RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/01903 - N° Portalis DBVH-V-B7G-IOSN
CC
TRIBUNAL DE COMMERCE D'AVIGNON
13 mai 2022
RG:2020008917
S.A.S.U. JDK
C/
SA SOCIETE ANONYME DE DEFENSE ETD'ASSURANCE (SADA)
Grosses envoyées le 07 décembre 2022 à :
- Me PRUDHOMME
- Me PERICCHI
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
4ème chambre commerciale
ARRÊT DU 07 DECEMBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce d'AVIGNON en date du 13 Mai 2022, N°2020008917
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,
Madame Claire OUGIER, Conseillère,
Madame Agnès VAREILLES, Conseillère.
GREFFIER :
Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 17 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 07 Décembre 2022.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
S.A.S.U. JDK, Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle au capital de 1 000€ immatriculée auprès du Registre du Commerce et des Sociétés d'AVIGNON sous le numéro 818 846 941, agissant en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Stéphanie PRUDHOMME de la SELARL STEPHANIE PRUDHOMME AVOCAT CONSEIL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d'AVIGNON
INTIMÉE :
SA SOCIETE ANONYME DE DEFENSE ETD'ASSURANCE (SADA) Société Anonyme à Directoire et conseil de surveillance, au capital de 32.388.700,00 € immatriculée au RCS de NIMES sous le numéro B 580 201 127, représentée par son Président du Directoire domicilié en cette qualité au siège social sis,
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me CUSIN ROLLET Florence, substituant Me Alain DUFLOT de la SELARL DUFLOT & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de LYON
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 07 Décembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 2 juin 2022 à l'encontre du jugement prononcé le 13 mai 2022 par le tribunal de commerce d'Avignon dans l'instance n°2020008917.
Vu l'avis du 14 juin 2022 de fixation de l'affaire à bref délai à l'audience du 17 novembre 2022,
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 20 octobre 2022 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé.
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 7 novembre 2022 par la Société anonyme de défense d'assurance, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé.
Vu l'ordonnance du 14 juin 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 10 novembre 2022.
* * *
Le 22 février 2016, la Société JDK (assurée) a souscrit un contrat d'assurance multirisque professionnelle auprès de la Société anonyme de défense et d'assurance (compagnie d'assurance) comportant une garantie de pertes d'exploitation, notamment en cas de fermeture administrative.
Par arrêté du 14 mars 2020, 'portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus COVID-19" et suivant décret du même jour, les restaurants et débits de boissons ont eu l'interdiction d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 14 avril 2020. La période d'interdiction s'est poursuivie par décrets jusqu'au 1er juin 2020.
L'assurée, qui exerce une activité de restauration traditionnelle, a présenté une demande d'indemnisation à la compagnie d'assurance le 25 mars 2020 au titre de la garantie perte d'exploitation.
Par courrier du 8 avril 2020, la compagnie d'assurance a refusé la prise en charge de l'indemnisation aux motifs qu'elle ne pouvait que confirmer sa position de non garantie, la raison sanitaire étant indépendante de son local professionnel.
Par courriel du 29 mai 2020, l'assurée a demandé à son assurance de justifier sa décision.
Par courrier du 3 juin 2020, la compagnie d'assurance a répondu qu'elle maintenait que l'origine de la fermeture devait avoir un lien avec le local et que, d'une manière générale, judiciaire et écologique, un événement de type épidémie Covid-19 dépassait le périmètre d'intervention du contrat qui n'avait pas vocation à s'appliquer face à un risque de cette ampleur forcément non mutualisé. Elle a ajouté que la décision du gouvernement de fermeture d'entreprises, de restaurants et de commerces rendait le risque systémique et ne présentait plus d'aléa, qui, pour la compagnie, est l'essence même d'un contrat d'assurance.
Par exploit du 28 septembre 2020, la société JDK a fait assigner la Société anonyme de défense et d'assurance en condamnation à lui payer la somme de 97 500 euros au titre d'une perte d'exploitation et la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile devant le tribunal de commerce d'Avignon.
Par jugement du 13 mai 2022, le tribunal de commerce d'Avignon a :
-Débouté la société JDK de toutes ses demandes,
-Laissé à la société JDK la charge des dépens, dont ceux de greffe, liquidés à la somme de 73,22 euros TTC.
La société JDK a relevé appel de ce jugement pour voir réformer en toutes ses dispositions.
***
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'appelante demande à la cour de :
Vu les dispositions générales et particulières du contrat Sada Optima Pro n°1C0012366,
-Réformer le jugement en toutes ses dispositions ;
-Dire et juger que la garantie perte d'exploitation après fermeture administrative est acquise ;
-Condamner la société SADA Assurances à payer à titre d'indemnité :
64 337 euros correspondant à la perte de marge brute du 1 avril 2020 au 31 juillet 2020,
97 500 euros, correspondant au plafond de garantie au titre de la perte de marge brute du 1 novembre 2020 au 31 mai 2021.
Au besoin,
-Ordonner une mesure d'expertise judiciaire et nommer tel expert qu'il plaira à la cour afin de déterminer le quantum des pertes d'exploitation subies durant la période pendant laquelle est constatée la baisse du chiffre d'affaires et débutant après un délai de carence de trois jours, aux frais avancés de la société SADA ;
-Condamner la société SADA Assurances au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Condamner la même aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, l'assurée expose que :
-la garantie mobilisée est une garantie autonome en ce que les conditions particulière prévoient deux garanties complémentaires et autonomes de perte d'exploitation à la suite de difficultés d'accès et de perte d'exploitation après fermeture administrative, étant précisé que la « perte d'exploitation après fermeture administrative » est conditionnée à « une fermeture administrative de votre activité (arrêté de péril ou raison
sanitaire) située dans vos locaux professionnels ».
-les conditions de la garantie sont remplies
' La perte d'exploitation
Après avoir relevé que la garantie couvrait effectivement le dommage perte d'exploitation, le tribunal a considéré « qu'avant de se poser la question de savoir s'il y a eu réduction ou interruption d'activité consécutive à une fermeture administrative, il faut vérifier si la société JDK a subi le dommage perte d'exploitation », relevé un résultat d'exploitation bénéficiaire et débouté l'assurée de ses demandes. Il a ainsi ajouté une condition au contrat, à savoir la réalisation d'un résultat d'exploitation négatif alors que l'objet de la garantie porte sur une perte d'exploitation caractérisée non par un résultat d'exploitation négatif, mais par la perte de marge brute.
' La fermeture administrative
Le contrat ne définit pas la notion de fermeture administrative. Il prévoit comme cause de fermeture administrative « l'arrêté de péril ou la raison sanitaire ». Il est dès lors permis de considérer que la fermeture administrative recouvre toute fermeture
décidée par une autorité compétente et que l'interdiction faite aux restaurateurs de recevoir du public, décidée par le pouvoir réglementaire, constitue une fermeture administrative de ces établissements et que cette interdiction est exclusivement motivée par l'existence d'une épidémie sur le territoire national, le COVID 19.
Le contrat n'exclut pas le risque épidémique ou pandémique.
Le contrat n'exclut pas non plus le risque sanitaire lorsqu'un autre établissement fait l'objet, sur le territoire national, d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique.
Et il est légitimement permis de considérer que l'intention des parties était de garantir la perte d'exploitation consécutive à une décision de fermeture s'imposant à l'établissement, causée par une raison sanitaire quelle qu'elle soit, le contrat n'excluant pas ce risque lorsqu'il concerne d'autres établissements que celui de l'assurée.
Ainsi le raisonnement de la société SADA selon lequel une fermeture administrative ne pourrait intervenir qu'en raison d'une décision individuelle, mise en 'uvre à l'issue d'une procédure spécifique n'est que le fruit de l'interprétation des clauses d'un contrat dont elle est le rédacteur unique.
Ce raisonnement est d'ailleurs contraire à celui de la justice administrative qui considère que les interdictions administratives de recevoir du public dans certaines salles constituent bien des fermetures administratives. Enfin, même si l'objet social de la société JDK autorise la vente à emporter, cette activité, tout comme l'activité de livraison, n'a jamais été exercée par la concluante et ce, depuis sa constitution. Son activité est celle de la restauration traditionnelle.
En toute hypothèse, si la Cour devait estimer que les mesures gouvernementales ne stipulent textuellement aucune fermeture des établissements, il lui appartient d'interpréter le contrat et l'arrêté du 14 mars 2020 et celui du 29 octobre 2021 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 pour dire et juger si le fait de ne plus recevoir du public équivaut ou non à une fermeture administrative. Cette interprétation relève en effet du pouvoir souverain des juges du fond, sans qu'il ne soit besoin de saisir la juridiction administrative d'une question préjudicielle.
' L'atteinte aux locaux n'est pas spécifiquement visé
Le contrat ainsi libellé, « La fermeture administrative de votre activité située dans vos locaux professionnels » suppose que la décision administrative s'applique à l'activité exercée par l'assurée dans ses locaux. Tel est le cas en l'espèce.
La clause ne dit rien de plus.
Et cette clause, pour éviter toute dénaturation, doit être interprétée à la lumière de la clause relative à la garantie perte d'exploitation pour impossibilité d'accès, visée dans les conditions particulières, au paragraphe précédent celui de la garantie perte d'exploitation après fermeture administrative. Il n'y a dans cette garantie perte d'exploitation pour impossibilité d'accès, aucun lien avec un dégât matériel causé aux locaux, pas plus qu'il n'est précisé à la clause garantie perte d'exploitation après décision administrative que la décision administrative doit être propre aux locaux.
Dès lors, les dispositions contractuelles formant la loi des parties et devant s'interpréter strictement, il y a lieu de dire et juger que la garantie perte d'exploitation consécutive à la fermeture administrative est acquise au bénéfice de la Société JDK.
' Le risque est assurable
L'article 1169 du Code Civil prévoit qu' « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire ».
Or, précisément, lors de la formation du contrat, il y avait bien un aléa, car le risque prévu au contrat, en l'occurrence celui d'une fermeture administrative pour raison sanitaire, n'était pas encore réalisé.
Ce risque est intervenu durant la durée d'exécution du contrat, au cours duquel la pandémie et les mesures permettant d'assurer un confinement général de la population ont eu lieu. Dès lors, c'est bel et bien « la vocation » du contrat d'assurance que de couvrir ce risque, faute de quoi ce contrat ne présenterait aucune contre partie pour l'assuré.
Ainsi, faute pour l'assureur d'avoir conventionnellement exclu le risque pandémique, s'il estimait que ce risque n'était pas assurable, la société SADA sera tenue à garantie.
- Sur le paiement de l'indemnité prévue au contrat.
Le contrat prévoit un plafond de garantie de 97 500 € correspondant à 18 mois d'indemnisation sur la base d'un chiffre d'affaires de 150 000 €.
La société JDK a produit son bilan clos au 31.12.2019 et y ajoute celui portant sur les comptes clos au 31.12.2020.
De même, le calcul de la perte de marge brute est produit et se vérifie par la lecture des soldes intermédiaires de gestion.
En l'espèce, la comparaison entre le chiffre d'affaires réalisé du 1 er avril au 31 juillet 2019 et du 1 er avril 2020 au 31 juillet 2020 démontre que le chiffre d'affaires a diminué de deux tiers de sorte que la perte d'exploitation est établie.
En outre, la perte de marge brute pour les deux périodes sinistrées est établie.
Il en résulte une perte de marge brute de 64 337 € pour la période allant du 01.04.2020 au 31.07.2020 et de 121 704 € pour la période allant du 01.11.2020 au 31.05.2021.
Ces données sont corroborées par le bilan clos au 31.12.2020. La société JDK produit également les aides perçues par la société JDK en 2020 et 2021.
Le plafond de garantie, contractuellement fixé à 97 500 € sur une période de 18 mois, sans franchise, étant atteint s'agissant de la seconde période, il conviendra de condamner la société SADA ASSURANCES à payer à la société JDK une indemnité égale à 64 337 € au titre de la perte de marge brute du 01.04.2020 au 31.07.2020 et la somme de 97 500 euros, correspondant au plafond de garantie au titre de la perte de marge brute du 01.11.2020 au 31.05.2021.
Si la Cour ne s'estimait pas suffisamment éclairée sur le calcul de la perte de marge brute sur les deux périodes sinistrées, il conviendrait d'ordonner une mesure d'expertise judiciaire et désigner tel expert qu'il plaira à la Cour, aux frais avancés de la société SADA dont l'obligation à garantie est acquise.
***
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'intimée demande à la cour de :
Vu l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme,
Vu les dispositions des articles 15, 16, 49 du code de procédure civile,
Vu les dispositions des articles 1188, 1190, 1192, 1315, 1343-2 du code civil, L 113-5, L 113-9 du code des assurances,
Vu les dispositions de l'article L 3131-15 § 5 du code de la santé publique,
Vu le contrat d'assurance,
Vu le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Avignon le 13 mai 2022, dont appel,
Vu l'appel formé par la société JDK,
A titre principal,
En l'absence de « fermeture administrative »,
Compte-tenu de l'absence de « fermeture administrative » spécifique au local de l'assuré,
En raison de la dénaturation du contrat d'assurance et de son objet et de l'existence d'un préjudice anormal et spécial,
En raison de la non-application des garanties,
En raison de l'absence de preuve d'un préjudice garanti,
-Rejeter l'appel formé contre le jugement susvisé,
-Confirmer le jugement susvisé.
A titre subsidiaire,
-Avant dire droit, accueillir la question préjudicielle formée par la concluante en ce qui concerne la qualification de fermeture administrative attribuée à l'interdiction de recevoir du public et saisir la juridiction administrative compétente à ce titre, en l'occurrence le Conseil d'État,
A titre très subsidiaire, sur le quantum,
En l'absence de justification des demandes par des éléments probants ;
Vu l'attestation privée de l'expert-comptable et son caractère non-contradictoire,
-Rejeter les demandes de la société JDK,
A titre infiniment subsidiaire,
-Limiter la demande de condamnation à la seule marge brute, non justifiée à ce jour, sous déduction du délai de carence de trois jours, de la franchise égale à 0,3 fois l'indice FFB dans la limite du plafond de garantie prévu par la police, à savoir 97 500 euros s'agissant du même sinistre,
En tout état de cause,
-Condamner la société JDK à payer à la concluante la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Condamner la société JDK aux dépens de première instance et d'appel.
L'intimée réplique que :
les conditions générales du contrat prévoient une garantie perte d'exploitation s'il y a fermeture administrative au sens de la jurisprudence administrative, c'est-à-dire par décision individuelle de fermeture. Or, en l'espèce, il n'y a eu qu'une interdiction d'accueil du public ; le contrat étant clair en ce qu'il se réfère à une fermeture administrative, il n'est pas susceptible d'interprétation par l'assimilation d'une interdiction d'accueil à une fermeture administrative, d'autant que la société JDK comprend dans son objet social la vente à emporter; à supposer qu'il soit nécessaire de l'interpréter, la commune intention des parties au sens de l'article 1188 du code civil doit s'apprécier au jour de la conclusion du contrat et elle s'entend comme la décision d'une autorité administrative de fermer un établissement pour non respect de certaines réglementations et législations ciblées au moment du contrat étant entendu que personne ne songeait alors au Covid 19 ;
-si la cour considère que l'expression « interdiction d'accueillir du public » constitue un synonyme de « fermeture administrative », elle doit saisir la juridiction administrative de cette question préjudicielle,
-l'extension de garantie en cas de fermeture administrative est due consécutivement à un dommage matériel et en cas « de fermeture administrative de votre activité (arrêté de péril ou situation sanitaire) située dans vos locaux professionnels », ce qui signifie que la fermeture administrative doit être décidée en raison du motif propre à l'établissement concerné et il ne peut s'agir d'un évènement extérieur,
-la cessation d'activité en raison de la pandémie constitue un préjudice anormal et spécial qui ne relève pas de la garantie individuelle de droit privé, de sorte que la police d'assurance ne peut s'appliquer,
-aucun élément contradictoire et probant ne justifie les indemnisations demandées alors que les assurées ont bénéficié d'aides d'Etat ou des dispositions relatives au chômage partiel,
-la preuve de la perte d'exploitation n'est pas contradictoirement rapportée,
- il existe une limite de garantie fixée à 97500 euros et une franchise égale à 0,3 fois l'indice FFB, outre un délai de carence de 3 jours.
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
La société Sada soutient, et ce n'est pas contesté par l'appelante, que l'activité de cette dernière a été déclarée au registre du commerce et des sociétés est : « activité principale : l'acquisition et l'exploitation de tous fonds de commerce de restaurant, brasserie et vente à emporter ».
La société JDK soutient n'avoir jamais exercé l'activité de vente à emporter, ce qui n'est pas discuté par la partie adverse qui critique seulement le fait que l'assurée n'ait pas voulu « se lancer » dans la vente à emporter ou à distance, en contradiction avec son objet social.
Il convient de rappeler que ce n'est pas l'activité déclarée au registre du commerce qu'il convient de prendre en compte, mais l'activité réelle du commerçant.
La société JDK exerce donc une activité de restauration traditionnelle, ce qui est corroboré par les termes des conditions particulières du contrat d'assurance multirisque professionnelle qui décrit ainsi l'activité de l'assuré : « activité principale : café restaurant traditionnel, brasserie (tolérance 35% CA pour pizzeria et crêperie ' sans chambre d'hôtel. Tolérance en cigare de 1500 euros en prix d'achat) ».
Les conditions générales de la police d'assurance Sada Optima Pro prévoient une indemnisation des pertes d'exploitation et frais supplémentaires consécutives à un dommage matériel.
Les mêmes conditions générales indiquent que le contrat a pour objet de garantir l'assuré contre les évènements définis par les conditions spéciales, intercalaires et annexes ci-joints dans la mesure où ceux-ci sont définis aux conditions particulières.
Les conventions spéciales portent en titre 1 sur l'assurance du patrimoine de l'entreprise, en titre II sur l'assurance des pertes financières dont les pertes d'exploitation et frais supplémentaires, en titre III sur l'assurance des responsabilités, en titre IV la défense de vos intérêts, en titre V le décès invalidité, en titre VI l'assistance des activités professionnelles, en titre VII les définitions, en titre VIII les clauses spéciales.
Le titre II fait là encore explicitement référence, en ce qui concerne les pertes d'exploitation, à une garantie « en cas d'interruption ou de réduction d'activité de votre entreprise consécutive à un dommage matériel' »
Les conditions particulières stipulent deux extensions de garantie :
La perte d'exploitation suite à difficultés d'accès,
La perte d'exploitation après fermeture administrative.
Dans ces deux cas, il n'est pas spécifié que les garanties sont dues consécutivement à un dommage matériel.
L'article 1119 du code civil dispose : « 'en cas de discordance entre les conditions générales et les conditions particulières, les secondes l'emportent sur les premières ».
Dès lors et contrairement à ce que soutient l'assureur (page 25 de ses conclusions) la garantie perte d'exploitation n'a pas vocation à s'appliquer uniquement lorsque le bien a subi un dommage matériel, les conditions particulières ne faisant aucunement référence à la nécessité d'un dommage matériel préexistant. L'évènement garanti est la fermeture administrative elle-même.
L'extension de la garantie perte d'exploitation est ainsi libellée dans les conditions particulières : « en cas d'interruption ou de réduction d'activité de votre entreprise consécutive à une fermeture administrative de votre activité (arrêté de péril ou raison sanitaire) située dans vos locaux professionnels. Seules sont indemnisées les pertes d'exploitation subies durant la période pendant laquelle est constatée la baisse de chiffre d'affaires et débutant après un délai de carence de 3 jours.
Cette période prend fin au jour de la reprise normale de votre activité dans les conditions les plus diligentes à dire d'expert (c'est-à-dire dès que les résultats de votre entreprise ne sont plus affectés par le sinistre, sans pouvoir excéder la durée maximale d'indemnisation perte d'exploitation. Vous serez déchus de la garantie si la fermeture administrative fait suite à un fait dont la responsabilité peut vous être imputée.
La garantie ne s'applique pas à la fermeture définitive de votre entreprise ».
L'assuré entend mobiliser la garantie compte tenu de la fermeture administrative de son restaurant pour raison sanitaire, en application de l'arrêté du 14 mars 2020 et du décret du 29 octobre 2020.
En ce qui concerne l'activité de restauration, le Ministre des Solidarités et de la Santé a signé le 14 mars 2020 un arrêté dont l'article 1 est le suivant :
« Afin de ralentir la propagation du virus covid-19, les établissements relevant des catégories mentionnées à l'article GN1 de l'arrêté du 25 juin 1980 susvisé figurant ci-après ne peuvent plus accueillir du public jusqu'au 15 avril 2020 :
(');
- au titre de la catégorie N : Restaurants et débits de boissons ;
(')
Pour l'application du présent article, les restaurants et bars d'hôtels, à l'exception du « room service », sont regardés comme relevant de la catégorie N : Restaurants et débits de boissons. L'ensemble des établissements de cette catégorie sont en outre autorisés à maintenir leurs activités de vente à emporter et de livraison. »
L'échéance du 15 avril 2020 a été ultérieurement reportée au 2 juin 2020.
L'article 40 du décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à 1'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, a dit :
« I.-Les établissements relevant des catégories mentionnées par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation figurant ci-après ne peuvent accueillir du public qu'entre 6 heures et 21 heures et dans le respect des conditions prévues au présent article :
1° Etablissements de type N : Restaurants et débits de boisson ;
(')
II.-Seules les terrasses extérieures des établissements mentionnés au I peuvent accueillir du public, dans la limite de 50 % de leur capacité d'accueil et dans les conditions suivantes :
1° Les personnes accueillies ont une place assise
2° Une même table ne peut regrouper que des personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, dans la limite de six personnes. »
La mobilisation de la garantie perte d'exploitation en cas de fermeture administrative suppose:
Une interruption ou une réduction d'activité qui résulte en l'espèce de l'interdiction d'accueil du public édictée par arrêté du 14 mars 2020 et décret du 29 octobre 2020, étant rappelé que l'assuré n'a jamais fait de vente à emporter ;
Consécutive à une fermeture administrative, (1)
De l'activité ('raison sanitaire) située dans vos locaux professionnels (2).
Aux termes de l'article L.3131-1 du code de la Santé Publique, « en cas de mesure sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriés aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ».
L'arrêté du 14 mars 2020 a été pris au visa de l'article L.3131-1 du code de la santé publique et le ministre de la santé est une autorité administrative. Le décret du 29 octobre 2020 a notamment été pris au visa de l'article L.3131-15 du code de la santé publique qui dispose : « I.-Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique :
(')
5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ».
Ce décret a été signé par l'autorité administrative compétente.
Il n'y a aucune définition de la fermeture administrative dans le contrat d'assurance. Alors que l'assureur fait valoir l'existence d'une clause claire et précise excluant toute possibilité d'interprétation, il ajoute lui-même une condition en subordonnant la fermeture administrative à « une décision individuelle » ordonnant à l'assuré de « cesser immédiatement son activité ». En effet, aucune clause du contrat n'exige une décision individuelle de fermeture.
Ensuite, il n'y a pas lieu de dissocier les notions « interdiction d'accueil du public » et de fermeture administrative. Le Conseil d'Etat, statuant en référé, ne l'a pas fait dans une décision du 8 octobre 2020 alors que l'Union des Métiers et de l'Industrie de l'Hotellerie demandait la suspension de l'exécution de l'article 40 du décret du 29 octobre 2020 en se prononçant sur « la base légale de la fermeture des bars et restaurants », « sur la nécessité et la proportionnalité de la fermeture nationale des bars et restaurants » pour rejeter la requête. Il est donc vain de renvoyer à un concept de droit public de la notion de fermeture administrative. Aucune question de légalité, de régularité ou de validité de l'arrêté du 14 mars 2020 ou du décret du 29 octobre 2020 n'étant posée, la cour n'a pas non plus à saisir le juge administratif d'une question préjudicielle.
Ainsi que le fait valoir l'assuré, l'interdiction de recevoir du public est bien une fermeture administrative totale ou partielle des restaurants, et ce malgré la possibilité hypothétique de procéder à la vente à emporter, le restaurateur proposant jusqu'alors une restauration traditionnelle à table. En effet, la vente à emporter - qui supposait pour sa mise en place de nouvelles dépenses en emballages - n'aurait pu constituer qu'une part très négligeable de l'activité du restaurateur, qui n'aurait d'ailleurs pas été assuré pour cette activité.
(2) Sur ce point, l'assureur produit deux prises de position du Médiateur de l'Assurance concernant d'autres assurés. Il est indiqué dans ces courriers que l'établissement n'a pas fait l'objet d'une fermeture administrative dictée par des motifs qui lui étaient spécifiques, pour raison sanitaire à l'intérieur des locaux, mais d'une interdiction générale de recevoir du public. Mais là aussi, l'assureur met à la charge de l'assuré une obligation qui n'est pas contractuellement stipulée 'limitation aux cas de fermeture individuelle - et la clause garantit (pour raison sanitaire) une interruption ou une réduction d'activité de l'entreprise consécutive à une fermeture administrative de l'activité située dans les locaux professionnels. Il n'est pas du tout exigé que la raison sanitaire soit interne aux locaux professionnels et il n'y a pas lieu à interpréter cette clause claire et précise.
Dès lors, le restaurateur qui ne peut plus exercer son activité de restauration traditionnelle située dans les locaux professionnels remplit la condition prévue par la clause garantie perte d'exploitation suite à fermeture administrative, sans qu'il n'y ait lieu de rechercher si cette fermeture est dictée par des motifs spécifiques ou collectifs.
De manière plus générale, l'assureur se prévaut de l'existence d'un risque non assurable par un contrat de droit privé en raison du préjudice anormal et spécial constitué par la nature systémique du risque de pandémie qui compromet la couverture des pertes d'exploitation et plus généralement la technique de l'assurance qui procède par mutualisation des risques suivant la loi des probabilités.
L'assureur ne vise aucun texte au soutien de son argumentation.
L'assuré répond au visa de l'article 1169 du code civil, mais l'assureur ne fait pas état de cet article dans le dispositif de ses écritures et ne conclut pas à la nullité du contrat.
Aucune disposition légale ne fait état du risque inassurable d'une conséquence d'une pandémie, alors que des pandémies diverses ont touché la population humaine de tout temps. Il appartenait par conséquent à l'assureur d'exclure conventionnellement ce risque, ce qu'il s'est abstenu de faire.
Il résulte de ce qui précède que l'assureur est tenu à garantie.
***
L'assuré demande réparation de sa perte de marge brute à hauteur des sommes suivantes :
64 337 euros correspondant à la perte de marge brute du 1 avril 2020 au 31 juillet 2020,
97 500 euros, correspondant au plafond de garantie au titre de la perte de marge brute du 1 novembre 2020 au 31 mai 2021.
La marge brute est définie dans le contrat d'assurance comme étant les « frais généraux permanents augmentés du bénéfice d'exploitation, compte tenu des profits et pertes exceptionnels ; si le solde du compte d'exploitation est une perte, celle-ci viendra en déduction des frais généraux permanents ».
Il ressort de cette définition même qu'il n'est pas exigé une perte d'exploitation pour obtenir réparation de son préjudice, de sorte que le jugement déféré qui a retenu l'absence de perte d'exploitation pour débouter l'assuré de sa demande d'indemnisation, doit être infirmé.
Si l'assuré produit deux attestations de son expert-comptable concernant le chiffre d'affaires et les documents comptables des exercices 2018 et 2020 ainsi que le montant des aides perçues, il se livre à un calcul de la marge brute (sa pièce 10) qui n'est pas conforme à la définition de la police. Il se base en effet exclusivement sur le résultat d'exploitation et la dotation aux amortissements pour calculer sa marge brute perdue.
L'assuré démontre une chute du chiffre d'affaires fortement diminué en 2020 et une perte de marge brute selon des modalités de calcul qui lui sont propres, de sorte que l'assureur n'est pas fondé à invoquer l'absence de preuve d'un préjudice garanti.
Mais il est nécessaire d'ordonner une mesure d'expertise judiciaire aux frais avancés de l'assureur qui est tenu à garantie, selon les modalités prévues au dispositif.
***
L'assureur, qui succombe, devra supporter les dépens de première instance, d'appel et payer à l'assuré une somme équitablement arbitrée à 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande de question préjudicielle,
Et statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées,
Dit que la garantie d'exploitation après fermeture administrative est acquise,
Avant-dire-droit,
Ordonne une mesure d'expertise confiée à Mme [H] [B], [Adresse 3] à [Localité 6], rel : [XXXXXXXX01] , mel : [Courriel 7] avec pour mission de :
' Se faire communiquer tous documents et pièces qu'elle estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'expert-comptable de l'appelante, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois années 2018, 2019, 2020 et 2021;
' Entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations ;
-donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption de l'activité, de la marge brute telle que définie par la police d'assurance ;
' déterminer les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur une première période du 15 mars 2020 au 2 juin 2020, puis une seconde période débutant le 29 octobre 2020, dans les limites contractuelles (délai de carence de 3 jours, franchise et plafond de garantie)
' Donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, de la marge brute telle que définie par la police d'assurance
' Donner son avis sur le montant des aides/subventions d'État perçues par l'assurée et leur influence sur la perte de marge brute telle que contractuellement définie.
Dit que la société SADA devra consigner par chèque libellé à l'ordre du régisseur des avances et des recettes de la cour d'appel de Nîmes dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision la somme de 4.000 euros afin de garantir le paiement des frais et des honoraires d'expert,
Dit qu'à défaut de consignation selon les modalités fixées, la désignation de l'expert sera caduque à moins que le magistrat chargé du contrôle de l'expertise, à la demande d'une partie se prévalant d'un motif légitime, ne décide d'une prorogation du délai ou du relevé de forclusion,
Dit que s'il estime insuffisante la provision fixée, l'expert devra, lors de la première convocation ou au plus tard lors de la deuxième, dresser un programme de ses investigations et évaluer de manière aussi précise que possible le montant de ses honoraires et débours,
Dit que l'expert devra déposer son rapport au greffe de la cour dans le délai de quatre mois à compter du versement de la consignation à moins qu'il ne refuse la mission,
Désigne le président de la chambre en qualité de magistrat chargé du contrôle des expertises, ou tout magistrat délégué par lui,
Dit que l'expert devra accomplir sa mission en présence des parties ou celles-ci dûment convoquées, les entendre en leurs observations et répondre à leurs dires,
Dit que l'expert devra déposer son pré-rapport au résultat de ses investigations et recueillera les avis des parties sous forme de dires auxquels l'expert doit répondre dans son rapport d'expertise,
Dit qu'en application des dispositions de l'article 173 du code de procédure civile, l'expert devra remettre une copie de son rapport à chacune des parties, ou à leurs représentants, en mentionnant cette remise sur l'original,
Dit que si les parties viennent à se concilier, elles peuvent demander au magistrat chargé du contrôle de l'expertise de donner force exécutoire à leur accord,
Dit qu'il sera pourvu au remplacement de l'expert dans les cas, conditions et formes des articles 234 et 235 du code de procédure civile,
Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du 2 février 2023 à 9 :30 pour vérifier le versement de la consignation, et prendre toutes mesures utiles du fait de ce versement ou non versement
Dit que la société SADA supportera les dépens de première instance et d'appel et payera à la société JDK une somme de 2 500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Christine CODOL, Présidente de chambre, et par Mr Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE