euros est réparti entre Monsieur [Y] [W], majoritaire à 71%, et Monsieur [C] [E] pour les 29% restants.

Sur assignation de l'URSSAF et par jugement du 28 septembre 2012, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Ciel constructions, fixé la date de cessation des paiements au 15 mai 2012 -date de l'assignation- et désigné Maître [F] [B] en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du 16 novembre 2012, la procédure collective a été convertie en liquidation judiciaire et Maître [B] désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par exploit du 24 avril 2015, Maître [B] ès qualités a assigné Monsieur [W] et Monsieur [E] devant le tribunal de commerce de Montpellier aux fins principales de les voir déclarer solidairement responsables de l'insuffisance d'actif de la société fixée à 2.565.178,45 euros et condamner au règlement de cette somme, ainsi que de voir prononcer à leur encontre une mesure de faillite personnelle.

Par jugement du 18 janvier 2017, le tribunal de commerce de Montpellier a :

au visa des articles 631-4 et 651-2 du code de commerce :

déclaré Messieurs [W] et [E] solidairement responsables du passif social de la SARL Ciel constructions fixé à 2.550.557,14 euros,

mis à leur charge l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la SARL Ciel constructions, fixée à 2.550.557,14 euros,

décidé que, compte tenu de l'implication financière de Monsieur [W] dans la société Ciel constructions, le montant de 392.571,81 euros sera déduit de sa condamnation,

dit que les sommes porteront intérêt au taux légal à compter du jour du prononcé de la décision,

condamné solidairement Messieurs [W] et [E] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,

au visa des articles L653-1 et suivants du code de commerce,

prononcé à l'encontre de Monsieur [Y] [W] une mesure de faillite personnelle pour une durée de 3 ans,

prononcé à l'encontre de Monsieur [C] [E] une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans.

Par déclarations des 27 janvier 2017 et 3 février 2017, Monsieur [Y] [W] (RG n°17/00510) et Monsieur [C] [E] ( RG n° 17/00649) ont respectivement relevé appel de cette décision en toutes les dispositions les concernant.

Par arrêt du 22 octobre 2019, la cour d'appel de Montpellier a :

ordonné la jonction des procédures sous le numéro RG 17/00510,

réformé le jugement du tribunal de commerce de Montpellier mais seulement en ce qu'il a déclaré Messieurs [W] et [E] solidairement responsables du passif social de la SARL Ciel constructions fixé à 2.550.557,14 euros, mis à la charge de Messieurs [W] et [E] l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la SARL Ciel constructions fixée à 2.550.557,14 euros et prononcé à l'encontre de Monsieur [W] une mesure de faillite personnelle pour une durée de 3 ans et à l'encontre de Monsieur [E] une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans,

statuant de nouveau de ces chefs,

condamné solidairement Monsieur [W] et Monsieur [E] au titre de l'insuffisance d'actif à verser à Maître [F] [B], en qualité de mandataire judiciaire chargée de la liquidation judiciaire de la SARL Ciel constructions, la somme de 1.870.207,55 euros, dans la limite de 1.477.635,74 euros pour Monsieur [Y] [W], avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

prononcé à l'encontre de Monsieur [Y] [W] une mesure de faillite personnelle pour une durée de cinq années,

prononcé à l'encontre de Monsieur [C] [E] une mesure de faillite personnelle pour une durée de cinq années,

confirmé le jugement dans le surplus de ses dispositions,

condamné in solidum Monsieur [Y] [W] et Monsieur [C] [E] à payer à Maître [F] [B], en qualité de mandataire judiciaire chargée de la liquidation judiciaire de la SARL Ciel constructions, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

rejeté les autres demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné in solidum Monsieur [Y] [W] et Monsieur [C] [E] aux dépens d'appel.

Monsieur [W] et Monsieur [E] ont formé des pourvois à l'encontre de cette décision.

Par arrêt du 18 mai 2022, la Cour de cassation a :

cassé et annulé, sauf en ce qu'il a prononcé à l'encontre de Monsieur [E] une mesure de faillite personnelle d'une durée de cinq ans, l'arrêt rendu le 22 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier,

remis, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Nîmes,

condamné Maître [B], en qualité de liquidateur de la société Ciel constructions, aux dépens,

rejeté les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 13 septembre 2022, Monsieur [W] a saisi la cour d'appel de Nîmes suite à cet arrêt de cassation.

Par déclarations des 13 et 16 septembre 2022, Monsieur [E] a fait de même.

Par ordonnance du 19 septembre 2022, ces procédures ont été jointes.

***

En l'état de ses dernières conclusions, Monsieur [Y] [W], appelant, demande à la cour, au visa de l'article L651-2 du code de commerce, de :

dire et juger recevable et régulière sa déclaration de saisine,

infirmer le jugement déféré,

dire et juger que Maître [B] ès-qualités n'établit aucune insuffisance d'actif certaine de la société Ciel constructions au jour de sa démission,

dire et juger en toutes hypothèses qu'il n'a commis aucune faute de gestion de nature à engager sa responsabilité,

dire et juger que les fautes alléguées par Maître [B] ès-qualités n'ont pas contribué à l'augmentation du passif de la société Ciel constructions,

dire et juger qu'il est un dirigeant de bonne foi,

dire et juger qu'il n'est pas demeuré gérant de fait après sa démission du 27 mars 2012,

débouter en conséquence Maître [B] ès-qualités et Monsieur [E] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

condamner Monsieur [E] à le relever et garantir de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,

condamner Maître [B] ès-qualités à lui payer la somme de 9.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

la condamner aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, l'appelant fait valoir que le liquidateur n'a pas recherché la responsabilité de Monsieur [A] alors qu'il a occupé les fonctions de co-gérant pendant la période litigieuse, de sorte qu'il se trouve privé de tout recours à son encontre.

Il conteste avoir été gérant de fait postérieurement à sa démission, soutenant que le seul fait isolé qu'il ait été présent à une réunion de chantier est insuffisant à le démontrer et que ses autres interventions ne résultaient que de sa qualité d'associé.

Par ailleurs, l'existence d'une insuffisance d'actif certaine n'est pas démontrée au 27 mars 2012, date de sa démission et il n'a jamais été convoqué pour la vérification des créances, de sorte que, tenant la carence de Monsieur [E], le passif a été évalué unilatéralement par le liquidateur.

Or ce passif ne s'élève en réalité qu'à une somme maximale de 363.377,25 euros. En effet, la créance de la DGFP, en elle-même contestable, est née postérieurement à l'ouverture de la procédure collective puisque résultant d'une vérification terminée le 29 janvier 2013. La créance de l'USSAF n'a augmenté après sa démission que par l'effet de la négligence du gérant Monsieur [E]. La créance de la BNP Paribas doit être réduite du prix de vente du chariot qui était l'objet du crédit bail. Celle de la BTP Banque procède d'encours de cautions qui sont caduques pour avoir été consentis dans le cadre de marchés achevés. Les créances du Crédit Mutuel et de CIC ont été acquittées par ses soins puisqu'il s'en était porté caution et il a également payé celle de Crédipar. Enfin, le prix de vente du matériel financé par Lixxbail dépassait le solde restant dû à cette société.

Il n'a commis à titre personnel aucune faute de gestion.

Il n'était plus gérant à la date de cessation des paiements de sorte qu'il ne peut lui être reproché de ne pas l'avoir déclarée dans les 45 jours.

Ayant démissionné, il ne disposait plus des documents comptables et la comptabilité avait été tenue par un cabinet d'expertise comptable jusqu'à l'exercice 2012 pour lequel celui-ci a refusé d'intervenir, ses factures n'étant pas acquittées. Le redressement fiscal opéré ne peut lui être opposé alors qu'il était contestable, postérieur à l'ouverture de la procédure collective, et que la faute du cabinet d'expertise comptable n'a pas été recherchée, lui-même ne s'occupant d'ailleurs pas des taches administratives et comptables qui étaient dévolues à Monsieur [E].

Les assemblées générales ont été régulièrement tenues chaque année et les rémunérations autorisées.

S'agissant du non paiement des cotisations sociales et du non respect des obligations déclaratives, ces missions relevaient de la compétence de Monsieur [E]. Les écarts constatés lors du contrôle fiscal résultaient de la désorganisation de l'entreprise par suite du licenciement des salariés et de la perte de marchés.

Enfin, la poursuite d'une activité déficitaire ne peut davantage lui être reprochée en l'absence de preuve de l'existence d'un quelconque déficit avant la date de cessation des paiements comme de tout intérêt personnel.

Aucun lien de causalité n'existe entre les fautes dont le liquidateur se prévaut et l'insuffisance d'actif, raison pour laquelle précisément l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier a été cassé.

Enfin, la condamnation au comblement du passif n'est qu'une faculté pour le juge du fond et, en l'espèce, il doit être tenu compte en sa faveur de son implication dans la société. Il s'est porté caution solidaire des engagements de la société et a du s'acquitter à ce titre de plusieurs de ses dettes, Il a, en mars 2011, effectué des démarches pour obtenir un plan de règlement avec le Trésor public à la suite du contrôle fiscal effectué en 2009 et s'est même porté caution hypothécaire par l'intermédiaire d'une SCI pour garantir les paiements dûs, caution qui a été recherchée et mobilisée. Il a, par l'intermédiaire de la même société, souscrit deux prêts pour financer la construction de locaux destinés à accueillir le siège social de la société et a du assumer personnellement les conséquences de l'échec de ce projet, s'en étant porté caution. Enfin, il a apporté des fonds personnels de janvier 2011 au 29 juin 2012 pour un total de 289.326,98 euros, et son compte courant d'associé était encore créditeur de 66.251,62 euros au jour de l'ouverture de la procédure collective.

Tenant sa bonne foi, les fautes de gestion qui seraient retenues ne peuvent résulter que d'une simple négligence et ne justifient pas le prononcé d'une mesure de faillite personnelle.

***

Dans ses dernières conclusions, Monsieur [C] [E], appelant, demande à la Cour, au visa des articles L651-2 et L653-1 du code de commerce, de :

juger son appel recevable et bien fondé,

infirmer le jugement déféré,

A titre principal,

juger que les fautes réellement commises par Monsieur [E] eu égard à ses véritables fonctions dans la société Ciel constructions ne pouvaient être analysées au-delà de la simple négligence,

juger que ces fautes ne permettaient pas l'application des dispositions de l'article L. 651-2 du code de commerce,

débouter en conséquence Maître [B] ès qualités et Monsieur [W] de toutes les demandes fins et conclusions à son encontre,

A titre subsidiaire,

juger que Maître [B] ès qualités n'a pas établi une insuffisance d'actif certaine de la société Ciel constructions,

débouter en conséquence Maître [B] ès qualités de toutes ses demandes fins et conclusions à son encontre,

la condamner au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en remboursement des frais irrépétibles exposés devant la cour,

la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel et dire que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, il fait valoir qu'il n'a intégré la société des frères [W] qu'en 2008, en y travaillant comme étudiant à mi-temps au poste d'agent administratif. Son titre de séjour ne lui permettant pas d'exercer une activité à temps complet, il a, à cette seule fin, acquis des parts sociales du frère de Monsieur [Y] [W] et partagé la gérance avec ce dernier.

Ces qualités de co-gérant et associé n'étaient pourtant qu'une simple formalité pour lui permettre d'être davantage présent dans la société mais il n'a, de fait, jamais cessé d'être le salarié de Monsieur [W] qui est resté le seul donneur d'ordres.

Ainsi, celui-ci disposait des fonds de la société comme bon lui semblait, prélevant régulièrement des sommes sur les comptes, agissant au profit d'autres sociétés lui appartenant, sans que lui-même puisse seulement s'y opposer.

La démission de Monsieur [W] n'avait pour objet que de le prémunir des éventuelles conséquences découlant de la situation de la société, dont les affaires périclitaient notamment du fait des agissements de celui-ci.

En situation de vulnérabilité administrative et novice en la matière, il n'a pu s'imposer face à celui qui avait créé la société, continuait à la dirigeait, et était rompu à la vie des affaires -même si trois de ses quatre sociétés ont fait l'objet d'une liquidation.

Ainsi, sur la base du contrôle fiscal, seul Monsieur [W] a fait l'objet de poursuites pénales.

Et il est d'autant plus incompréhensible que sa responsabilité soit recherchée que celle de Monsieur [A] ne l'est pas, alors que tous deux se trouvaient de fait dans la même situation.

A titre subsidiaire, Monsieur [E] soutient que la liste provisoire des créances déclarées au 22 mai 2014 ne suffit pas à établir avec certitude l'existence et le montant de l'insuffisance d'actif, qu'aucune liste des créances vérifiées n'est communiquée et qu'il est opposé une contestation sur le montant réel du passif par Monsieur [W] de sorte que le jugement déféré ne peut qu'être infirmé.

***

En l'état de ses dernières écritures, Maître [B] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Ciel constructions, intimée, demande pour sa part à la Cour, de :

ordonner la jonction des procédures,

constater que Monsieur [E] était gérant de droit de la SARL Ciel constructions,

constater que Monsieurr [W] était gérant de fait de la SARL Ciel constructions à compter du 27 mars 2012,

Vu l'article L631-4 du code de commerce,

Vu la date de cessation des paiements de la SARL Ciel Constructions telle que fixée par le jugement du tribunal de commerce de Montpellier au 15 mai 2012,

constater que Messieurs [W] et [E] auraient dû procéder à la déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours,

constater qu'ils n'ont pas effectué la déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours de cette cessation,

Vu l'article L 651-2 du code de commerce,

Vu l'état provisoire des créances au 22 mai 2014,

constater que l'insuffisance d'actif de la SARL Ciel constructions s'élève à 1.870.207,55 euros,

dire et juger que Messieurs [W] et [E] ont commis une faute de gestion en ne déclarant pas l'état de cessation des paiements de la SARL Ciel constructions,

dire et juger que la tenue d'une comptabilité incomplète et non conforme est constitutive d'une faute de gestion,

dire et juger que l'absence de paiement des cotisations sociales est constitutive d'une faute de gestion,

dire et juger que la méconnaissance des obligations fiscales est constitutive d'une faute de gestion,

constater que l'administration fiscale a relevé une intention manifeste de fraude fiscale et a prononcé des condamnations ayant augmenté le passif social,

dire et juger que les conséquences financières des condamnations fiscales prononcées à l'encontre de la SARL Ciel constructions participent de l'insuffisance d'actif et relèvent de l'entière responsabilité des dirigeants puisqu'étant la conséquence de fautes de gestion constatées par l'Administration Fiscale,

dire et juger que l'absence de déclarations sociale et fiscale est constitutive d'une faute de gestion,

dire et juger que l'absence de l'obligation de convocation et de tenue d'assemblée générale est constitutive d'une faute de gestion,

dire et juger que l'attribution de rémunérations non autorisées est constitutive d'une faute de gestion,

constater la poursuite d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel,

dire et juger que les fautes de gestion commises par Messieurs [W] et [E] ont contribué à l'insuffisance d'actif de la SARL Ciel constructions,

En conséquence,

déclarer Messieurs [W] et [E] solidairement responsables du passif social de la SARL Ciel constructions fixé à 1.911.193,43 euros,

mettre à leur charge l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la SARL Ciel constructions fixée à 1.870.207,55 euros,

prendre acte que Monsieur [W] a soutenu l'activité à hauteur de 392.571, 14 euros,

déduire cette somme de la condamnation à venir,

dire et juger que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter du jour du prononcé de la décision,

Vu les articles L653-3, L653-4, L653-5 et L653-8 du code de commerce

Vu les fautes de gestion commises par Messieurs [W] et [E] ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la SARL Ciel constructions:

-absence de déclaration de cessation des paiements

-poursuite abusive d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel

-tenue de comptabilité manifestement irrégulière et incomplète

-augmentation frauduleuse du passif de la société

-distribution de rémunération non autorisée

prononcer une mesure de faillite personnelle à l'encontre de Messieurs [W] et [E],

Et ce faisant confirmer la décision dont appel,

condamner solidairement Messieurs [W] et [E] au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

les condamner aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, l'intimée fait valoir que le passif incontestable de la société Ciel constructions, hors créances contestées, rejetées, provisionnelles ou à échoir, est de 1.911.193,43 euros, et l'actif réalisé au cours des opérations de liquidation s'élève à 40.985,88 euros, soit une insuffisance d'actif certaine de 1.870.207,55 euros.

Plusieurs fautes de gestion sont établies à la charge des deux co-gérants de la société, Monsieur [W] étant resté gérant de fait après sa démission :

absence de déclaration de la cessation des paiements dans le délai de 45 jours

La procédure de redressement judiciaire a été initiée par l'Urssaf par assignation du 15 mai 2012, ce qui ne dispensait pas les deux gérants de déclarer l'état de cessation des paiements dans les 45 jours, or ils n'en ont rien fait jusqu'au jugement d'ouverture du 28 septembre 2012.

Bien plus, la société Ciel constructions était déjà en cessation des paiements depuis au moins 45 jours avant l'assignation de l'Urssaf vu l'état du passif, de sorte que les deux appelants auraient dû déclarer l'état de cessation des paiements au plus tard le 31 mars 2012.

tenue de comptabilité incomplète et irrégulière

Pour l'exercice 2011, des éléments de comptabilité incomplets ont été remis au mandataire judiciaire et à l'Administration fiscale et aucun document comptable afférent à l'exercice 2012 n'a été transmis.

Les opérations de vérification de comptabilité menées par l'Administration fiscale sur les périodes du 1er janvier 2009 au 30 avril 2012 ont révélé d'importantes irrégularités comme la non-présentation de factures, une différence entre les écritures passées en comptabilité et les factures présentées, l'émission de factures sans TVA.

absence de convocation et de tenue des assemblées générales et attribution de rémunérations non autorisées

Aucun procès verbal d'assemblée générale n'a été remis au liquidateur et les procès verbaux transmis en l'instance d'appel ont été établis pour les besoins de la cause, n'étant ni signés ni déposés au greffe.

Dès lors, les rémunérations des gérants n'étaient pas autorisées.

non paiement des cotisations sociales et non respect des obligations déclaratives

Les cotisations dues à l'Urssaf n'ont pas été acquittées à compter d'août 2011 et ont fait l'objet de taxations d'office.

Celles dues à la Caisse des congés Intempéries BTP sont restées impayées depuis le 1er juin 2009, et celles de l'organisme PRO-BTP depuis le 31 décembre 2010, ce qui a conduit à d'importants frais de recouvrement pour la première et à une taxation d'office pour la seconde.

non respect des obligations fiscales

La vérification de comptabilité engagée le 4 juillet 2012 sur les exercices courant de 2009 au 30 avril 2012 a révélé de graves irrégularités et donné lieu à des propositions de rectification et des redressements au titre de la TVA, de l'impôt sur les sociétés, de la CVAE, formation professionnelle et taxe d'apprentissage, avec imputation de pénalités et de majorations.poursuite d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel

Malgré l'aggravation irrémédiable du passif, les dirigeants ont poursuivi l'exploitation durant plusieurs mois alors que la société était en état de cessation des paiements bien antérieurement à la saisine de la juridiction, bénéficiant encore de rémunérations.

Or les dirigeants de la société étaient gérants d'autres entreprises et ne pouvaient se prétendre novices et ignorants des règles commerciales. Ils ont commis des fautes de gestion avérées et grossières engendrant un passif conséquent et doivent en conséquence être solidairement tenus au comblement de l'insuffisance d'actif.

Les premiers juges ayant relevé que Monsieur [W] avait fait preuve d'une implication financière dans la société de 392.571,14 euros, « il conviendra de déduire ce montant de la condamnation mise à sa charge ».

Enfin, tenant les fautes résultant de l'absence de déclaration de la cessation des paiements dans le délai de 45 jours, de la poursuite abusive dans un intérêt personnel d'une activité déficitaire, de la tenue d'une comptabilité manifestement irrégulière et incomplète, de l'obstacle fait au bon déroulement de la procédure collective, de l'augmentation frauduleuse du passif par méconnaissance des obligations fiscales et sociales, de l'absence de communication au liquidateur des documents utiles et de l'utilisation du crédit de la société contraire à ses intérêts et à des fins personnelles, une mesure de faillite personnelle doit être prononcée à l'encontre des deux dirigeants.

***

L'affaire a été communiquée au ministère public qui 'conclut, après cassation de l'arrêt de la chambre commerciale de la cour d'appel de Montpellier, à la confirmation par la Cour de la décision entreprise au vu des motifs pertinents des juges de première instance, en l'état du caractère avéré de fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actifs et notamment :

- le non-respect des obligations déclaratives en matière fiscale et sociale, et de tout paiement en découlant;

- la tenue d'une comptabilité volontairement imparfaite, et donc non sincère et irrégulière, dans un but de dissimulation'.

***

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

Sur la procédure :

L'affaire revenant devant la cour d'appel de Nîmes sur renvoi après cassation, l'instance d'appel se poursuit sur les seuls chefs de ce renvoi, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le prononcé d'une faillite personnelle à l'encontre de Monsieur [E].

Il convient en revanche d'ordonner la jonction des procédures engagées par les déclarations d'appel transmises par Messieurs [W] et [E] sous le numéro RG 17/00510.

Sur le fond :

I - sur l'action en comblement du passif

Selon l'article L651-2 du code de commerce, « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. »

L'action en comblement de passif est une action en responsabilité délictuelle qui suppose l'existence d'un préjudice pour la société : une insuffisance d'actif, la caractérisation de la commission de fautes de gestion -excédant la simple négligence- à la charge de la personne dont la responsabilité est recherchée, et la démonstration d'un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif constatée.

A. les gérants

Si cette action peut être engagée à l'égard de tout dirigeant de fait ou de droit de la société, rien n'impose qu'elle le soit à l'encontre de tous, le texte précisant qu'elle peut ne concerner que « certains d'entre eux », de sorte que les appelants ne peuvent tirer argument de l'absence de mise en cause à leurs côtés de Monsieur [A].

Elle doit en outre être examinée pour chacun distinctement, à l'aune des fautes qu'il aurait personnellement commises en cette qualité.

En l'espèce, Monsieur [C] [E] était le gérant de droit de la SARL Ciel constructions du 20 juin 2008 jusqu'à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire par jugement du 28 septembre 2012, ce qu'il ne conteste pas.

C'est précisément en cette qualité que sa responsabilité est recherchée, de sorte que c'est vainement qu'il soutient n'avoir été qu'un dirigeant de complaisance n'assurant pas lui-même l'exercice effectif des fonctions de gérance de la société Ciel constructions, alors que ce comportement n'est en tout état de cause pas de nature à le dédouaner des responsabilités incombant au gérant en titre d'une société (Com. 5 février 2002 n°98-21.658).

S'agissant de Monsieur [Y] [W], il est établi et non contesté qu'il a lui aussi occupé des fonctions de gérant de droit de la société Ciel constructions jusqu'à sa démission le 27 mars 2012.

Postérieurement à cette date, il ressort de nombreuses pièces et notamment d'échanges de courriels avec Monsieur [E] -produits par celui-ci et dont Monsieur [W] ne conteste pas l'authenticité, qu'il continue à intervenir activement dans la gestion de la société Ciel constructions et à partir d'une adresse mail dédiée à la société : « a.dakir@ciel-constructions.fr », au-delà de cette date de démission et jusqu'à l'ouverture de la procédure collective.

Ainsi, le 21 mai 2012 à 7H50 -deux mois après sa démission, Monsieur [W] estime utile de « faire le point » avec Monsieur [E], lui donne des consignes de ce qu'il convient de faire relativement à un salarié (« préparer fin du contrat pour (X), (') Urgent »), à un chantier en cours (« récupérer la main-levée sur le marché unique de la Derecte », en lui demandant l'état d'avancement d'autres chantiers (coffrets de comptage EDF) et en l'informant de ce qu'il compte faire lui-même (envoyer un chauffeur récupérer les clôtures). Il l'informe de ce qu'un créancier (avec lequel il est donc personnellement en contact) veut les voir pour des impayés, et s'inquiète de la prise en charge par la MAAF d'un dossier en cours. Il fait état de plusieurs rendez-vous qu'il a lui-même pris au sujet d'autres dossiers (« [Localité 9] et [Localité 13] ») et demande encore à Monsieur [E] de lui préciser le montant du chèque impayé qu'il faut couvrir pour que lui-même puisse « faire le nécessaire » ainsi que de lui préciser le nombre de véhicules restant assurés chez SMABTP.

Le même jour à 15H36, Monsieur [E] lui répond sur tous les points évoqués, un à un, et, notamment, lui indique que « pour les deux camion Renault et le Caddy van, cela est déjà fait sur (sa) demande », mais aussi ajoute que « pour le dossier de [U], il (lui) faut plus de précision pour préparer quelque chose de définitif, c'est pour cela qu'il faut qu'on se voie les trois avant de le faire ».

Le même jour encore à 13H45, Monsieur [W] envoie une « demande d'information » à Monsieur [E], qu'il appelle simplement par son prénom, concernant une entreprise sous-traitante - dont il lui demande l'adresse, et une négociation concernant une école -dont il souhaite qu'il lui rappelle la date et l'heure de convocation, et lui dicte ce qu'il faut écrire sur la convention d'un compte prorata : « il faut la retourner signé, mais il faut barrer 1,5% à la place à faire 1% convenu avec (Y) ». Et Monsieur [E] répond une heure plus tard à « M. [W] » en lui envoyant copies de la convocation et de la facture de leur sous-traitant, ajoutant que Monsieur [W] doit avoir la convention compte prorata dans le « classeur d'opération » et qu'il peut la lui laisser au bureau d'un chantier. Enfin, Monsieur [E] s'inquiète auprès de Monsieur [W] de ce qu'il n'a pas encore reçu le virement sur son compte bancaire et lui demande de faire le nécessaire comme convenu. Pièce 8

Le 27 juin 2012, Monsieur [E] transmet à Monsieur [W] « le contrat de travail de (') corrigé suite aux erreurs commises par (lui)-même sur son lieu de naissance et l'intitulé de ses tâches », s'en excusant « vivement », ce à quoi celui-ci lui répond le lendemain qu'il a bien reçu le contrat rectifié et qu'il préfère voir « ensemble » les prochains documents avant de les donner à un ouvrier (pièce 13).

Le 28 juin 2012, une société transmet « à l'attention de Mr [W] » et sur son adresse mail « [Courriel 7] » la facture de remplacement d'une porte sur un chantier (pièce 13).

Le 4 juillet 2012, c'est le nom de Monsieur [W] qui est mentionné pour la société Ciel constructions dans le cadre d'un compte rendu de réunion sur un chantier pour le lot « démolition - gros oeuvre » et il est noté présent (pièce 12).

Le 9 juillet 2012, plus de trois mois après la démission de Monsieur [W], une société écrit encore à celui-ci personnellement sur une adresse mail de la société Ciel constructions ([Courriel 10]) en lui demandant des précisions en vue de préparer des « DOE » relativement à des chantiers (pièce 11).

Et le même jour, Monsieur [E] demande à un avocat de représenter la société sur la convocation en chambre du conseil pour l'ouverture de redressement judiciaire, mais l'invite à prendre contact avec Monsieur [W] dont il lui communique le numéro de téléphone, pour convenir du montant de ses honoraires et des modalités de règlement (pièce 13).

Le 25 juillet 2012, c'est encore le nom de Monsieur [W] qui est mentionné pour la société Ciel constructions dans le cadre d'un compte rendu de réunion sur un chantier pour le lot « gros oeuvre » (pièce 12).

Tous ces éléments concordants qualifient une gestion de fait en démontrant avec certitude que Monsieur [W] a exercé, encore après sa démission des fonctions de gérant de droit de la société Ciel constructions, une activité régulière de direction de cette société, formulant des consignes au gérant de droit, accomplissant lui-même des actes au nom de la société, disposant des fonds de celle-ci, et ce, de façon indépendante, -tous actes qui excèdent l'intervention que peut faire un simple associé dans les affaires de la société. Exerçant ainsi avec Monsieur [E], en concertation, la gestion des salariés, la maitrise des chantiers, les relations avec les interlocuteurs de la société, assureur, client, avocat, Monsieur [W] n'a cessé, malgré sa démission officielle, d'exercer la co-gérance de la société Ciel constructions pendant toute la période litigieuse précédant son placement en liquidation judiciaire.

La responsabilité de ces deux appelants peut ainsi être valablement recherchée en leur qualité de co-gérants, de droit pour Monsieur [E], de droit puis de fait pour Monsieur [W], de la société Ciel constructions, sur les exercices 2009, 2010, 2011 et 2012 jusqu'à l'ouverture de la procédure collective, peu important le partage des tâches convenu entre eux puisqu'il appartenait à chacun d'assurer le plein exercice des devoirs de sa fonction.

B. l'insuffisance d'actif

L'insuffisance d'actif s'établit à la différence entre le montant du passif admis et correspondant à des créances antérieures au jugement d'ouverture et le montant de l'actif de la personne morale débitrice tel qu'il résulte des réalisations effectuées en liquidation judiciaire (Com. 26 juin 2001, n°98-16.520).

Elle s'apprécie au jour où la juridiction statue dans le cadre de l'action engagée à l'encontre du ou des dirigeants en exercice (Com. 16 mars 1999 n°95-208.14).

Pour l'ancien dirigeant dont la responsabilité est recherchée en comblement de passif, l'existence et le quantum d'une insuffisance d'actif s'apprécient au jour de cessation de ses fonctions, quand bien même il n'y aurait pas eu d'accroissement de cette insuffisance pendant son mandat.

Toutefois, étant retenu que si Monsieur [W] a cessé d'être gérant de droit au 27 mars 2012, ses fonctions de dirigeant se sont poursuivies au-delà de cette démission en sa qualité de gérant de fait, il n'y a pas lieu d'examiner si l'insuffisance d'actif existait à la date de cette démission.

Selon les éléments produits aux débats par le mandataire liquidateur, le passif échu et certain de la société Ciel constructions s'élève à 1.911.593,43 euros au 24 mai 2017, dont 1.607.950,61 euros de créances privilégiées et 303.642,82 euros de chirographaires (pièce 6). C'est là un passif minimal provisoire puisqu'il ne comprend ni les créances provisionnelles ou à échoir, ni les créances contestées -et évidemment pas celles rejetées.

Monsieur [W] conteste ce montant sur plusieurs points, à tort.

Ainsi, si la créance de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFP) de 1.988.658,00 euros est, comme il le dit, « née postérieurement au jugement de liquidation judiciaire du 16 novembre 2012, à la suite d'une vérification de comptabilité qui s'est terminée le 29 janvier 2013 », elle procède de sommes qui étaient exigibles sur les exercices 2009, 2010, 2011 et 2012 jusqu'au 30 avril 2012 et de majorations imposées par les manquements des dirigeants sur cette période. Et les affirmations répétées de Monsieur [W] selon lesquelles le redressement fiscal opéré aurait pu être utilement contesté ne sont qu'allégations en l'absence de tout élément probant en ce sens.

La créance de l'URSSAF ne s'apprécie pas au jour de la démission de Monsieur [W], mais s'élève définitivement à 229.698 euros (220.942 euros à titre privilégié et 8.756 euros à titre chirographaire) au 24 mai 2017, résultant effectivement pour partie d'une taxation d'office liée à la carence des deux gérants.

S'agissant des autres créances qu'il cite, ses dires ne sont encore qu'allégations dès lors qu'il ne justifie pas de ce que les prix obtenus de la réalisation d'actifs n'ont pas été intégralement pris en compte dans les calculs du liquidateur soit par déduction sur la créance, soit au titre des recettes sur vente aux enchères, ni de la caducité des encours de caution, et pas davantage des règlements qu'il aurait effectués à titre personnel ou en qualité de caution sur les créances déclarées et qui pourraient ainsi venir en réduire le montant.

Il ressort en effet de la pièce 7 de Maître [B] que la réalisation de l'actif a permis le recouvrement de 37.587,09 euros, et non pas 40.985,88 euros puisqu'il convient de retrancher des recettes obtenues des recouvrements comptes clients (27.644,83 euros) et des ventes aux enchères (13.160 euros) les frais qui y sont respectivement afférents (2.073,62 et 1.325,17 euros), le crédit de 181,05 euros de répartition d'intérêts s'ajoutant alors à ces soldes. Il incombe par conséquent aux appelants de démontrer que d'autres sommes ont été omises de l'actif de la procédure collective.

L'insuffisance d'actif est donc à ce jour certaine, et est d'ores et déjà établie à un minima de 1.874.006,34 euros (1.911.593,43 ' 37.587,09).

C. les fautes de gestion

L'action en comblement du passif a pour objet de sanctionner le comportement antérieur au jugement de liquidation judiciaire du ou des dirigeants et qui y aurait contribué. Il en résulte que seules des fautes de gestion antérieures au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire - qui autorise l'exercice de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif - peuvent être prises en compte. Le jugement ouvrant le redressement judiciaire n'exonérant pas le dirigeant social de sa responsabilité, les fautes de gestion commises pendant la période d'observation du redressement judiciaire peuvent encore être prises en considération pour fonder l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif dès lors qu'elles sont antérieures à la liquidation judiciaire (Com. 22 janvier 2020 n°18-17.030).

En l'occurrence, la liquidation judiciaire a été prononcée le 16 novembre 2012. Seules peuvent donc être retenues comme fautes de gestion engageant leur responsabilité, celles commises par les deux dirigeants appelants avant cette date.

1°) l'absence de déclaration de la cessation des paiements dans le délai de 45 jours

L'article L640-4 du code de commerce dispose que « l'ouverture de cette procédure (de liquidation judiciaire) doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements, s'il n'a pas dans ce délai demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation ».

La tardiveté de la déclaration de cessation de paiement s'apprécie au regard de la seule date de cessation fixée dans le jugement ouvrant la procédure collective, date en l'espèce fixée au 15 mai 2012 par le jugement du 28 septembre 2012 (Com. 18 mai 2016 n°14-21.133 notamment), de sorte qu'il est vain pour le liquidateur judiciaire de soutenir que cet état de cessation des paiements aurait préexisté avant cette date.

L'ouverture de la procédure aurait donc dû être demandée au plus tard le 29 juin 2012.

L'assignation en ouverture de redressement judiciaire délivrée par un créancier ne dispense pas les dirigeants de la société de procéder à cette déclaration (Com. 14 janvier 2014 n°12-29.807).

Or, pendant toute cette période, les deux co-gérants étaient nécessairement éclairés quant à la situation de la société : ils étaient tous deux informés de l'assignation délivrée par l'URSSAF comme en témoignent les messages échangés, la créance de celle-ci procédait d'années d'arriérés impayés, un redressement fiscal était en cours sur plusieurs exercices, avec déjà un précédent dont les dirigeants devaient nécessairement se souvenir, la situation de la société était, selon l'euphémisme de Monsieur [W], « difficile » depuis 2011, les traites des fournisseurs étant rejetées, les règlements des salaires et des charges fixes n'étant plus honorés et la cotation de la société ayant chuté -comme le décrit si bien cet appelant, l'expert-comptable n'étant même plus payé, tous éléments parfaitement connus également de Monsieur [E] qui était toujours en fonctions.

Compte tenu de l'ampleur et de l'ancienneté des difficultés, la carence totale des deux gérants a assumer leur gestion commune en déclarant l'état de cessation de paiement de la société dans le délai légal requis excède la simple négligence et caractérise une faute de leur part.

2°) la tenue d'une comptabilité incomplète et irrégulière

L'article L123-12 du code de commerce impose à toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant de procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise par ordre chronologique, de contrôler par inventaire , au moins une fois par an, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs de son patrimoine, et d'établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire, comptes comprenant le bilan, le compte de résultat et une annexe qui forment un tout indissociable.

La vérification de la comptabilité de la SARL Ciel constructions par l'administration fiscale sur les exercices 2009 à 2011 et jusqu'au 30 avril 2012 pour la TVA l'a conduite à retenir que la comptabilité de cette société n'était pas probante pour les exercices 2010 et 2011 mais comportait d'importantes irrégularités, les écritures passées n'étant pas conformes aux factures détenues, et de la TVA étant omise, notamment.

Il est encore admis par les appelants qu'aucune comptabilité n'a pu être établie pour l'exercice 2012 dans la mesure où le cabinet d'expertise comptable de la société n'était plus réglé de ses factures et avait donc mis fin à sa mission.

C'est vainement que Monsieur [W] fait valoir qu'il incombait à ce cabinet de tenir jusque-là une comptabilité complète et régulière, alors qu'un éventuel manquement de l'expert-comptable à ses obligations -quand bien même serait-il établi- n'est en tout état de cause pas de nature à exonérer les gérants de l'obligation qui leur incombe à chacun personnellement de veiller à l'établissement d'une telle comptabilité.

La persistance des omissions délibérées de TVA telles que qualifiées par l'administration fiscale, comme le fait qu'elles aient eu un précédent, et le caractère systématiquement erroné des comptes établis, non concordants avec la réalité des factures, et ce sur plusieurs années d'affilée, démontrent que c'était un mode de fonctionnement institutionnalisé au sein de la société, et ce, nécessairement par accord entre les deux dirigeants, chacun pouvant seul y remédier en lien avec le cabinet d'expertise-comptable s'il l'avait souhaité mais ne l'ayant pas fait.

3°) absence de convocation et de tenue d'assemblée générale et attribution de rémunérations non autorisées

Sans qu'il soit utile d'examiner la sincérité -contestée par le mandataire liquidateur- des procès-verbaux d'assemblée générale produits ni leur caractère exhaustif, il peut être retenu que la négligence des deux gérants suffit à expliquer une quelconque carence ou insuffisance à cet égard. En effet, ils sont tous deux seuls associés et gérants et les rémunérations perçues sont loin d'être manifestement excessives, de sorte qu'ils n'avaient aucun intérêt à procéder irrégulièrement à ce titre. La faute ne sera donc pas retenue de ce chef.

4°) Non paiement des cotisations sociales et non respect des obligations déclaratives afférentes

Aucune cotisation n'a été acquittée auprès de l'URSSAF depuis août 2011, auprès de la Caisse de congés intempéries BTP depuis juin 2009, et de la Caisse Pro-BTP depuis janvier 2011. Il a été procédé à des taxations d'office sur la dernière année parce que les dirigeants étaient même carents à effectuer les déclarations obligatoires à ces organismes malgré les rappels. Et des précomptes salariaux ont dû être acquittés par le liquidateur à l'URSSAF courant 2013 et 2014, faute d'avoir été reversés en temps utile.

Or, comme Monsieur [W] l'expose lui-même, la nature même de l'activité de la société comme son développement avaient nécessité un temps l'embauche d'un grand nombre de personnels. Le corollaire d'une telle embauche est inévitablement une gestion conséquente des obligations afférentes pour les gérants.

Leur défaillance à tous deux, qui n'est allée qu'en s'aggravant puisqu'aux défauts de paiement se sont encore ajoutés des absences de déclaration, constitue un choix délibéré. Ce choix est clairement revendiqué par Monsieur [W] qui invoque une « stratégie coûteuse » (page 4 de ses écritures), mais Monsieur [E] qui était et est resté à la tête de la société pendant ces deux années y a nécessairement ainsi adhéré et ne s'en est pas écarté comme il aurait pu le faire.

Cette carence excède largement la notion de négligence et constitue un comportement fautif de la part des deux gérants.

5°) non respect des obligations fiscales

Quoi qu'en dise Monsieur [W], la vérification de comptabilité et le redressement fiscal qui s'en est suivi pour la société Ciel constructions sur les exercices 2009, 2010, 2011 et jusqu'au 30 avril 2012 pour la TVA, dont les éléments sont régulièrement produits aux débats au contradictoire des parties, lui sont parfaitement opposables.

Les rappels de TVA s'élèvent pour l'exercice 2009 à 29.912 euros, pour l'exercice 2010 à 140.007 euros, pour l'exercice 2011 à 307.889 euros, et pour les quatre premiers mois de l'exercice 2012 à 139.825 euros en taxation d'office.

Les rectifications dûes au titre de l'impôt sur les sociétés sont de 185.174 euros pour 2009, 181.504 pour 2010 et 535.408 euros en 2011.

Celles relatives aux diverses taxes s'élèvent 55.764 pour 2010 et 37.513 pour 2011.

Aucune déclaration de TVA n'a été effectuée en 2012.

Aucune déclaration de résultat n'a été déposée au titre de 2011 malgré la mise en demeure du 13 juillet 2012 (pli revenu au service des impôts non réclamé).

Là encore, la carence des deux dirigeants est majeure, persistante et croissante : les impositions et taxes éludées s'accroissent de 2010 à 2011 et y succède l'absence de déclaration.

Une telle carence de leur part à tous deux ne procède dès lors pas d'une négligence mais d'un mode de fonctionnement délibéré et donc fautif.

6°) poursuite d'une activité déficitaire

La condition de recherche d'un intérêt personnel n'est pas exigée par l'article L651-2 du code de commerce pour engager la responsabilité du dirigeant en cas d'insuffisance d'actif.

C'est encore vainement que Monsieur [W] conteste avoir commis un telle faute au motif que l'état de cessation des paiements n'est fixée qu'au 15 mai 2012, alors que le caractère déficitaire de l'activité n'exige pas que les conditions de la cessation des paiements soient établies.

En l'espèce, le seul fait que les cotisations sociales et la TVA dûes n'aient pas été acquittées sur les exercices 2009, 2010, 2011 et 2012 démontre l'existence d'une trésorerie obtenue de façon irrégulière par les deux dirigeants, trésorerie alimentant artificiellement le fonctionnement de la société et pouvant précisément expliquer que l'état de cessation des paiements n'ait été fixé qu'au 15 mai 2012 alors même que la société était en grande difficulté depuis 2011 de l'aveu même de Monsieur [W].

La faute est ainsi caractérisée à l'encontre des deux gérants comme résultant de leurs choix de gestion et des priorités affectées aux règlements des dettes de la société au cours des années litigieuses.

D. le lien de causalité des fautes de gestion caractérisées avec l'insuffisance d'actif établie

Un lien de causalité doit être établi entre la faute de gestion et l'insuffisance d'actif (Com. 3 juillet 2012, n° 10-17.624 notamment).

La faute peut avoir seulement contribué à l'insuffisance d'actif et il n'est pas nécessaire que la faute soit la cause directe et exclusive du dommage (Com. 21 juin 2005, n° 04-12.087). Le juge n'a ainsi pas à déterminer avec précision la part d'insuffisance d'actif imputable à telle faute du dirigeant.

* l'absence de déclaration de la cessation des paiements dans le délai de 45 jours :

Dès lors que cette carence était compensée par la diligence de l'URSSAF et que le tribunal de commerce était saisi, il n'est pas démontré que le manquement fautif des deux gérants à procéder à cette déclaration ait pu contribuer en quoi que ce soit à l'insuffisance d'actif de la société.

* la tenue d'une comptabilité incomplète et irrégulière :

L'établissement d'une comptabilité massivement et délibérément erronée pendant plusieurs années, de 2009 à 2012, a masqué la situation réelle de la société et empêché ses dirigeants d'être éclairés sur toute mesure qui aurait pu utilement y remédier, mais a également permis une alimentation artificielle du fonctionnement de cette société par de la fausse trésorerie, de sorte que la faute des deux gérants à cet égard est, d'évidence, à l'origine de l'insuffisance d'actif constatée.

* le non paiement des cotisations sociales et non respect des obligations déclaratives afférentes :

Les cotisations URSSAF ont été réclamées en taxation d'office pour les mois de février à août 2012 (pièce 11 du liquidateur).

La créance de la caisse Pro-BTP est fixée d'office à titre définitif pour les premiers mois de 2012 « en raison de la carence du débiteur qui n'a pas fourni les déclarations de salaire malgré (les) demandes réitérées » (sa pièce 13).

La créance de la caisse de congés intempéries BTP qui est de 14.275, 78 euros, comprend 11.317,38 euros de frais de recouvrement (sa pièce 12).

Ces majorations et pénalités qui résultent directement des manquements fautifs des deux gérants de la société Ciel constructions, contribuent à l'insuffisance d'actif retenue.

* le non respect des obligations fiscales :

Les intérêts, majorations et amendes imputés par l'administration fiscale à la suite du redressement opéré s'élèvent à 10.037 euros (5.730 euros pour l'imposition générale et 4.307 euros pour le contrôle TVA) pour l'exercice 2009, à 28.118 euros au titre de l'impôt sur les sociétés en 2010 et 2011 (578 euros pour 2010 et 27.540 pour 2011), et 68.746 euros au titre du contrôle TVA pour 2010, 2011 et jusqu'au 30 avril 2012.

Les déclarations de cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) n'ayant pas été souscrites en 2010 et 2011 par voie électronique, une majoration de 60 euros par année est imputée.

Des majorations sont encore comptées pour insuffisance de versement des taxe d'apprentissage et contribution additionnelle en 2010 pour 3.390 euros et en 2011 pour 3.348 euros, et au même motif pour la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle continue (PEFFPC) en 2010 pour 17.639 euros et 2011 pour 11.324 euros.

Tous ces coûts supplémentaires ne grèvent le passif de la société qu'en raison des manquements des deux gérants à leurs obligations fiscales, et contribuent ainsi directement à l'insuffisance d'actif.

* la poursuite d'une activité déficitaire :

Il a été suffisamment démontré que le mode de fonctionnement mis en place par les deux co-gérants et qui consistait à ne pas s'acquitter des sommes dues aux organismes sociaux notamment, pour alimenter la société d'une trésorerie artificielle, s'est poursuivi sur plusieurs années, de sorte que les majorations imputées n'ont fait que s'accumuler, accroissant ainsi au fur et à mesure le passif social et participant de ce fait à l'insuffisance d'actif retenue.

E. Le comblement du passif

En conclusion, sont ainsi qualifiées à l'encontre des deux gérants Monsieur [Y] [W] et Monsieur [C] [E], les fautes tenant au non-paiement des cotisations sociales et non-respect des obligations déclaratives afférentes, au non-respect des obligations fiscales, et à la poursuite d'une activité déficitaire, toutes fautes qui ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société Ciel constructions.

Ces fautes ont été commises par ces appelants, ensemble, de concert, dans le cadre d'une collaboration continue dans la gestion de la société -que révèlent de façon flagrante leurs échanges de courriels, et leur responsabilité doit donc être retenue in solidum.

Si les juges du fond apprécient souverainement le quantum de la condamnation à prononcer, sans être tenus par ce que demande le mandataire liquidateur à ce sujet, c'est à tort que les premiers juges ont retenu la « bonne foi » de Monsieur [W] et ont entendu déduire du montant de sa condamnation une somme de 392.571,81 euros pour le récompenser de son implication financière.

Ainsi, s'il a favorisé personnellement le règlement des sommes dues par la société au Trésor public dans le cadre d'un précédent redressement fiscal portant sur les années 2006 à 2008, obtenu une transaction, s'est porté caution de la société à ce titre et a été recherché en cette qualité en 2011 et début 2012 (ses pièces 21 à 24), il n'en a pour autant tiré aucune leçon, continuant en parallèle à reproduire à l'identique les mêmes errements et dissimulations comptables, en collaboration avec Monsieur [E].

La Direction Générale des Finances publiques retient en effet lors du contrôle fiscal réalisé en 2012 que les gérants ont continué « de façon active, consciente et habituelle » à minorer la TVA due, majorer la TVA déductible, et démontré ainsi une volonté de soustraire délibérément la société, « dans de fortes proportions, au paiement des impôts professionnels dont elle redevable au regard de son activité réelle », alors même que ces obligations leur avaient à tous deux été rappelées lors du précédent redressement fiscal, intervenu pour les mêmes motifs sur les années juste précédentes.

De même, si Monsieur [W] a effectivement fait des apports de fonds personnels entre le 1er janvier 2011 et le 29 juin 2012 pour un montant total de 289.326,98 euros comme l'a retenu le tribunal de commerce, il a également, sur la même période, procédé à des retraits de fonds personnels de 223.065,36 euros, de sorte que son compte courant d'associé est créditeur de 66.261,62 euros au 29 juin 2012 selon le document qu'il produit en pièce 19.

Pour autant, Monsieur [W] n'en a pas moins tenté d'échapper à ses responsabilités en démissionnant de ses fonctions officielles de la société Ciel constructions moins de deux mois avant qu'elle soit déclarée en état de cessation des paiements, démission qui était totalement fictive et n'avait d'autre objet puisqu'il a continué à exercer de fait les mêmes fonctions de dirigeant.

Enfin, s'il s'est porté caution des concours consentis par des organismes bancaires à la société Ciel constructions, c'est avant 2011, à une époque où elle était en plein essor, étant rappelé qu'il en était déjà alors gérant et associé majoritaire. Dès lors, les paiements qui serait intervenus ensuite -quand bien même seraient-ils avérés, ne procèdent que d'engagements contractuels qui se sont imposés à Monsieur [W] et non pas de son « implication financière » au profit d'une société en difficulté.

Et les engagements de caution qu'il aurait encore souscrits en faveur d'une SCI dont il était également gérant pour la construction d'un siège social destiné à être occupé par la société Ciel constructions sont complètement étrangers aux débats, et ce d'autant plus que ledit projet aurait manifestement échoué.

Monsieur [Y] [W] et Monsieur [C] [E] sont ainsi tous deux co-responsables, et dans la même mesure, de l'insuffisance d'actif de la société Ciel constructions.

La gravité de leurs manquements en matière fiscale et sociale, le caractère délibéré et persistant de ces manquements, au mépris notamment des avertissements qui leur avaient été adressés à tous deux par les services fiscaux dans le cadre d'un précédent contrôle, justifient et nécessitent qu'ils soient, de façon proportionnée, condamnés tous deux in solidum à combler l'intégralité de l'insuffisance d'actif de la société Ciel constructions qui a largement résulté de leurs agissements.

II ' La mesure de faillite personnelle

L'article L653-4 du code de commerce dispose que :

« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale ».

L'article L653-5 suivant ajoute encore que :

«Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L653-1 (dont les personnes physiques dirigeantes de droit des personnes morales) contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;

2° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;

3° Avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;

4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;

5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;

7° Avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée ».

 

Compte tenu des rémunérations perçues pour les fonctions exercées et du solde du compte courant de Monsieur [W], rien ne démontre que les deux gérants aient poursuivi l'activité déficitaire dans un intérêt personnel.

Faute de justificatifs produits par le liquidateur judiciaire intimé des convocations et des réclamations de pièces adressées, il n'est pas davantage établi que les deux gérants se soient volontairement abstenus de coopérer avec les organes de la procédure et aient ainsi fait obstacle à son bon déroulement.

Aucun élément au dossier ne permet davantage de retenir que Monsieur [W] ou Monsieur [E] aient fait un usage du crédit de la société contraire à son intérêt, et ce à des fins personnelles, comme le vise le liquidateur judiciaire -sans d'ailleurs l'expliciter.

En revanche, la comptabilité irrégulière, erronée, et retenue comme non-probante par l'administration fiscale sur les années 2010 et 2011 comme l'absence de comptabilité sur l'exercice 2012, justifient le prononcé d'une mesure de faillite personnelle à l'encontre de Monsieur [W] [Y].

Celui-ci ne produit strictement aucun élément relatif à sa situation personnelle qui permettrait à la Cour d'user de son pouvoir modérateur de ce chef.

Le mandataire liquidateur ne concluant, encore devant la Cour de renvoi, qu'à la confirmation du jugement déféré de ce chef, et le ministère public n'en relevant pas appel incident, la durée de cette faillite personnelle ne peut être augmentée et est donc fixée à trois ans compte tenu de la gravité des faits commis.

Sur les frais de l'instance :

Messieurs [W] et [E], qui succombent, devront supporter les dépens de la première instance et de l'instance d'appel, et payer à Maître [B] ès qualités une somme équitablement arbitrée à 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Toutes autres demandes formulées sur ce même fondement sont rejetées.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, dans les limites de sa saisine résultant de l'arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2022,

Ordonne la jonction des procédures ouvertes par les déclarations d'appel transmises par Messieurs [W] (RG 17/00510) et [E] (RG 17/00649), sous le numéro RG 17/00510 ;

Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Montpellier le 18 janvier 2017 en ce qu'il a prononcé à l'encontre de Monsieur [Y] [W] une mesure de faillite personnelle pour une durée de trois ans ;

Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Montpellier le 18 janvier 2017 en toutes ses autres dispositions restant déférées à la Cour ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Dit que Monsieur [Y] [W] est resté gérant de fait de la société Ciel constructions après qu'il a démissionné de ses fonctions de gérant de droit le 27 mars 2012 ;

Dit que Monsieur [Y] [W] et Monsieur [C] [E] ont exercé la co-gérance de cette société pendant les années 2009, 2010, 2011 et 2012 jusqu'au jugement ordonnant la liquidation de la société le 16 novembre 2012 ;

Dit que l'insuffisance d'actif de la société Ciel constructions est à ce jour certaine, et d'un montant d'au moins 1.874.006,34 euros ;

Dit que Monsieur [Y] [W] et Monsieur [C] [E] ont, ensemble, commis des fautes tenant au non-paiement des cotisations sociales et non-respect des obligations déclaratives afférentes, au non-respect des obligations fiscales, et à la poursuite d'une activité déficitaire, toutes fautes excédant une simple négligence et qui ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société Ciel constructions ;

Condamne en conséquence in solidum Monsieur [Y] [W] et Monsieur [C] [E] au comblement intégral de l'insuffisance d'actif de la société Ciel constructions et donc au paiement de la somme de 1.874.006,34 euros ;

Dit que les intérêts courront au taux légal sur cette somme à compter du prononcé du présent arrêt ;

Dit que Monsieur [Y] [W] et Monsieur [C] [E], in solidum, supporteront les dépens de première instance et d'appel et payeront à Maître [F] [B], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Ciel Constructions, une somme de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toutes autres demandes ;

Dit que l'arrêt sera signifié à Monsieur [Y] [W] dans le délai de quinze jours de son prononcé par le greffier de la cour d'appel, et adressé au greffier du tribunal de commerce de Montpellier afin que celui-ci effectue les publicités et notifications prescrites par l'article R653-3 du code de commerce ;

Dit qu'en application des articles L128-1 et suivants du code de commerce, la mesure de faillite personnelle prononcée par confirmation fera l'objet d'une inscription au fichier national automatisé des interdits de gérer tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce.

Arrêt signé par la présidente et par la greffiere.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 22/03053
Date de la décision : 08/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-08;22.03053 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award