RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/01721 - N° Portalis DBVH-V-B7G-IOCI
CO
TRIBUNAL DE COMMERCE D'AVIGNON
04 mai 2022
RG:2021003077
[E]
C/
S.E.L.A.R.L. ETUDE BALINCOURT C [D]
Grosses envoyées le 07 décembre 2022 à :
- Me Catherine JAOUEN
- Me Jean-marie CHABAUD
+ MP
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
4ème chambre commerciale
ARRÊT DU 07 DECEMBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce d'AVIGNON en date du 04 Mai 2022, N°2021003077
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,
Madame Claire OUGIER, Conseillère,
Madame Agnès VAREILLES, Conseillère.
GREFFIER :
Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiqué et qui a conclu le 13 octobre 2022. Absent à l'audience.
DÉBATS :
A l'audience publique du 17 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 07 Décembre 2022.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [I] [E]
né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 6]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Me Catherine JAOUEN de la SELARL JAOUEN-HUC, Plaidant/Postulant, avocat au barreau d'AVIGNON
INTIMÉE :
S.E.L.A.R.L. ETUDE BALINCOURT, Etude de Mandataire Judiciaire immatriculée au RCS de NIMES sous le n° 824 797 286, représenté par Maître [T] [D], agissant es qualités de liquidateur judiciaire de la SAS ADEOSOL, suivant jugement du Tribunal de Commerce d'AVIGNON en date du 4 avril 2018,
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me DOUCENDE Nicolas, substituant Me Jean-marie CHABAUD de la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 07 Décembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Vu l'appel interjeté le 19 mai 2022 par Monsieur [I] [E] à l'encontre du jugement prononcé le 4 mai 2022 par le tribunal de commerce d'Avignon dans l'instance n°2021003077 ;
Vu l'avis de fixation de l'affaire à bref délai du 14 juin 2022 ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 10 novembre 2022 par l'appelant et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 9 novembre 2022 par la SELARL Etude Balincourt, agissant ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Adeosol, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les conclusions du ministère public du 13 octobre 2022, notifiées aux parties le 14 octobre 2022 ;
Vu l'ordonnance en date du 14 juin 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 10 novembre 2022 ;
***
La SAS Adeosol qui a pour activité les travaux de construction, a pour associés Monsieur [I] [E] -qui en est également le président, la cousine de celui-ci Madame [U], et un tiers, Monsieur [L]
Le 27 mars 2018, Monsieur [I] [E] a déclaré la cessation des paiements de la SAS Adeosol et sollicité l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à son bénéfice.
Par jugement du 4 avril 2018, le tribunal de commerce d'Avignon a prononcé la liquidation judiciaire de la société Adeosol, a fixé la date de cessation des paiements au 28 février 2018 et a désigné la SELARL Etude Balincourt en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte du 25 mars 2021, l'Etude Balincourt a fait assigner Monsieur [I] [E] devant le tribunal de commerce d'Avignon en comblement de l'insuffisance d'actif de la SAS Adeosol et aux fins de prononcé à son encontre d'une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale.
Par jugement du 4 mai 2022, le tribunal de commerce d'Avignon a, au visa des articles L651-2, L653-5 et L653-8 du code de commerce, :
condamné Monsieur [I] [E] au comblement intégral de l'insuffisance d'actif de la société Adeosol,
condamné Monsieur [I] [E] à payer à la SELARL Etude Balincourt ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Adeosol, une somme provisionnelle de 70.000 euros à ce titre,
prononcé l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute personne morale à l'encontre de Monsieur [I] [E],
fixé la durée de cette mesure à cinq ans à compter de la signification du jugement,
condamné Monsieur [I] [E] à payer à la SELARL Etude Balincourt ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Adeosol une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
ordonné l'exécution provisoire du jugement,
dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
Le 19 mai 2022, Monsieur [I] [E] a interjeté appel de cette décision aux fins de la voir réformer en toutes ses dispositions.
***
Dans ses dernières conclusions, l'appelant demande à la Cour de :
au vu de l'article 803 alinea 3 du code de procédure civile,
ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture,
au vu des articles L641-9 et suivants du code de commerce,
infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Avignon,
débouter l'Etude Balincourt de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
subsidiairement, et s'il n'était pas fait droit à la prétention principale,
dire et juger que l'interdiction de gérer ne sera cantonnée qu'à une interdiction de gérer une société dotée de la personnalité morale à l'exception du statut de l'auto-entreprise,
au vu de l'article 775-1 du code de procédure pénale,
dire et juger que la condamnation à intervenir ne sera pas mentionnée au bulletin numéro 2 du casier judiciaire de Monsieur [I] [E],
dans tous les cas,
condamner l'Etude Balincourt au paiement d'une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Au soutien de ses prétentions, l'appelant fait valoir que, si, à la création de la société, l'exercice comptable était clôturé au 31 décembre, cette clôture a été décalée au 30 juin en raison des difficultés rencontrées ensuite par la société. Dès lors, la comptabilité remise au liquidateur lors de la déclaration de cessation de paiements en février 2018 ne pouvait qu'être incomplète. Aucune faute de gestion ne peut être retenue à l'encontre du dirigeant à cet égard alors qu'il est venu au rendez-vous convenu avec le liquidateur accompagné de l'expert comptable, qu 'une partie du Grand livre lui a alors été remis, les autres éléments de comptabilité l'étant ensuite, et que toutes les demandes de communication de pièces formulées par le liquidateur ont été satisfaites.
Le non-paiement des charges sociales à échéance n'est pas davantage délibéré mais procède d'une simple négligence, l'appelant ayant été débordé suite au départ impromptu de Monsieur [L] qui était directeur général, en mai 2017, puis tombé en dépression, mais s'étant néanmoins soucié de respecter l'échéancier fixé par l'organisme social.
Enfin, il ne peut lui être utilement reproché d'avoir perçu 18.168,04 euros de salaire de juillet 2017 à février 2018 alors qu'il n'avait bénéficié d'aucun revenu depuis décembre 2016 et qu'il n'est pas démontré qu'une telle rémunération était alors abusive au regard de la situation de la société.
Les paiements effectués ne procèdent en outre d'aucune intention malicieuse mais seulement d'une inexpérience, l'appelant étant caution solidaire non seulement des deux prêts remboursés par anticipation mais encore de bien d'autres.
S'agissant du décompte actualisé présenté par le mandataire judiciaire, sur les 52.146,77 euros réclamés, doit être déduite la somme de 40.381,44 euros que l'appelant, comme Monsieur [L] ont d'ores et déjà été condamnés à payer.
A titre subsidiaire, l'appelant demande à être dispensé de la mention à son casier judiciaire de la condamnation à intervenir pour pouvoir continuer à exercer une activité dans la sécurité afin de nourrir sa famille, ainsi qu'à voir exclure de l'interdiction de gérer, l'exercice d'une activité en auto-entreprise puisqu'il souhaiterait exercer une activité d'apporteur d'affaires sous ce régime.
***
Dans ses dernières conclusions, l'intimée demande à la cour, au visa des articles L651-2, L653-1, L653-4, L653-5, L653-8 du code de commerce, de :
rabattre l'ordonnance de clôture afin de recevoir les éléments d'actualisation du passif, de l'insuffisance d'actif, et des demandes subséquentes,
confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 4 mai 2022 dont appel, en ce qu'il a condamné Monsieur [I] [E] au comblement intégral de l'insuffisance d'actif de la SAS Adeosol,
statuer à nouveau pour arrêter le montant définitif de ladite insuffisance d'actif en cause d'appel à une somme de 52.146,77 euros au regard des évolutions intervenues au cours de l'instance, et condamner Monsieur [I] [E] au paiement de ladite somme à la SELARL Etude Balincourt ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Adeosol,
confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 4 mai 2022 dont appel, en ce qu'il a condamné Monsieur [I] [E] à une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci,
confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Avignon dont appel, en ce qu'il a condamné Monsieur [I] [E] à payer à la SELARL Etude Balincourt ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Adeosol, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
y ajouter sur ce même fondement sa condamnation à une somme de 3.000 euros en cause d'appel,
rejeter toute demande, fin, moyen, prétention plus amples ou contraires,
condamner Monsieur [I] [E] au paiement des entiers dépens.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que trois fautes de gestion peuvent être reprochées à l'appelant en sa qualité de président de la société :
la poursuite d'une activité financée par un non-paiement abusif des dettes sociales,
les paiements préférentiels effectués en sa faveur et en faveur de certains autres créanciers qui ont appauvri la société,
l'absence de tenue d'une comptabilité postérieure au 30 juin 2017.
Ainsi, à compter d'octobre 2017, les charges sociales dûes à l'URSSAF et à la Caisse Pro-BTP n'ont pas été acquittées et se sont accumulées ensuite, contribuant de ce fait à l'insuffisance d'actif finale, ce qui ne peut résulter d'un simple oubli, tenant les mises en demeures délivrées par ces organismes.
En outre, si les associés ont par principe droit à tout moment au remboursement de leur compte courant, c'est à la condition que ce paiement préférentiel ne se fasse pas au détriment des autres créanciers de la société. De même, la rémunération du dirigeant doit être proportionnée aux résultats dégagés par la société. Or en l'espèce, les comptes courants du président comme celui de sa cousine également associée ont été remboursés tandis que le troisième associé s'est vu opposer un refus de règlement du solde alors qu'il avait renoncé pour partie au paiement de son compte courant le 15 mars 2015 au vu des résultats de l'entreprise. Le président de la société a perçu plus de 37.000 euros après le 30 juin 2017, et la banque SMC a bénéficié du règlement anticipé de deux prêts dont le président s'était porté personnellement caution solidaire. Tous ces agissements ont appauvri la société et l'ont privé de la possibilité de s'acquitter des charges courantes.
Enfin, le défaut de tenue de comptabilité postérieurement au 30 juin 2017 a privé le dirigeant du moyen de percevoir l'évolution réelle de la situaiton financière de l'entreprise et les quelques éléments transmis a postériori dans le cadre de la liquidtion judiciaire étaient incomplets.
Par ailleurs, en cours d'instance d'appel, le passif et l'actif de la société ont pu être fixés, de sorte que l'insuffisance d'actif est certaine et peut être évaluée à 52.146,77 euros.
Le passif définitif déposé le 5 mai 2022 s'élève à 69.685,83 euros dont 53.824,05 euros de créances admises sans contestation, 13.000 euros de créance de Monsieur [L] et 2.861,78 euros de créance Pro-BTP.
A l'actif initial de 1.968,30 euros s'est ajoutée une somme de 15.570,76 euros recouvrée le 10 mai 2022 par décision du tribunal de commerce d'Avignon du 8 décembre 2021 sur la nullité de paiements effectués en période suspecte.
Enfin, ces fautes justifient non seulement que l'appelant soit condamné au comblement intégral du passif de la société, mais encore qu'il fasse l'objet d'une sanction professionnelle pour avoir négligé les intérêts sociaux au profit des siens propres.
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L'affaire a été communiquée au ministère public qui conclut, au visa des articles L651-2, L653-3 à L653-6 et L653-8 du code de commerce, 'à la confirmation par la Cour de la décision entreprise au vu des motifs pertinents des premiers juges constatant l'existence des fautes de gestion commises par Monsieur [E] ayant contribué à l'insuffisance d'actifs de la SAS Adeosol, le condamnant à supporter intégralement l'insuffisance d'actif de la dite société' et au prononcé d' 'une mesure d'interdiction de gérer à (son) encontre une mesure de faillite personnelle qui ne saurait être inférieure à 5 ans'.
***
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur les demandes de révocation de l'ordonnance de clôture :
La clôture de la procédure ayant été fixée au 10 novembre 2022 par ordonnance du 14 juin 2022, les conclusions respectivement transmises par l'intimée le 9 novembre 2022 et par l'appelant le 10 novembre 2022 ne sont pas postérieures à cette clôture, de sorte que les demandes de révocation formulées afin de les rendre recevables sont sans objet.
Sur le fond :
sur l'action en comblement du passif :
Selon l'article L651-2 du code de commerce, « Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. »
L'action en comblement de passif est une action en responsabilité délictuelle qui suppose l'existence d'un préjudice pour la société : une insuffisance d'actif, la caractérisation de la commission de fautes de gestion -excédant la simple négligence- à la charge de la personne dont la responsabilité est recherchée, et la démonstration d'un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif constatée.
En l'espèce, l'appelant était le président de la SAS Adeosol jusqu'à la décision de liquidation judiciaire du 4 avril 2018, ce qu'il ne conteste pas.
l'existence d'une insuffisance d'actif :
L'insuffisance d'actif s'établit à la différence entre le montant du passif admis et correspondant à des créances antérieures au jugement d'ouverture et le montant de l'actif de la personne morale débitrice tel qu'il résulte des réalisations effectuées en liquidation judiciaire (Com. 26 juin 2001, n°98-16.520).
Elle s'apprécie au jour où la juridiction statue dans le cadre de l'action engagée à l'encontre du dirigeant en exercice.
S'agissant de l'actif, le procès verbal d'inventaire et de prisée du 17 avril 2018 et le décompte dressé par le liquidateur du produit de la vente mobilière et des frais y afférents -non contesté- permettent de retenir un actif initial de 1.968,30 euros (pièces 7 et 15 du liquidateur).
S'y ajoute une somme de 15.570,76 euros que la Société marseillaise de crédit a été condamnée à restituer à la liquidation par jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 8 décembre 2021, et dont celle-ci s'est effectivement acquittée (pièces 18 et 19 du liquidateur), pour un actif total qui s'élève donc à 17.539,06 euros.
S'agissant du passif, il était au 28 avril 2021 de 53.824,05 euros, somme admise à titre définitif . S'y ajoutaient encore ensuite, par ordonnances du juge commissaire du 30 novembre 2021 une créance admise pour 13.000 euros (Monsieur [L]), et du 5 mai 2022 une créance admise pour 2.861,78 euros (Pro BTP), pour un total s'élevant désormais à 69.685,83 euros.
L'insuffisance d'actif est donc certaine et s'élève à 52.146,77 euros.
C'est vainement que l'appelant fait valoir, pour s'exonérer d'une condamnation au paiement intégral de cette somme, qu'il a été condamné par jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 22 octobre 2021, en qualité de caution d'un des prêts souscrits par la société auprès de la Caisse d'épargne et de son compte courant ouvert auprès de cette banque, au règlement de sommes restant dues de ces chefs.
En effet, il ne justifie d'aucun paiement effectif avec renonciation à subrogation, qui aurait alors effectivement pu réduire d'autant le passif de la société, de sorte que l'insuffisance d'actif telle que fixée demeure inchangée.
la caractérisation de fautes de gestion y ayant contribué :
L'action en comblement du passif a pour objet de sanctionner le comportement antérieur au jugement d'ouverture du dirigeant qui y aurait contribué. Il en résulte que seules des fautes de gestion antérieures au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire - qui autorise l'action en responsabilité d'insuffisance d'actif- peuvent être prises en compte (Com. 22/01/2020 n°1817030).
Un lien de causalité doit être établi entre la faute de gestion et l'insuffisance d'actif (Com. 3 juillet 2012, n° 10-17.624 notamment).
La faute peut avoir seulement "contribué" à l'insuffisance d'actif et il n'est pas nécessaire, comme le rappelle à juste titre le liquidateur judiciaire, que la faute soit la cause directe et exclusive du dommage (Com. 21 juin 2005, n° 04-12.087). Le juge n'a ainsi pas à déterminer avec précision la part d'insuffisance d'actif imputable à telle faute du dirigeant.
En l'occurrence, la liquidation judiciaire a été prononcée le 4 avril 2018. Seules peuvent donc être retenues comme fautes de gestion engageant sa responsabilité, celles commises par le dirigeant -appelant- avant cette date.
Le jugement déféré a retenu trois fautes de gestion à sa charge, fautes reprises dans les conclusions du liquidateur intimé aux fin de confirmation.
1./ L'absence de comptabilité postérieure au 30 juin 2017 :
Le liquidateur fait valoir que ne lui a été communiquée pour la période postérieure à l'exercice clôturé au 30 juin 2017, qu'une partie du Grand livre, insuffisante à satisfaire à l'obligation légale du dirigeant à cet égard, et que la seule présence de l'expert comptable aux côtés du dirigeant lors du rendez-vous fixé ne permet pas de compenser cette carence.
L'appelant soutient pour sa part que l'expert comptable a, à l'occasion de cette rencontre, remis une partie du Grand Livre au mandataire judiciaire, et « ensuite remis la totalité de sa comptabilité » (page 5 de ses conclusions).
Pour autant, l'attestation de cet expert-comptable datée du 20 avril 2021 et produite par l'appelant en pièce 2 mentionne seulement qu'il a accompagné le président de la société à l'étude du mandataire concernant la procédure de liquidation judiciaire, mais aucunement que quelques éléments de comptabilité lui ont alors été remis par leurs soins.
L'unique page de « Grand Livre Général » concernant l'exercice du 01/07/2017 au 30/06/2018 communiquée en pièce 3 ne suffit d'évidence pas à démontrer la tenue effective d'une comptabilité régulière postérieurement au 30 juin 2017, étant de surcroit observé qu'il n'est pas justifié de sa remise au liquidateur avant l'instance mais que cela pourrait correspondre de fait à la partie de Grand livre qu'il admet avoir reçu lors du rendez-vous -même s'il ne le précise pas dans ses écritures.
Enfin, les courriels échangés avec le mandataire tels que produits en pièce 3 par l'appelant établissent seulement qu'il lui a communiqué, à sa demande, des documents intitulés « bail commercial », «avenant au bail », « statut » et un « scan » -qui correspondrait à la cession de parts d'un associé.
L'appelant échoue donc à démontrer qu'il a effectivement tenu une comptabilité complète et régulière de la SAS dont il était le président à compter du 1er juillet 2017 et jusqu'au 4 avril 2018, comme il lui appartenait précisément de le faire en cette qualité, pour la remettre ensuite aux mains du liquidateur lors de l'ouverture de la procédure quand bien même l'exercice n'était alors pas encore clos.
Cette carence est constitutive d'une faute de gestion et celle-ci a incontestablement et nécessairement contribué à l'insuffisance d'actif.
En effet, la tenue régulière d'une comptabilité est une mission essentielle du dirigeant en ce qu'elle permet d'apprécier la situation de la société et son évolution, et donc d'agir dans l'intérêt de la société, de sorte que la carence totale de l'appelant ne peut procéder d'une simple négligence.
Cette carence ne peut pas davantage être légitimée ni expliquée par un état dépressif dont l'appelant justifie avoir été affecté en 2018 seulement, avec un arrêt de travail prescrit du 19 avril au 4 mai 2018, alors que sur le second semestre 2017 déjà, aucune comptabilité n'est dressée ni seulement initiée (pièces 11 à 15).
Et la tenue de la comptabilité postérieure au 1er juillet 2017 était en l'espèce d'autant plus essentielle pour apprécier les dernières tendances de la situation financière de la société et tenter de remédier aux difficultés qui auraient été observées, que le dernier exercice clos portait sur une période de 18 mois compte tenu du report de la date de clôture des comptes décidée précédemment.
2./ Les paiements préférentiels :
Le mandataire judiciaire fait état de trois sortes de paiements préférentiels qui caractériseraient une faute de gestion du dirigeant : les salaires dont il a bénéficié sur la période précédant la procédure collective, les remboursements « sélectifs » de comptes-courants d'associés, et les remboursements anticipés de certains prêts dont il s'était porté caution solidaire.
L'appelant fait valoir qu'il ne percevait aucun salaire depuis décembre 2016, et a seulement reçu une somme totale de 18.168,04 euros à ce titre de juillet 2017 à février 2018, rémunération qui n'a rien d'excessif.
Sur ce point le liquidateur relève qu'outre le salaire brut mensuel de 3.153,90 euros, le dirigeant disposait d'un véhicule de fonction -avantage en nature évalué à 311 euros, et bénéficiait d'avantages mutuelle-retraite.
Des pièces produites par l'appelant, il ressort qu'en sa qualité de dirigeant mandataire, il n'a rien perçu de la société de janvier à juin 2017, puis a reçu un total de 19.168,04 euros de juillet 2017 à février 2018 inclus (pièce 5).
C'est ainsi d'un salaire mensuel moyen de 1.369,14 euros (19.168,04/14 mois) dont l'appelant a bénéficié en sa qualité de dirigeant de la société dans les quatorze mois précédant la liquidation, ce qui est d'autant moins excessif qu'il était alors seul en charge de la société, son associé ayant démissionné de ses fonctions de directeur général en avril 2017.
Le bénéfice d'un véhicule de fonction évalué à 311 euros n'apparait pas davantage excessif, son utilité n'étant de fait pas contestée.
La faute de gestion n'est donc pas démontrée
S'agissant du remboursement des comptes courants associés, il est de principe sur demande de l'associé, sauf clause statutaire ou convention contraires -dont l'existence n'est en l'espèce pas évoquée ni justifiée.
Et aux dates où ces remboursements ont été effectués, il n'est pas démontré qu'ils étaient abusifs -et donc fautifs- pour excéder ce qui était supportable par la trésorerie de la société, alors même qu'ils procèdent de plusieurs règlements effectués sur des mois et qu'ils sont tous antérieurs à la date de cessation de paiement fixée au 28 février 2018 -comme le retient le liquidateur lui-même en pages 4 et 5 de ses écritures.
Enfin, le remboursement anticipé de deux prêts, paiement préférentiel sanctionné de nullité par décision du tribunal de commerce d'Avignon du 8 décembre 2021, quand bien même serait-il fautif, ne peut en tout état de cause avoir contribué à l'insuffisance d'actif alors précisément que les sommes concernées ont été effectivement restituées à la société et réintégrées à l'actif suite à ce jugement.
Aucune faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif n'est ainsi établie du fait de ces paiements préférentiels.
3./ Le non paiement des charges sociales :
Il n'est pas contesté par l'appelant qu'il ne s'est pas acquitté en temps utile des charges sociales dues par la société dont il était le dirigeant et, effectivement, figurent parmi les créances admises tant celle de l'Urssaf Paca (7.965 euros) que celles de la Caisse Pro BTP (3.105 euros).
Il soutient en revanche que c'est par simple négligence et qu'il a scrupuleusement veillé au respect de l'échéancier qui lui avait été accordé ensuite par les organismes sociaux pour l'apurement de cette dette.
En tout état de cause, la lecture des déclarations de créances de ces organismes sociaux telles que produites par le liquidateur permet de constater que sont seulement réclamées les cotisations, mais aucune majoration ni pénalité (pièces 3 à 5).
Dès lors, le non-paiement à échéance de ces charges sociales n'a matériellement pas pu contribuer à l'insuffisance d'actif puisque le passif comprenait seulement les sommes normalement dues et n'a pas été alourdi par des frais supplémentaires.
En conclusion, seule la non-tenue de la comptabilité constitue une faute de gestion caractérisée, excédant la simple négligence, et ayant contribué à l'insuffisance d'actif.
sur le quantum de la condamnation :
L'appelant ne fournit aucun élément sur sa situation patrimoniale et personnelle, bien qu'il demande à la Cour d'user de son pouvoir modérateur.
Il fait seulement valoir qu'il exerce une activité dans le domaine de la sécurité pour subvenir aux besoins de sa famille, et produit une attestation émanant de son épouse faisant état de ses difficultés psychologiques persistantes.
Ainsi, prenant en compte le quantum de l'insuffisance d'actif qui peut lui être opposée, la seule faute retenue, et sa situation personnelle, la Cour évalue, en application du principe de proportionnalité, à la somme de 20.000 euros le comblement partiel de passif auquel il doit être condamné.
sur le prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer :
L'article L653-8 du code de commerce dispose que « dans les cas prévus aux articles L653-3 à L653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci. L'interdiction mentionnée au premier alinea peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L622-22. Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation. ».
L'article L653-4 du code de commerce auquel il est ainsi référé, indique que « le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;
2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;
3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;
5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale ».
L'article L653-5 suivant ajoute encore que «le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L653-1 (dont les personnes physiques dirigeantes de droit des personnes morales) contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;
2° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
3° Avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;
4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;
5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;
6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;
7° Avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée ».
Le jugement déféré dont le ministère public demande la confirmation, a prononcé une mesure d'interdiction de gérer pendant cinq ans à l'encontre de l'appelant en retenant les trois fautes précédemment évoquées dans le cadre de l'action en comblement de passif.
Le non-paiement des charges sociales qui n'a pas aggravé le passif et dont il n'est pas justifié qu'il serait spécialement frauduleux ne peut fonder un telle interdiction.
En revanche, étant noté que les remboursements anticipés des deux prêts auprès de la SMC ont été effectués le 6 mars 2018 (pièce 14 de l'intimé) alors que la date de cessation des paiements a été fixée au 28 février 2018 sur les propres déclarations de l'appelant qui en était donc parfaitement informé (pièce 1 de l'intimé), il peut effectivement être retenu à la charge de l'appelant d'avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers.
Il est encore acquis qu'il n'a pas tenu de comptabilité complète et régulière alors que les textes applicables lui en faisaient obligation, comme précédemment jugé.
Ces deux fautes retenues à la charge de l'appelant justifient et nécessitent la confirmation du prononcé à son encontre d'une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale sur une durée de cinq ans sauf à préciser que cette interdiction courra à compter de la signification du présent arrêt.
En effet, ayant failli dans ses devoirs de dirigeant et négligé de tenir une comptabilité régulière qui aurait pu permettre à la société de réagir et de bénéficier d'une issue plus favorable, il est opportun de l'écarter provisoirement de la vie économique.
Les demandes subsidiaires de l'appelant tendant à se voir autorisé à exercer une activité en auto-entreprise ou dispensé de l'inscription au bulletin numéro 2 de son casier judiciaire de la condamnation prononcée doivent être rejetées, aucun justificatif n'étant produit aux débats quant à l'effectivité de l'exercice des activités et professions citées et l'appelant n'ayant à ce jour pas encore apporté de contribution au paiement du passif.
Sur les frais de l'instance :
L'appelant qui succombe principalement devra supporter les dépens de l'instance d'appel, et payer au mandataire liquidateur de la SAS Adeosol ès-qualités une somme équitablement arbitrée à 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- condamné Monsieur [I] [E] au comblement intégral de l'insuffisance d'actif de la société Adeosol,
- condamné Monsieur [I] [E] à payer à la Selarl Etude Balincourt ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Adeosol une somme provisionnelle de 70.000 euros à ce titre,
- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire ;
Et, statuant à nouveau de ces chefs,
Dit que Monsieur [I] [E] a commis une faute de gestion tenant au défaut de tenue d'une comptabilité régulière et complète, faute qui a contribué à l'insuffisance d'actif de la SAS Adeosol ;
Condamne en conséquence Monsieur [I] [E] au comblement partiel de cette insuffisance d'actif à hauteur de 20.000 euros ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions, sauf à dire que l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pendant cinq ans, prononcée à l'encontre de Monsieur [I] [E], courra à compter de la signification du présent arrêt ;
Y ajoutant,
Déboute Monsieur [I] [E] de ses demandes en limitation de l'interdiction et en dispense d'inscription au bulletin numéro 2 de son casier judiciaire ;
Dit qu'en application de l'article R653-3 alinéa 2 du code du commerce, la présente décision sera signifiée à Monsieur [E] dans les 15 jours de sa date à la diligence du greffe de la cour d'appel ;
Dit qu'une copie de la présente décision sera adressée à la SELARL Etude Balincourt ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Adeosol, au ministère public, au directeur départemental des finances publiques du Gard, conformément aux dispositions de l'article R.621-7 du code de commerce ;
Dit qu'une copie de la présente décision sera transmise dans les huit jours de son prononcé au greffier du tribunal pour l'accomplissement des mesures de publicité prévues aux articles R621-8 et R.123-124 du code du commerce ;
Condamne Monsieur [I] [E] au paiement des dépens de première instance et d'appel, et d'une somme de 3.000 euros à la SELARL Etude Balincourt ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Adeosol par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes.
Arrêt signé par Mme Christine CODOL, Présidente de chambre, et par Mr Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE