ARRÊT N°
N° RG 20/01492 - N° Portalis DBVH-V-B7E-HXMH
EM/DO
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AVIGNON
27 mai 2020
RG :F 18/00063
S.A.S.U. BOURGUEY MONTREUIL PROVENCE
C/
[P]
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 17 JANVIER 2023
APPELANTE :
S.A.S.U. BOURGUEY MONTREUIL PROVENCE
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représentée par Me Patrick LANOY de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉ :
Monsieur [M] [P]
né le 17 Juin 1965 à [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par Me Christiane IMBERT-GARGIULO de la SELARL CHRISTIANE IMBERT-GARGIULO / MICKAEL PAVIA, avocat au barreau D'AVIGNON
Représenté par Me Mickaël PAVIA de la SELARL CHRISTIANE IMBERT-GARGIULO / MICKAEL PAVIA, avocat au barreau D'AVIGNON
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 25 Octobre 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère
Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère
GREFFIER :
Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 08 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 17 Janvier 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 17 Janvier 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [M] [P] a été engagé par la Sas Bourgey Montreuil Provence à compter du 02 novembre 1999 en qualité de conducteur routier, suivant contrat à durée déterminée. Son contrat de travail a été renouvelé et la relation contractuelle s'est poursuivie à compter du 20 avril 2000 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.
Par courrier du 22 janvier 2014, la Sas Bourgey Montreuil provence a proposé à M. [M] [P] un changement de son lieu de prise de service, à [Localité 4], en raison du déménagement des locaux de l'entreprise cliente Samada et, en contrepartie, une indemnisation kilométrique de 20 euros par jour pendant un an, proposition refusée par M. [M] [P] suivant courrier du 21 février 2014.
Par requête du 13 février 2018, M. [M] [P] a saisi le conseil de prud'hommes d'Avignon en contestation du montant de l'indemnité kilométrique proposé par la Sas Bourgey Montreuil provence et en remboursement de frais professionnels.
Par jugement du 27 mai 2020, le conseil de prud'hommes d'Avignon a :
- dit et jugé que le temps nécessaire à M. [M] [P] pour se rendre sur son nouveau lieu de travail depuis son lieu de résidence n'est pas un temps de travail effectif,
- dit et jugé que les trajets effectués par M. [M] [P] avec son véhicule personnel de son domicile à son lieu de prise de service doivent donner lieu à remboursement de frais professionnels à hauteur de 28,38 euros par jour travaillé,
- condamné la Sas Bourgey Montreuil provence, prise en la personne de son représentant légal en exercice, au paiement des sommes suivantes:
- 11 605,76 euros à titre de remboursement de frais professionnels pour la période s'écoulant de juin 2014 à juin 2017,
- 750 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que le présent jugement en application des dispositions de l'article R. l454-28 du code du travail, bénéficie de l'exécution provisoire de droit dans les limites définies par ce texte,
- évalué la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2 590,04 euros bruts,
- dit que le présent jugement bénéficie, en outre de l'exécution provisoire au sens de l'article 515 du code de procédure civile sur l'intégralité des sommes accordées au titre de dommages et intérêts,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- mis les dépens de l'instance ainsi que les éventuels frais d'exécution à la charge de la SAS Bourgey Montreuil provence.
Par acte du 26 juin 2020, la Sas Bourgey Montreuil provence a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance en date du 11 août 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 25 octobre 2022 à 16 heures et fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 08 novembre 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions, la Sas Bourgey montreuil provence demande à la cour de :
- réformer le jugement rendu le 27 mai 2020 par le conseil de prud'hommes d'Avignon en ce qu'il l'a condamnée au paiement des sommes de :
- 11 605,76 euros à titre de remboursement de frais professionnels,
- 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- le confirmer pour le surplus,
- juger qu'elle n'est nullement tenue de participer aux frais engagés par M. [M] [P] pour assurer ses déplacements entre sa résidence habituelle et son lieu de travail,
- juger que le temps nécessaire à M. [M] [P] pour se rendre sur son lieu habituel de travail depuis son lieu de résidence n'est pas un temps de travail effectif,
- débouter M. [M] [P] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [M] [P] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
La Sas Bourgey montreuil provence soutient que :
- selon l'article L3261-3 du code du travail, l'employeur n'est pas tenu de procéder au remboursement des frais avancés par le salarié pour se rendre depuis son domicile à son lieu de prise de service, que ce trajet ne peut pas relever du régime des frais professionnels dès lors qu'il ne participe pas à l'exécution de la prestation de travail de M. [M] [P], que les frais engagés dans ce cadre suivent le régime de la prise en charge facultative, que les modalités de remboursement des frais sont fixées librement par les parties à l'accord d'entreprise ou par l'employeur, que M. [M] [P] ne démontre pas se trouver dans une situation identique à celle des chauffeurs qu'il a désignés dans ses conclusions de sorte qu'il ne peut pas se prévaloir utilement d'une discrimination de sa part ou d'une rupture d'égalité, que s'il existe un barème 'maison' de frais kilométriques à raison de 0,43 euros/kms, celui-ci n'a toutefois vocation à s'appliquer qu'en matière de frais professionnels,
- en application de l'article L3121-4 du code du travail, s'il excède le temps normal entre le domicile et le lieu de travail, le temps de trajet peut tout au plus donner lieu à une contrepartie laquelle ne peut pas correspondre à la rémunération du temps de travail effectif, que la jurisprudence a toujours retenu que le temps habituel du trajet entre le domicile et le lieu du travail ne constitue pas un temps de travail effectif, que l'article 9.2 du Règlement européen n°561/2006 du 15 mars 2006 a pour seule vocation d'exclure un temps consacré à un parcours vers un établissement auquel le conducteur n'est pas normalement rattaché de la durée du repos quotidien, que les dispositions de l'article L3121-4 du code du travail font clairement obstacle aux prétentions de M. [M] [P],
- en l'état de la modification acceptée de son contrat de travail à effet au 14 avril 2014, [Localité 4] est devenu le lieu habituel de travail de M. [M] [P], que seul un déplacement excédant un trajet [Localité 2] à [Localité 4] serait susceptible de présenter un caractère 'anormal', que le parcours effectué quotidiennement par M. [M] [P] pour se rendre à son nouveau lieu de travail se situe dans la moyenne nationale des temps de trajets 'habituels', que c'est vainement que M. [M] [P] prétend étayer ses réclamations par l'évocation d'un arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 janvier 2016 dès lors que les éléments de cette espèce ne sont nullement transposables à la présente instance puisque ses réclamations portent sur des parcours accomplis avec son véhicule personnel depuis son domicile jusqu'à un lieu unique de prise de service lequel coïncide avec son lieu contractuel de travail.
En l'état de ses dernières écritures contenant appel incident, M. [M] [P] demande à la cour de :
- réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Avignon le 27 mai 2020 en ce qu'il a :
- dit et jugé que le temps nécessaire pour se rendre sur son nouveau lieu de travail depuis son lieu de résidence n'est pas du temps de travail effectif,
- dit et jugé que les trajets effectués avec son véhicule personnel de son domicile à son lieu de prise de service doivent donner lieu à remboursement de frais professionnels à hauteur de 28,38 euros par jour travaillé,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la Sas Bourgey montreuil provence à lui verser la somme de 11 605,76 euros à titre de remboursement de frais professionnels pour la période s'écoulant de juin 2014 à juin 2017,
- confirmer sur le principe mais non sur le quantum le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Avignon le 27 mai 2020 en ce qu'il a dit et jugé que les trajets effectués avec son véhicule personnel de son domicile à son lieu de prise de service doivent donner lieu à remboursement de frais professionnels,
- confirmer le jugement déféré pour le surplus,
Statuant à nouveau :
A titre principal,
- dire que les trajets effectués avec son véhicule personnel de son domicile à son lieu de prise de service doivent donner lieu à remboursement de frais professionnels,
- dire que le temps de trajet de son domicile à son lieu de prise de service constitue du temps de travail effectif,
- juger que la Sas Bourgey montreuil provence ne l'a pas intégralement remboursé de ses frais professionnels,
- juger que la Sas Bourgey montreuil provence ne l'a pas rémunéré de l'intégralité des heures qu'il a effectuées,
- fixer à la somme de 30 euros par jour de travail le montant de l'indemnité de remboursement de frais professionnels que doit lui verser la Sas Bourgey montreuil provence,
En conséquence,
- condamner la Sas Bourgey montreuil provence à lui verser une somme de 28 070 euros nets à titre de remboursements de frais professionnels pour la période s'écoulant de juin 2014 à mai 2020,
- condamner la Sas Bourgey montreuil provence à lui verser une somme de 30 euros par jour de travail à titre de remboursement de frais professionnels depuis le mois de juin 2014,
- condamner la Sas Bourgey montreuil provence à lui verser une somme de 16 193,52 euros bruts à titre de rappel de salaire afférents aux heures de travail effectif réalisées en temps de trajet,
- condamner la Sas Bourgey montreuil provence à lui verser une somme de 1 619,35 euros bruts à titre de congés payés afférents aux rappels de salaires,
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Avignon rendu le 27 mai 2020 en ce qu'il a fixé à 28,38 euros par jour travaillé le montant du remboursement de frais professionnels,
En conséquence,
- condamner la Sas Bourgey montreuil provence à lui verser une somme de 26 334,98 euros nets à titre de remboursements de frais professionnels pour la période s'écoulant de juin 2014 à mai 2020,
- condamner la Sas Bourgey montreuil provence à lui verser une somme de 28,38 euros par jour de travail à titre de remboursement de frais professionnel depuis le mois de juin 2014,
En tout état de cause,
- débouter la Sas Bourgey montreuil provence de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la Sas Bourgey montreuil provence à lui verser une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- condamner la Sas Bourgey montreuil provence aux entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [M] [P] fait valoir que :
- depuis l'origine, il est rattaché à l'établissement de [Localité 7] et effectuait sa prise de service directement dans les locaux du client, l'entreprise Samada qui avait son siège à [Localité 2], que son lieu de travail a changé depuis le 14 avril 2014 et qu'il se situe désormais à [Localité 4], que s'il a perçu 20 euros jusqu'en juin 2015 pour l'indemniser d'une partie des frais de trajet ainsi engagés, il n'a plus rien perçu après cette date, que selon le règlement n°561/2006 du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne du 15 mars 2006, le temps de trajet entre son domicile et le lieu de prise de service constitue du travail effectif, qu'une jurisprudence de la Cour de cassation a écarté l'application de l'article L3121-4 du code du travail au profit des conducteurs routiers en faisant prévaloir la primauté du règlement européen sur le droit interne, que dès lors que sa prise de service est effectuée dans un lieu autre que sa commune de résidence et la commune où se situe l'établissement de l'entreprise auquel il est rattaché, il entre parfaitement en droit de solliciter l'application du règlement européen,
- dès lors qu'il effectue du temps de travail effectif à l'aide de son véhicule personnel, l'employeur a l'obligation de l'indemniser de ses frais professionnels, qu'outre le fait que le remboursement kilométrique dans l'entreprise est fixé à 0,43 euros du kilomètre, certains chauffeurs perçoivent une indemnité journalière de 30 euros et non pas de 20 euros, qu'il s'agit d'une situation discriminatoire injustifiée ou à tout le moins d'une rupture d'égalité qui ne trouve aucune justification.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
MOTIFS
Sur la demande relative au rappel de salaire afférent au temps de trajet :
L'article L3121-1 du code du travail dispose que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
L'article L3121-4 du même code en vigueur à compter du 10 août 2016, dispose que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire.
L'article L3261-3 du code du travail dispose dans sa version applicable que l'employeur peut prendre en charge, dans les conditions prévues à l'article L. 3261-4, tout ou partie des frais de carburant engagés pour leurs déplacements entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail par ceux de ses salariés:
1° Dont la résidence habituelle ou le lieu de travail est situé en dehors de la région d'Ile-de-France et d'un périmètre de transports urbains défini par l'article 27 de la loi n°82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ;
2° Ou pour lesquels l'utilisation d'un véhicule personnel est rendue indispensable par des conditions d'horaires de travail particuliers ne permettant pas d'emprunter un mode collectif de transport.
Dans les mêmes conditions, l'employeur peut prendre en charge les frais exposés pour l'alimentation de véhicules électriques ou hybrides rechargeables et permettre la recharge desdits véhicules sur le lieu de travail.
Le bénéfice de cette prise en charge ne peut être cumulé avec celle prévue à l'article L3261-2.
Le règlement n°561/2006 du parlement européen et du conseil du 15 mars 2006, relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, est, aux termes de son article 29, entré en vigueur le 11 avril 2007, obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout Etat membre. Il s'applique notamment (article 2) au transport routier de marchandises par des véhicules dont la masse maximale autorisée dépasse 3,5 tonnes et au transport routier de voyageurs par des véhicules construits ou aménagés pour le transport de plus de 9 personnes, conducteur compris, sauf si le transport routier est effectué par des véhicules affectés au transport de voyageurs par des services réguliers dont le parcours de la ligne ne dépasse pas 50 kms (article 3).
En application de l'article 9 de ce règlement, tout temps passé par un conducteur pour se rendre sur le lieu de prise en charge d'un véhicule ou en revenir, lorsque celui-ci ne se trouve ni au lieu de résidence du conducteur ni à l'établissement de l'employeur auquel le conducteur est normalement rattaché, n'est pas considéré comme repos ou pause, à moins que le conducteur se trouve dans un ferry ou un train et ait accès à une couchette, mais comme une « autre tâche » .
L'article 4 e) de ce même règlement dispose qu'« aux fins du présent règlement, on entend par ['] « autre tâche » : toute activité, à l'exception de la conduite, définie comme temps de travail à l'article 3, point a), de la directive 2002/15/CE, y compris toute activité accomplie pour le même ou un autre employeur dans le secteur du transport ou en dehors ».
L'article 3, point a), de la directive 2002/15/CE dispose qu'aux fins de la présente directive, on entend par temps de travail :
« 1) dans le cas des travailleurs mobiles : toute période comprise entre le début et la fin du travail, durant laquelle le travailleur mobile est à son poste de travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de ses fonctions ou de ses activités, c'est-à-dire :
- le temps consacré à toutes les activités de transport routier.
Ces activités sont notamment les suivantes :
i) la conduite,
ii) le chargement et le déchargement,
iii) l'assistance aux passagers à la montée et à la descente du véhicule,
iv) le nettoyage et l'entretien technique,
v) tous les autres travaux visant à assurer la sécurité du véhicule, du chargement et des passagers ou à remplir les obligations légales ou réglementaires directement liées au transport spécifique en cours, y compris le contrôle des opérations de chargement et déchargement et les formalités administratives avec les autorités policières, douanières, les services de l'immigration, etc. ;
- les périodes durant lesquelles le travailleur mobile ne peut disposer librement de son temps et est tenu de se trouver à son poste de travail, prêt à entreprendre son travail normal, assurant certaines tâches associées au service, notamment les périodes d'attente de chargement ou de déchargement, lorsque leur durée prévisible n'est pas connue à l'avance, c'est-à-dire soit avant le départ ou juste avant le début effectif de la période considérée, soit selon les conditions générales négociées entre les partenaires sociaux et/ou définies par la législation des États membres.
2) dans le cas des conducteurs indépendants, cette définition s'applique à toute période comprise entre le début et la fin du travail [']. »
Dans un arrêt du 10 septembre 2015 sur question préjudicielle (C - 266/14) la CJUE considère que pour des salariés itinérants sans lieu de travail fixe habituel, le temps de trajet doit être considéré comme du temps de travail : 'L'article 2, point 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, dans lesquelles les travailleurs n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du "temps de travail", au sens de cette disposition, le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par leur employeur'.
Pour dire si ce temps de trajet doit être considéré comme temps de travail effectif, il y a lieu de prendre en compte le degré de dépendance, l'absence de liberté de choix, la contrainte imposée par l'employeur dans l'organisation du temps de déplacement. Si ces éléments ne sont pas réunis, le temps de déplacement peut se situer en dehors du travail effectif au sens de la directive.
Eu égard à l'obligation d'interprétation des articles L3121-1 et L3121-4 susvisés, à la lumière de la directive 2003/88/CE, il y a lieu de juger, désormais, que lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif, telle qu'elle est fixée par l'article L3121-1 susvisé, ces temps ne relèvent pas du champ d'application de l'article L3121-4 du même code (Cour de cassation chambre sociale, 23 novembre 2022, n°2021924).
En l'espèce, il résulte des éléments produits aux débats que :
- la Sas Bourgey Montreuil Provence a adressé à M. [M] [P] un courrier daté du 22 janvier 2014 qui l'informe que la : 'SAMADA a pris la décision de déménager ses locaux de [Localité 2] à [Localité 4] à compter du 14 avril 2014. La modification de votre contrat de travail est donc envisagée. A ce titre, nous vous proposons de modifier le lieu de votre prise de service sur le site de [Localité 4], cette modification devant intervenir à compter du 14 avril 2014 (...) De plus, si vous acceptez cette modification, vous percevrez dans la limite d'un an un accompagnement à hauteur de 20 euros par jour travaillé au titre d'indemnités kilométriques. Conformément aux dispositions de l'article L1222-6 du code du travail, à défaut de réponse de votre part, dans le délai d'un mois à compter de la réception de la présente lettre, la modification de votre contrat de travail sera réputée acceptée. (...)',
- M. [M] [P] a répondu à la société par courrier du 21 février 2014 : ' (...) Je ne refuse pas le fait que ma prise de service s'effectue à compter du 14 avril 2014 de [Localité 4]....Me réservant le droit de saisir les tribunaux compétents concernant les indemnités de déplacement, car celles-ci ne sont pas conformes à celles versées dans l'entreprise (...)'.
Il n'est pas contesté que M. [M] [P] effectuait sa prise de service directement dans les locaux de l'entreprise cliente, la Samada qui avait son siège, initialement, à [Localité 2], puis à compter du 14 avril 2014, à [Localité 4].
M. [M] [P] soutient qu'en application de l'article 9.2 du règlement CE n°561/2006 du 15 mars 2006 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de législation sociale dans le domaine des transports de la route, que le temps passé pour se rendre sur le lieu de prise en charge d'un véhicule n'est pas considéré comme repos ou pause et doit donc être qualifié de temps de travail effectif.
La Sas Bourgey Montreuil Provence conteste cette analyse et indique que selon les dispositions légales et la jurisprudence de la Cour de cassation, le temps de trajet entre le domicile du salarié et son lieu habituel de travail effectué avec le véhicule personnel du salarié, n'entre pas dans le décompte de la durée de travail, en particulier pour l'application de la législation sur les heures supplémentaires.
Or, d'une part, le règlement européen susvisé ne prévoit pas que le temps passé par un conducteur pour se rendre sur le lieu de prise en charge d'un véhicule ou en revenir, lorsque celui-ci ne se trouve ni au lieu de résidence du conducteur ni à l'établissement de l'employeur auquel le conducteur est normalement rattaché constitue du travail effectif, d'autre part, M. [M] [P] ne démontre pas que pendant ces trajets, il était à la disposition de son employeur et qu'il ne pouvait donc pas vaquer librement à ses occupations, de sorte que ces temps de trajet ne peuvent pas être qualifiés de temps de travail effectif.
Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.
Sur la demande relative à l'indemnisation des frais de trajets domicile/lieu de travail :
Selon l'article L3121-4 du code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif.
Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire.
Selon les dispositions de l'article 1er de l'arrêté du 20 décembre 2002, les frais professionnels s'entendent des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l'emploi du travailleur salarié ou assimilé que celui-ci supporte au titre de l'accomplissement de ses missions.
En l'espèce, à l'appui de ses prétentions, M. [M] [P] produit aux débats:
- un jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nîmes du 04 septembre 2013 qui a condamné la société à payer à un salarié, M. [L] des frais de déplacements,
- un procès-verbal de réunion du comité d'entreprise du 10 novembre 2010 dans lequel il est indiqué que ' quel taux de remboursement pour les frais kilométriques sont remboursés aux conducteurs des trafics 'Intermarché' et 'Stef Salon'' Comment ce taux est calculé ' Pourquoi la direction n'embauche pas des conducteurs domiciliés proches de ces sites ' La direction affecte les chauffeurs en fonction des contraintes d'exploitation. Nous sommes en ce moment en période creuse et la Direction ne va pas embaucher de nouveaux conducteurs dont le domicile est proche des sites clients (Intermarché, Stef Salon) alors que dans le même temps, elle ne serait pas à même de donner du travail à ceux déjà embauchés. Pour compenser le surplus du trajet domicile/lieu de travail il avait été négocié avec les conducteurs notamment ceux travaillant sur la Stef Salon un forfait journalier de 30 euros calculé par rapport aux kilomètres supplémentaires',
- des fiches de frais professionnels de plusieurs conducteurs, M. [O] et M. [D] de janvier 2017 qui font apparaître une indemnisation forfaitaire journalière de 30 euros au titre des frais kilométriques.
M. [M] [P] n'est pas en droit de réclamer un rappel de salaire au titre des trajets domicile/lieu de travail qu'il effectue avec son véhicule personnel, dès lors qu'il a été retenu précédemment que ce temps de trajet n'était pas du temps de travail.
La demande présentée à titre de remboursement des frais professionnels n'est pas non plus fondée dès lors que les dépenses engagées au cours de ces trajets ne correspondent pas à des charges inhérentes à sa fonction ou à son emploi.
La demande de compensation financière fondée sur l'article L3121-4 alinéa 2 du code du travail n'est pas non plus justifiée. En effet, il apparaît que quand bien même il a perçu une somme journalière de 20 euros jusqu'en juin 2015 dans le cadre d'un engagement unilatéral de l'employeur qui a permis cet accompagnement financier, la durée du trajet entre le domicile de M. [M] [P], situé à [Localité 2], et son lieu habituel de travail, situé à [Localité 4], qui est de 32 minutes - la durée la plus courte selon les données figurant sur un document issu du site internet Via Michelin - ne dépasse pas le temps normal de trajet.
La discrimination dont se prévaut le salarié ne peut pas être retenue à défaut pour ce dernier de préciser la nature de cette discrimination au regard de l'article L1132-1 du code du travail.
Par ailleurs, les seuls éléments communiqués par M. [M] [P] ne permettent pas d'établir la réalité d'une atteinte au principe d'égalité de traitement, à défaut de démontrer qu'il se trouvait dans une situation identique ou comparable à celle des chauffeurs routiers susvisés, la notion de 'surplus de trajet' mentionnée dans le compte rendu de la réunion du comité d'entreprise n'étant pas explicitée et les fiches de frais professionnels produite saux débats ne permettant pas de mettre en évidence que les sommes perçues par ces salariés correspondaient à une prise en charge des seuls trajets domicile/lieu de travail.
C'est donc à tort que les premiers juges ont fait droit partiellement à la demande de M. [M] [P] à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière de sécurité sociale et en dernier ressort ;
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Avignon le 27 mai 2020 en ce qu'il a :
- dit et jugé que le temps nécessaire à M. [M] [P] pour se rendre sur son nouveau lieu de travail depuis son lieu de résidence n'est pas un temps de travail effectif,
- rappelé que le présent jugement en application des dispositions de l'article R. l454-28 du code du travail, bénéficie de l'exécution provisoire de droit dans les limites définies par ce texte,
- évalué la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2 590,04 euros bruts,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- mis les dépens de l'instance ainsi que les éventuels frais d'exécution à la charge de la SAS Bourgey Montreuil provence.
L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau,
Déboute M. [M] [P] du surplus de ses prétentions,
Condamne M. [M] [P] à payer à la Sas Bourgey Montreuil Provence la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Rejette les demandes plus amples ou contraires,
Condamne M. [M] [P] aux dépens de la procédure d'appel.
Arrêt signé par le président et par la greffiere.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,