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06/12/2022 | FRANCE | N°19/04331

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5ème chambre sociale ph, 06 décembre 2022, 19/04331


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 19/04331 - N° Portalis DBVH-V-B7D-HRSM



LR/EB



CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ORANGE

17 octobre 2019 RG :18/00175



S.A.S. GMDF LE VILLAGE



C/



[I]



















Grosse délivrée

le

à











COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE C

IVILE

5ème chambre sociale PH



ARRÊT DU 06 DECEMBRE 2022





Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ORANGE en date du 17 Octobre 2019, N°18/00175



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Madame Leila REMILI, Conseillère, a entendu les plaidoirie...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 19/04331 - N° Portalis DBVH-V-B7D-HRSM

LR/EB

CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ORANGE

17 octobre 2019 RG :18/00175

S.A.S. GMDF LE VILLAGE

C/

[I]

Grosse délivrée

le

à

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 06 DECEMBRE 2022

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ORANGE en date du 17 Octobre 2019, N°18/00175

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Leila REMILI, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

M. Michel SORIANO, Conseiller

Madame Leila REMILI, Conseillère

GREFFIER :

Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 Décembre 2022.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

S.A.S. GMDF LE VILLAGE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Patrick CAGNOL de la SCP B.A.C.M., Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE

Représentée par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, Postulant, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉ :

Monsieur [B] [I]

né le 16 Octobre 1970 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Catherine RIPERT, avocat au barreau de CARPENTRAS

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 08 Septembre 2022

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 06 Décembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :

M. [B] [I] a été engagé initialement par la société Du Peloux et Compagnie à compter du 11 février 1991 selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d'ouvrier de chais.

A compter du 1er juin 2009, son contrat de travail a été transféré à la SAS GMDF Le Village, celle-ci ayant racheté la société Du Peloux. Il occupait le poste d'embouteillage et conducteur de machine.

Par lettre recommandée du 17 juillet 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 27 juillet 2018.

Par courrier recommandé du 31 juillet 2018, M. [I] a été licencié pour faute grave.

Contestant la légitimité de la mesure prise à son encontre, le 25 septembre 2018, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes d'Orange en paiement d'indemnités de rupture et de diverses sommes lequel, par jugement contradictoire du 17 octobre 2019, a :

- condamné la SAS GMDF Le Village à payer à M. [I] les sommes suivantes:

* 20 770 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

* 17 140 euros bruts à titre d'indemnité de licenciement

- ordonné la remise des documents sociaux conformes à la présente décision

- débouté M. [I] de sa demande à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral

- débouté la SAS GMDF Le Village de sa demande reconventionnelle

- ordonné l'exécution provisoire de droit

- condamné la SAS GMDF Le Village aux entiers dépens de l'instance.

Par acte du 14 novembre 2019, la société GMDF Le Village a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions du 22 novembre 2021, la SAS GMDF Le Village demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [B] [I] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré le licenciement pour faute grave de M. [B] [I] comme étant infondé.

Et statuant à nouveau,

- juger que M. [B] [I] a dénigré la personne et la compétence de sa supérieure hiérarchique, Mme [T] [E], qu'il a refusé d'obéir à cette dernière et a adopté un comportement agressif au sein de la SAS GMDF.

En conséquence,

- juger bien fondé le licenciement pour faute grave de M. [B] [I] ;

- débouter M. [B] [I] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire,

- juger que le licenciement de M. [B] [I] repose sur un motif réel et sérieux.

En conséquence,

- juger que M. [B] [I] ne saurait prétendre à d'autres condamnations de la société GMDF que celles consistant à lui verser une indemnité légale de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis et celle des congés payés afférents.

En tout état de cause,

- juger que M. [B] [I] n'établit aucun préjudice distinct de celui lié à la perte de son emploi.

- débouter M. [B] [I] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.

- condamner M. [B] [I] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'appelante soutient que :

- conformément à la jurisprudence, le licenciement pour faute grave de M. [I] est justifié par son comportement fautif : il a dénigré la personne et la compétence de sa supérieure hiérarchique Mme [T] [E], il a refusé d'obéir aux instructions, il a eu un comportement agressif et a violé l'article 16 du règlement intérieur de l'entreprise.

- ces agissements constituent une faute grave dans la mesure où M. [I], préalablement à son licenciement, avait déjà été sanctionné à deux reprises ( par un avertissement et une mise à pied à titre disciplinaire) pour des faits identiques.

- les attestations versées aux débats corroborent sans contestation possible les motifs à l'origine de la rupture du contrat de travail pour faute grave.

- à titre subsidiaire, le licenciement de M. [I] repose sur un motif réel et sérieux.

- M. [I] n'apporte la preuve ni de sa situation actuelle ni du préjudice subi en raison de la rupture de son contrat de travail.

En l'état de ses dernières écritures en date du 23 septembre 2021, contenant appel incident, M. [B] [I] demande à la cour de :

- déclarer recevable l'appel incident

Par conséquent :

- confirmer le jugement du conseil des prud'hommes d'Orange en ce qu'il a reconnu son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la SAS GMDF Le Village à lui payer les sommes suivantes :

* 17 140 euros à titre d'indemnité de licenciement

- réformer le jugement sur le quantum, en ce qu'il a alloué la somme de 20 077 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Y ajoutant et statuant à nouveau,

- voir condamner la SAS GMDF Le Village à lui payer les sommes suivantes :

* 45 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 4154 euros à titre d'indemnité de préavis

* 415,40 euros à titre de congés payés y afférent

* 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

- débouter la société GMDF de toutes ses demandes

- remise de bulletins de salaires rectifiés, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi conforme sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de 15 jours après la notification de la décision à intervenir

- voir ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir pour tous les chefs qui n'en bénéficieraient pas de droit

- intérêts au taux légal à compter de la saisine

- 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- la condamner aux dépens.

L'intimé fait valoir que :

- son licenciement pour faute grave est dénué de cause réelle et sérieuse car il n'a commis aucune faute disciplinaire et n'a fait l'objet d'aucune mise à pied conservatoire qui justifierait, à tout le moins, une faute grave. En tout état de cause, il n'a commis aucune faute intentionnelle en usant de sa liberté d'expression.

- l'employeur est défaillant dans la démonstration d'une quelconque faute, et le fait qu'il ait rédigé une lettre de recommandation, après le licenciement, en septembre 2018, démontre sans équivoque qu'il n'a commis aucune faute disciplinaire.

- son licenciement lui a causé un préjudice moral et financier.

- contrairement à ce que soutient son employeur, il justifie son préjudice puisqu'il produit ses documents pôle emploi et ses contrats intérimaires.

- il a été licencié dans des conditions vexatoires, ce qui lui a causé un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

Par ordonnance en date du 19 mai 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 08 septembre 2022. L'affaire a été fixée à l'audience du 22 septembre 2022.

MOTIFS

Sur le licenciement pour faute grave

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat. Il incombe à l'employeur qui l'invoque d'en apporter la preuve.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 31 juillet 2018 est rédigée comme suit :

« Nous avons eu à déplorer de votre part une succession d'agissements fautifs au cours des dernières semaines.

(')

Les faits sont les suivants :

Le 23 mai 2018 :au cours de la production, à l'occasion d'un changement de format de bouteilles (passage en Bourgogne authentique « Laurus »), vous êtes allés voir Mme [T] [E], « chef d'équipe embouteillage », votre supérieur hiérarchique dans la mesure où vous êtes vous-même «Agent d'embouteillage ' chef d'équipe adjoint » et lui avez indiqué, en manifestant de l'impatience, qu'elle était longue pour effectuer ces changements . Elle vous a alors rétorqué que vous n'aviez qu'à prendre sa place, ce à quoi vous avez répondu «  je suis tellement meilleur que toi que si je la prends tu seras virée sur le champ ».

Le 20 juin 2018 :au démarrage de la production ce jour-là, vous aviez pour rôle de procéder au réglage et de contrôler les premières bouteilles produites. C'est néanmoins [T] [E] qui a constaté que le numéro de lot n'était imprimé qu'à moitié. À 8 heures, elle a nettoyé une première fois la tête d'impression. Le problème persistant , elle a nettoyé une seconde fois. Ces interventions ont généré un arrêt de production d'une dizaine de minutes. Vous avez notamment, à propos de cet épisode, qualifié [T] [E] de « Bonne à rien ». Cet épisode a généré une intervention du service maintenance qui a constaté la défaillance de la marqueuse de numéro de lot et l'a remplacée par une autre marqueuse.

À l'occasion de cette intervention du service de maintenance, vous avez une nouvelle fois manifesté de l'impatience et vous n'avez pas laissé M. [S] [U], responsable maintenance industrielle, le temps nécessaire pour effectuer le paramétrage de la marqueuse installée. Vous avez insisté pour prendre la main sur la machine et l'avez démarrée. Étant donné qu'elle ne fonctionnait pas, les techniciens de maintenance ont repris ce travail, paramétré la machine, l'ont essayée et la production a pu reprendre.

Le 2 juillet 2018 : au planning, il y avait quatre habillages à faire concernant des petits lots de bouteilles en Tirés-Bouchés. M. [X] [I] - votre fils - qui aurait dû être au déboxage des tirés-bouchés, n'était pas à son poste à ce moment-là. Vous avez demandé à [F] [C] d'aller procéder au déboxage, ce à quoi elle vous a répondu que [T] [E] lui avait donné l'ordre de rester au contrôle des bouteilles ; vous avez alors rétorqué «on n'en a rien à foutre de ce qu'elle dit l'autre ».

(...)

Nous rappellerons en outre que ces agissements fautifs font suite à deux autres situations à propos desquelles vous avez été sanctionné au cours des années 2016 et 2017, la première fois par un avertissement écrit, la deuxième fois par une mise à pied disciplinaire de deux jours. À l'occasion du prononcé de ces sanctions, vous aviez été enjoints expressément de « cesser de vous exprimer et d'agir avec agressivité comme vous le faites de manière récurrente » puis «  vous devez agir avec le respect dû à vos collègues de travail ». Nous ne pouvons que constater que vous n'avez pas modifié votre comportement sur votre lieu de travail malgré les injonctions formulées auparavant.

Compte tenu de ce qui précède, nous vous informons que vous nous avons décidé de vous licencier pour faute grave, votre conduite mettant en cause la bonne marche du service.(...).

L'employeur produit aux débats diverses attestations qui confirment la matérialité des griefs reprochés.

Mme [T] [E], chef d'équipe, atteste ainsi « de retour d'une opération de l'épaule fin avril, les contacts avec M. [I] [B], déjà pas épanouissant d'un point de vue professionnelle ce sont dégradés de plus en plus à tel point que je n'arrivais plus à être sereine au travail et que j'ai commencé à prendre des notes pour évacuer le stress que je subissais continuellement.

Par exemple, le 23 mai 2018, alors que je faisais pour la première fois une production avec une nouvelle bouteille, la mise au format et les réglages ont duré en tout et pour tout 20 minutes. M. [I] est arrivé à mon poste en me braillant dessus comme quoi j'étais longue, une bonne à rien, sur ce je lui ai rétorqué que s'il n'était pas content il avait qu'à prendre ma place, ce à quoi il m'a répondu que s'il la prenait, je serais virée sur-le-champ vu qu'il était meilleur que moi .

Le 20 juin 2018 rebelote grave altercation ce jour-là car ses contrôles au démarrage n'étaient pas corrects. En arrivant à mon poste à 8 h j'ai constaté que le n° de lot était imprimé qu'à moitié, j'ai donc procédé au nettoyage de la liseuse, ce qui bien évidemment n'a pas plu à M. [I] qui m'a affublé de différents noms d'oiseau (...) Ainsi que de son éternel «  bonne à rien ».

Ce jour-là nous n'avons pu démarrer à l'heure car il s'agissait d'une panne de la machine elle-même.

Mais ce jour-là je me suis encore faite insulter pour rien, rabaisser devant tous mes autres collègues pour rien , je me suis sentie humilié et dans un état de stress extrême.

La dernière grosse altercation a eu lieu le 2 juillet 2018 à 8 h du matin.

Nous avions 4 petites commandes et M. [I] était affecté au déboxage des bouteilles. A ce poste ils sont 2. Mme [F] [C] se trouve à la table d'emballage et son poste de contrôler les bouteilles, de faire le poids des cartons et de contrôler aussi le marquage carton. Ce jour-là, je ne trouvais pas Mme [C], donc je l'appelle elle me dit que [B] [I] lui a ordonné (alors que je suis chef d'équipe) de rester avec lui au déboxage. J'ai refusé et lui ai dit de regagner son poste. A ce moment-là M. [B] [I] est arrivé, il ne m'avait pas vu car une machine était entre nous et a réitéré son ordre à Mme [C] qui lui a répondu : [T] ne veut pas elle veut que je reste à mon poste. Et là sans aucune gène, il lui a répondu « on en a rien à foutre de ce qu'elle dit l'autre ». Sur ce, je suis partie après en lui disant que la place de Mme [C] était à son poste et non au sien.

Ce sont les quelques altercations que j'ai noté, malgré qu'il y en ai beaucoup d'autres ».

M. [N] [V], directeur de production, déclare à propos de l'incident du 2 juillet 2018 :« je confirme que[B] [I] est bien venu me voir à mon bureau , demandant à me voir immédiatement, étant occupé je lui ai demandé si cela pouvait attendre. Devant son insistance et son agressivité j'ai arrêté ce que je faisais. Il m'a alors demandé « c'est quoi ces ordres à la con ', Que c'était n'importe quoi, que dans la configuration le personnel n'avait pas besoin d'être trois à l'encaissage. N'étant pas au courant, je lui ai demandé de se calmer et de ne pas parler comme cela et de m'expliquer. Après ces explications, je lui ai dit que j'allais voir avec la chef de ligne. Après échange avec la chef de ligne, j'ai validé l'organisation mise en place par cette dernière ».

Il poursuit ensuite : « Autre exemple de comportement inapproprié, novembre 2017 : peu après l'arrivée de [L] [W] en tant qu'adjoint au directeur de production et suite à une remarque de ce dernier sur un dysfonctionnement en production, [B] [I] est venu dans mon bureau demander des explications. [L] [W] qui partage mon bureau a essayé de lui répondre et lui expliquer et [B] [I] de lui répondre que ce n'est pas à lui qu'il s'adresse et qu'il n'est pas son chef le tout sur un ton agressif et avec un volume sonore important. Un recadrage de ma part a été fait immédiatement . Des excuses seront données que bien après».

Si Mme [F] [Y] épouse [C] ne confirme pas que M. [B] [I] a rétorqué «on n'en a rien à foutre de ce qu'elle dit l'autre », elle indique bien que celui-ci et [T] [E] se sont disputés après que cette dernière lui ait interdit de déboxer.

En outre, M. [Z] [A], agent d'embouteillage conducteur de machine déclare : « Le 2 juillet 2018, il est vrai que [F] [Y] est venue me voir alors qu'elle était partie pour aller déboxer pour me dire que la chef d'équipe lui avait interdit de déboxer et que M. [B] [I] lui avait dit «mais on n'en a rien à foutre de ce qu'elle dit l'autre ». M. [A] ajoutant que pour M. [B] [I] ils étaient tous des « bons à rien » et des « incapables ».

M. [S] [U] confirme les faits qui se sont produits le 20 juin 2018 : «(...) lorsque j'ai voulu paramétrer cette nouvelle machine, [B] [I] s'est interposé et a souhaité démarrer la machine en l'état et contre ma demande de prise en main technique. Je l'ai laissé faire sans insister pour ne pas faire monter le ton et je suis retourné à mon bureau. La machine n'a pas pu fonctionner puisqu'elle n'était pas paramétrée pour ce poste de travail.

Par la suite lorsque [B] [I] s'est rendu compte que la marqueuse ne fonctionnait pas, il a libéré la machine, nous avons pu paramétrer, essayer et redémarrer les machines de production. Cela avec pour conséquence un arrêt de production prolongée par ses faits. En bref [B] [I] ne m'a pas laissé faire mon job».

Il convient de relever que le salarié avait précédemment été sanctionné à deux reprises pour un même type de comportement agressif.

Ainsi le 27 avril 2016, l'employeur lui adressait une lettre d'avertissement en ces termes :

«vous travaillez sur la zone déboxage de tirés-bouchés de la « ligne 6000 » sur laquelle travaillait également M. [O] [R], intérimaire présent pour une mission dans l'entreprise depuis la veille. M. [R] a commis une première erreur en déposant sur ligne les produits d'un box non concerné par la production en cours. Vous l'avez rappelé à l'ordre à l'occasion de cette erreur, d'une manière qu'il décrit comme inappropriée. Un peu plus tard à l'occasion d'une autre production, M. [R] continuait de déposer sur ligne des bouteilles alors que vous aviez atteint la quantité à produire. Vous lui avez alors demandé d'une manière telle qu'il l'a ressentie cela comme une agression verbale, de remettre l'ensemble des bouteilles en excédent dans le box. Vous avez ensuite quitté la ligne de production.

À votre retour, M. [R] était parti. Après discussion entre M. [R] et M. [V], directeur de production et maintenance, M. [R] a indiqué que vous avez fait preuve à son égard d'une attitude de défiance, qu'il avait fait ce qu'il pouvait depuis la veille pour exécuter les tâches qui lui incombaient et qu'il avait bien conscience de ne pas être autonome et qu'il était volontaire. Il indique s'être trompé mais que cela ne justifie pas un tel comportement de votre part. Il a préféré quitter la mission après votre second comportement agressif de la journée plutôt que de risquer que cela ne se termine mal. L'agence Adecco employeur de M. [R], qui a été contactée au sujet de cet incident, nous indiquait sa surprise quand elle a appris que M. [R] avait quitté le lieu d'exercice de la mission, cela ne correspondant pas du tout à son tempérament et à son mode de fonctionnement habituel, M. [R] étant décrit comme sérieux et consciencieux.

Ce comportement est inacceptable et ne doit en aucun cas survenir à nouveau à l'avenir. En tant que chef d'équipe adjoint, il vous incombe, dès lors que cela vous est demandé, de former d'accompagner dans l'exercice de ses missions le personnel intérimaire qui vient en renfort du personnel permanent de l'entreprise. Vous devez à cette occasion délivrer des instructions claires, compréhensives, le tout dans le respect dû à chaque personne. Si des erreurs ont été commises, il convient certes que vous preniez les mesures adéquates pour corriger ces erreurs dès lors que cela est possible, mais aussi que vous vous interrogiez sur ce qui a conduit à la survenance de ces erreurs. Nous vous suggérons notamment de revoir votre manière de délivrer les instructions aux personnes qui ont commis ses erreurs plutôt que de vous contenter de reporter la faute sur elles sans remise en cause de votre propre mode de fonctionnement.

Manifestement, vous n'avez pas agi de manière conforme à ce que votre employeur est en droit d'attendre de vous en pareille situation compte tenu de votre qualité de chef d'équipe adjoint.

Nous vous rappelons en outre que nous nous sommes déjà entretenus au sujet de votre comportement le 30 mars 2016, soit il y a moins d'un mois. Aucune sanction n'avait été prononcée alors il n'apparaît pas utile ici de reprendre l'exposé des faits à l'origine de cet entretien. Nous faisons référence à cet entretien dans la mesure où nous avions formulé alors une proposition d'organisation pour que vous soyez en mesure de vous calmer dès lors que vous vous trouvez sous pression plutôt que d'évacuer cette pression en agressant verbalement votre entourage. Compte tenu de la survenance des nouveaux faits décrits ci-dessus, aussi peu de temps après notre échange, nous réitérons cette proposition vous demandant de définir ensemble avec M. [V] de la conduite précise que vous devez impérativement adopter à l'occasion de toute nouvelle montée en pression justifiant que vous quittiez votre environnement de travail, ce afin d'aller vous calmer.

Compte tenu de tout ce qui précède, nous vous enjoignons de modifier votre attitude et la manière dont vous vous exprimez à l'égard de l'ensemble des personnes avec lesquelles vous travaillez, qu'il s'agisse de collègues, subordonnés, intérimaires' Vous devez instamment cesser de vous exprimer et d'agir avec agressivité comme vous le faites de manière récurrente ,ceci vous ayant déjà été signalé à plusieurs reprises.

(...). Si de tels faits se renouvelaient, nous serions inévitablement amenés à prendre une sanction plus grave. Nous souhaitons vivement que vous fassiez le nécessaire pour un changement immédiat et durable de votre comportement. ».

Or, le 12 janvier 2017, l'employeur sanctionnait à nouveau son salarié en ces termes:

« nous avons à déplorer de votre part le fait suivant : vous avez le 12 décembre 2016 agi de manière irrespectueuse envers un de vos collègues de travail, M. [D] [P], technicien de maintenance, à l'occasion d'une demande d'intervention sur le RTB de la ligne 6000 alors que vous rencontriez un problème avec la capsuleuse à vis.

Au cours de l'appel téléphonique que vous avez effectué pour demander cette intervention, vous n'avez pas jugé opportun de lui fournir les explications réclamées pour qu'il puisse établir un premier diagnostic avant de se déplacer avec l'outillage adéquat, vous lui avez alors demandé de venir en tenant des propos déplacés puis vous avez raccroché.

Lorsqu'il est arrivé quelque minutes plus tard, vous l'avez accueilli avec une posture peu propice à une communication constructive, bras croisés, en lui indiquant de ne surtout pas se presser, que vous aviez tout votre temps. M. [P] a alors mal réagi à votre comportement et a prononcé à son tour des propos qui n'ont pas leur place dans un environnement de travail, ne souhaitant pas réaliser son intervention dans telles conditions.

Vous vous êtes alors avancé vers lui et avez répondu en haussant le ton et même si aucun acte ne permet de considérer que vous alliez ensemble en venir aux mains, Mme [K] [M] qui était présente s'est intercalée pour l'éviter.

Cette conduite irrespectueuse et provocatrice constitue une faute qui met en cause la bonne marche du service de l'entreprise. Vous devez agir avec le respect dû à vos collègues de travail. Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 9 janvier 2017 au cours duquel vous étiez assisté de M. [O] [H] n'ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Pour ces motifs, nous vous infligeons une sanction de mise à pied de deux jours avec retenue correspondante de salaire.

Cette mesure prendra effet à compter du jeudi 26 janvier 2017.

Si de tels incidents devaient se renouveler, nous pourrions être amenés soit à prononcer de nouveau une sanction telle qu'un changement d'affectation disciplinaire, soit même à remettre en cause votre maintien dans la société.

Nous souhaitons donc vivement que vous preniez les résolutions nécessaires pour que ces faits ne se reproduisent pas. »

Force est de constater que M. [B] [I] n'a pas contesté ces deux sanctions disciplinaires.

Dans le courrier adressé au conseil de prud'hommes le 5 février 2019, le salarié, sans revenir sur les faits précis reprochés, se contente d'indiquer à propos de ces sanctions « je ne comprends pas en quoi parler fort et avec des gestes non obscènes dans un enceinte bruyante afin de se faire entendre est une agression. D'autre part, il est dit qu'il m'incombe de former et d'accompagner le personnel intérimaire, or il est en aucun cas stipulé sur ma fiche de poste. Cette mission revient au chef d'équipe ».

M. [B] [I] reconnaît en tout état de cause certaines paroles comme « c'est quoi ces ordres à la con qu'elle donne ». Quant au témoignage très précis de Mme [E], il se contente de relever que Mme [C] ne confirme pas les propos tenus sans contester clairement les avoir tenus.

En outre, le fait de dénigrer à plusieurs reprises et devant d'autres salariés sa supérieure hiérarchique en la traitant notamment de « bonne à rien », excède les limites de la liberté d'expression dont bénéficiait l'intéressé.

Ne relève pas non plus de la liberté d'expression, le fait de s'adresser de manière récurrente à sa supérieure hiérarchique ou à ses collègues avec agressivité.

Par ailleurs, l'argument selon lequel son licenciement serait en lien avec un différend avec M. [G] [J], directeur des ressources humaines, à propos de l'affiliation en 2009 au contrat d'assurance santé collective, n'est pas sérieux, compte tenu des faits circonstanciés reprochés au salarié.

S'agissant de la lettre de recommandation invoquée par l'intimé, outre qu'elle n'est pas datée, elle émane de M. [N] [V], directeur de production, qui n'est pas l'auteur de la lettre de licenciement et l'employeur de M. [B] [I]. En outre, il n'est fait état dans ce courrier que des compétences techniques du salarié, ce qui est sans lien avec les griefs qui lui sont, avec persistance, reprochés.

Il est indiqué également que M. [B] [I] avait demandé à plusieurs reprises à changer d'affectation et à ne plus travailler sous la responsabilité de Mme [E].

Outre le fait qu'aucune pièce ne justifie de telles demandes, les attestations et les lettres de sanction disciplinaire montrent manifestement que le problème ne concernait pas seulement sa relation avec sa supérieure hiérarchique mais bien son comportement au sein de l'entreprise.

Par ailleurs, si le règlement intérieur de l'entreprise prévoit une échelle des sanctions avec notamment un changement d'affectation disciplinaire avant le licenciement puis le licenciement pour faute grave, comme l'indique d'ailleurs ce même règlement, l'employeur n'était pas tenu de procéder à un changement d'affectation disciplinaire avant d'engager une procédure de licenciement.

Dès lors, au vu de l'ensemble de ces éléments, compte tenu de l'existence des sanctions précédentes et des demandes réitérées de l'employeur visant à ce que le salarié change de comportement et ce dernier étant manifestement dans l'incapacité de se contrôler, il y a lieu de considérer que l'attitude agressive, insultante et irrespectueuse récurrente de M. [B] [I] tant à l'égard de sa supérieure hiérarchique qu'à l'égard d'autres collègues, rend impossible son maintien dans l'entreprise et constitue une faute grave justifiant un licenciement immédiat.

Il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le licenciement pour faute grave de M. [B] [I] était infondé et en ce qu'il a accordé des indemnités pour rupture abusive du contrat de travail et au titre de l'indemnité de licenciement.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a considéré que M. [B] [I] n'apportait aucun élément de preuve justifiant un préjudice moral.

Les dépens seront mis à la charge de M. [B] [I] mais l'équité ne commande pas de le condamner au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort

- Infirme le jugement rendu le 17 octobre 2019 par le conseil de prud'hommes d'Orange sauf en ce qu'il a débouté M. [B] [I] de sa demande d'indemnisation d'un préjudice moral,

-Et statuant à nouveau et y ajoutant,

-Dit que le licenciement pour faute grave de M. [B] [I] est fondé,

-Déboute M. [B] [I] de l'ensemble de ses demandes,

-Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-Condamne M. [B] [I] aux dépens de première instance et d'appel.

Arrêt signé par le président et par la greffière.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5ème chambre sociale ph
Numéro d'arrêt : 19/04331
Date de la décision : 06/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-06;19.04331 ?
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