RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/03005 - N° Portalis DBVH-V-B7G-IR3Y
AV
TRIBUNAL DE COMMERCE DE NIMES
30 août 2022
RG:2021F541
[S]
C/
S.E.L.A.R.L. BRMJ (30)
MINISTERE PUBLIC
Grosse délivrée
le 08 MARS 2023
à Me Philippe PERICCHI
Me Jean-marie CHABAUD
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
4ème chambre commerciale
ARRÊT DU 08 MARS 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de NIMES en date du 30 Août 2022, N°2021F541
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,
Madame Claire OUGIER, Conseillère,
Madame Agnès VAREILLES, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Isabelle DELOR, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
DÉBATS :
A l'audience publique du 16 Février 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 08 Mars 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [K] [S]
né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 2]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Guilhem DUCROS de la SELARL GD AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de NIMES substitué par Me Flora CADENE avocat au barreau de NIMES,
Représenté par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉES :
S.E.L.A.R.L. BRMJ, Société d'exercice libéral à responsabilité limitée immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NIMES sous le n° 812 777 142, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société MIDI SPORT DISTRIBUTION, selon jugement du Tribunal de Commercel de Nîmes en date du 21 juillet 2020,
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-marie CHABAUD de la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
MINISTERE PUBLIC pris en la personne de Monsieur le Procureur Général
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 3]
Affaire fixée en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile avec ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 09 Février 2023
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 08 Mars 2023,par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Vu l'appel interjeté le 2 septembre 2022 par Monsieur [K] [S] à l'encontre du jugement prononcé le 30 août 2022 par le tribunal de commerce de Nîmes, dans l'instance n°22/03339,
Vu l'avis du 19 septembre 2022 de fixation de l'affaire à bref délai à l'audience du 16 février 2023,
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 3 février 2023 par l'appelant et le bordereau de pièces qui y est annexé,
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 31 janvier 2023 par la SELARL BRMJ, intimée et appelante incidente, et le bordereau de pièces qui y est annexé,
Vu les conclusions du Ministère public notifiées aux parties le 17 janvier 2023,
Vu l'ordonnance du 19 septembre 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 9 février 2023,
Monsieur [K] [S] était le gérant de la société Midi Sport Distribution laquelle exploitait, dans le cadre d'une location-gérance, un fonds de commerce d'achat et de vente au détail et en gros d'articles de sport.
Par jugement du 19 août 2015, le tribunal de commerce de Nîmes a ouvert une procédure de sauvegarde à l'encontre de la société Midi Sport Distribution.
Par jugement du 20 septembre 2016, le tribunal de commerce de Nîmes a arrêté le plan de sauvegarde de la société Midi Sport Distribution.
A la requête du commissaire à l'exécution du plan, le tribunal de commerce de Nîmes a prononcé, par jugement du 21 juillet 2020, la résolution du plan de sauvegarde, ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Midi Sport Distribution et fixé la date de cessation des paiements au 1er janvier 2020. La SELARL BRMJ a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par exploit du 29 avril 2021, la société BRMJ, ès qualités, a fait assigner Monsieur [K] [S], dirigeant de la société Midi Sport Distribution, devant le tribunal de commerce de Nîmes, aux fins de voir engager sa responsabilité pour insuffisance d'actif.
Par jugement du 30 août 2022, le tribunal de commerce de Nimes a, au visa du rapport du juge commissaire et des articles L. 651-2 et suivants du code de commerce :
-Constaté que Monsieur [S] [K] a commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actifs de la société Midi Sport Distribution
-Condamné Monsieur [S] [K] au comblement intégral de l'insuffisance d'actifs de la société Midi Sport Distribution et, à ce titre, au paiement d'une somme de 561 930 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'exploit introductif d'instance ainsi qu'aux entiers dépens
-Débouté les parties de leurs demandes, fins et conclusions
-Condamné Monsieur [S] [K] à payer et à porter à la SELARL BRMJ, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Midi Sport Distribution, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
-Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Le 2 septembre 2022, Monsieur [S] a interjeté appel de cette décision aux fins de la voir réformer en toutes ses dispositions.
Par assignation du 23 septembre 2022, Monsieur [S] a saisi en référé le premier président de la cour d'appel de Nîmes afin de voir ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire assortissant la décision dont appel, les dépens de l'instance étant mis à la charge de la SELARL BRMJ.
Par ordonnance de référé du 18 novembre 2022, le premier président de la cour d'appel de Nîmes a déclaré recevable Monsieur [S] en sa demande et a arrêté l'exécution provisoire assortissant le jugement du 30 août 2022 prononcé par le tribunal de commerce de Nîmes.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'appelant demande à la cour de :
-Réformer le jugement en date du 30 août 2022 en ce qu'il a :
constaté qu'il a commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actifs de la société Midi Sport Distribution
condamné Monsieur [S] [K] au comblement intégral de l'insuffisance d'actifs de la société Midi Sport Distribution;
à ce titre, l'a condamné au paiement d'une somme de 561 930 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'exploit introductif d'instance ainsi qu'aux entiers dépens
débouté les parties de leurs demandes, fins et conclusions
condamné Monsieur [S] [K] à payer et à porter à la SELARL BRMJ, prise en sa qualité en qualité de liquidateur judiciaire de la société Midi Sport Distribution, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau,
A titre principal,
-Débouter la société BRMJ ès qualités de l'intégralité de ses demandes, et notamment de son appel incident sur le quantum de la condamnation
-Condamner la société BRMJ ès qualités à payer à Monsieur [K] [S] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, avec distraction au profit de la SELARL AvouePericchi
A titre subsidiaire,
-Limiter la condamnation de Monsieur [K] [S] à la somme de 30 000 euros
-Laisser à chacune des parties la charge de ses frais et dépens.
L'appelant fait grief au tribunal de commerce d'avoir statué ultra petita en le condamnant à la somme de 561 930 euros alors que le mandataire liquidateur avait demandé sa contribution à l'insuffisance d'actif, à titre provisionnel, à hauteur de 450 000 euros. De plus, le tribunal a retenu une insuffisance d'actif à hauteur de 288 279 euros et l'a ensuite condamné, sans explication, ni justification, à payer la somme de 561 930 euros.
Au soutien de ses prétentions, l'appelant fait valoir, à titre principal, que le mandataire liquidateur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'existence de fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif constatée.
S'agissant de la déclaration tardive de l'état de cessation des paiements, l'appelant expose que le retard s'apprécie au regard de la seule date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans l'éventuel jugement de report. En conséquence, le tribunal ne pouvait pas se référer à la connaissance par le dirigeant des difficultés de l'entreprise, depuis le mois de novembre 2019. Surtout, le tribunal n'a pas caractérisé, dans son jugement, le lien de causalité entre la déclaration tardive et l'aggravation du passif du 15 février au 25 mai 2020 alors que la France était plongée en pleine crise sanitaire. Il convient de se référer, par analogie, à l'article L.653-8 du code de commerce relatif à la faillite personnelle qui exige, pour que la sanction soit prononcée, un retard délibéré dans la déclaration de cessation des paiements. Or, la société était en cours de sauvegarde et le dirigeant n'avait aucune connaissance, ni expérience particulière concernant la gestion ; l'omission de la déclaration de cessation des paiements relève donc de la simple négligence du dirigeant. Ce dernier n'a pas su faire la différence entre les difficultés liées à la sauvegarde et un état de cessation des paiements. Il ne peut être reproché aucune abstention au dirigeant d'une société se trouvant en cours d'exécution d'un plan de sauvegarde. Lors du rendez-vous du 26 novembre 2019 avec le commissaire à l'exécution du plan, et en présence du juge commissaire, le dirigeant a demandé la conversion de la procédure de sauvegarde en liquidation mais il lui a été répondu qu'il n'y avait plus de date disponible en raison des congés de fin d'année. Le commissaire à l'exécution du plan et le juge commissaire étaient compétents pour apprécier la viabilité de la poursuite de l'activité de la société en difficulté. La crise du Covid-19 a empêché de fixer un rendez-vous pour une mise en liquidation. Les aides de l'Etat, non demandées, auraient seulement décalé, de manière artificielle, les difficultés de la société. Le dirigeant a pris l'initiative, par un courrier du 25 mai 2020, de demander la résolution du plan de sauvegarde et l'ouverture d'une procédure de liquidation.
L'appelant conteste avoir perçu une rémunération excessive, par rapport à la situation de la société. Sa rémunération était de 31 000 euros en 2019, soit un salaire mensuel d'environ 1 800 euros. Par rapport à l'année 2018, il a baissé son salaire de 12 500 euros. Il n'est pas démontré de lien de causalité entre le paiement de cette rémunération et l'aggravation du passif de la société.
L'appelante explique que la poursuite d'une activité déficitaire n'est pas en soi une faute de gestion, cette poursuite devant être abusive ou devant se faire dans l'intérêt personnel du gérant; il convient d'apprécier la faute de gestion, par analogie avec la faute ouvrant un cas de faillite personnelle.
Le fait qu'il ait réglé seulement quatre annuités du plan de continuation, conduisant à sa résolution et à la conversion de la sauvegarde en liquidation, ne peut être considéré comme fautif, d'autant plus que le jugement du 20 septembre 2016 prévoyait des échéances progressives. Il a réduit la dette de la société qui devait faire face à un passif de 496 000 euros, dans le cadre de la sauvegarde, alors qu'aujourd'hui, l'insuffisance d'actif s'élève à 430 064 euros. Il s'est engagé en qualité de caution de la société à hauteur de 47 000 euros. Il a augmenté en 2017 le capital social de la société et fait entrer un nouvel associé, qui a apporté la somme de 90 000 euros en compte courant d'associé. Il a eu, tout au long du plan de sauvegarde, un rôle actif dans le redressement de la société. Il a tenté de développer le chiffre d'affaire en prenant un commercial et en ouvrant un magasin de vente au détail dans les locaux de la société. Mais la fermeture des enseignes voisines a eu un impact négatif sur l'image commercial du secteur dans lequel sont situés les locaux. Le simple constat d'un résultat déficitaire ne peut caractériser une faute de gestion du dirigeant de l'entreprise. L'absence de rentabilité de l'activité ne découle pas de ses fautes de gestion mais de la conjoncture économique, de la baisse d'attractivité du secteur et de la crise sanitaire mondiale. Au vu des efforts personnels qu'il a consentis, il n'est pas démontré sa volonté de poursuivre l'activité déficitaire dans un intérêt personnel. La poursuite de l'activité ne lui a pas permis de s'enrichir puisqu'il a du saisir la commission de surendettement.
S'agissant des charges fiscales et sociales impayées, l'appelant soutient que le contrôle fiscal avec proposition de rectification est un élément postérieur à l'ouverture de la procédure collective du 21 juillet 2020, qui ne peut justifier l'action en insuffisance d'actif.
S'agissant des irrégularités comptables, l'appelant indique qu'elles sont minimes et n'ont pu contribuer à aggraver l'insuffisance d'actif, d'autant plus qu'elles émanent du contrôle fiscal dont le contenu n'a été communiqué que postérieurement à l'ouverture de la procédure collective.
Au surplus, l'appelant soutient qu'il n'est aucunement justifié que les fautes reprochées aient contribué à aggraver l'insuffisance d'actif.
A titre subsidiaire, l'appelant prétend que la condamnation doit être prononcée en fonction des démarches accomplies afin d'éviter l'état de cessation des paiements, des efforts effectués pour désintéresser les créanciers et de sa situation personnelle très précaire.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'intimée forme appel incident et demande à la cour, au visa de l'article L. 651-2 du code de commerce, de:
-Confirmer le jugement du 30 août 2022, en ce qu'il a retenu la responsabilité pour insuffisance d'actif de Monsieur [K] [S], et l'a condamné à un comblement intégral de ladite insuffisance
-Le réformer sur le quantum des condamnations
Statuant à nouveau sur celui-ci,
-Condamner Monsieur [K] [S] au paiement :
d'une somme provisionnelle de 450 000 euros à valoir sur l'insuffisance d'actif
des entiers dépens
d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
-Débouter Monsieur [K] [S] de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Au soutien de ses prétentions, l'intimée fait valoir que l'absence de déclaration de cessation des paiements, dans le délai de 45 jours, dépasse la simple négligence et constitue une faute de gestion. Les critères de l'article L.653-8 du code de commerce relatifs à la faillite personnelle, ne sont pas ceux de l'article L.651-2. Le commissaire à l'exécution du plan n'a pas qualité pour saisir le tribunal d'une demande de déclaration de cessation des paiements, en cours d'exécution du plan replaçant la société in bonis. La situation n'est pas celle d'un impayé de dividende provoquant un rapport et une saisine du commissaire à l'exécution du plan. L'initiative de la déclaration de cessation des paiements appartenait à l'entreprise.
L'intimée souligne qu'en 2019, l'URSSAF avait déjà émis un commandement aux fins de saisie, ce qui confirme que sa créance était déjà importante et ancienne. Le commissaire à l'exécution du plan a indiqué, dans sa requête du 19 juin 2020, que la société ne mobilisait aucun des moyens mis en oeuvre par l'Etat, au début de la période de la crise sanitaire.
L'intimée soutient que la poursuite d'une activité déficitaire constitue une faute de gestion, dépassant la simple négligence, indépendamment de l'état de cessation des paiements. L'exercice clos en 2017 était déficitaire de 145 000 euros, celui de 2018 de 92 000 euros et celui de 2019 de 98 000 euros. Les capitaux propres de la société étaient négatifs de 255 000 euros en 2017, de 347 000 euros en 2018 et de 446 000 euros en 2019. Bien que cette condition ne soit pas requise par la jurisprudence, le maintien des rémunérations du gérant et le paiement des redevances de location gérance confèrent un intérêt personnel à cette poursuite d'activité déficitaire, aggravant la situation de la société.
S'agissant de la baisse du passif revendiquée entre la sauvegarde et la liquidation judiciaire, l'intimée rétorque qu'il n'y a pas eu de baisse de passif entre la sauvegarde et la liquidation judiciaire, le passif soumis au plan de sauvegarde étant de 496 000 euros et celui de la liquidation après résolution de 826 000 euros. Le total de l'actif comptable au bilan de la société était de 504 448 euros en 2016, de 438 465 euros en 2017 et de 273 651 euros en 2019.
L'intimée prétend que les impayés sociaux et fiscaux sont des fautes de gestion, la créance des impôts étant admise au passif pour 298 363,09 euros et celle de l'URSAFF pour 130 907,32 euros. Les considérations fiscales relatives aux 'manquements délibérés' renforcent le caractère fautif des errements. La date du contrôle fiscal est indifférente.
L'intimée expose que faute de comptabilité sincère et probante, le dirigeant ne peut gérer efficacement. Le contrôle fiscal démontre que la comptabilité n'est pas régulière et que les manquements sont volontaires et destinés à masquer les manipulations délibérées de la société en matière de TVA. S'agissant des véhicules, le dirigeant n'explique pas les raisons qui ont conduit la société endettée à financer les réparations sur des véhicules de tiers.
S'agissant du préjudice, l'intimée indique que l'existence d'une insuffisance d'actif est certaine, le passif réalisé et réalisable étant de l'ordre de 21 000 euros. L'épouse du gérant, propriétaire du fonds de commerce, est expérimentée ainsi que sa famille, associée dans la société. Au vu de son âge, le gérant disposait d'une expérience professionnelle qu'il a jugé suffisante pour assumer la gérance de la société. La crise sanitaire est étrangère aux résultats de 2017, 2018 et 2019. Le cautionnement de 47 000 euros n'est pas produit, pas plus que la preuve d'un paiement effectif intervenu, à ce titre. Le gérant est propriétaire d'un bien immobilier. Il n'explicite pas sa situation en 2022, laquelle, en toute hypothèse, est sans effet sur ses fautes antérieures et sa responsabilité. Chacune des fautes énumérées a contribué à l'insuffisance d'actif globale. La causalité s'apprécie conformément à la théorie de l'équivalence des conditions et il n'est pas nécessaire d'établir la part de l'insuffisance d'actif imputable à telle ou telle faute de gestion.
L'affaire a été communiquée au Ministère Public. Ce dernier indique, dans ses conclusions écrites du 17 janvier 2023, qu'il :
1° Conclut à la confirmation par la Cour de la décision entreprise au vu des motifs pertinents des premiers juges, en l'état du caractère avéré de fautes de gestion ayant contribué de manière directe à la totalité de l'insuffisance d'actifs et notamment :
le non-respect des obligations déclaratives en matière fiscale et sociale et de tout paiement en découlant;
la tenue d'une comptabilité volontairement imparfaite et donc non sincère et irrégulièren dans un but de dissimulation;
l'absence de déclaration de cessation des paiements dans les 45 jours de son occurence;
la poursuite d'une activité déficitaire
2° S'en rapporte sur le montant final de l'insuffisance d'actif, pouvant être estimé à 450 000 euros'.
Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
MOTIFS
1) Sur les fautes de gestion
Aux termes de l'article L651-2 du code de commerce, « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. »
Le tribunal de commerce de Nîmes a fait droit à la demande présentée par la SELARL BRMJ, en retenant l'existence de plusieurs fautes de gestion imputables au gérant, consistant en :
- l'absence de déclaration de la cessation des paiements, dans un délai de quarante cinq jours, comme l'exigent les articles L 631-4 et L 640-4 du code de commerce
- le non paiement des charges sociales et fiscales
- la poursuite abusive de l'activité déficitaire, au cours des années 2017 à 2019
- les irrégularités comptables.
Monsieur [K] [S] était l'associé unique et le gérant de la société Midi Sport Distribution, lorsque celle-ci a rencontré des difficultés économiques ayant conduit à l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, par jugement du 19 août 2015. A la suite d'une assemblée générale extraordinaire du 23 mars 2017, il a décidé de procéder à une augmentation du capital de 7 680 euros, le portant de 8 000 à 15 680 euros, par création des parts nouvelles souscrites par une société constituée avec des membres de sa famille par alliance. Monsieur [K] [S] a conservé la direction de la société Midi Sport Distribution jusqu'à sa liquidation judiciaire prononcée le 21 juillet 2020.
Sur l'insuffisance d'actif :
Il résulte de l'état des créances, ratifié le 8 décembre 2020 par le juge commissaire, que sur un montant total déclaré de 826 538,66 euros, le passif échu et à échoir, faisant l'objet d'une admission définitive, s'élève à 559 153,56 euros.
L'état des actifs de la société à la Caisse des dépôts et consignations au 5 février 2021 mentionne deux virements provenant d'un solde de plan de 38 661,30 euros, d'un recouvrement d'actif de 12 038,40 euros, d'un prix de cession de mobilier de 5 250 euros et d'un solde créditeur de compte bancaire de 8 539,56 euros, soit d'actifs d'un montant de 64 489,26 euros.
Il s'en suit qu'après déduction de la créance AGS CGEA de 49 266,66 euros, postérieure à la liquidation judiciaire, l'insuffisance d'actif est d'au moins 445 397,64 euros.
Sur les fautes de gestion :
L'action en comblement du passif a pour objet de sanctionner le comportement du dirigeant, antérieur au jugement d'ouverture. Il en résulte que seules des fautes de gestion antérieures au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, qui autorise l'action en responsabilité d'insuffisance d'actif, peuvent être prises en compte. (Com. 22 janvier 2020, n°18-17030).
En l'occurrence, il est reproché au dirigeant d'avoir commis des fautes de gestion, à partir de l'année 2017 et jusqu'au prononcé de la liquidation judiciaire de la société, par jugement rendu le 21 juillet 2020.
Le retard dans la déclaration de cessation des paiements
Les parties s'accordent sur le fait que l'omission de la déclaration de cessation des paiements, dans le délai réglementaire, s'apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements, fixée dans le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire ou dans un jugement de report.
En l'occurrence, le jugement du 21 juillet 2020 ouvrant la liquidation judiciaire a déterminé la date de cessation des paiements au 1er janvier 2020 ; la déclaration aurait donc du être effectuée avant le 15 février 2020 ; ce n'est que, sur requête déposée le 19 juin 2020 par le commissaire à l'exécution du plan que la résolution du plan de sauvegarde a été prononcée et la procédure de liquidation ouverte, le dirigeant ayant seulement fait part des difficultés de l'entreprise et de la nécessité d'envisager la liquidation judiciaire, dans un courrier du 25 mai 2020 adressé au commissaire à l'exécution du plan.
L'état d'urgence sanitaire n'est entré en vigueur que le 24 mars 2020. Le dirigeant de la société n'était donc pas dans l'impossibilité matérielle de procéder à la déclaration de cessation des paiements entre le 1er janvier et le 23 mars 2020.
L'adoption du plan de sauvegarde, par jugement du 20 septembre 2016, a eu pour effet de faire redevenir in bonis la société débitrice. La gestion de l'entreprise incombait donc à l'appelant en sa qualité de dirigeant social et l'existence du plan en cours ne lui ôtait pas la possibilité de procéder à une déclaration de cessation des paiements, en vue du prononcé d'une liquidation judiciaire. Il ne saurait se décharger de sa carence, en invoquant un défaut d'accompagnement par le commissaire à l'exécution du plan ou un mauvais conseil donné par le juge commissaire qui lui aurait indiqué que l'affaire ne pourrait être audiencée du fait des congés de fin d'année.
Il résulte du courrier adressé le 19 décembre 2019 par le dirigeant de la société au commissaire à l'exécution du plan qu'il avait été évoqué, en présence du juge commissaire, lors d'un entretien du 26 novembre 2019, l'éventualité d'une mise en liquidation judiciaire de la société par l'URSSAF. Dans ce même courrier, le dirigeant indique qu'il a reçu, le jour même, un commandement aux fins de saisie. Il ne pouvait donc ignorer que la société était en état de cessation des paiements dès lors qu'elle avait accumulé des pertes, au cours des trois derniers exercices comptables, qu'elle ne pouvait faire face à sa dette exigible, au titre des cotisations sociales, et que des poursuites étaient engagées à son encontre.
L'appelant dirigeait la société de vente d'articles de sport, depuis le début de son activité au 1er janvier 2011. Il n'était donc pas dénué d'expérience dans le domaine de la gestion d'entreprise. De même, il n'était pas totalement ignorant, en matière de procédures collectives, ayant pris l'initiative de solliciter la mesure de sauvegarde ouverte le 15 juillet 2015 et continué à assurer la gestion de la société, pendant l'exécution du plan.
Dans ces circonstances, la non déclaration de cessation des paiements dans le délai de quarante cinq jours ne saurait s'apparenter à une simple négligence et constitue une véritable faute de gestion.
Le retard dans la déclaration de cessation des paiements a eu nécessairement un impact sur le montant du passif dans la mesure où l'activité de la société s'est poursuivie cinq mois de plus et qu'il résulte du bordereau de déclaration de créance de l'Urssaf du 27 juillet 2020, qu'elle a engendré au moins 3 462 euros de dettes sociales supplémentaires de mars à juillet 2020.
La poursuite de l'activité déficitaire
Il n'est pas reproché à l'appelant d'être à l'origine, par une mauvaise gestion, de l'absence de rentabilité de l'activité de l'entreprise mais d'avoir maintenu l'activité déficitaire pendant trois années, aggravant ainsi le passif social.
En dépit de l'augmentation de capital intervenue au cours de l'année 2017, les capitaux propres de la société sont restés constamment négatifs à hauteur de 255 108 euros, au cours de l'exercice 2017, de 347 438 euros, au cours de l'exercice 2018 et de 446 269 euros, au cours de l'exercice 2019.
Au cours de ces mêmes exercices comptables, l'activité de la société a engendré des pertes successives importantes de 145 171, 92 330 et 98 830 euros.
La condition de recherche d'un intérêt personnel n'est pas exigée par l'article L.651-2 du code de commerce pour engager la responsabilité du dirigeant en cas d'insuffisance d'actif.
L'appelant soutient que la sauvegarde représente par essence la poursuite d'une activité en difficulté depuis 2015. Il soutient que le maintien de l'activité lui a permis de régler quatre annuités du plan de sauvegarde et de réduire le passif.
Il ressort toutefois de l'état des créances clôturé le 25 mai 2016 que le passif déclaré, lors de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, s'élevait à 496 728,46 euros tandis qu'il était de 826 538,66 euros, lors de la résolution du plan et de l'ouverture de la liquidation judiciaire. S'agissant du seul passif non contesté et définitif, lors de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, il se montait à 251 272,78 euros tandis qu'il a atteint la somme de 559 153,56 euros, lors de la résolution du plan et le prononcé de la liquidation judiciaire.
Il en résulte que si la poursuite de l'activité a permis de régler quatre dividendes représentant 26% du passif admis le 25 mai 2016, en exécution du plan de sauvegarde, elle a généré un passif supplémentaire d'environ 308 000 euros. Le dirigeant ne pouvait ignorer l'existence de dettes nouvelles, non comprises dans le plan de sauvegarde, auxquelles l'entreprise ne pouvait faire face dès lors que notamment les cotisations sociales postérieures à l'ouverture de la sauvegarde n'ont pas été réglées pour un montant de 130 976,50 euros, dont 32 372 euros de part salariale, ainsi qu'il en résulte de la déclaration de créance effectuée le 29 juillet 2020 par l'URSSAF.
La poursuite sur trois exercices consécutifs d'une activité très déficitaire, financée notamment par le détournement du précompte au préjudice des salariés, dépasse la simple négligence. La faute de gestion est bien caractérisée ainsi que sa contribution à l'insuffisance d'actif du fait de l'augmentation du passif social qui en résulte.
Le non-paiement des charges sociales et fiscales
Le non-paiement des charges sociales et fiscales, institutionnalisé comme mode de gestion de la société, est une faute de gestion incombant au gérant.
La proposition de rectification faisant suite au contrôle fiscal du 20 février au 5 mars 2020 a été adressée au contribuable le 20 août 2020, soit postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire. Ce contrôle porte néanmoins sur des irrégularités commises au cours de la période antérieure du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019. Il a mis en évidence la minoration délibérée par la société de ses déclarations de chiffre d'affaires, modèle CA3, au titre des années 2017 et 2018 et ainsi la minoration de la taxe sur la valeur ajoutée collectée à déclarer. La société a trop déduit de taxe sur la valeur ajoutée et majoré sa taxe sur la valeur ajoutée déductible, sur la période vérifiée, pour un montant total de 94 752 euros. Elle a déduit de la taxe sur la valeur ajoutée sur des acquisitions intra-communautaires, sans avoir procédé à l'auto-liquidation. L'administration fiscale a retenu le caractère intentionnel des irrégularités commises, au regard notamment du rappel de la législation qui lui a été fait, lors de la proposition de rectification du 22 octobre 2012, de l'identité du mode opératoire à celui déjà utilisé au cours des années 2009 à 2011 ayant donné lieu à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et du caractère répétitif des infractions commises au cours des trois années ayant fait l'objet de la vérification.
La faute de gestion est avérée, eu égard à la volonté du dirigeant de se soustraire au paiement de l'impôt exigible.
L'administration fiscale a appliqué une majoration de 40% pour manquement délibéré aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée collectée et aux rappels correspondant aux majorations de taxe sur la valeur ajoutée déductible ainsi qu'une amende de 5% pour la non déclaration d'opérations auto-liquidées. Sa créance au seul titre des pénalités a été déclarée et admise, à titre provisionnel, pour un montant de 48 831 euros.
Le non paiement de la taxe sur la valeur ajoutée a ainsi contribué incontestablement à l'augmentation du passif et donc à l'insuffisance d'actif.
La non déclaration dans le délai réglementaire des revenus d'activité à l'URSSAF a entraîné une taxation d'office pour les mois de janvier et de février 2020, contribuant également à l'insuffisance d'actif.
Les irrégularités comptables
La proposition de rectification du 20 août 2020 démontre l'absence de comptabilité sincère et probante de l'entreprise qui a cherché à se soustraire intentionnellement au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée dont elle était redevable. Le contrôle fiscal met également en évidence l'existence de frais d'entretien de trois véhicules automobiles de tourisme supportés par la société alors que ces biens ne lui appartiennent pas.
Compte tenu des obligations fiscales et comptables pesant sur tout commerçant, les irrégularités comptables relevées constituent incontestablement des fautes de gestion. Ces fautes ont permis de masquer la situation réelle de l'entreprise et dissuadé le dirigeant de prendre en temps utile la décision opportune de mettre fin à l'activité déficitaire, contribuant ainsi à l'insuffisance d'actif.
2) Sur le montant de la condamnation
L'appelant demande à la cour de faire usage de son pouvoir modérateur en tenant compte des efforts qu'il a réalisés afin de désintéresser les créanciers et de sa situation personnelle.
Le dirigeant a essayé de restructurer l'entreprise, en faisant entrer un nouvel associé qui a apporté la somme de 90 000 euros en compte courant. Il a tenté de trouver un repreneur pour le fonds de commerce qui ne constituait pas un actif de la procédure de liquidation judiciaire du fait de l'exploitation en location-gérance.
Il justifie que, le 29 juillet 2021, son dossier de surendettement a été déclaré recevable mais il ne verse aucun document relatif aux recommandations prises par la commission de surendettement des particuliers notamment en ce qui concerne son engagement personnel de caution, à hauteur de 61 000 euros, au titre du prêt consenti par le Crédit Agricole à la société en liquidation judiciaire.
L'avis d'impôt sur le revenu 2022 établit qu'il a perçu des pensions de retraite de l'ordre de 1 500 euros par mois en 2021. Il est propriétaire avec son épouse d'une maison d'habitation qui a été évaluée à 367 522 euros en 2021. Il indique être encore redevable du solde d'un emprunt immobilier de 42 975 euros. Des hypothèques ont été prises par le trésor public et la banque sur son bien immobilier.
Toutefois, il y a lieu également de prendre en considération le fait que le dirigeant a cherché à échapper à ses obligations comptables et fiscales afin de maintenir une activité qui lui assurait une rémunération variant entre 2 250 et 3 625 euros par mois, outre des redevances de 1 000 euros tirées de la location-gérance. Ses multiples manquements, par leur répétition, leur ampleur et leurs conséquences, ont largement contribué à l'insuffisance d'actif résultant de la liquidation judiciaire de l'entreprise.
Il résulte de ce qui précéde que, par application du principe de proportionnalité et en considération du montant du passif retenu et de l'insuffisance d'actif prévisible, il convient, en de fixer, à titre provisionnel, à 230 000 euros la part mise à la charge du dirigeant, en application de l'article L651-2 du code du commerce.
La condamnation au paiement ainsi prononcée à l'encontre de l'appelant emportera intérêts au taux légal à compter de la présente décision, en application de l'article 1231-7 du code civil.
Le jugement déféré sera, par conséquent, confirmé sauf en ce qu'il a condamné Monsieur [K] [S] au paiement de la somme de 561 930 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'exploit introductif d'instance.
3) Sur les frais du procès
L'appelant qui succombe sera condamné aux dépens de l'instance d'appel.
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'intimée et de lui allouer une indemnité de 2 500 euros, à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné Monsieur [K] [S] au paiement de la somme de 561 930 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'exploit introductif d'instance
L'infirme sur le surplus des dispositions soumises à la cour
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne Monsieur [K] [S] à payer à la SELARL BRMJ, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Midi Sport Distribution, la somme provisionnelle de 230 000 euros, à valoir sur l'insuffisance d'actif, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [K] [S] aux entiers dépens d'appel,
Condamne Monsieur [K] [S] à payer à la SELARL BRMJ, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Midi Sport Distribution, une indemnité de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Arrêt signé par la présidente et par la greffiere.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,