RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°1300
N° RG 19/03923 - N° Portalis DBVH-V-B7D-HQOV
YRD/ID
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ORANGE
06 septembre 2019 RG :F 19/00041
[Z]
C/
S.C.E. DE L'AMEILLAUD
Grosse délivrée
le
à
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 29 NOVEMBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ORANGE en date du 06 Septembre 2019, N°F 19/00041
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Leila DAFRE, Vice-présidente placée
M. Michel SORIANO, Conseiller
GREFFIER :
Madame Isabelle DELOR, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 28 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 29 Novembre 2022.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [S] [Z]
né le 01 Janvier 1971 à AL HOCEIMA MAROC
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par M. Daniel GENDRE (Délégué syndical ouvrier)
INTIMÉE :
SCE DE L'AMEILLAUD,
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Catherine GUILLEMAIN de la SCP DORIA AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 13 Septembre 2022
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 29 Novembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
M. [S] [Z] a été engagé à compter du 5 décembre 1991, suivant contrat à durée déterminée en qualité d'ouvrier agricole par la SCEA [Adresse 4].
M. [S] [Z] a signé un contrat à durée indéterminée le 1er mai 1995.
M. [S] [Z] a été placé en arrêt de travail, suite à un accident du travail survenu le 29 septembre 2014.
M. [S] [Z] a été déclaré inapte au poste d'ouvrier agricole, le 23 mai 2017, par le médecin du travail.
M. [S] [Z] a été licencié, sans reclassement possible, le 6 juillet 2017, par la SCEA [Adresse 4].
M. [S] [Z] a saisi le conseil de prud'hommes pour faire constater que son inaptitude médicale déclarée par le médecin du travail avait pour origine l'accident de travail du 29 septembre 2014.
Le conseil de prud'hommes, par jugement contradictoire du , a :
- dit que l'origine professionnelle de l'inaptitude de M. [S] [Z] n'est pas démontrée.
- condamné la SCEA [Adresse 4] à payer à M. [S] [Z] lessommes suivantes :
- 4 352,72 euros au titre de deux mois de préavis
- 1 389,47 euros au titre de rappel de l'indemnité légale de licenciement
- 500,00 euros de dommages interéts pour les manquements à la mise en oeuvre des dispositions conventionnelles.
- condamné la SCEA [Adresse 4] de remettre à M. [S] [Z] un bulletin de salaire rectifié, une attestation Pole Emploi rectifiée et un certificat de travail rectifié conformes au jugement sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement.
- débouté M. [S] [Z] due surplus de ses demandes.
- débouté la SCEA [Adresse 4] de ses demandes.
- condamné la SCEA [Adresse 4] aux entiers dépens de l'instance.
Par acte du 10 octobre 2019, M. [Z] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 13 janvier 2020, M. [S] [Z] demande à la cour de :
- d'infirmer la décision du conseil du débouté de sa demande relative à l'origine professionnelle au moins partielle de son inaptitude et des conséquences de droits afférentes,
Statuant à nouveau ;
- De dire et juger que l'inaptitude médicale constatée par le médecin du travail 5 au moins partiellement pour origine l'accident de travail du 29 septembre 2015.
En conséquence,
- De dire et juger qu'il y lieu de mettre en oeuvre les articles L 1226-10, L 1226-12, L1226-14 et L 1226-15 du code du travail ;
- De condamner la SCEA [Adresse 4] à verser à M. [S] [Z] :
- 13 359.68 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,
- 4 352.72 euros au titre de deux mois de préavis,
- d'infirmer la décision du conseil du déboute de la demande relative au manquement de la SCEA [Adresse 4] de son obligation de reclassement.
Statuant à nouveau :
- De dire et juger que a SCEA [Adresse 4] à manqué à son obligation de reclassement et en conséquence de payer à M. [S] [Z] la somme de :
-30 000.00 euros au titre d'indemnité de dommages interets pour les manquements à l'obligation de reclassement,
- A tout le moins la somme de 26 122.32 euros correspondant à 12 mois de salaire, L 1226-15 du code du travail ,
- De confirmer l'ensemble des autres dispositions du jugement du conseil de prud'hommes d'Orange.
- De condamner la SCEA [Adresse 4] aux entiers dépens de l'instance.
Il soutient que son inaptitude est d'origine professionnelle consécutive aux accidents du travail dont il a été victime, il estime que son employeur aurait pu le reclasser sur un emploi en conformité avec les préconisations du médecin du travail.
En l'état de ses dernières écritures en date du 26 février 2020 contenant appel incident la SCEA [Adresse 4] a sollicité :
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Orange du 6 septembre 2014 en ce qu'il a :
- dit que l'origine professionnelle de l'inaptitude de M. [S] [Z] n'était pas démontrée.
- débouté M. [S] [Z] du surplus de ses demandes,
- le réformer pour le surplus en toutes ses dispositions.
Ce faisant:
- dire et juger que la SCEA [Adresse 4] a répondu à son obligation de reclassement
- dire et juger que le licenciement de M. [S] [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
- dire et juger M. [S] [Z] a été rempli de ses droits au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
- dire et juger que la SCEA [Adresse 4] n'a violé aucune disposition légale ou conventionnelle ;
En conséquence :
- débouter, M. [S] [Z] de l'intégralité de ses demandes ;
- la condamner aux entiers dépens, ainsi qu'à 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Elle fait observer que M. [Z], après avoir été déclaré consolidé et reconnu apte sans réserve, et alors que l'avis d'inaptitude précise que celle-ci n'est pas d'origine professionnelle, ne pouvait bénéficier des dispositions protectrices des accidentés du travail. Elle avance qu'aucun poste n'était disponible pour procéder au reclassement du salarié.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
Par ordonnance en date du 26 avril 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 13 septembre 2022.
MOTIFS
Sur l'origine de l'inaptitude
Les règles applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude physique du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie.
La décision de reconnaissance d'une maladie professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie est sans incidence sur l'appréciation par le juge prud'homal de l'origine professionnelle ou non de l'inaptitude.
Les mentions portées par le médecin du travail sur l'avis d'inaptitude ne lient pas le juge.
En l'espèce, M. [Z] a été victime d'un accident du travail le 15 mai 2014 pris en charge par la MSA. Il a repris son poste le 02 août 2014, avec soins.
Il a été victime d'un nouvel accident de travail le 29 septembre 2014 dont le caractère professionnel a également été reconnu par la MSA. Il a été déclaré consolidé le 5 mars 2015.
Lors de la première visite de reprise en date du 17 mars 2015 le médecin du travail le déclarait apte, mais avec des restrictions « En évitant la manutention lourde et/ou en se baissant au sol pendant un mais. A revoir dans un mais. »
Le 14 avril 2015, le médecin du travail le déclarait apte sans restriction.
M. [Z] était arrêté le 27 avril 2015 déclarant une rechute de son accident du travail qui n'était pas reconnue comme telle par la MSA. Il faisait l'objet d'un arrêt de travail jusqu'au 06 mai 2017. La MSA l'informait de la cessation de versement des indemnités journalières à compter du 16 mai 2017.
A l'issue d'une seconde visite de reprise le 30 mai 2017, le médecin du travail déclarait M. [Z] inapte à son poste d'ouvrier agricole et préconisait «des taches légères d'entretien d'espaces verts en lui permettant des stations assises occasionnelles ou un travail assis sur siège adaptable avec soutien lombaire »
Après avoir été déclaré consolidé par la MSA le 5 mars 2015 de son dernier accident du travail et reconnu apte sans réserves le 14 avril 2015, les arrêts de travail à compter du 27 avril 2015 étaient déclarés sans lien avec les accidents du travail antérieurs. Le médecin du travail a précisé que l'inaptitude n'était pas d'origine professionnelle.
Dès lors, l'employeur ne pouvait avoir connaissance que l'inaptitude déclarée avait, au moins partiellement, pour origine l'accident de travail. En effet, l'employeur n'a pas été destinataire du certificat médical du Docteur [Y] [O] établi le 13 novembre 2017 retraçant les liens entre l'affection dont était atteint M. [Z] et les accidents du travail antérieurs.
L'employeur ayant connaissance d'un avis de consolidation, d'un avis d'aptitude sans réserve et du refus par l'organisme social de prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail de la rechute déclarée par M. [Z] était fondé à considérer, en l'absence de tout autre élément, que l'inaptitude déclarée de M. [Z] n'avait pas d'origine professionnelle.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur le reclassement
M. [Z] soutient que la SCEA l'Ameillaud, outre l'activité viticole et vinicole (cave), exploite également un gîte de luxe, ouvert toute l'année recevant une clientèle internationale et dispose ainsi des commodités et agréments inhérents à cette activité avec parc arboré, espace verts et piscine notamment, qu'il était fréquemment sollicité par l'employeur pour l'entretien des espaces verts autour du gîte, partie intégrante du domaine, pour des interventions d'entretien intérieur du gîte, y compris l'entretien de la piscine, mais également à la cave, à l'embouteillage, à l'étiquetage, aux préparations de commandes etc...
Il verse des attestations d'autres salariés qui confirment ses déclarations :
- M. [G] : « ...On a toujours fait les feuilles, le jardinage, la piscine, pelouses et haies et l'entretient de la cave et des gîtes. Aussi l'embouteillage, l'étiquetage et préparations de commandes »
- M. [J] : « j'ai toujours vu et fait avec M. [Z] [S] : ramassage des feuilles et ratisser le sol, s'occuper du jardin ainsi que de la piscine et arroser le potager ainsi que les nombreuses plantes du domaine. On ratissait les cours avant chaque arrivée des clients, on entretenait aussi les gîtes et les caves.»
M. [Z] relève que ces tâches sont précisément celles envisagées par le médecin du travail dans son avis d'inaptitude.
Or la consultation du registre du personnel enseigne qu'il n'existe aucun autre poste que celui d'ouvrier agricole.
La SCEA l'Ameillaud indique sans être utilement contredite que la gestion des gîtes est assurée par Mme [H], épouse du gérant qui participe également à l'exploitation des gîtes, que de novembre à mars le domaine ne reçoit pas de clients, que MM. [G] et [J] ont quitté l'entreprise depuis dix ans lorsqu'ils attestent,
Dès lors, en l'absence de poste disponible, aucun reclassement n'était possible ni au sein de la SCEA de l'Ameillaud ni au sein de la SARL de l'Ameillaud.
Sur le rappel d'indemnité de licenciement et incidences
Selon l'article R.1234-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige :
«Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :
1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement ;
2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion».
Selon la jurisprudence le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, celui des douze ou des trois derniers mois précédant l'arrêt de travail pour maladie.
M. [Z] demande de prendre en compte les douze derniers mois de salaire antérieurement à son accident du travail et de lui allouer la somme de 1 389.47 euros à titre de reliquat.
Le jugement a fait droit aux demandes de M. [Z] à ce titre, l'employeur répliquant à tort que le salaire de référence est celui précédent le licenciement. La décision sera donc confirmée de ce chef.
Sur l'indemnité compensatrice prévue à l'article L.1226-14
Dès lors qu'il a été jugé que l'origine de l'inaptitude de M. [Z] n'est pas professionnelle, ce dernier ne peut prétendre à l'indemnité prévue à l'article L.1226-14 applicable en cas d'impossibilité de reclassement suite à un arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle.
Le jugement qui a fait droit aux demandes du salarié à ce titre encourt l'infirmation.
Sur les manquements multiples aux dispositions conventionnelles
M. [Z] sollicite la confirmation du jugement qui lui a alloué la somme de 500,00 euros à titre de dommages et intérêts au titre de ces manquements.
M. [Z] fait observer que l'avenant n° 97 du 7 juillet 2014 portant révision totale de la CCN agriculture de Vaucluse, porte dans son article 6.6 Chapitre VI les dispositions suivantes relativement à l'ancienneté ;
- Après 10 ans : 6%
- Après 15 ans : 7%
- Après 25 ans : 10%
Il relève que ses bulletins de salaire de 2014 mentionnent une ancienneté de 6 % alors qu'il présentait une ancienneté de plus de 15 ans lui octroyant une majoration de 7%.
Il ajoute qu'en application de l'avenant n° 93 du 10 janvier 2014 relatif aux salaires minima, le salaire horaire pour le coefficient 165, devenu N HI, E1 est de 11.36 euros alors que le salaire horaire porté sur les bulletins de salaire de 2014 est de 11.17 euros.
L'employeur oppose la prescription tirée de l'article 1471-1 du code du travail.
Or en matière de salaire seule la prescription de l'article L.3245-1 du code du travail a vocation à s'appliquer.
M. [Z] ayant saisi la juridiction prud'homale le 11 mars 2019, sa demande portant sur des salaires de 2013 et 2014 ne peut prospérer et il ne saurait être présenté une demande en paiement de dommages et intérêts pour contourner les règles de prescription.
M. [Z] observe que sur les BS 2013 et 2014, il apparaît une ligne notée «1/12 Taille 2012/2013 » avec une somme en face, qui manifestement correspond à du travail supplémentaire en période de taille, non majorée à juste titre et versée en différé sous forme de prime mensuelle.
Il considère que quand bien même cette période est-elle prescrite, cette opération comptable relève de dissimulation d'heures supplémentaires, au seul bénéfice de l'employeur et au seul détriment du salarié constituant un préjudice financier incontestable, et ce depuis des années.
L'employeur rétorque que la prime de taille est versée aux salariés en fonction du rendement et a vocation à gratifier ces derniers à ce titre. En tout état de cause rien ne permet de considérer que cette pratique s'assimilerait à une dissimulation d'heures supplémentaires.
M. [Z] indique que «également à l'article 5,10 relatif au cumul des congés y compris en maladie pendant 1 an, le cumul présenté sur l'attestation Pôle Emploi fait état de 28,5 jours, alors que le cumul aurait dû être de 38,29 jours (cumul fin sept 2014 ; 13,33 j (AT le 29) + cumul sur 1 an 12 * 208 j = 24,96 j, soit 38,29j)». Effectivement, le bulletin de paie de septembre 2014 laisse apparaître un solde de congés payés de 11,25 auquel s'ajoutent les 2,08 jours acquis pour le mois. M. [Z] a été ensuite placé en arrêt de travail pour accident du travail entraînant une période assimilée à du travail effectif ( L.3141-5 5°) pendant une année ; l'employeur réplique que le salarié a repris son emploi à la suite de son accident du travail du 24 septembre 2014 ce qui ne présente aucune pertinence. Il sera fait droit à la demande.
Le jugement qui a alloué la somme de 500,00 euros à M. [Z] sera confirmé de ce chef.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en l'espèce.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort
- Réforme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SCEA [Adresse 4] à payer à M. [S] [Z] la somme de 4 352,72 euros au titre de deux mois de préavis
- Statuant à nouveau de ces chefs réformés, déboute M. [Z] de ses demandes au titre de l'indemnité compensatrice,
- Confirme le jugement déféré pour le surplus,
- Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne M. [Z] aux dépens d'appel.
Arrêt signé par le président et par la greffiere.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,