RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 20/01421 - N° Portalis DBVH-V-B7E-HXF7
MS/EB
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'AVIGNON
20 mai 2020 RG :18/00177
[L] [B]
C/
S.A.R.L. SARL [H] [G]
Grosse délivrée
le
à
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 10 JANVIER 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AVIGNON en date du 20 Mai 2020, N°18/00177
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Leila REMILI, Conseillère
M. Michel SORIANO, Conseiller
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 13 Octobre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 Janvier 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [W] [L] [B]
né le 14 Mars 1984 à CAMEROUN (99)
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Philippe MESTRE, avocat au barreau d'AVIGNON
substitué par Me Souad ZITOUNI, avocate au barreau d'AVIGNON
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2020/5858 du 10/09/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Nîmes)
INTIMÉE :
S.A.R.L. SARL [H] [G]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Véronique MARCEL de la SELARL PYXIS AVOCATS, avocat au barreau d'AVIGNON substitué par Philippe PERICCHI, avocat au barreau de NIMES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 29 Septembre 2022
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 10 Janvier 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
M. [W] [L] [B] a été engagé par la SARL [H] [G] à compter du 1er octobre 2014 suivant contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de plongeur au sein du restaurant Les Jardins des Quais à [Localité 5].
Par courrier du 03 mars 2018, le salarié prenait acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.
Par requête du 13 avril 2018, M. [L] [B] saisissait le conseil de prud'hommes d'Avignon en requalification de sa prise d'acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre l'allocation d'indemnités y afférentes.
Par jugement contradictoire du 20 mai 2020 , le conseil de prud'hommes d'Avignon a :
- dit que la prise d'acte de rupture de M. [L] [B] du 3 mars 2018 s'analyse en une démission,
- en conséquence, débouté M. [L] [B] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la SARL [H] [G] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- mis les dépens de l'instance ainsi que les éventuels frais d'exécution à la charge de M. [L] [B].
Par acte du 18 juin 2020, M. [W] [L] [B] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 15 septembre 2020, M. [W] [L] [B] demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions la décision rendue par le conseil de prud'hommes d'Avignon
- dire et juger que sa prise d'acte de rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- condamner la SARL [H] [G] ( le Quai du Jardin) à lui verser la somme de 2 000 euros titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner la SARL [H] [G] ( le Quai du Jardin) aux entiers dépens de l'instance.
Il soutient que :
- sur la rupture du contrat de travail :
- il a été contraint de prendre acte de la rupture de son contrat de travail pour les raisons suivantes :
' non-paiement du salaire du mois de 'février 2018',
' harcèlement et pressions morales l'ayant contraint a quitter son emploi et déposer plainte auprès de la gendarmerie nationale,
' interdiction par l'employeur d'accéder à son poste de travail sans motif légitime,
- il a fallu attendre qu'il se présente avec un conseiller du salarié, le 12 mars 2012, pour qu'enfin l'employeur daigne lui régler son salaire de février 2012,
- l'employeur lui avait remis un chèque de paie du mois de janvier 2018 tiré sur un compte non approvisionné, ce qui a entraîné des difficultés avec sa banque,
- l'audition enregistrée par la gendarmerie nationale retrace l'ensemble des griefs reprochés à son employeur,
- l'employeur va antidater les documents légaux au 8 mars 2018, oubliant certainement qu'il lui a écrit par courrier du 15 mars 2018 pour le sommer de reprendre son emploi, le solde de tout compte étant daté du 26 mars 2018.
En l'état de ses dernières écritures en date du 07 décembre 2020, la SARL [H] [G] demande à la cour de :
- confirmer la décision entreprise soit le jugement rendu le 20 mai 2020 par le conseil de prud'hommes d'Avignon
- débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner M. [L] à lui payer la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire en cas d'infirmation,
- fixer le salaire brut mensuel moyen à 1495,47 euros
- fixer l'ancienneté à 3 ans et 9 mois, soit 3 années complètes
- déterminer l'indemnité légale de licenciement et l'indemnité de préavis sur cette base
- prononcer une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse équivalent à un mois de salaire.
Elle fait valoir que :
- le salarié a abandonné son poste à partir du 22 février 2018.
Aucun élément de fait ne vient corroborer l'argumentation du salarié.
- le chèque correspondant au salaire de janvier 2018 a été rejeté le 09 février 2018.
Le défaut de paiement est dû à une absence de provisions et s'explique par les difficultés
économiques rencontrées après l'incendie.
Dès le 14 février suivant, soit moins d'une semaine plus tard, le salaire de l'appelant a été régularisé par virement.
- un seul défaut de paiement, immédiatement régularisé, en 4 ans de relation de travail et qui se justifie par des circonstances exceptionnelles ne saurait être retenu comme un manquement suffisamment grave de l'employeur.
- la plainte déposée pour harcèlement moral ne repose que sur les affirmations du salarié.
- le fait lié à la délivrance des documents légaux est postérieur à la rupture et ne saurait la justifier.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 12 juillet 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 29 septembre 2022. L'affaire a été fixée à l'audience du 13 octobre 2022.
MOTIFS
Sur la prise d'acte
La prise d'acte est un mode de rupture du contrat par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des griefs qu'il impute à son employeur.
Pour que cette prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les manquements invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais ils doivent de surcroît être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.
C'est au salarié, et à lui seul, qu'il incombe d'établir les faits allégués à l'encontre de l'employeur. S'il n'est pas en mesure de le faire ou s'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l'appui de sa prise d'acte, celle-ci doit produire les effets d'une démission. Le contrôle de la juridiction porte sur l'ensemble des faits invoqués par le salarié.
L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige, et il convient d'examiner tous les manquements de l'employeur invoqués par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés par écrit.
M. [L] [B] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier recommandé avec accusé de réception du 3 mars 2018 réceptionné le 8 mars 2018, en ces termes :
'Monsieur,
Suite à votre refus de me permettre de poursuivre ma formation professionnelle.
Suite à votre paiement de mon salaire par chèque retourné impayé.
Suite à votre interdiction de me laisser prendre mon poste de travail le 22 février 2018.
Je suis contraint de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail par la présence en me réservant le droit de saisir la juridiction compétente pour vous rendre imputable cette rupture.'
Dans ses écritures, le salarié soutient avoir été contraint de prendre acte de la rupture du contrat de travail pour les trois raisons suivantes :
- non paiement du salaire du mois de février 2018,
- harcèlement et pressions morales l'ayant contraint à quitter son emploi et déposer plainte auprès de la gendarmerie,
- interdiction par l'employeur d'accéder à son poste de travail sans motif légitime.
Il convient ainsi d'examiner ces griefs :
Sur le paiement du salaire du mois de février 2018
L'employeur ne conteste pas ce fait et se justifie par des difficultés financières et une régularisation intervenue dès le 14 février suivant, s'agissant du salaire du mois de janvier et non du mois de février.
L'appelant produit à ce titre un courrier de la Caisse d'épargne du 12 février 2018 lui notifiant le rejet d'un chèque d'un montant de 1240,01 euros pour provision insuffisante.
Il ne peut s'agir dès lors que du salaire du mois de janvier 2018, aucun élément du dossier démontrant que le salaire est versé en début de mois.
Pour autant, le paiement du salaire est une obligation essentielle et l'employeur commet une faute justifiant la rupture du contrat de travail à ses torts en cas de non paiement.
La société intimée justifie avoir procédé à la régularisation du chèque impayé par un virement en date du 14 février 2018, dans un délai extrêment bref excluant toute intention malveillante.
De plus, elle justifie de ses difficultés suite à un incendie de ses locaux à la fin du mois d'août 2017 et des travaux importants nécessaires à la réouverture.
Dès lors, ce fait ne saurait être suffisamment grave pour justifier la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, et ce d'autant plus que la régularisation est intervenue avant l'envoi de la lettre de rupture par le salarié et que ce dernier ne justifie d'aucune difficulté avec sa banque contrairement à ce qu'il invoque dans ses écritures.
Sur le harcèlement et pressions morales l'ayant contraint à quitter son emploi et déposer plainte auprès de la gendarmerie
Aux termes de l'article L. 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du Code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du Code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, M. [L] [B] soutient avoir été victime de harcèlement moral de la part de son employeur dans la mesure où :
- l'employeur lui a intimé l'ordre de venir travailler le lundi 12 février 2018 alors qu'il devait être en formation,
- le 14 février 2018,l'épouse de l'employeur l'a agressé verbalement en l'insultant,
- l'employeur lui a alors demandé de partir,
- l'employeur lui a demandé d'exécuter des tâches qui ne correspondent pas à ses fonctions de cuisinier (tailler les herbes, laver les bacs à poubelle, laver le trottoir),
- le 15 février 2018, l'employeur lui a demandé de restituer des objets qu'il lui avait donnés,
- le 19 février 2018, l'employeur l'a appelé pour lui faire part de son absence alors qu'il était en formation, lui indiquant qu'il lui adressait un avertissement,
- le 21 février 2018, il a peint une fenêtre alors que ce travail n'entre pas dans ses fonctions de cuisinier. L'employeur lui a ensuite reproché d'avoir mal réalisé ces travaux de peinture et il a dû les refaire,
- l'employeur a demandé à un électricien et aux stagiaires de ne pas lui parler,
- l'employeur a demandé au second de cuisine de lui donner 'toutes les sales tâches qu'il y a à faire ici',
- l'employeur ne lui a pas dit que la pointeuse fonctionnait de nouveau et lui a reproché de ne plus pointer,
- le 22 février 2018, l'employeur lui a demandé de partir dans la mesure où il ne lui avait pas ramené les objets qu'il réclamait. Il a refusé, M. [G] a alors appelé un de ses amis policier,
- il est traité différemment des autres salariés, l'employeur lui imposant de venir chercher son bulletin de salaire au restaurant alors que ses collègues le reçoivent à leur domicile.
A l'appui de ses allégations M. [L] [B] verse comme seul élément matériel le procès-verbal d'audition du 22 février 2018 établi par la gendarmerie ne comportant que ses déclarations ce qui, pris dans son ensemble, est insuffisant à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral.
Sur l'interdiction par l'employeur d'accéder à son poste de travail sans motif légitime
L'appelant ne développe aucune argumentation sur ce point et ne produit aucune pièce à l'appui de son allégation, de sorte que ce grief ne sera pas retenu.
M. [L] [B] reproche encore à l'employeur un défaut de délivrance des documents légaux de rupture, ce qui ne saurait constituer un grief justifiant la rupture du contrat de travail puisque intervenant postérieurement à ladite rupture.
Ainsi, le manquement avéré quant au paiement du salaire du mois de janvier 2018 ne présentait pas un caractère de gravité suffisant de nature à avoir fait obstacle ou rendu impossible la poursuite entre les parties de l'exécution du contrat de travail, justifiant la confirmation du jugement querellé sur ce point, la rupture devant s'analyser en une démission.
Sur les demandes accessoires
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d'appel seront laissés à la charge de M. [L] [B].
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le 20 mai 2020 par le conseil de prud'hommes d'Avignon en toutes ses dispositions,
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procedure civile,
Laisse les dépens d'appel à la charge de M. [W] [L] [B],
Arrêt signé par le président et par le greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,