RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 20/03127 - N° Portalis DBVH-V-B7E-H3VN
CC
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MENDE
30 septembre 2020 RG :2017000655
[L]
C/
[I]
Grosses envoyées le 12 octobre 2022 à :
- Me GOUIN
- Me ANDRIEU
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
4ème chambre commerciale
ARRÊT DU 12 OCTOBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de MENDE en date du 30 Septembre 2020, N°2017000655
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre,
Mme Claire OUGIER, Conseillère,
Mme Agnès VAREILLES, Conseillère.
GREFFIER :
Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 19 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 Octobre 2022.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
Madame [Y] [L]
née le 11 Avril 1967 à [Localité 3]
[Z]
[Localité 2]
Représentée par Me Stéphane GOUIN de la SCP LOBIER & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Camille MORIN, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉ :
Monsieur [X] [I], pris en sa qualité de liquidateur de LA LOZERIENNE DE SCHISTES, enregistrée au Registre du Commerce et des Sociétés de MENDE sous le numéro 451 930 838 ; dont la liquidation amiable a été enregistrée au service des Impôts et des Entreprises le 13 avril 2017,
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Steve HERCÉ de la SCP CABINET BOIVIN ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Représenté par Me Sandrine ANDRIEU, Postulant, avocat au barreau de LOZERE
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Christine CODOL, Présidente de Chambre, le 12 Octobre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 2 décembre 2020 par Mme [Y] [L] à l'encontre du jugement prononcé le 30 septembre 2020 par le tribunal de commerce de Mende dans l'instance n°2017000655.
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 7 septembre 2022 par l'appelante et le bordereau de pièces q ui y est annexé.
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 12 juillet 2022 par Monsieur [X] [I] es qualités de liquidateur de la SARL La Lozérienne de Schistes, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé.
Vu l'ordonnance du 25 mars 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 8 septembre 2022.
* * *
La SARL La Lozérienne de Schistes a été autorisée à exploiter une carrière à ciel ouvert de schistes sur la commune de [Localité 2]-[Localité 5] pour une durée de 30 ans et a conclu, le 6 septembre 2006, avec Madame [L], propriétaire de la carrière, un contrat de fortage. La durée de ce contrat a été fixée à 9 ans, renouvelable par tacite reconduction pour une durée de 10 ans.
La société exploitante a fait l'objet d'une dissolution, publiée par avis au Bodacc du 22 septembre 2016.
Les redevances ont été versées au propriétaire jusqu'en février 2017.
Le 11 avril 2017, le liquidateur amiable notifiait à la propriétaire la résolution du contrat de fortage après lui avoir rappelé que la société exploitante était dissoute et que les comptes de liquidation avaient été déposés au tribunal de commerce le 28 février 2017.
Par exploit du 13 novembre 2017, le propriétaire a fait assigner l'exploitant devant le tribunal de commerce de Mende qui, par jugement avant dire droit du 30 juillet 2018, a ordonné une expertise.
L'expert désigné a rendu son rapport le 19 avril 2019.
Par jugement du 30 septembre 2020, le tribunal de commerce de Mende a débouté Madame [L] de son action en responsabilité du liquidateur mais l'a condamné à remettre les lieux en l'état conformément aux instructions de l'administration, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du terme du mois suivant la signification du jugement et condamné les parties, chacune pour moitié, aux dépens. Comprenant les frais d'expertise.
Madame [L] a relevé appel de ce jugement et demande à la cour, au visa de l'article L.237-12 du code de commerce, d'infirmer le jugement déféré et de :
Juger Monsieur [I] responsable de la faute commise durant les opérations de liquidation de la société La Lozérienne de Schistes,
Le condamner au paiement d'une somme de 275 083,31 euros au titre du non respect du terme du contrat,
A défaut,
Le condamner au paiement de la somme de 275 083,31 euros au titre de la rupture abusive,
En tout état de cause,
Le condamner au paiement de la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral,
Le condamner au paiement de la somme de 4 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Débouter Monsieur [I] de l'ensemble de ses demandes ;
Ordonner l'exécution provisoire de la décision,
Condamner Monsieur [I] aux dépens.
Au soutien de ses prétentions, Madame [L] expose que Monsieur [I] a clôturé les opérations de liquidation de la société sans tenir compte de sa créance, pourtant réclamée par voie de mise en demeure et sans en avoir provisionné le montant. Elle indique que Monsieur [I], avant la procédure judiciaire, n'a jamais invoqué l'état d'épuisement de la carrière et fait grief au jugement d'avoir retenu une exception d'inexecution du contrat, qualifié à tort de contrat de vente. Elle conteste d'ailleurs le fait que la carrière soit épuisée. Enfin, elle critique une expertise déposée par l'intimée, qui n'a pas été effectuée contradictoirement et s'étonne que l'expert missionné par l'intimé se soit déplacé sur sa propriété privée sans son autorisation préalable, ce qui est déloyal et illégal. Elle évalue son préjudice au montant des redevances qu'elle aurait dûes percevoir jusqu'au terme du contrat en 2023 et fait valoir un préjudice moral consécutif à l'incertitude subie quant à la situation réelle de la société exploitante et aux tracas que ce contentieux a engendré.
Madame [L] conclut au subsidiaire à une rupture abusive des relations établies et fait grief au tribunal de commerce de Mende de ne pas avoir examiné ce moyen.
Monsieur [I] es-qualités de liquidateur conclut à la confirmation du jugement déféré et demande à la cour de dire qu'il n'a commis aucune faute dans la dissolution de la société en résiliant le contrat de fortage, de débouter Madame [L] de l'ensemble de ses demandes, de la condamner au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, le liquidateur amiable expose que le contrat de fortage est un contrat de vente, pouvant librement être résilié en l'absence de matériaux disponibles dans la carrière, ce qui enlève toute contrepartie à la redevance stipulée. Il soutient que l'expertise non contradictoire qu'il communique n'a pas à être écartée car elle est corroborée par d'autres éléments. Il rappelle que le contrat comprenait une clause résolutoire en cas d'épuisement des sols et que c'est à bon droit que le tribunal a retenu une exception d'inexécution. Il dénie toute rupture brutale des relations établies et prétend que le propriétaire n'a subi aucun préjudice en raison de l'état d'épuisement de sa carrière et du préavis dont il a disposé.
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
A titre liminaire, il convient de préciser que les parties n'ont pas entendu soumettre à la cour la disposition du jugement déféré relative à la remise en état des lieux, qui a été effectuée et constatée par procès-verbal de la DREAL du 14 avril 2021.
Sur la responsabilité du liquidateur amiable :
L'article L 237-12 du code de commerce dispose :
« Le liquidateur est responsable, à l'égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l'exercice de ses fonctions. L'action en responsabilité contre les liquidateurs se prescrit dans les conditions prévues à l'article L 225-254 ».
Il est de jurisprudence constante que la liquidation amiable d'une société impose l'apurement intégral du passif , la responsabilité du liquidateur amiable pouvant être recherchée sur le fondement de l'article L. 237-12 du code de commerce s'il n'a pas constitué dans les comptes de la société une provision de nature à garantir les créances le cas échéant litigieuses.
En l'absence d'actif social suffisant pour répondre du montant des créances certaines de la société, il appartient au liquidateur de différer la clôture de la liquidation et de solliciter, le cas échéant, l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de la société .
Il est établi par les pièces produites tant par la propriétaire que par le liquidateur amiable et leurs écritures concordantes sur ces points que :
Elles étaient liées par un contrat de fortage prévoyant le versement d'une redevance forfaitaire,
La dissolution de la société exploitante a été publiée au Bodacc le 22 septembre 2016,
Les redevances ont été payées jusqu'en février 2017,
La société exploitante notifiait, le 11 avril 2017, à la propriétaire la résolution du contrat de fortage après lui avoir rappelé que la société exploitante était dissoute et que les comptes de liquidation avaient été déposés au tribunal de commerce le 28 février 2017.
Il existait donc des relations contractuelles entre les parties sanctuarisées par un contrat, dont l'exécution était litigieuse puisque le propriétaire adressait deux courriers à l'exploitant le 26 avril 2016, 24 mai 2016 pour lui demander le paiement des redevances, avant de se voir notifier une résolution du contrat par courrier du 11 avril 2017.
Le tribunal s'est fourvoyé en recherchant si la résiliation du contrat était fondée ou non.
En effet, l'action en responsabilité du liquidateur implique de rechercher s'il y a faute du liquidateur et cette faute est constituée dès lors qu'une créance litigieuse ' comme en l'espèce ' n'est pas garantie par une provision.
Le liquidateur ne dit à aucun moment qu'il a constitué une telle provision et ne produit d'ailleurs pas les comptes de liquidation. Les documents comptables sollicités par le propriétaire au greffe du tribunal de commerce de Mende, avec la mention que les informations sont à jour au 9 mars 2017, ne concernent que les exercices 2010 à 2014. Ils ne comportent pas de provision suffisante pour désintéresser le créancier. Mais, en cas d'actif insuffisant, le liquidateur amiable, qui était l'ancien gérant de la société, aurait dû demander l'ouverture d'une procédure collective.
La faute du liquidateur, qui savait que le propriétaire voulait être payé de ses redevances jusqu'au terme du contrat est constituée.
En ce qui concerne le préjudice, il convient de préciser que le contrat de fortage comportait une clause résolutoire visant l'épuisement du sol mais que l'expert judiciaire constate que la qualité du gisement est standard, que la production de lauzes n'est pas possible dans tous les endroits de la carrière, laquelle est toujours exploitable moyennant quelques travaux de terrassement.
Une expertise non contradictoire et divergente est produite par l'intimé mais elle n'a aucune valeur probatoire en ce qu'elle n'est pas corroborée par d'autres éléments.
Etant rappelé que le contrat de fortage et l'autorisation d'exploiter ne portent pas spécifiquement sur la production de lauzes, la clause résolutoire n'avait pas vocation à s'appliquer.
Pour autant, il n'est nullement établi que la société exploitante aurait eu l'actif suffisant pour acquitter les redevances dûes contractuellement au propriétaire ou les provisionner, et le préjudice s'analyse en une perte de chance de percevoir la somme de 275 083,81 euros.
Les parties n'ayant pas conclu sur cette perte de chance, il y a lieu d'ordonner la réouverture des débats afin de respecter le principe du contradictoire et d'enjoindre le liquidateur de produire les comptes de liquidation de la société exploitante, ainsi que ceux de l'exercice 2016.
La demande en réparation du préjudice moral, les frais et dépens sont réservés.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoireet en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
Dit que Monsieur [X] [I] est responsable, à l'égard de Madame [Y] [L], des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l'exercice de ses fonctions,
Avant dire droit sur le préjudice,
Ordonne la réouverture des débats, sans révocation de l'ordonnance de clôture afin que les parties concluent uniquement sur la perte de chance pour Mme [Y] [L] de percevoir l'intégralité des redevances stipulées contractuellement jusqu'en 2023, soit la somme de 275 083,81 et le montant/pourcentage des dommages intérêts qu'elle est en droit de percevoir au titre de cette perte de chance,
Enjoint Monsieur [I] de produire les comptes annuels de l'exercice 2016 ainsi que les comptes de liquidation de la société La Lozérienne des Schistes avant le 30 novembre 2022,
Dit que les parties pourront conclure sur ces nouvelles pièces à l'appui de leurs prétentions sur la perte de chance,
Dit que leurs écritures devront être communiquées et déposées avant le 15 décembre 2022,
Renvoie l'affaire à l'audience du lundi 9 janvier 2023 à 14:30,
Réserve les demandes de réparation du préjudice moral, d'indemnisation des frais irrépétibles et les dépens.
Arrêt signé par Mme Christine CODOL, Présidente de chambre, et par M. Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,