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14/06/2022 | FRANCE | N°20/00591

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 5e chambre pole social, 14 juin 2022, 20/00591


ARRÊT N°



R.G : N° RG 20/00591 - N° Portalis DBVH-V-B7E-HUYZ

EM/DO



TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE D'AVIGNON

30 janvier 2020





RG:16/00231





AYECHE





C/



CPAM DE VAUCLUSE

S.A.R.L. LE RELAIS VERT



































COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE SOCIALE



ARRÊT DU 14 JUIN 2022






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Madame [U] [T]

HLM Les Mûriers - Appartement 96

84170 MONTEUX



représentée par Me Louis-alain LEMAIRE, avocat au barreau d'AVIGNON





INTIMÉES :



CPAM DE VAUCLUSE

7 Rue François 1er

84043 AVIGNON CEDEX 9



représentée par M. [V] en vertu d'un pouvoir général



S.A.R.L. LE RELAIS VERT

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ARRÊT N°

R.G : N° RG 20/00591 - N° Portalis DBVH-V-B7E-HUYZ

EM/DO

TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE D'AVIGNON

30 janvier 2020

RG:16/00231

AYECHE

C/

CPAM DE VAUCLUSE

S.A.R.L. LE RELAIS VERT

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 14 JUIN 2022

APPELANTE :

Madame [U] [T]

HLM Les Mûriers - Appartement 96

84170 MONTEUX

représentée par Me Louis-alain LEMAIRE, avocat au barreau d'AVIGNON

INTIMÉES :

CPAM DE VAUCLUSE

7 Rue François 1er

84043 AVIGNON CEDEX 9

représentée par M. [V] en vertu d'un pouvoir général

S.A.R.L. LE RELAIS VERT

zone bellecourt 6 621 allée Bellecourt

84200 carpentras

représentée par Me Ashkhen HARUTYUNYAN de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE,

repréentée par Me Elodie RIGAUD, avocat au barreau de NIMES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 945-1 du code de Procédure Civile, sans opposition des parties.

Elle en a rendu compte à la Cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Evelyne MARTIN, Conseillère

Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

à l'audience publique du 05 Avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 Juin 2022

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 14 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Mme [M] [T], embauchée par la Sarl le Relais Vert le 02 décembre 2005 en qualité d'employée des services administratifs et commerciaux, a été victime d'un accident le 05 février 2009 pour lequel l'employeur a établi une déclaration d'accident de travail le 06 février 2009 qui mentionnait 'crise de tétanie. Lieu de travail habituel. Circonstance d'une journée normale de travail. Rien de significatif à signaler', la salariée indiquant pour sa part qu'elle avait été victime d'une agression de M. [S] [P], directeur de la société, sur son lieu de travail.

Le certificat médical initial établi le 05 février 2019 par le Docteur [I] [F] mentionnait 'patiente de 31 ans adressée aux urgences pour crise d'angoisse et d'anxiété majeure dans le cadre de son travail'.

Le 04 mai 2009, cet accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse au titre de la législation sur les risques professionnels.

Mme [M] [T] a été déclarée consolidée à la date du 17 mars 2014 et une rente d'un montant annuel de 5 752,86 euros lui a été allouée à compter du 18 mars 2014, sur la base d'un taux d'incapacité permanente de 34% dont 4% pour le taux professionnel.

Mme [M] [T] a saisi le tribunal de grande instance d'Avignon, contentieux de la protection sociale, par lettre recommandée du 13 février 2016 aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur.

Suivant jugement du 30 janvier 2020, le tribunal de grande instance d'Avignon, contentieux de la protection sociale, a :

- débouté Mme [M] [T] de l'intégralité de ses demandes formées contre son employeur la Sarl Le Relais Vert,

- déclaré le jugement commun et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse,

- dit n'y avoir lieu à au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné Mme [M] [T] au paiement des entiers dépens de l'instance.

Suivant déclaration envoyée par voie électronique le 14 février 2020, Mme [M] [T] a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée par courrier du greffe daté du 30 janvier 2020 et dont l'accusé de réception correspondant ne figure pas dans le dossier.

L'affaire a été appelée à l'audience du 05 avril 2022 à laquelle elle a été retenue.

Suivant conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l'audience, Mme [M] [T] demande à la cour de :

- dire son appel recevable et bien fondé,

- infirmer le jugement du 30 janvier 2020,

- dire que la Sas le Relais vert a commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident de travail qu'elle a subi le 05 février 2009,

- ordonner la majoration de la rente à son maximum,

- fixer son préjudice à la somme de 30 000 euros se décomposant comme suit:

- 20 000 euros au titre des souffrances morales endurées,

- 10 000 euros au titre de la perte de chance de promotion professionnelle,

- dire que ces sommes seront avancées par la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse qui récupèrera le montant auprès de la société,

- déclarer le jugement commun et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse,

- condamner la Sas Le Relais vert à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir, au visa de l'article L452-1 du code de la sécurité social et de la jurisprudence y afférente, que le tribunal a commis une erreur en retenant que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ne peut que se limiter aux circonstances de l'accident du travail du 05 février 2009, que les événements qui se sont déroulés ce jour n'ont été que le déclencheur de la dépression réactionnelle subie et générée de longue date par le stress accumulé depuis plusieurs mois. Elle indique avoir été soumise à une pression constante de la part de sa hiérarchie, que l'employeur ne conteste pas qu'elle effectuait des horaires démesurés, que ses conditions de travail se sont fortement dégradées depuis décembre 2008. Elle relate les faits qui se sont déroulés le 05 février 2009 au cours desquels M. [S] [P] l'a violemment expulsée de son bureau, ce qui a été à l'origine d'une crise de tétanie. Elle soutient que non seulement la Sarl le Relais Vert n'a jamais eu l'intention de prendre des mesures contre le harcèlement dont elle a fait l'objet, mais qu'elle s'est attachée à dissimuler ses carences auprès de l'inspection du travail.

Suivant conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l'audience, la Sarl Le Relais Vert demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [M] [T] de l'intégralité de ses demandes formées à son encontre et rejeté la faute inexcusable,

- le réformer en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application au titre de l'article 700 du code de procédure civile à son profit,

- le réformer en ce qu'il a rejeté sa demande concernant le rejet de l'accident de travail du 05 février 2019,

Statuant de nouveau,

- dit que l'incident du 05 février 2009 ne constitue pas un accident du travail imputable au compte de l'employeur,

- débouter Mme [M] [T] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [M] [T] au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance et en cause d'appel.

Elle fait valoir que contrairement à ce que prétend Mme [M] [T], l'état anxio-dépressif qu'elle impute aux conditions de son travail n'est pas reconnu comme maladie professionnelle, et que la motivation adoptée par le pôle social est pertinente. Elle indique que Mme [M] [T] a été indemnisée par le conseil de prud'hommes du fait de la dégradation de son état de santé en raison de ses conditions de travail par le prononcé du caractère illégitime du licenciement, que le jugement prud'homal qui a relevé qu'elle n'avait pas commis de faute inexcusable est revêtu de l'autorité de la chose jugée de sorte que la cour d'appel ne peut pas remettre en cause cette décision définitive.

Elle prétend que Mme [M] [T] invoque les mêmes faits et se prévaut des mêmes arguments devant deux juridictions différentes, le conseil de prud'hommes et le tribunal des affaires de sécurité sociale, alors qu'elle a déjà obtenu une indemnisation de l'ensemble de ses préjudices du fait de la dégradation de ses conditions de travail. Elle soutient qu'en tout état de cause, les griefs invoqués à son encontre ne sont pas justifiés, qu'il s'agisse de la surcharge de travail ou du non-repect par l'employeur des horaires de travail, et que Mme [M] [T] ne justifie pas s'être plainte de ses conditions avant le 05 février 2009. Elle ajoute qu'au vu de l'ensemble des éléments produits aux débats, il apparaît que Mme [M] [T] entretenait par ailleurs de bonnes relations avec M. [S] [P].

Elle conteste le caractère professionnel de l'accident survenu le 05 février 2019, au motif que la version des faits exposée par Mme [M] [T] est inexacte et varie d'un document à l'autre. Elle soutient que la salariée qui n'établit pas l'exactitude matérielle des faits invoqués, n'apporte aucune preuve susceptible d'établir sa faute inexcusable.

A titre subsidiaire, elle indique que Mme [M] [T] ne justifie en rien d'un quelconque préjudice, que les gains professionnels actuels et futurs et l'incidence professionnelle sont couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale et n'ouvrent donc pas droit à une indemnisation complémentaire.

Suivant conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse demande à la cour de :

- débouter l'employeur la Sarl Le Relais Vert de l'intégralité de ses demandes,

- lui donner acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour quant à la reconnaissance ou pas du caractère de la faute éventuellement commise par l'employeur,

Dans l'hypothèse où la faute inexcusable serait retenue :

- lui donner acte de ses protestations et réserves tant sur la demande d'expertise médicale que sur les préjudices réparables,

- notamment refuser d'ordonner une expertise médicale visant à déterminer :

- la date de consolidation,

- le taux d'IPP,

- le déficit fonctionnel permanent,

- les pertes de gains professionnels actuels,

- plus généralement, tous les préjudices déjà couverts même partiellement par le livre IV du code de la sécurité sociale dont les dépenses de santé future et actuelle, les pertes de gains professionnels actuels, l'assistance à tierce personne,

- lui donner acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour quant au montant de l'indemnisation à accorder à la victime au titre de la faute inexcusable de l'employeur,

- ramener les sommes réclamées à de justes et raisonnables proportions compte tenu du référentiel indicatif régional de l'indemnisation du préjudice corporel habituellement retenu par les diverses cours d'appel,

- au visa de l'article L452-3 du Code de la sécurité sociale dire et juger que l'employeur est de plein droit tenu de lui reverser l'ensemble des sommes ainsi avancées par elle au titre d ela faute inexcusable commise par lui, et ce compris les éventuels frais d'expertise,

En tout état de cause,

- rappelle qu'elle ne saurait tenue à indemniser l'assuré au delà des obligations mises à sa charge par l'article notamment à lui verser une somme allouée au titre de l'article au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que l'employeur n'a jamais contesté la décision de prise en charge de l'accident de travail de sorte que ladite décision de prise en charge en elle-même ne peut pas être remise en cause.

Sur la faute inexcusable elle entend par principe 'rester neutre'.

Elle indique qu'il appartient à la victime d'établir qu'elle a subi d'autres dommages que ceux couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale pour pouvoir bénéficier d'une expertise étendue.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens de parties, il convient de se référer à leurs écritures déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS :

Sur le fait accidentel du 05 février 2009 :

Selon l'article L411-1 du code de la sécurité sociale, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

L'accident de travail se définit comme un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail dont il est résulté une lésion corporelle quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.

L'accident survenu alors que la victime était au temps et au lieu de travail est présumé imputable au travail.

Cette présomption ne tombe que si l'employeur établit que la cause de l'accident est totalement étrangère au travail.

L'employeur peut toujours défendre à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable sur le fond, en contestant le caractère professionnel de la maladie, même si la prise en charge de la maladie est définitive à son égard.

En l'espèce, la déclaration d'accident de travail que la Sarl le Relais Vert a établie le 06 février 2009 vise un accident survenu le 05 février 2009 à 11h30, sur le lieu de travail habituel de la salariée, dans les circonstances suivantes 'circonstance d'une journée normale de travail. Rien de significatif à signaler', les horaires de travail de Mme [M] [T] fixés ce jour entre 08h30 et 12h puis entre 13h30 et 18h, la nature des lésions 'crise de tétanie' ; la déclaration indique que Mme [M] [T] a été transportée au pôle santé de Carpentras, que l'accident a été constaté le jour même à 12h ; il n'est fait état d'aucun témoin.

Les circonstances de cet accident peuvent être déterminées au vu de la déclaration d'accident de travail et de :

- une main courante datée du 05 février 2009 à 11h10 établie suite à un appel du codis 84 pour une intervention auprès de la société Relais Vert suite à un différend : 'une personne assimilée cadre a eu un différend avec son patron suite à un mail qu'elle aurait envoyé, rédigé ce mail. Néanmoins, il est satisfait du travail de cette jeune femme et concède même à ce qu'elle prenne un congé de huit jours afin de se déstresser, l'employée a été conduite au pôle de santé suite à une crise de tétanie',

- l'audition de Mme [M] [T] par les services de police le 09 avril 2009 : 'le 05/02/2009 vers 11h je me trouvais sur mon lieu de travail...j'ai été convoquée dans le bureau du directeur M [S] [P] suite à un mail que j'ai écrit à l'attention de son fils. Je me suis assise dans le bureau et M. [P] m'a demandé de dire que c'était [A] [K] qui l'avait rédigé car il cherchait à le licencier durant cette période. Je lui ai répondu que c'était moi qui l'avait écrit, il m'a alors dit en hurlant 'je t'avais laissé une chance, tu ne veux pas dire que c'est [A] [K] qui a rédigé ce mail, tu m'as menti, c'est une déclaration de guerre' puis il s'est levé il m'a saisi par le bras gauche en me secouant, il m'a lâchée il est allé ouvrir la porte et au moment où j'allais sortir il m'a dit 'c'est le jihad'. J'ai été très choquée par ces faits, je me suis effondrée, j'ai alors fait appel aux sapeurs pompiers qui m'ont transportée aux urgences de Carpentras...',

- un mail adressé par [S] [P] à [N] [P] le 05 février 2009 à 13h30 'elle est à l'hosto pour harcèlement! Donc nous n'allons pas la revoir de si tôt'!!!,

- un courrier établi par M. [S] [P] à l'attention de Mme [M] [T] daté du 13 mars 2009 qui mentionne notamment 'suite à un problème rencontré le lundi 2 février 2009, au niveau de la préparation de commandes, M. [N] [P]...a adressé un mail à l'ensemble de l'équipe afin de faire part de son mécontentement, d'obtenir des explications...Le 05 février 2009, vous avez répondu à M. [N] [P] par mail vers 9h en utilisant un ton et un vocabulaire que nous ne vous connaissons pas. Je vous ai donc rencontré ce même jour, vers 11 heures afin de vous clarifier la situation et d'entendre vos explications sur le contenu de votre réponse. Le ton employé dans votre mail m'a tellement étonné que je vous ai demandé si vous étiez personnellement l'auteur du mail. Vous ne m'avez pas donné d'explication. L'entretien a donc été très rapide et s'est déroulé sans incident. Peu de temps après notre entretien, nous avons été extrêmement surpris par la nouvelle ampleur prise par les événements avec la venue des pompiers et de la police au sein de notre établissement. Nous nous sommes alors sentis totalement dépassés par votre réaction qui nous apparaît disproportionnée au regard des faits et du contenu de notre entretien...',

- un procès-verbal d'audition de Mme [J] [D] salariée de la Sarl le Relais Vert établi par les services de police :'...c'est [U] qui m'a fait comprendre qu'il y avait une dispute verbale au moment où elle pleurait (ça c'était après). J'ai su que M. [P] [S] avait sollicité un rendez-vous avec elle (m'ayant appelée vu qu'il n'arrivait pas à la joindre) et qu'elle y est allée. Dès son retour d'entretien avec M. [P] j'ai vu qu'elle était énervée. Je l'ai entendue appeler quelqu'un pour demander d'aller récupérer son enfant. Après je suis allée à mes vacations...A mon retour, vers 11h30...elle m'a appelée en me demandant de venir dans la cuisine. Je suis descendue...et j'ai constaté à mon arrivée qu'elle était en pleurs et seule. Là elle m'a dit 'j'ai appelé les pompiers il faudra que tu les diriges' ( c'est elle qui m'a parlé de la dispute très brièvement)...',

- une attestation de Mme [J] [D] qui précise que 'dès son retour d'entretien elle (Mme [T] ) a donné pleins de coups de téléphone...c'est environ 1/2 heures plus tard qu'elle m'a appelée pour la rejoindre dans la cuisine, elle était en pleurs...',

- un procès-verbal d'audition de M. [B] [Y] par les services de police 'je savais qu'il y avait eu une réunion entre lui (M. [S] [P] et Mme [M] [T]) et je l'ai vu revenir dans le bureau.. 'apparemment normale'...elle était peut-être un peu excitée mais c'était souvent comme ça dès que quelque chose la contrariait...' et une attestation qu'il a rédigée et qui reprend ses propos.

Il ressort de ces éléments qu'il n'est pas contesté qu'un entretien a eu lieu entre Mme [M] [T] et M. [S] [P] le 05 février 2009 vers 11h au sujet d'un courriel qui a été adressé à son fils [N] [P], sur le lieu de travail et pendant les horaires de travail de la salariée.

Contrairement à ce que soutient la Sarl le Relais Vert, les versions données par Mme [M] [T] du déroulement des faits ce 05 février 2009 ne sont pas contradictoires.

Si M. [S] [P] prétend que l'entretien s'est déroulé sans incident, par contre la version donnée par Mme [M] [T] selon laquelle son employeur s'est adressée à elle en 'hurlant' en la secouant puis en lui disant que dorénavant ce serait la guerre entre eux et que ce comportement est à l'origine de la survenue soudaine d'une crise d'angoisse et de tétanie est corroborée d'une part, par le témoignage de Mme [J] [D] qui fait état de pleurs concernant Mme [M] [T] peu de temps après l'entretien, d'autre part, par son transport aux urgences par les pompiers, enfin par les mentions figurant sur le certificat médical initial et sur un certificat médical du service des urgences du centre hospitalier de Carpentras du 05 février 2009 'patiente de 31 ans aux urgences pour crise d'angoisse et d'anxiété majeure dans le cadre de son travail', remettant ainsi en cause l'absence de tout incident ce jour-là, comme il est indiqué sur la déclaration d'accident de travail établie par l'employeur.

Il s'en déduit que l'entretien qui s'est tenu entre Mme [M] [T] et son employeur le 05 février 2009 vers 11h, sur son lieu habituel de travail et pendant ses horaires de travail, au cours duquel la salariée a subi des violences verbales et physiques directement de son employeur à l'origine d'une lésion psychologique survenue brutalement constitue un fait accidentel qui bénéficie de la présomption d'accident de travail.

Force est de constater que la Sarl le Relais Vert n'établit pas que les lésions ainsi constatées le 05 février 2009 sur Mme [M] [T] aient une origine étrangère au travail.

Il s'en déduit que le fait accidentel du 05 février 2009 est un accident de travail.

Il y a lieu en conséquence de rejeter les prétentions de la Sarl le Relais Vert sur ce point.

Sur la faute inexcusable :

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il résulte de l'application combinée des articles L452-1 du code de la sécurité sociale, L4121-1 et L4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur et le fait qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, sont constitutifs d'une faute inexcusable.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ou de la maladie l'affectant ; il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, étant précisé que la faute de la victime, dès lors qu'elle ne revêt pas le caractère d'une faute intentionnelle, n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable.

Il incombe, néanmoins, au salarié de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l'employeur dont il se prévaut'; il lui appartient en conséquence de prouver, d'une part, que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait ses salariés et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires concernant ce risque, d'autre part, que ce manquement tenant au risque connu ou ayant dû être connu de l'employeur est une cause certaine et non simplement possible de l'accident ou de la maladie.

En l'espèce, l'argument de la Sarl le Relais Vert selon lequel le jugement du conseil de prud'hommes d'Orange du 03 novembre 2014 qui s'est prononcé sur l'absence de faute inexcusable commise par l'employeur le 05 février 2009 a autorité de la chose jugée liant la cour d'appel sur ce point, est inopérant, la juridiction prud'homale n'ayant pas compétence pour statuer sur l'existence ou non d'une faute inexcusable qui relève de la seule juridiction de sécurité sociale, et l'autorité de la chose jugée en cette matière s'impose au tribunal ou à la cour statuant en matière de sécurité sociale lorsqu'elle émane d'une juridiction pénale, étant rappelé que la question de l'autorité de la chose jugée au pénal sur la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur a été confirmée relativement à la matérialité des faits et au lien de causalité.

Le fait que la plainte que Mme [M] [T] a déposée auprès des services de police à l'encontre de M. [S] [P] pour les faits qui se sont déroulés le 05 février 2009 n'a pas fait l'objet d'une poursuite pénale est sans incidence sur l'issue de la présente instance.

Contrairement à ce que soutient la Sarl le Relais Vert, l'indemnisation sollicitée par Mme [M] [T] au titre de la faute inexcusable qu'elle revendique ne fait pas 'double emploi' avec les indemnisations accordées par le conseil de prud'hommes lequel s'est prononcé sur les conséquences du bien fondé ou de l'absence de bien fondé du licenciement pour inaptitude dont Mme [M] [T] a fait l'objet.

Enfin, la Sarl le Relais Vert ne peut pas soutenir sérieusement qu'elle n'avait pas conscience du danger auquel Mme [M] [T] était exposée dans la mesure où c'est l'employeur lui-même qui est à l'origine des violences exercées à l'encontre de la salariée et qu'il lui appartenait de prendre personnellement des mesures pour éviter qu'elle ne soit exposée à sa propre violence, en sollicitant par exemple la présence d'un autre salarié pour contenir son comportement et son verbe ou en s'abstenant de convoquer la salariée dans les suites immédiates de la découverte du courriel incriminé, peu importe que Mme [M] [T] n'établit pas l'existence de précédents incidents de même nature ou de tensions relationnelles importantes entre eux.

Il résulte des éléments qui précèdent que Mme [M] [T] établit que son employeur qui avait conscience du danger de violence auquel elle était exposée n'a pas pris toutes les mesures pour la préserver de ce risque, de sorte qu'il s'est rendu coupable d'une faute inexcusable à l'origine de l'accident de travail dont Mme [M] [T] a été victime le 05 février 2009.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce sens.

Sur les conséquences financières :

Il convient de rappeler que lorsque l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ses préposés, la victime peut prétendre à une majoration de la rente.

Par ailleurs, lorsque la faute inexcusable est reconnue, l'employeur doit rembourser la caisse de sécurité sociale de la totalité des sommes dues à la victime en vertu de la reconnaissance de la faute inexcusable, y compris la majoration de la rente, laquelle est désormais récupérée sous forme de capital représentatif en application du dernier alinéa de l'article L452-2 issu de la loi du 17 décembre 2012.

En l'espèce, Mme [M] [T] ne sollicite pas d'expertise médicale et demande la majoration de la rente à son maximum, la somme de 20 000 euros en réparation des souffrances morales endurées outre celle de 10 000 euros réparation du préjudice résultant de la perte de chance d'une promotion professionnelle.

- sur la réparation des souffrances endurées :

Dans la mesure où la rente répare le préjudice fonctionnel permanent , son titulaire ne peut réclamer, en sus de cette rente , l'indemnisation des souffrances physiques et morales postérieures à la consolidation'; sur le fondement de l'article L452-3 du code de la sécurité sociale , seules les souffrances physiques et morales antérieures à la consolidation peuvent être réparées.

La date de consolidation a été fixée au 17 mars 2014.

A l'appui de ses prétentions, Mme [M] [T] produit aux débats un rapport d'expertise réalisé par le docteur [O] [C] daté du 04 juillet 2011 duquel il ressort que Mme [M] [T] 'n'a pas vu de psychiatre mais une psychologue une fois par mois d'août 2009 à avril 2011 et a été mise sous traitement médicamenteux anxiolytique puis hypnotique puis association d'anxiolytique, hypnotique, antidépresseur, sans modification très significative depuis de très nombreux mois. Elle doit voir prochainement un psychiatre...Les symptômes anxieux et dépressifs sont patents, d'intensité modérée à sévère selon l'échelle d'Hamilton. Une prise en charge par un psychiatre paraît nécessaire.'

Au vu de ces éléments, il y a lieu d'allouer à Mme [M] en réparation de ce préjudice la somme de 6 000 euros.

- sur le préjudice résultant de la perte d'une chance de promotion professionnelle :

Il appartient à la victime d'un accident du travail résultant de la faute inexcusable de son employeur qui sollicite la réparation d'un préjudice au titre de la perte de chance ou d'une diminution des possibilités de promotion professionnelle de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue en établissant que la survenance de la promotion dont il a été privé était certaine avant la survenance du fait dommageable .

Il résulte de l'article L452-3 du code de la sécurité social que la victime d'un accident du travail a, en cas de faute inexcusable de son employeur, le droit de demander à celui-ci devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, quel que soit le cadre dans lequel celles-ci étaient susceptibles de se réaliser.

La victime ne peut prétendre à une indemnisation du fait de la perte de chance de ses possibilités de promotion professionnelle dès lors qu'elle ne justifie pas d'un préjudice certain, distinct de celui résultant de son déclassement professionnel qui est réparé par la rente ou qu'elle ne justifie pas de chances sérieuses de promotion professionnelle.

En l'espèce, force est de constater que Mme [M] [T] ne démontre pas qu'elle avait au sein de la Sarl Le Relai Vert des perspectives d'avancement proches et certaines, à tout le moins sérieuses, la simple éventualité d'une telle évolution sur les trois ans et demi d'exercice professionnel étant insuffisante à caractériser ce préjudice.

Il convient en conséquence de débouter Mme [M] [T] de ce chef de demande.

Enfin, la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse récupèrera auprès de la Sarl le Relais le montant des sommes allouées au titre de la majoration de la rente et celle due en remboursement des souffrances endurées.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce sens.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière de sécurité sociale et en dernier ressort;

Infirme le jugement rendu par le Tribunal de grande instance d'Avignon, contentieux de la protection sociale, le 30 janvier 2020,

Statuant de nouveau,

Dit que l'accident dont Mme [M] [T] a été victime le 05 février 2009 est un accident de travail,

Dit que l'accident de travail dont Mme [M] [T] a été victime le 05 février 2009 est du à la faute inexcusable commise par son employeur la Sarl le Relais Vert,

Fixe au maximum la majoration de la rente forfaitaire allouée à Mme [M] [T],

Dit que Mme [M] [T] peut prétendre à une indemnisation complémentaire dans les conditions prévues aux articles L452-2 à L452-5 du code de la sécurité sociale,

Fixe les préjudices subis par Mme [M] [T] consécutivement à l'accident de travail dont elle a été victime le 05 février 2009, de la façon suivante : souffrances endurées 6 000 euros,

Dit que la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse fera l'avance à Mme [M] [T] de cette somme,

Dit que la Sarl Le Relais Vert est de plein droit tenue de reverser à la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse l'ensemble des sommes ainsi avancées par elle au titre de la faute inexcusable qu'elle a commise,

Condamne la Sarl le Relais Vert à payer à Mme [M] [T] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel,

Déboute pour le surplus,

Déclare le présent arrêt commun et opposable à la Caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse,

Condamne la Sarl le Relais Vert aux dépens de première instance et de la procédure d'appel.

Arrêt signé par Monsieur ROUQUETTE-DUGARET, Président et par Madame OLLMANN, Greffière.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 5e chambre pole social
Numéro d'arrêt : 20/00591
Date de la décision : 14/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-14;20.00591 ?
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