RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 20/02360 - N° Portalis DBVH-V-B7E-HZXR
LR/EB
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE NÎMES
07 septembre 2020 RG :F17/00543
S.E.L.A.R.L. SELARL PHARMACIE [E]
C/
[R]
Grosse délivrée
le
à
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 17 JANVIER 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NÎMES en date du 07 Septembre 2020, N°F17/00543
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Leila REMILI, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Leila REMILI, Conseillère
M. Michel SORIANO, Conseiller
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 03 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 17 Janvier 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
SELARL PHARMACIE [E]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Karine JAPAVAIRE, avocat au barreau de NIMES
substituée par Me Delphine ANDRES, avocate au barreau de NIMES
INTIMÉE :
Madame [I] [R]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Eve SOULIER de la SELARL EVE SOULIER - JEROME PRIVAT - THOMAS AUTRIC, avocat au barreau d'AVIGNON substituée par Me Thomas AUTRIC, avocat au barreau de NIMES
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/008502 du 25/11/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Nîmes)
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 20 octobre 2022
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 17 Janvier 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Mme [I] [R] a été engagée à compter du 1er avril 2005 suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en qualité de préparatrice en pharmacie, par Mme et M. [H], pharmaciens titulaires à l'époque de la pharmacie Principale.
Le 1er octobre 2009, la pharmacie Principale était cédée à la SELARL pharmacie [E] exploitée par M. [K] [E], cette dernière devenait le nouvel employeur de Mme [R] conformément à l'article L. 1224-1 du code du travail.
À compter du 8 novembre 2016, suite à un incident, la salariée était placée en arrêt de travail.
Mme [R] sollicitait la reconnaissance de cet incident en accident de travail auprès de la CPAM.
Par courrier du 30 mai 2017, la CPAM adressait à la pharmacie [E], une décision de prise en charge de l'accident de travail de Mme [R] au titre de la législation professionnelle, laquelle a été contestée.
Le 9 mars 2017, à la suite d'une visite de reprise, le médecin du travail déclarait Mme [R] inapte à son poste de travail, en indiquant que : ' Tout maintien de la salariée dans un emploi de l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé '.
Après avoir été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement le 3 avril 2017, Mme [R] était licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement le 24 avril 2017.
Estimant que son licenciement était nul en raison du harcèlement moral et de la violence dont elle avait été victime de la part de son employeur, le 20 juillet 2017, Mme [R] saisissait le conseil de prud'hommes de Nîmes en paiement d'indemnités de rupture et de diverses sommes lequel, par jugement de départage du 7 septembre 2020, a :
- débouté Mme [I] [R] de ses demandes au titre du harcèlement moral,
- dit que le licenciement de Mme [I] [R] du 24 avril 2017 est dépourvu de cause réelle et sérieuse pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat,
- condamné la SELARL pharmacie [E] à verser à Mme [I] [R] les sommes suivantes :
* 17 000 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 3 321,62 euros d'indemnité compensatrice, outre 332,16 euros de congés payés y afférents,
* 5 340,75 euros d'indemnité spéciale de licenciement
- condamné la SELARL pharmacie [E] à supporter la charge des entiers dépens,
- condamné SELARL pharmacie [E] à verser 1200 euros à Mme [I] [R] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Par acte du 24 septembre 2020, la société Pharmacie [E] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions du 14 octobre 2022, la SELARL pharmacie [E] demande à la cour de :
- recevoir son appel,
- le déclarer bien fondé,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [R] de sa demande au titre du harcèlement moral,
- réformer le jugement en ce qu'il l'a condamné aux sommes suivantes :
* 17 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
* 3.321 euros à titre d'indemnité de préavis outre 332,16 euros à titre d'indemnité de
préavis outre 332,16 euros de congé payés y afférents
* 5.340,75 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement
* 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
* entiers dépens
Statuant à nouveau,
- dire et juger que le licenciement ne souffre d'aucune nullité
- dire et juger qu'elle n'a pas manqué a son obligation de sécurité de résultat
- dire et juger que la salariée n'a été victime d'aucune agression ni d'aucun coup de la part de son employeur le 8.11.2016,
- dire et juger que le licenciement pour inaptitude physique repose sur une cause réelle et sérieuse,
- débouter Mme [R] de l'intégralité de ses demandes, fin et prétentions, qu'elles soient formulées a titre principal ou subsidiaire,
A titre reconventionnel,
- condamner Mme [R] au paiement de la somme de 1.800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'appelante soutient que :
- l'employeur ne s'est rendu coupable d'aucun harcèlement moral.
- il n'a ni agressé, ni porté un coup à sa salariée, il a simplement eu une discussion avec elle à la suite d'un appel téléphonique de son conjoint qui tentait de s'immiscer dans la gestion de l'officine.
- la plainte déposée a été classée sans suite, l'accident du travail a été contesté, l'attestation produite est de pure complaisance et le médecin traitant ne faisant que relater les faits décrits par la patiente.
- l'inaptitude n'est pas d'origine professionnelle, la cour n'étant pas tenue par la décision de la CPAM.
En l'état de ses dernières écritures en date du 12 octobre 2022, contenant appel incident, Mme [I] [R] demande à la cour de :
- recevoir l'appel de la pharmacie [E],
- le dire mal fondé,
En conséquence
- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a considéré que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité .
- réformer le jugement en ce qu'il a considéré que le harcèlement n'était pas caractérisé,
En conséquence,
A titre principal :
- juger que le licenciement pour inaptitude est nul en raison des faits de harcèlement moral Subsidiairement
- juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité .
- dire et juger que son licenciement pour inaptitude s'analyse comme un licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle
En conséquence,
- condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :
* 3321.62 euros à titre d'indemnité compensatrice en application de l'article L 1226-14 du code du travail
* 332.16 euros au titre des congés payés y afférents
* 5 340.75 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement
* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts venant sanctionner les faits de harcèlement moral subi
* 20 000 euros à titre d'indemnité venant sanctionner la nullité du licenciement par suite des faits de violence et de harcèlement moral subi.
Subsidiairement
- juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et lui octroyer une somme de 20000 euros à titre de réparation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner l'employeur aux entiers dépens.
L'intimée fait valoir que :
- Les faits de harcèlement sont caractérisés par : le contrôle permanent de son activité par l'employeur qui contrôlait ses faits et gestes, l'empêchait d'avoir des discussions avec les clients, a refusé des jours de fractionnement, lui a adressé un avertissement totalement infondé, lui a fait des remarques désobligeantes sur ses tenues vestimentaires, enfin l'a agressée physiquement le 8 novembre 2016, après qu'elle a refusé de venir travailler un samedi où elle n'était pas censée travailler, en lui donnant violemment un coup dans l'épaule et en lui disant « vous avez qu'à dégager ».
- un certificat médical constatait un hématome de la face antérieure de l'épaule droite.
- traumatisée ensuite, elle était placée en arrêt de travail puis déclarée inapte, son état de santé s'étant dégradé du fait du harcèlement moral subi.
- l'employeur en s'en prenant violemment à elle a manqué à son obligation de sécurité de résultat, de sorte qu'en toute hypothèse le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 5 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 20 octobre 2022. L'affaire a été fixée à l'audience du 03 novembre 2022.
MOTIFS
Sur le harcèlement moral
Selon l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il sera rappelé qu'une situation de harcèlement se déduit ainsi essentiellement de la constatation d'une dégradation préjudiciable au salarié de ses conditions de travail consécutive à des agissements répétés de l'employeur révélateurs d'un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs, d'autorité, de direction, de contrôle et de sanction.
En cas de litige, l'article L.1154-1 du même code prévoit que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, Mme [I] [R] fait état d'un harcèlement moral en invoquant les faits suivants :
- le contrôle permanent de son activité (l'employeur contrôlait ses faits et gestes)
- il l'empêchait d'avoir des discussions avec les clients
- un refus des jours de fractionnement
- elle recevait un avertissement totalement infondé
- des remarques désobligeantes sur ses tenues vestimentaires
- une agression physique le 8 novembre 2016
Elle produit les pièces suivantes :
-une plainte du 8 novembre 2016 dans laquelle elle décrit ses conditions de travail et l'agression dont elle dit avoir été victime
-un certificat médical du 8 novembre 2016 dans lequel son médecin généraliste mentionne l'existence d'un hématome de la face antérieure de l'épaule droite et une dépression majeure réactionnelle avec anxiété généralisée secondaire « à ce qu'elle semble avoir vécu ; la patiente est en pleurs et est traumatisée par l'acte qu'elle dit avoir subi »
-les arrêts de travail initial du 8 novembre 2016 et de prolongation avec notification de prise en charge ultérieure au titre d'un accident du travail par la CPAM et avis d'inaptitude du 9 mars 2017 selon lequel tout maintien dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé
-un certificat médical d'un psychiatre qui, le 8 mars 2017, indique suivre Mme [I] [R] depuis le 13 janvier 2017 pour un syndrome anxiodépressif réactionnel aux difficultés rencontrées dans son travail, notamment le 8 novembre 2016
-une attestation de Mme [L] [W] qui déclare avoir entendu le 8 novembre 2016 M. [E] crier violemment à une employée de « dégager » et avoir vu ensuite Mme [I] [R] sortir de la pharmacie en pleurant
-une attestation de M. [X] [B], client régulier de la pharmacie qui indique qu'elle était «à son sens sous pression mentale, morale et sans doute physique par le ou les dirigeants » et qu'il a « senti indiscutablement des craintes, peurs et peut être représailles de la part du dirigeant. D'ailleurs ce dirigeant était sans cesse, à ses dires, soucieux, sans repos, débordé »
S'il n'est produit aucun autre élément que les seules déclarations de la salariée concernant une procédure disciplinaire antérieure, le refus de jours de fractionnement et les remarques désobligeantes sur ses tenues vestimentaires, en revanche, les autres éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.
Face à ces éléments, la SELARL pharmacie [E] fait valoir que :
-la plainte pénale a été classée sans suite en raison d'absence d'infraction
-le certificat médical du médecin traitant n'est pas probant
-Mme [W] n'a pu être témoin du prétendu incident au vu de la configuration des lieux et l'examen de la comptabilité montrant qu'elle n'est pas venue le 8 novembre 2016; il s'agit manifestement d'une connaissance de Mme [I] [R] et son attestation est de pure complaisance
-l'attestation de M. [B] ne peut suffire d'autant qu'il retranscrit ce que la salariée lui a dit et non des faits constatés et il n'est pas démontré qu'il venait tous les jours
-les attestations produites par elle-même aux débats montrent au contraire que M. [E] n'est pas le personnage dépeint par Mme [I] [R] et aucun salarié ne s'est plaint de harcèlement moral contrairement à ce qu'elle prétend.
S'agissant tout d'abord des faits survenus le 8 novembre 2016, Mme [I] [R] expliquait dans sa plainte du même jour qu'ayant refusé de venir travailler le samedi pour remplacer une collègue absente, M. [E] l'avait menacée de lui pourrir la vie et lui avait donné un coup dans l'épaule en la repoussant en arrière avec sa main.
Les déclarations de la salariée sont, sur ce point, corroborées par le certificat médical établi le même jour par son médecin généraliste qui constate un hématome de la face antérieure de l'épaule droite et une patiente traumatisée et en pleurs.
Mme [L] [W] atteste précisément « le mardi 8 novembre 2016 dans l'après-midi, je me suis rendu à la pharmacie principale de pont st esprit ou je suis déjà cliente. Il était vers 15h30 16h00 car mon fils sort de l'école [Z] [O] de PSE vers 16h00. Dès lors j'ai entendu crier un homme (M. [E]) violemment sur une employée. Je me souviens d'avoir entendu des menaces de DEGAGER c'est là que j'ai vu [I] sortir de la pharmacie en pleurant et j'ai compris que cela s'adressé à elle ». Le fait que ce témoin soit une connaissance de Mme [I] [R] ne fait pas de son témoignage une attestation de pure complaisance.
La SELARL pharmacie [E] fait valoir des arguments tenant à la configuration des lieux, produisant des photographies montrant la séparation par des cloisons entre l'espace de vente et le lieu de l'incident, alors que selon elle la musique dans l'officine et le bruit dans l'espace de vente auraient de toute évidence masqué l'incident prétendu. Toutefois, il ressort des attestations de M. [T] [M] et de Mme [C] [V], clients de la pharmacie, que depuis l'espace de vente, on entend tout à fait le téléphone sonner, les discussions et les rires ou les cris dans l'arrière boutique, sans que la musique n'empêche la diffusion des sons.
Par ailleurs, l' «historique des délivrances » concernant Mme [L] [W] ne concerne que les produits avec prescription par un médecin, la cliente ayant très bien pu se rendre dans la pharmacie pour un achat de produits d'hygiène, de beauté ou de soins sans prescription médicale.
En outre, Mme [I] [R] a été placée en arrêt maladie à compter du 8 novembre 2016 et a été suivie par un psychiatre.
Enfin, les déclarations de l'employeur sont elles-mêmes fluctuantes sur un point puisque ce n'est que dans la lettre de son avocate du 7 juillet 2017 qu'il est fait mention pour la première fois du fait qu'à minima, pour tenter d'attirer l'attention de sa salariée, M. [E] lui aurait « tapoté avec son index l'épaule », élément qui ne ressort nullement des courriers adressés antérieurement par celui-ci.
Dès lors, l'ensemble de ces éléments est suffisant à caractériser un incident mettant en cause le comportement de fautif de l'employeur survenu le 8 novembre 2016 et ce, même si la plainte a été classée sans suite, la juridiction prud'homale n'étant pas tenue par cette décision.
Concernant les autres allégations tenant à un contrôle permanent de ses faits et gestes ainsi que du refus de discussions avec les clients, les éléments produits par Mme [I] [R] sont insuffisants à caractériser les faits, au regard des propres éléments de l'employeur.
En effet, M. [X] [B] est le seul client à évoquer son sentiment d'un contrôle, de pressions morales et de peurs subis par la salariée. Au contraire, Mme [N] décrit Mme [I] [R] comme joviale, toujours avec le sourire, ne paraissant pas préoccupée. M. [F], M. [A] et Mme [P] [A], s'accordent à dire que l'ambiance dans l'officine était bonne, l'équipe dynamique et enjouée, M. [E] étant lui-même calme et posé.
En outre, alors que Mme [I] [R] ne produit aucune attestation des salariés dont elle indique qu'ils ont été victimes des agissements de l'employeur, ce dernier verse aux débats l'attestation de Mme [U] [J], ayant travaillé dans la pharmacie du 1er octobre 2009 jusqu'en septembre 2016 et de Mme [Y] [G], toujours salariée, qui décrivent toutes deux un climat serein et sans pressions.
Par ailleurs, la cour constate que Mme [I] [R] a travaillé pour M. [E] du 1er octobre 2009 à novembre 2016 et qu'aucun élément médical antérieur à l'incident de novembre 2016 ne permet d'attester d'une dégradation des conditions de travail avant cette date.
Il ressort donc suffisamment de l'ensemble des éléments précédents que les griefs invoqués par la salarié sont soit infondés, soit insuffisamment répétés, s'agissant d'un unique incident survenu le 8 novembre 2016, pour constituer des faits de harcèlement moral.
Il convient donc, par ces motifs substitués, de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [I] [R] de ses demandes au titre du harcèlement moral, le premier juge ayant considéré que les éléments produits par Mme [R], pris dans leur ensemble, ne permettaient pas de présumer l'existence d'un harcèlement, tout en analysant chacun d'entre eux, ce qui ne correspond pas au système probatoire institué par l'article L. 1154-1 du code du travail, tel qu'interprété par la Cour de cassation.
Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement à son obligation de sécurité
Le licenciement pour inaptitude physique est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.
Il a été vu précédemment que le comportement de l'employeur, le 8 novembre 2016, était fautif.
Le certificat médical initial mentionne l'existence d'un hématome de la face antérieure de l'épaule droite et une dépression majeure réactionnelle avec anxiété généralisée secondaire « à ce qu'elle semble avoir vécu ; la patiente est en pleurs et est traumatisée par l'acte qu'elle dit avoir subi ». Il importe peu qu'initialement les certificats médicaux n'ont pas été établis pour accident du travail mais rectifiés par la suite et que la salariée n'a saisi l'assurance maladie qu'ultérieurement.
La salariée a ensuite été suivie par un psychiatre qui, le 8 mars 2017, fait état d'un syndrome anxiodépressif réactionnel aux faits du 8 novembre 2016, précisant que « son état psychique est actuellement stabilisé et permet d'envisager une reprise de son activité professionnelle mais elle est par contre dans l'incapacité totale d'envisager une reprise sur son lieu d'exercice habituel au risque de compromettre l'équilibre obtenu ».
Le 9 mars 2017, le médecin du travail conclut que « tout maintien de la salariée dans un emploi de l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ».
Le 30 mai 2017, l'assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de l'accident survenu le 8 novembre 2016 et l'appelante ne fourni aucun élément quant à la décision rendue suite à son recours amiable déposé il y a cinq ans.
Il convient en outre de constater qu'à partir du 8 novembre 2016, soit le jour des faits, la salariée n'a plus jamais repris le travail et les constatations médicales qu'il s'agisse du médecin généraliste, du psychiatre puis du médecin du travail permettent de rattacher l'inaptitude à cet événement.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a bien un lien entre le comportement fautif de l'employeur et l'inaptitude qui est d'origine professionnelle.
Dès lors, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que le licenciement de Mme [I] [R] était dépourvu de cause réelle et sérieuse du fait du manquement à l'obligation de sécurité.
Sur les conséquences indemnitaires
- Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le conseil de prud'hommes, appliquant l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, a justement alloué à Mme [I] [R] une somme de 17 000 euros.
Le jugement sera donc confirmé.
- Sur les autres indemnités et l'application des règles du licenciement pour inaptitude professionnelle
Il ressort suffisamment des éléments précédents que l'inaptitude de Mme [I] [R] doit être qualifiée de professionnelle.
Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent donc en l'espèce. L'employeur, lors de la notification du licenciement le 24 avril 2017, avait bien connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude, au regard du courrier reçu de la médecine du travail deux mois plus tôt, des échanges de courriers avec la salariée et le syndicat cgt qui faisaient référence à l'incident du 8 novembre 2016 ainsi que de l'avis d'inaptitude du médecin du travail.
Mme [I] [R] a droit, en vertu de l'article L. 1226-14 du code du travail, d'une part, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5, d'autre part, à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables non invoquées, est égale au double de l'indemnité légale de licenciement.
L'intimée a donc droit à une indemnité compensatrice spéciale d'un montant égal à deux mois de salaire, soit 3321,62 euros. Le jugement sera confirmé sur ce point.
En revanche, cette indemnité particulière n'a pas la nature d'une indemnité de préavis mais une nature indemnitaire. Le salarié ne peut prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés sur préavis. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a accordé la somme de 332,16 euros au titre des congés payés afférents.
Mme [I] [R] a également droit à une indemnité légale doublée, soit 10 681,50 euros et donc en l'espèce à un reliquat de 5340,75 euros. Le jugement sera confirmé.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement sera confirmé en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens.
Les dépens d'appel seront mis à la charge de la SELARL pharmacie [E] qui succombe pour l'essentiel et l'équité justifie d'accorder à Mme [I] [R] la somme réclamée de 1500 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort
-Confirme le jugement rendu le 7 septembre 2020 par le conseil de prud'hommes de Nîmes sauf en ce qu'il a accordé à Mme [I] [R] la somme de 332,16 euros au titre des congés payés afférents,
-Et statuant à nouveau sur ce seul chef infirmé,
-Déboute Mme [I] [R] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
- Y ajoutant,
- Rappelle que les intérêts au taux légal courent sur les sommes à caractère salarial à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation, et à défaut de demande initiale, à compter de la date à laquelle ces sommes ont été réclamées, que s'agissant des créances salariales à venir au moment de la demande, les intérêts moratoires courent à compter de chaque échéance devenue exigible, et qu'ils courent sur les sommes à caractère indemnitaire, à compter du jugement déféré sur le montant de la somme allouée par les premiers juges et à compter du présent arrêt pour le surplus ;
-Rejette le surplus des demandes,
- Condamne la SELARL pharmacie [E] à payer à Mme [I] [R] la somme de 1500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne la SELARL pharmacie [E] aux dépens d'appel.
Arrêt signé par le président et par la greffiere.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,