ARRÊT N°
N° RG 20/00884 - N° Portalis DBVH-V-B7E-HVUY
CRL/DO
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ALES
27 février 2020
RG :18/00130
[J]
C/
S.A.R.L. TRANSPORTS ROCANIERE
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 10 JANVIER 2023
APPELANT :
Monsieur [I] [J]
né le 08 Octobre 1964 à [Localité 5] ([Localité 5])
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Alexia COMBE, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
S.A.R.L. TRANSPORTS ROCANIERE
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Vincent VINOT de la SELARL SYNAPSE AVOCATS, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Sylvie SERGENT de la SCP DELRAN-BARGETON DYENS-SERGENT- ALCALDE, avocat au barreau de NIMES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 27 Septembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère
Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère
GREFFIER :
Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 11 Octobre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 Décembre 2022 et prorogé ce jour;
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 10 Janvier 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [I] [J] a été engagé à compter du 1er mars 2011, suivant contrat à durée indéterminée à temps partiel en qualité de conducteur/ receveur de car, coefficient 140V annexe catégorie ouvrier, par la S.A.R.L. Transports Rocanière.
La convention nationale applicable est celle des transports et activités auxiliaires.
Avant son embauche au sein de la S.A.R.L. transports Rocanière, M. [I] [J] a été victime d'une maladie déclarée le 26 août 2003 et prise en charge par la Caisse Primaire d'assurance maladie au titre des maladies professionnelles du tableau 98 : « sciatique par hernie discale L4 L5 », pour laquelle il a été déclaré consolidé le 1er avril 2007.
Le 26 juin 2012, lors d'une visite médicale périodique, M. [I] [J] a été déclaré apte au poste de chauffeur de car mais avec un restriction de 25 heures maximum par semaine.
M. [I] [J] a été en arrêt de travail, suite à une rechute de sa maladie professionnelle, du 18 avril 2016 au 23 mai 2016 puis du 10 juillet 2016 au 30 novembre 2016, rechute prise en charge par la Caisse Primaire d'assurance maladie qui l'a déclaré consolidé le 30 novembre 2016.
Le 8 décembre 2016, lors de la visite médicale de reprise, le médecin du travail a déclaré que M. [I] [J] était apte avec aménagement de poste en temps partiel thérapeutique. Le 18 septembre 2017, le médecin du travail déclarait à nouveau le salarié apte à son poste de travail avec aménagement, en augmentant le temps de conduite en continu de 2h30 à 3h, et en maintenant le temps de conduite journalier à 6 heures.
Le 12 février 2018, M. [I] [J] a été placé en arrêt maladie.
Le 5 mars 2018, M. [I] [J] a été reconnu victime d'une nouvelle rechute de sa maladie professionnelle, prise en charge par la Caisse Primaire d'assurance maladie au titre de la législation sur les risques professionnels. Sa consolidation a été fixée au 6 juin 2018.
Le 15 juin 2018, lors de la visite médicale de reprise, M. [I] [J] a été déclaré inapte à son poste de conducteur au motif que 'l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi aet. R 4624-42 du CT '.
M. [I] [J] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement, le 4 juillet 2018, puis licencié, le 19 juillet 2018, pour inaptitude physique avec impossibilité de reclassement.
Par requête en date du 3 octobre 2018, M. [I] [J] a saisi le conseil de prud'hommes d'Alès, en contestation de son licenciement pour inaptitude au motif que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat.
Par jugement, en date du 27 février 2020, le conseil de prud'hommes d'Alès, a :
- débouté la S.A.R.L. transports Rocanière de ses demandes de communication des écritures avant-dire droit devant la juridiction pénale et le tribunal de l'incapacité,
- dit que l'inaptitude était professionnelle et par conséquent,
- débouté la S.A.R.L. transports Rocanière de sa demande de remboursement de l'indemnité de licenciement spécifique ;
- constaté que la S.A.R.L. transports Rocanière a manqué à son obligation de sécurité de résultat en ne respectant pas les préconisations du médecin du travail qui s'imposaient à elle,
- dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamné la S.A.R.L. transports Rocanière à payer à M. [I] [J] les sommes de:
* 5 200 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la S.A.R.L. transports Rocanière aux entiers dépens, y compris ceux, éventuellement nécessaire à l'exécution de la présente décision par huissier de justice,
- dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire les sommes retenues par l'huissier instrumentaire, en application des dispositions du l'article 10 du décret du 8 mars 2001 , portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la SAS SN méditerranée automobiles prise en la personne de son représentant légal, en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes, fins et conclusions,
Par acte du 9 mars 2020, M. [I] [J] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance en date du 11 juillet 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 27 septembre 2022 et fixé examen de l'affaire à l'audience du 11 octobre 2022 à 14 heures.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 7 juin 2022, M. [I] [J] demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Alès le 27 février 2020 dans toutes ses dispositions à l'exception de la condamnation de la S.A.R.L. transports Rocanière à lui payer la somme de 5.200 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Alès le 27 février 2020 en ce qu'il a débouté la S.A.R.L. transports Rocanière de ses demandes de communication des écritures avant dire droit devant la juridiction pénale et le tribunal de l'incapacité, dit que l'inaptitude est professionnelle et par conséquent, débouté la S.A.R.L. transports Rocanière de sa demande de remboursement de l'indemnité de licenciement spécifique, constaté que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat en ne respectant pas les préconisations du médecin du travail qui s'imposaient à lui, dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamné la S.A.R.L. transports Rocanière à payer à M. [I] [J] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la S.A.R.L. transports Rocanière à payer 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers
- réformer le jugement qui condamne la S.A.R.L. transports Rocanière à lui payer la somme de 5.200 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
Statuant à nouveau sur le quantum de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
- condamner la S.A.R.L. transports Rocanière à lui payer la somme de 14.284 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, en application de l'article L1226-15 alinéa 3 du code du travail,
- débouter la S.A.R.L. transports Rocanière de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles,
- condamner la S.A.R.L. transports Rocanière à lui payer la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
M. [I] [J] soutient que :
- sa critique du jugement déféré repose sur le fait que le conseil de prud'hommes n'a pas tenu compte de l'article L 1226-15 alinéa 3 du code du travail qui prévoit que l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ne peut être inférieure à 6 mois de salaire et qu'il ne lui a été accordé que l'équivalent de 4 mois de salaires,
- le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité résulte du fait qu'il n'a pas respecté les préconisations du médecin du travail, suite à la rechute de sa maladie professionnelle en 2016, lors de la visite de reprise le 8 décembre 2016, le médecin du travail l'avait déclaré apte avec aménagement de poste, soit sous réserve d'un maximum de 2h30 de conduite en continu et 6 heures sur la journée, aménagement confirmé lors des visites du 30 mars et du 30 juin 2017, le temps de conduite en continu maximal étant porté à 3 heures le 18 septembre 2017,
- malgré ses demandes et relances, la S.A.R.L. Transports Rocanière a toujours refusé de lui communiquer ses feuilles de route qui démontreraient comme ses feuilles d'activité conducteur, que ces recommandations n'ont pas été respectées,
- il convient de tirer les conséquences de ce refus de communication de la S.A.R.L. Transports Rocanière,
- il se fonde sur les avis de la médecine du travail et le certificat médical de son chirurgien orthopédique pour établir que la dégradation de son état de santé qui a donné lieu à l'avis d'aptitude avec réserves puis l'avis d'inaptitude est la conséquence du non-respect par l'employeur des recommandations formulées pour l'aménagement de son poste de travail,
- le licenciement prononcé pour inaptitude résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité doit être qualifié comme étant sans cause réelle et sérieuse, et donner lieu aux indemnisations résultant de cette qualification, définies par les articles L 1226-15 et L 1235-3-1 du code du travail.
En l'état de ses dernières écritures en date du 5 août 2022, la S.A.R.L. transports Rocanière demande à la cour de :
- infirmer la décision de première instance, en ce qu'elle :
* a considéré que le licenciement de M. [I] [J] était d'origine professionnelle (sic);
* l'a déboutée de ses demandes de remboursement d'une indemnité d'un montant égal à l'indemnité compensatrice de préavis, soit un montant brut de 2.380,66 euros, et de la part correspondant à l'indemnité légale de licenciement doublée soit la somme nette de 2.813,33 euros;
* a constaté qu'elle avait manqué à son obligation de sécurité
* a reconnu que le licenciement de M. [I] [J] était fondé sur la faute de l'employeur;
* a requalifié le licenciement de M. [I] [J] en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
* l'a condamnée à la somme de 5.200 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* l'a condamnée à la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Y ajoutant :
- infirmer la décision de première instance,
- dire et juger que l'inaptitude de M. [I] [J] n'est pas d'origine professionnelle
- ordonner le remboursement par M. [I] [J] à son profit d'une indemnité d'un montant égal à l'indemnité compensatrice de préavis, soit un montant brut de 2.380,66 euros.
- ordonner le remboursement par M. [I] [J] à son profit de la part correspondant à l'indemnité légale de licenciement doublée soit la somme nette de 2.813,33 euros.
- dire et juger que le licenciement de M. [I] [J] n'est pas lié à la faute de l'employeur,
- débouter M. [I] [J] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions.
- condamner M. [I] [J] à lui payer une indemnité de 3.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens tant de première instance que d'appel.
La S.A.R.L. Transports Rocanière fait valoir que :
- M. [I] [J] a expliqué à ses collègues de travail que son arrêt de travail pour la période du 10 juillet au 30 novembre 2016 aurait été motivé par un accident de la route ayant nécessité une intervention chirurgicale pour intervenir sur des plaques et vis positionnées dans son dos suite à sa maladie professionnelle, et qu'il avait engagé une procédure pénale contre le vendeur de son véhicule et le centre de contrôle technique,
- suite au rejet de sa demande d'allocation aux adultes handicapés en raison d'un taux d'incapacité inférieur à 80%, M. [I] [J] a saisi le tribunal du contentieux de l'incapacité,
- la production des conclusions et pièces médicales concernant ces deux litiges aurait permis de connaître l'origine de l'inaptitude de M. [I] [J] et sa position devant ces juridictions quant à l'origine de son inaptitude et les indemnisations qu'il aurait ainsi obtenues, dans la mesure où un même préjudice ne peut être indemnisé qu'une seule fois,
- M. [I] [J] a contracté sa maladie professionnelle chez son précédent employeur, et les deux rechutes sont intervenues depuis qu'il travaille pour elle, mais dans le cadre d'événements survenus en dehors du cadre professionnel, soit un effort de soulèvement à son domicile le 18 avril 2016 et un malaise à son domicile le 5 mars 2018, ainsi que cela résulte du dossier de la médecine du travail,
- M. [I] [J] est connu comme étant un grand sportif, qui pratique la marche, le vélo et la natation trois fois par semaine, navigue sur son bateau et est propriétaire d'un cheval, les attestations de M. [L] et M.[G] en ce sens n'étant pas susceptibles d'être remises en cause dès lors que la plainte pour faux témoignage les visant a été classée sans suite, et sur citation directe de l'appelant une relaxe a été prononcée par le tribunal correctionnel,
- les avis des praticiens sur le lien entre la pathologie et l'activité professionnelles sont très prudents, et aucun ne fait mention des activités privées de l'appelant qui sollicitent particulièrement le dos,
- les données de la carte conducteur, jointes à chaque bulletin de salaire et donc en possession de M. [I] [J], démontrent que les préconisations de la médecine du travail ont été respectées, et qu'elle ne peut être tenue pour responsable des avaries qui ont pu conduire à dépasser parfois le temps de conduite de 6 heures,
- les documents médicaux produits ne font que retranscrire les dires de M. [I] [J], les deux praticiens ne s'étant jamais déplacés dans l'entreprise pour vérifier le respect des préconisations de la médecine du travail,
- le médecin du travail, malgré les multiples visites médicales dont M. [I] [J] a fait l'objet, ne l'a jamais alertée quant au fait que ses préconisations ne seraient pas respectées,
- le contentieux initié par M. [I] [J] est de pure opportunité, et fondé sur la mauvaise foi de son ancien salarié, ce qui motive ses demandes de remboursement formulées à son encontre,
- subsidiairement, M. [I] [J] ne justifie pas des préjudices qu'il allègue au soutien de ses demandes indemnitaires.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues à l'audience.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé que la S.A.R.L. Transports Rocanière ne sollicite plus devant la cour que soit ordonnée à M. [I] [J] la communication des écritures devant la juridiction pénale et le tribunal de l'incapacité.
Demandes relatives à l'exécution du contrat de travail
Selon l'article L4121-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.»
L'article L.4121-2 précise que l'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.»
En l'espèce, M. [I] [J] reproche à la S.A.R.L. Transports Rocanière d'avoir manqué à son obligation de sécurité en ne respectant pas les recommandations de la médecine du travail sur ses temps de conduite.
La S.A.R.L. Transports Rocanière soutient avoir toujours respecté les avis de la médecine du travail, ainsi que cela résulte des données de la carte conducteur de M. [I] [J], jointes à chacun de ses bulletins de salaire.
Le premier avis de la médecine du travail portant des recommandations d'aménagement de poste de travail est en date du 8 décembre 2016 et mentionne ' temps partiel thérapeutique avec maximum de 2h30 de conduite en continu, et 6 heures sur la journée de travail. A revoir dans trois mois'. Cet avis sera confirmé jusqu'à la visite médicale du 18 septembre 2017 qui portera le temps de conduite en continu à 3 heures. M. [I] [J] a ensuite été placé en arrêt de travail à compter du 12 février 2018, et n'a pas repris son poste suite à l'avis d'inaptitude.
Il résulte de l'examen des fiches activités que des dépassements du temps de conduite journalier au-delà de 6 heures ont eu lieu :
- le 5 janvier 2017 : 6,33 heures, soit 19,8 minutes de dépassement
- le 6 janvier 2017 : 6,40 heures, soit 24 minutes de dépassement,
- le 9 janvier 2017 : 6,23 heures, soit 13,8 minutes de dépassement,
- le 18 avril 2017 : 7,40 heures, soit 24 minutes de dépassement,
- le 25 avril 2017 : 7,28 heures, soit 16,8 minutes de dépassement,
- le 28 avril 2017 : 6,77 heures, soit 46,2 minutes de dépassement
- le 9 mai 2017 : 7,03 heures, soit 61,8 minutes de dépassement,
- le 12 mai 2017 : 6,38 heures, soit 22,8 minutes de dépassement,
- le 15 mai 2017 : 6,75 heures, soit 45 minutes de dépassement,
- le 29 mai 2017 : 7,87 heures, soit 112,2 minutes de dépassement,
- le 10 novembre 2017 : 6,15 heures, soit 9 minutes de dépassement,
- le 14 novembre 2017 : 6,12 heures, soit 6 minutes de dépassement,
- le 16 novembre 2017 : 6,30 heures, soit 18 minutes de dépassement,
- le 17 novembre 2017 : 6,48 heures, soit 28,8 minutes de dépassement,
- le 28 novembre 2017 : 6,77 heures, soit 46,2 minutes de dépassement.
Sur la période comprise entre la visite médicale du 8 décembre 2016 et celle du 18 septembre 2017, 10 dépassements du temps de conduite préconisé par le médecin du travail sur 9 mois de travail ont été effectués, sans que ceux-ci aient une incidence négative sur l'état de santé de M. [I] [J] puisqu'à l'issue de cette visite médicale, la durée de conduite continue recommandée a été portée de 2h30 à 3h00 ce qui suppose a minima une stabilisation, voire une légère amélioration de l'état de santé du salarié.
Sur la période postérieure au 18 septembre 2017, 5 dépassements du temps de conduite préconisé par le médecin du travail sur 5 mois de travail ont été effectués, dont deux de moins de 10 minutes et le plus long étant de l'ordre de 3/4 d'heures. Le temps de conduite moyen sur cette période est globalement inférieur à 5 heures.
Ainsi, contrairement à ce que soutient M. [I] [J], la S.A.R.L. Transports Rocanière a tenu compte des recommandations de la médecine du travail pour l'aménagement de son poste de travail, et les a appliquées, le temps de conduite moyen quotidien étant de l'ordre de 4 à 5 heures, donc en deçà du maximum défini dans l'avis d'aptitude, et les seuls dépassements significatifs sont intervenus avant la visite médicale du 18 septembre 2017, et ont donc été sans conséquences négatives sur l'état de santé de M. [I] [J].
Au surplus, M. [I] [J] ne démontre pas que ces quelques dépassements de temps de conduite seraient imputables à l'employeur, qui ne maîtrise ni les difficultés météorologiques ponctuelles, ni les ralentissements de circulations qui peuvent expliquer des temps de trajets augmentés de quelques minutes ou dizaines de minutes.
Force est de constater que les éléments contenus dans le certificat médical établi le 3 avril 2018 par le Dr [V], chirurgien orthopédique, quant au temps de conduite, ( 'le temps de travail semble s'être transformé avec une augmentation très importante des heures de conduite ce qui a amené progressivement à la réapparition de lombalgies basses...') qui résultent des déclarations de M. [I] [J], sont contredits par l'examen des fiches mensuelles d'activité conducteur des trois derniers mois de travail avant l'arrêt du 12 février 2018,lequelles démontrent au contraire une diminution significative du temps de conduite, seules deux journées par exemple en décembre 2017 ayant donné lieu à des temps de conduite supérieur à 4 heures.
En conséquence, si une dégradation de l'état de santé est intervenue à compter du début de l'année 2018, il n'en demeure pas moins qu'aucun manquement à l'obligation de sécurité en raison du non-respect des recommandations du médecin du travail n'est imputable à la S.A.R.L. Transports Rocanière.
La décision déférée sera infirmée en ce sens.
Demandes relatives à la rupture du contrat de travail
M. [I] [J] a été licencié pour inaptitude par courrier en date du 19 juillet 2018, rédigé dans les termes suivants :
' Monsieur,
Nous faisons suite par la présente, à l'entretien préalable du 16 juillet et vous notifions conséquemment votre licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
En application des dispositions légales, ce licenciement prend effet immédiatement dès l'envoi de la présente.
Du fait de l'origine professionnelle de votre inaptitude, et conformément à l'article L 1226-14 du code du travail, vous bénéficierez d'une indemnité compensatrice de préavis. Toutefois, le versement de cette indemnité est sans incidence sur la date de rupture de votre contrat de travail.
Nous vous adresserons par pli séparé le solde de votre compte, votre certificat de travail et l'attestation destinée au Pôle emploi.
En application des l'article L 911-8 du code de la sécurité sociale , vous bénéficierez à compter de la date de cessation de votre contrat de travail, du maintien à titre gratuit des garanties liées aux risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ainsi que les garanties liées au risque décès ou aux risques d'incapacité de travail ou d'invalidité et ce, pour une période égale au maximum à la durée d'indemnisation du chômage et dans la limite du dernier contrat de travail, sans pouvoir excéder 12 mois.
Les garanties maintenues seront identiques à celles en vigueur dans l'entreprise et seront applicables dans les mêmes conditions à vos ayants droit qui en bénéficiaient effectivement avant la date de la cessation du contrat de travail.
Nous vous adresserons, dans les jours à venir, les notices explicatives correspondantes que nous vous invitons à lire avec attention.
Le motif à l'appui de ce licenciement est l'inaptitude physique à votre poste, constatée par le médecin du travail, et l'impossibilité de parvenir à votre reclassement.
En effet, vous êtes placé en arrêt de travail depuis le 12 février 2018, pour cause de rechute de maladie professionnelle.
Conséquemment, et conformément aux dispositions légales et réglementaires, une étude de votre poste et une étude de vos conditions de travail ont été menées par le médecin du travail le 8 novembre 2017, dans nos locaux.
Ces études ont été l'occasion pour nous d'échanger avec le médecin du travail quant à vos capacités physiques restantes et à l'adéquation de votre poste de travail avec votre état de santé. Egalement, le médecin du travail a eu l'opportunité d'analyser les contraintes physiques inhérentes à votre poste de travail mais également aux autres emplois existants dans l'entreprise.
Ces échanges ont été répétés le 15 juin 2018.
A la même date, vous avez bénéficié d'une visite de reprise au terme de laquelle le médecin du travail consacrait votre inaptitude, considérant en outre que votre état de santé faisait obstacle à toute solution de reclassement.
De ces constatations médicales, il est apparu que votre maintien dans l'emploi était impossible, que ce soit par mutation, aménagement de poste ou toute autre mesure préconisée par le praticien.
Le diagnostic émis par le médecin du travail nous empêche donc d'envisager toute recherche de reclassement en interne, quelle qu'elle soit, compte tenu de la position retenue par le médecin qui consacre une dispense légale de reclassement.
Nous avons alors tenu à informer le médecin du travail de cette position par courrier du 20 juin 2018.
Toutefois, et malgré la dispense de recherches de reclassement dans laquelle s'inscrit l'avis du médecin du travail, nous avons tenu à solliciter des entreprises extérieures mais exerçant une activité similaire à la nôtre, leur demandant si elles disposaient d'un poste disponible correspondant à vos nouvelles aptitudes physiques.
Malheureusement, à ce jour, toutes les réponses reçues sont négatives.
Nous avons alors associé les représentants du personnel à la présente procédure, qui ont été régulièrement consultés dans le cadre d'une réunion exceptionnelle tenue le 2 juillet 2018.
Ces derniers ont conclu à l'absence de solutions possibles de reclassement dans l'entreprise et ont jugé de la loyauté de nos recherches diligentées en externe. Ils ont ainsi rendu un avis favorable à ce que nous vous transmettions un constat d'impossibilité de reclassement, lequel vous a été envoyé par courrier recommandé du 3 juillet dernier.
Ce constat n'a appelé aucune observation ni réserve de votre part.
Par conséquent, au regard du constat opéré et de l'impossibilité manifeste de parvenir à votre reclassement effectif malgré les démarches entreprises, nous n'avons d'autre solution que de procéder par la présente à votre licenciement pour inaptitude et impossibilité de procéder à votre reclassement, prenant effet immédiat.
Nous vous rappelons que conformément aux dispositions légales et réglementaires, vous disposez d'un délai de quinze jours à compter de la notification de ce licenciement, pour former une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre.
Nous disposerons en pareil cas d'un délai de quinze jours pour y répondre.
Nous avons également la possibilité, le cas échéant et dans les mêmes formes, de prendre l'initiative d'apporter des précisions à ces motifs dans un délai de quinze jours suivant la notification de votre licenciement.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur, nos salutation distinguées.'
Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, que le licenciement de M. [I] [J] a été prononcé pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement.
M. [I] [J] soutient que son licenciement est abusif au motif que son employeur a manqué à son obligation de sécurité à son égard en ne respectant pas les recommandations du médecin du travail et qu'il doit être qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il résulte des éléments précédemment développés relativement à l'obligation de sécurité qu'aucun manquement de l'employeur n'est démontré à ce titre. Ainsi, le licenciement pour inaptitude est fondé et M. [I] [J] sera débouté de ses demandes indemnitaires présentées au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
S'agissant de la qualification de l'inaptitude comme étant d'origine professionnelle, il ressort de la lettre de licenciement qui fixe les termes du litige que la S.A.R.L. Transports Rocanière a qualifié l'inaptitude comme étant d'origine professionnelle.
Elle ne peut dès lors solliciter de la cour une disqualification de celle-ci en inaptitude d'origine non professionnelle et sera déboutée des demandes présentées en ce sens, et des demandes indemnitaires subséquentes.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort ;
Infirme le jugement rendu le 27 février 2020 par le conseil de prud'hommes d'Alès, sauf en ce qu'il a :
- débouté la SARL Transports Rocanière de ses demandes de communication des écritures avant-dire droit devant la juridiction pénale et le tribunal de l'incapacité,
- dit que l'inaptitude était professionnelle et par conséquent,
- débouté la S.A.R.L. Transports Rocanière de sa demande de remboursement de l'indemnité de licenciement spécifique ;
- débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes, fins et conclusions,
Et statuant à nouveau sur les éléments infirmés,
Déboute la S.A.R.L. Transports Rocanière de sa demande tendant à voir juger l'inaptitude de M. [I] [J] comme étant d'origine non professionnelle, et de ses demandes indemnitaires subséquentes,
Juge que la S.A.R.L. Transports Rocanière n'a pas manqué à son obligation de sécurité et que le licenciement n'est pas sans cause réelle et sérieuse,
Déboute M. [I] [J] de ses demandes indemnitaires,
Juge n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les demandes plus amples ou contraires,
Condamne M. [I] [J] aux dépens de la procédure d'appel.
Arrêt signé par le président et par la greffiere.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,