Ordonnance N°23/29
N° RG 23/00033 - N° Portalis DBVH-V-B7H-IVV6
J.L.D. NIMES
13 janvier 2023
[B]
C/
PREFET DE VAUCLUSE
COUR D'APPEL DE NÎMES
Cabinet du Premier Président
Ordonnance du 16 JANVIER 2023
Nous, Madame Alexandra BERGER, Conseillère à la Cour d'Appel de NÎMES, conseiller désigné par le Premier Président de la Cour d'Appel de NÎMES pour statuer sur les appels des ordonnances des Juges des Libertés et de la Détention du ressort, rendues en application des dispositions des articles L 742-1 et suivants du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit de l'Asile (CESEDA), assisté de Mme Emmanuelle PRATX, Greffière,
Vu l'arrêté de M. Le Préfet de Vaucluse portant obligation de quitter le territoire national en date du 10 janvier 2023 notifié le même jour, ayant donné lieu à une décision de placement en rétention en date du 10 janvier 2023, notifiée le même jour à 18h35 concernant :
M. [N] [B]
né le 30 Octobre 2001 à [Localité 3] (MAROC)
de nationalité Marocaine
Vu la requête reçue au Greffe du Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal Judiciaire de Nîmes le 12 janvier 2023 à 14h14, enregistrée sous le N°RG 23/194 présentée par M. le Préfet de Vaucluse ;
Vu la requête reçue au Greffe du Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal Judiciaire de Nîmes le 12 janvier 2023 à 14h45 présentée par Monsieur[N] [B], tendant à voir contester la mesure de rétention administrative prise à son égard, et reprise oralement à l'audience de première instance ;
Vu l'ordonnance rendue le 13 Janvier 2023 à 14h35 par le Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal de NÎMES, qui a :
* Ordonné la jonction des requêtes ;
* Rejeté les exceptions de nullité soulevées ;
* Rejeté la requête en contestation du placement en rétention ;
* Ordonné pour une durée maximale de 28 jours commençant 48H après la notification de la décision de placement en rétention, le maintien dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, de M. [N] [B];
* Dit que la mesure de rétention prendra fin à l'expiration d'un délai de 28 jours à compter du 12 janvier 2023 à 18h35,
Vu l'appel de cette ordonnance interjeté par Monsieur [N] [B] le 14 Janvier 2023 à 12h35 ;
Vu l'absence du Ministère Public près la Cour d'appel de NIMES régulièrement avisé ;
Vu l'absence du Préfet de Vaucluse, régulièrement convoqué,
Vu l'assistance de Monsieur [Y] [G] interprète en langue arabe inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel de Nîmes,
Vu la comparution de Monsieur [N] [B], régulièrement convoqué ;
Vu la présence de Me Elisabeth MENDY PIETRI, avocat de Monsieur [N] [B] qui a été entendu en sa plaidoirie ;
MOTIFS
Monsieur [N] [B] a reçu notification le 10 janvier 2023 d'un arrêté du Préfet du Vaucluse du même jour lui faisant obligation de quitter le territoire national sans délai sans interdiction de retour.
Monsieur [N] [B] a fait l'objet d'un contrôle, le 10 janvier 2023 à 20h15, à [Localité 2].
Par arrêté de la même préfecture en date du 10 janvier 2023 et qui lui a été notifié le jour même à 18h35, il a été placé en rétention administrative aux fins d'exécution de la mesure d'éloignement.
Par requêtes du 12 janvier 2023, Monsieur [N] [B] et le Préfet du Vaucluse ont respectivement saisi le Juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nîmes d'une contestation de ce placement en rétention et d'une demande en prolongation de la mesure.
Par ordonnance prononcée le 13 janvier 2023 à 14h35, le Juge des libertés et de la détention de Nîmes a rejeté les exceptions de nullité soulevées ainsi que les moyens présentés par Monsieur [B] et ordonné la prolongation de sa rétention administrative pour vingt-huit jours.
Monsieur [N] [B] a interjeté appel de cette ordonnance le 14 janvier 2023 à 12h35.
Sur l'audience, Monsieur [N] [B] déclare que :
- il a un rendez-vous médical de contrôle suite à une intervention chirurgicale ;
- ses parents vivent en France et il veut continuer à vivre avec eux,
- il veut poursuivre sa formation en France,
- sur les conditions de vie au domicile de ses parents, il explique que ses parents le soutiennent.
Son avocat soutient que :
- l'irrégularité de la requête en prolongation de la mesure ;
- sur l'état de santé de l'intéressé, le retenu souffre d'une fracture avec un rendez-vous demain dans la perspective d'une autre opération. Son état de vulnérabilité n'a pas été pris en compte. Il y a donc un défaut de motivation ;
- le retenu produit une attestation d'hébergement chez ses parents avec justificatif de domicile ;
- le retenu a un passeport valide ainsi qu'une carte d'identité valide en Italie et donc une assignation à résidence est possible malgré le contexte dans lequel est intervenue son interpellation.
Monsieur le Préfet du Vaucluse n'est pas représenté.
SUR LA RECEVABILITE DE L'APPEL :
L'appel interjeté le 14 janvier 2023 à 12h35 par Monsieur [N] [B] à l'encontre d'une ordonnance du Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Nîmes prononcée en sa présence le 13 janvier 2023 à 14h35, a été relevé dans les délais légaux et conformément aux dispositions des articles L.743-21, R.743-10 et R.743-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Il est donc recevable.
SUR LES MOYENS NOUVEAUX ET ÉLÉMENTS NOUVEAUX INVOQUÉS EN CAUSE D'APPEL:
L'article 563 du code de procédure civile dispose : « Pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves. »
L'article 565 du même code précise : « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ».
Sauf s'ils constituent des exceptions de procédure, au sens de l'article 74 du code de procédure civile, les moyens nouveaux sont donc recevables en cause d'appel.
A l'inverse, pour être recevables en appel, les exceptions de nullité relatives aux contrôle d'identité, conditions de la garde à vue ou de la retenue et d'une manière générale celles tenant à la procédure précédant immédiatement le placement en rétention doivent avoir été soulevées in « limine litis » en première instance.
Par ailleurs, le contentieux de la contestation de la régularité du placement en rétention (erreur manifeste d'appréciation de administration ou défaut de motivation) ne peut être porté devant la cour d'appel que s'il a fait l'objet d'une requête écrite au juge des libertés et de la détention dans les 48 heures du placement en rétention, sauf à vider de leur sens les dispositions légales de l'article R.741.3 du CESEDA imposant un délai strict de 48h et une requête écrite au Juge des libertés et de la détention.
Monsieur [N] [B] a formé une requête en contestation de la mesure de placement en rétention administrative le 11 janvier 2023, reçue au greffe du juge des libertés et de la détention le 12 janvier 2023 à 14h45, dans les délais requis par l'article R.741-3 du CESEDA.
En l'espèce, Monsieur [N] [B] soulève l'irrégularité de la requête en prolongation de la mesure et conteste le placement en rétention administrative aux motifs que l'arrêté est insuffisamment motivé et qu'il n'a pas pris en compte son état de vulnérabilité. Ces moyens sont recevables.
SUR LA RECEVABILITE DE LA REQUETE EN PROLONGATION :
- en ce que son signataire n'aurait pas compétence pour ce faire :
Monsieur [N] [B] soutient qu'il appartient au juge judiciaire de vérifier la compétence du signataire de la requête en prolongation et la mention des empêchements éventuels des délégataires de signature. En l'espèce, le signataire de la requête ne serait pas compétent.
C'est à tort qu'il est argué de l'incompétence du signataire de la requête en prolongation signée pour le Préfet du Vaucluse le 12 janvier 2023 par Monsieur [F] [S], directeur de cabinet, alors qu'est précisément joint à cette requête un arrêté préfectoral en date du 9 décembre 2022 lui portant délégation de signature.
L'apposition de sa signature sur ladite requête présuppose l'empêchement des autres personnes ayant délégation par préférence, le retenu ne démontrant pas le contraire alors qu'en application de l'article 9 du code de procédure civile c'est bien à lui qu'il incombe d'apporter la preuve du bienfondé de ses prétentions.
Le moyen d'irrecevabilité doit donc être écarté.
CONTESTATION DU PLACEMENT EN RÉTENTION ADMINISTRATIVE:
Le contentieux de la contestation de la régularité du placement en rétention (erreur manifeste d'appréciation de l'adminsitration ou défaut de motivation) ne peut être porté devant la cour d'appel que s'il a fait l'objet d'une requête écrite au juge des libertés et de la détention dans les 48 heures du placement en rétention, sauf à vider de leur sens les dispositions légales de l'article R.741.3 du CESEDA imposant un délai strict de 48h et une requête écrite au Juge des libertés et de la détention.
sur l'erreur manifeste d'appréciation:
Depuis le 1er novembre 2016, le Juge des libertés et de la détention est compétent pour apprécier la légalité de la décision de placement en rétention aux fins d'éloignement ainsi que pour contrôler l'exécution de cette mesure et décider de sa prolongation. Il n'est en revanche pas le juge de l'opportunité ni de la légalité de la mesure d'éloignement qui fonde cette décision de rétention.
Une décision de placement en rétention administrative est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation lorsque l'administration s'est trompée grossièrement dans l'appréciation des faits qui ont motivé sa décision.
Le juge judiciaire peut sanctionner une telle erreur à condition qu'elle soit manifeste et donc évidente, flagrante, repérable par le simple bon sens, et qu'elle entraîne une solution choquante dans l'appréciation des faits par l'autorité administrative, notamment en ce qu'elle est disproportionnée par rapport aux enjeux et nécessités d'éloignement de l'intéressé.
Il convient de rappeler que la décision administrative de placement en rétention est prise au visa des éléments dont l'autorité préfectorale dispose alors et notamment des justificatifs de garanties de représentation qui sont déjà en sa connaissance.
Sur l'état de vulnérabilité :
En l'espèce, l'administration a pris ne compte dans sa décision :
- l'état de dépendance à l'alcool de Monsieur [N] [B],
- les soins suivis pour soigner ses nerfs,
- la poursuite possible de son traitement en Italie ou au Maroc,
- les éléments médicaux recueillis lors de la garde à vue de Monsieur [N] [B], lesquels n'ont pas donné lieu à son hospitalisation en psychiatrie, ni à une incompatibilité de la mesure avec son état de santé.
Sur les garanties de représentation :
L'administration, dans son arrêté de placement, prend en considération le contexte familial des violences reprochées à Monsieur [N] [B], dans un contexte de réitération puisque des faits similaires, lui sont également reprochés le 2 décembre 2022. La Préfecture a donc bien pris en compte l'hébergement de l'intéressé, mais au regard de l'instablité de celui-ci, par les violences reprochées à ce dernier, elle déduit que ses garanties de représentation ne sont pas suffisantes.
Il s'en déduit que la décision prise par l'administration, avec les éléments dont elle disposait alors, n'est pas contraire à la situation personnelle de Monsieur [N] [B].
La décision de placement en rétention concernant Monsieur [N] [B] ne procède ainsi d'aucune erreur manifeste d'appréciation et le moyen ainsi soulevé doit être rejeté.
sur le défaut de motivation:
L'article L.741-6 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose: « La décision de placement est prise par l'autorité administrative, après l'interpellation de l'étranger ou, le cas échéant, lors de sa retenue aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour, à l'expiration de sa garde à vue, ou à l'issue de sa période d'incarcération en cas de détention. Elle est écrite et motivée. Elle prend effet à compter de sa notification ». L'article L.741-8 du même code prévoit que le procureur de la République en est informé immédiatement et l'article L.741-9 du même code que l'étranger est informé de ses droits dans les conditions prévues à l'article L.744-
La motivation d'un acte retrace les éléments de fait et de droit qui ont guidé son auteur dans sa décision. Le contrôle du juge porte sur l'existence de cette motivation et non sur son bien-fondé et sa pertinence.
De même, le texte précité n'impose nullement à l'autorité administrative de reprendre une liste exhaustive des éléments caractérisant la situation de l'intéressé.
En l'espèce, l'arrêté de rétention adopté par le Préfet du VAUCLUSE en date du vise expressément :
- les dispositions légales du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- la mesure de garde à vue de Monsieur [N] [B] pour des faits de violences intra-familiales et ses antécédents en la matière, d'où il est déduit un trouble à l'ordre public,
- les déclarations de Monsieur [N] [B] qui « admet suivre un traitement pour les nerfs »,
- la dépendance à l'alcool de Monsieur [N] [B],
- la possibilité de poursuivre ses soins en Italie ou au Maroc,
- la visite d'un médecin en garde à vue, ainsi que la consultation d'un psychiatre lequel a indiqué que Monsieur [N] [B] était accessible à une sanction pénale sans nécessité de recourir à une hospitalisation d'office,
- qu'une équipe médicale était présente au centre de rétention administrative.
L'arrêté de placement au centre de rétention administrative comporte donc une motivation suffisante et complète telle qu'exigée par la Loi.
Le moyen doit être rejeté.
SUR LE FOND :
L'article L.611-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose des cas dans lesquels un étranger peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et/ou l'article L.612-6 du même code d'une interdiction de retour sur le territoire français tandis que l'article L611-3 du même code liste de manière limitative les situations dans lesquelles de telles mesures sont exclues.
L'article L.741-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précise qu'en tout état de cause «un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration exerce toute diligence à cet effet.»
En l'espèce, l'administration a saisit les autorités italiennes d'une demande de réadmission le 12 janvier 2023, prenant appui sur la pièce d'identité italienne de Monsieur [N] [B].
Il s'en déduit qu'il y a lieu de dire et juger que l'administration n' a pas failli à ses obligations.
SUR LA SITUATION PERSONNELLE DE MONSIEUR [N] [B] :
Monsieur [N] [B] a été interpellé pour des faits de violences commises sur des membres de sa famille chez lesquels il vit. Lors de son audition le 10 janvier 2023, l'un d'eux a indiqué ne plus vouloir que Monsieur [N] [B] retourne chez lui, décrivant par ailleurs des menaces de mort réitérées. Il en résulte que le climat de violences et d'agressivité généré par le comportement de Monsieur [N] [B] ne permet pas de considérer comme sérieuses des garanties de représentation au domicile de ses parents.
Enfin, il n'est apporté à l'audience aucun élément de nature à caractériser une incompatibilité de la mesure avec l'état de santé de Monsieur [N] [B].
Monsieur [N] [B] est l'objet d'une mesure d'éloignement en vigueur, telle que précitée, et qui fait obstacle à sa présence sur le sol français.
Il s'en déduit que la prolongation de sa rétention administrative demeure justifiée et nécessaire aux fins qu'il puisse être procédé effectivement à son éloignement.
Il convient par voie de conséquence de confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort,
Vu l'article 66 de la constitution du 4 octobre 1958,
Vu les articles L.741-1, L.742-1 à L.743-9 ; R.741-3 et R.743-1 à R.743-19, L.743.21 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
DÉCLARONS recevable l'appel interjeté par Monsieur [N] [B] ;
CONFIRMONS l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
RAPPELONS que, conformément à l'article R.743-20 du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile, les intéressés peuvent former un pourvoi en cassation par lettre recommandée avec accusé de réception dans les deux mois de la notification de la présente décision à la Cour de cassation [Adresse 1].
Fait à la Cour d'Appel de NÎMES,
le 16 Janvier 2023 à
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
' Notification de la présente ordonnance a été donnée ce jour au Centre de rétention administrative de [Localité 4] à M. [N] [B], par l'intermédiaire d'un interprète en langue arabe.
Le à H
Signature du retenu
Copie de cette ordonnance remise, ce jour, par courriel, à :
- Monsieur [N] [B], par le Directeur du centre de rétention de [Localité 4],
- Me Elisabeth MENDY PIETRI, avocat
(de permanence),
- M. Le Préfet de Vaucluse
,
- M. Le Directeur du CRA de [Localité 4],
- Le Ministère Public près la Cour d'Appel de NIMES
- Mme/M. Le Juge des libertés et de la détention,