ARRÊT N°
N° RG 19/02400 - N° Portalis DBVH-V-B7D-HMMC
MS/EB
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ORANGE
24 avril 2019
RG :18/00041
[P]
C/
[Y]
A.G.S - C.G.E.A TOULOUSE DELEGATION REGIONALE DU SUD-OUEST
Etablissement Public UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE MARSEILLE
S.E.L.A.R.L. CAMBON
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 14 JUIN 2022
APPELANTE :
Madame [C] [P]
1005 résidence Saint James
Bat B
Rocade Pont de Fillol
83140 SIX FOURS LES PLAGES
Représentée par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, avocat au barreau de CARPENTRAS
INTIMÉS :
Monsieur [H] [Y]
440 Chemin de l'Escale Plaine de Signargues
ZONE INDUSTRIELLE DE DOMAZAN
30390 DOMAZAN
Représenté par Me Aude-sarah BOLZAN, avocat au barreau d'AVIGNON
A.G.S - C.G.E.A TOULOUSE DELEGATION REGIONALE DU SUD-OUEST
1 rue des Pénitants blancs
CS 81510
31015 TOULOUSE CEDEX 6
Représenté par Me Lisa MEFFRE de la SELARL SELARLU MG, avocat au barreau de CARPENTRAS
UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE MARSEILLE
Les Docks Atrium 10.5
10 Place de la Joliette
BP 76514
13567 MARSEILLE CEDEX 0
Représentée par Me Lisa MEFFRE de la SELARL SELARLU MG, avocat au barreau de CARPENTRAS
SELARL CAMBON Es qualité de représentant des créanciers au redressement judiciaire de M. [Y] assignée à personne habilitée
22 rue Taisson
30100 ALES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 24 Mars 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Virginie HUET, Conseillère
M. Michel SORIANO, Conseiller
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
à l'audience publique du 07 Avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 Juin 2022
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 14 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Mme [C] [P] a été embauchée par M.[E] [Y] par contrat de travail a durée indéterminée établi le 23 avril 2012, en qualité de carreleur niveau II coef.185. Son salaire mensuel a été fixé a 1501,56 euros pour 151,67 H normales et 214,55 euros pour 17,33 heures supplémentaires.
Mme [P] a été victime d'un accident du travail le 27 mai 2014 qui a donné lieu a un arrêt de travail jusqu'au 20 juin 2014.
Du 23 février 2015 au 30 mars 2015, puis à compter du 8 mai 2015 jusqu'à son licenciement du 11 mars 2016, Mme [P] a fait l'objet d'arrêts maladie.
Le 21 juillet 2014, elle se voyait notifier un avertissement pour avoir proféré des propos grossiers.
Le 30 juillet 2014, elle recevait un nouvel avertissement pour avoir refusé de modifier ses dates de départ de congés payés.
Le 15 septembre 2014 et 2 octobre 2014, le médecin du travail lui prescrivait une restriction de port de charges.
Le 7 mai 2015, Mme [P] était victime d'un accident de travail.
Le 15 mai 2015, Mme [P] saisissait le conseil de prud'hommes de Nîmes en formation de référé aux fins de solliciter la condamnation de M. [Y] au paiement d'une somme de 2300 euros à titre de rappel d'indemnités de trajets.
Suivant ordonnance en date du 8 juillet 2015, M. [Y] était condamné au paiement de la dite somme.
Le 19 août 2015, Mme [P] saisissait à nouveau le conseil de prud'hommes de Nîmes en formation de référé aux fins de solliciter la condamnation de M.[Y] au paiement des sommes suivantes :
3506 euros au titre d'une retenue sur salaire.
53,79 euros en remboursement de ses frais d'huissier.
254 euros en remboursement d'indemnités kilométriques.
529,23 euros pour reliquat des indemnités de trajet.
26,36 euros pour frais postaux.
4189 euros d'indemnités kilométriques dues au retrait de son véhicule de fonction.
5 000 euros au titre des articles L 1331-2 et L 1334-1 du code du travail.
Suivant ordonnance du 25 novembre 2015, Mme [P] était déboutée de ses demandes.
Mme [P] interjetait appel de ladite ordonnance et la cour lui accordait la somme de 350 euros au titre de la retenue sur salaire par arrêt du 23 mai 2017.
Le 7 juin 2016, Mme [P] saisissait à nouveau la formation de référé du conseil de prud'hommes de Nîmes sollicitant la condamnation de M. [Y] au paiement des sommes suivantes :
2 400 euros au titre des congés payés.
3 750 euros au titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L 1334-1 du code du travail.
1 500 euros au titre de l'article 700.
Suivant ordonnance de référé du 10 août 2016, la salariée était déboutée de ses demandes, seule la remise du certificat de congés payés était ordonnée.
Mme [P] a été déclarée inapte à tout poste dans l'entreprise par le médecin du travail à l'issue d'un seul examen intervenu le 1er février 2016 pour cause de danger immédiat et M. [Y] a procédé à son licenciement pour inaptitude par lettre recommandée avec accusé de réception notifiée le 11 mars 2016
M. [Y] a fait l'objet le 27 septembre 2017 d'une procédure de redressement judiciaire suivant jugement du tribunal de commerce de Nîmes et la SELARL CAMBON a été désignée en qualité de représentant des créanciers.
Par jugement de ce même tribunal du 2 octobre 2018, la procédure de redressement judiciaire de M. [Y] a été clôturée.
Contestant la légitimité de la rupture, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes d'Orange afin de voir prononcer la requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir la condamnation de l'employeur à diverses sommes à caractère indemnitaire notamment pour harcèlement moral, lequel, par jugement contradictoire du 24 avril 2019 l'a déboutée de toutes ses demandes et condamnée à payer à M. [Y] la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par acte du 13 juin 2019, Mme [P] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions récapitulatives en date du 24 mars 2022, elle demande à la cour de :
Infirmant le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Orange le 24 avril 2019 en toutes ses dispositions ;
Constater que M. [H] [Y] s'est rendu coupable de harcèlement moral et a manqué à son obligation de sécurité de résultat à l'encontre de Mme [P] ;
Constater que l'inaptitude physique de Mme [P] constatée par le médecin du travail est imputable aux manquements de M. [H] [Y] à ses obligations en matière de sécurité et de prévention du harcèlement moral ;
Déclarer nul et en tous cas sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié par M. [H] [Y] à Mme [P] ;
Déclarer nuls l'ensemble des avertissements disciplinaires notifiés à Mme [P] les 21 juillet 2014, 30 juillet 2014, 27 avril 2015 et 12 mai 2015
Voir fixer la créance de Mme [P] au redressement judiciaire de M. [H] [Y] aux sommes suivantes, ou, en tant que de besoin, le condamner au paiement de :
35 000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse ;
10000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
8000 euros à titre de dommages et intérêts pour privation du véhicule de fonction et, subsidiairement, privation de l'engagement contractuel de prise en charge des trajets domicile-travail de la salariée ;
5000 euros au titre des sanctions disciplinaires injustifiées et autres sanctions illicites ;
Remise de bulletins de salaires rectifiés, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi conformes sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de 15 jours après la notification de la décision à intervenir
5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Le condamner aux entiers dépens.
Elle soutient essentiellement que :
- Sur la nullité du licenciement consécutif à un harcèlement moral
- le 27 mai 2014, elle a fait l'objet d'un arrêt de travail pour accident du travail qui a donné lieu à un arrêt de travail jusqu'à 20 juin 2014.
À la reprise de son poste, elle n'a pas rencontré le médecin du travail
- À son retour d'arrêt de travail, M. [Y] a adopté à son encontre un comportement résolument hostile
- Elle a fermement contesté les deux avertissements dont elle a fait l'objet, le premier reposant sur des accusations mensongères car elle est toujours restée respectueuse dans ses expressions, le second étant d'autant plus injuste que l'employeur avait été informé oralement, puis par courriels des 13 et 26 juillet, de ses dates de congés dont elle demandait initialement une semaine sous forme de repos compensateurs et le reste sous forme de congés payés
- L'employeur s'est mis à l'envoyer sur des chantiers particulièrement physiques alors qu'elle est une femme en lui faisant réaliser par exemple la dépose et le remplacement d'une vingtaine de carreaux en pierre de 15 à 20 kg chacun, ainsi que des dalles de pierre de 35 kg. Cette situation l'a conduite à exercer son droit de retrait et alerter l'inspection du travail de la situation
- Par courriel du 17 octobre 2014, elle dénonçait une inégalité de traitement avec ces collègues
- Par courriel du 2 décembre 2014, elle dénonçait la surveillance constante dont elle faisait l'objet, sans toutefois lui donner du travail, l'obligeant à mettre en demeure son employeur de lui fournir du travail
- Elle était délibérément mise à l'écart des moments de détente de l'entreprise
- Le 7 mai 2015, elle était victime d'un malaise sur son lieu de travail après avoir été agressée verbalement par son employeur et M. [L], un autre salarié, justifiant la venue des pompiers et la prise en charge de l'arrêt qui s'en est suivi en accident du travail
- Lors de la visite de reprise, le médecin du travail a constaté que « tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé»
- Son inaptitude est donc bien la conséquence du harcèlement moral dont elle a été victime et dont son employeur est responsable
- L'employeur n'a pris aucune mesure pour tenir compte de sa situation de détresse , dénoncée par de nombreux courriels entre juillet 2014 et son accident du travail du 7 mai 2015, puis postérieurement à son arrêt de travail
pour accident
- Même en l'absence de harcèlement moral reconnu, l'article L4121-1 du code du travail impose à l'employeur une obligation générale de sécurité à l'égard de ses salariés
- Lorsqu'un climat conflictuel existe dans l'entreprise, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires propres à préserver la santé et la sécurité de l'ensemble des salariés, ce qui implique également, lorsque les tensions ne peuvent manifestement pas être apaisées, le recours à un médiateur ou au médecin du travail, ce qu'il s'est abstenu de faire
- En l'espace de 10 mois, elle a reçu 4 avertissements à des dates très rapprochées alors qu'elle n'en avait jamais reçus au cours des 2 premières années
- La fréquence de ces avertissements à un rythme particulièrement élevé à compter de juillet 2014 démontre de facto une détérioration de ses conditions de travail
-Le harcèlement moral dont elle a été victime a eu des conséquences graves sur son état de santé
- Sur le retrait illicite du véhicule Kangoo
- Elle a été privée de manière unilatérale par son employeur d'un élément de
son salaire, même s'il n'était pas déclaré, et cette diminution sans son accord de sa rémunération est également de nature à caractériser un trouble manifestement illicite
- Entre le 15 octobre 2014, date à laquelle elle a été privée de son véhicule et le 7 mai 2015, date à laquelle elle a été victime d'un accident du travail, elle a dû prendre à sa charge les frais de trajet de son domicile au siège de l'entreprise, et du siège de l'entreprise à son domicile, l'employeur l'obligeant à se rendre au dépôt contrairement aux autres salariés
- La commune intention des parties de conférer un caractère contractuel à l'avantage consistant dans l'utilisation par le salarié du véhicule mis à sa disposition comme « véhicule de fonction » pour ses trajets domicile-travail, résulte de la lettre même de l'employeur du 14 juillet 2014
- Sur l'irrecevabilité pour cause de prescription invoquée par l'employeur
- Elle a été licenciée par lettre du 11 mars 2016, notifiée à la salariée le 12
mars au plus tôt. La prescription était de deux ans pour contester son licenciement et elle a saisi le conseil de prud'hommes le 9 mars 2018, avant l'expiration du délai, soit le 12 mars 2018
- En outre, elle a fait une demande d'aide juridictionnelle qui a interrompu le délai de prescription
- Ses demandes en dommages et intérêts ne sont pas plus prescrites dans la mesure où elle a saisi à plusieurs reprises la juridiction des référés du conseil de prud'hommes, interrompant ainsi la prescription, qui a recommencé à courir à compter du 10 août 2016 seulement (date de la dernière ordonnance de référé). Celui-ci a de nouveau été interrompu par la demande d'aide juridictionnelle déposée le 19 septembre 2017.
Dans le dernier état de ses conclusions récapitulatives en date du 22 mars 2022, M. [Y] demande à la cour de :
Déclarer recevable mais mal fondé l'appel principal interjeté par Mme [P]
Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Orange en ce qu'il a débouté Mme [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Orange en ce qu'il a débouté M.[Y] de sa demande de dommages et intérêts.
En conséquence :
À titre principal :
Juger irrecevables car prescrites les demandes suivantes formulées par Mme [P] :
- Au titre du licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse (35.000,00 euros),
- À titre d'indemnisation du préjudice lié au retrait du véhicule Kangoo (8.000,00 euros),
- À titre d'indemnisation du préjudice lié à la retenue sur salaire de 350 euros (5.000,00 euros),
- Au titre de l'annulation des sanctions disciplinaires et notamment les deux avertissements des 21 et 30 juillet 2014,
Et en conséquence rejeter les demandes formulées de ce chef,
Juger qu'aucun acte de harcèlement ne saurait être imputé à M. [Y],
Juger que Mme [P] ne justifie d'aucun état dépressif ni lésion consécutive à un prétendu harcèlement moral,
À titre subsidiaire :
Juger que le licenciement intervenu pour inaptitude est parfaitement régulier et ne résulte d'aucun acte de harcèlement moral ni de manquements de l'employeur à son obligation de sécurité,
Juger que Mme [P] ne démontre pas les préjudices dont elle se prévaut, ni dans leur existence, ni dans leur quantum,
Juger qu'aucun acte de harcèlement ne saurait être imputé à M. [Y],
Juger qu'aucun manquement à l'obligation de sécurité ne peut être imputé à M. [Y],
Juger que Mme [P] ne justifie d'aucun état dépressif ni lésion consécutive à un prétendu harcèlement moral ou manquement de M. [Y] à son obligation de sécurité,
En conséquence :
Débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause :
Condamner Mme [P] au paiement de la somme de 2.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, par application de l'article 32-1 du code de procédure civile,
Condamner Mme [P] au paiement de la somme de 3.500,00 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner Mme [P] aux entiers dépens par application de l'article 696 du code de procédure civile.
Il fait essentiellement valoir que :
- sur la prescription
- Mme [P] sollicite l'annulation des avertissements disciplinaires qui lui ont été notifiés en date des 21 et 30 juillet 2014. Elle disposait pour ce faire d'un délai expirant le 30 juillet 2016. Or, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes en mars 2018,
- Mme [P] a été licenciée le 11 mars 2016. Elle disposait donc d'un délai de deux ans pour saisir la juridiction prud'homale. La réforme du 23 septembre 2017, qui a réduit à un an la durée de prescription, n'a pas permis
de reporter ce délai au 23 septembre 2018, puisqu'au jour de son entrée en vigueur, le délai pour agir restant imparti à Mme [P] était de moins d'un an. C'est donc bien au 11 mars 2018 que le délai de prescription expirait,
- Mme [P] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 12 mars 2018, sa demande au titre du licenciement est prescrite,
- Mme [P] sollicite encore la somme de 5.000,00 euros à titre de dommages et intérêts au titre d'un préjudice né selon elle d'une sanction disciplinaire abusive de l'employeur, à savoir une retenue de 350,00 euros sur son salaire. Cette retenue date du 15 novembre 2013, de sorte que la prescription de deux ans est acquise à la date de saisine du conseil de prud'hommes,
- Mme [P] réclame la somme de 8.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de la privation du véhicule qu'elle qualifie « de fonction », à compter du 15 octobre 2014. Le délai de prescription a donc expiré le 15 octobre 2016,
- sur le licenciement
- Les pièces produites par Mme [P] ne comportent pas un seul élément médical justifiant d'un quelconque état dépressif en lien avec son inaptitude professionnelle
- A fortiori, rien ne démontre que ce prétendu état dépressif résulterait d'un harcèlement moral de la part de son employeur
- L'inaptitude de Mme [P] n'est pas consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle
- L'avis d'inaptitude n'a pas été contesté par la salariée
- La matérialité du harcèlement moral n'est pas rapportée par Mme [P]
- En guise de preuve, Mme [P] produit ses propres mails, sans même que la réponse de l'employeur n'y soit jointe
- Les attestations produites par la salariée émanent de salariés ayant nourri par le passé un contentieux à l'encontre de M. [Y], et dont l'objectivité est donc très relative. En tout état de cause, celles-ci ne révèlent aucun fait pouvant révéler un quelconque harcèlement moral
- S'agissant de la retranscription d'échanges de SMS que Mme [P] attribue à Mme [Y], ceux-ci ne sont absolument pas recevables, puisque ni leur contenu ni leur auteur ne peuvent être incontestablement identifiés
- Il a contesté l'accident du travail de la salariée et cette qualification n'a pas été retenue par la CPAM suite à son enquête. Aucune malveillance de sa part ne peut dès lors être retenue
- Les avertissements étant justifiés ne peuvent servir de fondement à un harcèlement moral
- Mme [P] va reprocher à son employeur de « l'envoyer sur des chantiers particulièrement physiques alors qu'elle est une femme ». Or, traiter distinctement des salariés en raison de leur sexe constitue une discrimination prohibée
- En outre, Mme [P] ne faisait l'objet d'aucune restriction médicale qui l'aurait empêchée de porter lesdits carreaux
- Néanmoins, il a pris rendez-vous auprès de la médecine du travail. Le 15 septembre 2014 (soit 15 jours plus tard) le médecin posera comme restriction un port de charges limité à 20 kg
- Mme [P] prétend que son employeur l'aurait laissée sans travail à lui fournir alors qu'elle était restée à sa disposition, sans fournir le moindre élément de preuve
- Il n'a en aucun surveillé ou espionné Mme [P] au dépôt. Cette dernière se trouvait au dépôt, elle était donc dans ses heures de travail et il était tout à fait légitime à « surveiller » son activité. Le dépôt est le lieu de travail commun à tous les salariés et il a donc toutes les raisons de s'y trouver
- Mme [P] ne démontre en rien qu'elle serait exclue des moments de détente
- S'agissant de la prétendue agression verbale du 7 mai 2015, une fois de plus il ne s'agit que d'une pure accusation, qui n'a notamment pas donné lieu à une plainte de Mme [P]. Si elle a pu être transportée par les pompiers ce même jour, rien n'indique que ce transport aurait été lié à une agression verbale, encore moins de la part de son employeur, et la cour constatera qu'il n'en est manifestement ressorti aucune ITT
- Aucun manquement à l'obligation de sécurité ne peut lui être reproché, alors qu'il a saisi à deux reprises la médecine du travail dans l'intérêt de sa salariée
- À aucun moment le médecin du travail n'a fait état d'un danger pour la santé psychologique de la salariée lié à son emploi
- La salariée procède par voie d'affirmation sans aucune preuve matérielle
- Mme [P] ne démontre pas que son accident du travail fait suite à
l'agression verbale d'un autre salarié.
L'UNEDIC Délégation AGS CGEA de Toulouse et l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de Marseille ont déposé des conclusions le 5 décembre 2019 dans lesquelles elles demandent à la cour de :
Vu l'article L. 631-16 du Code de commerce
Vu l'article L. 3253-8 du code du travail
Prendre acte de l'intervention volontaire du CGEA AGS de Toulouse en lieu et place du CGEA AGS de Marseille,
Confirmer le jugement du conseil des prud'hommes d'Orange du 24 avril 2019 dans toutes ses dispositions,
Débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
Constater la clôture de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de M. [H] [Y], employeur, suite au désintéressément des créanciers,
Constater que M. [H] [Y] est devenu in bonis suite à l'extinction du passif,
Mettre hors de cause le CGEA AGS de Toulouse.
Elles font essentiellement valoir que :
- Par jugement du 2 octobre 2018, le tribunal de commerce de Nîmes a mis fin à la procédure de redressement judiciaire en application de l'article L. 631-16 du code de commerce en raison de l'extinction du passif
- Par conséquent, M. [Y] étant redevenu in bonis, il y aura lieu de mettre hors de cause le CGEA de Toulouse
- Eu égard à la clôture de la procédure de redressement judiciaire de M. [Y], Mme [P] ne peut solliciter la fixation au passif du redressement judiciaire.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures,
Par ordonnance en date du 24 décembre 2021, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet du 24 mars 2022.
MOTIFS
Sur la demande de nullité des avertissements
L'employeur soutient que les avertissement des 21 et 30 juillet 2014 ne peuvent plus êtes contestés, le délai pour agir étant expirés.
L'article L.1471-1 du code du travail dispose :
« Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. »
Le délai pour contester lesdits avertissements expirait donc les 21 et 30 juillet 2016.
Mme [P] soutient que dans la mesure où elle a saisi le juge des référés prudhomal à plusieurs reprises, le délai de prescription a été interrompu lors de chaque saisine.
Il apparaît en effet que la salariée a saisi ladite juridiction les 15 mai et 19 août 2015, puis le 7 juin 2016.
Si la saisine du conseil de prud'hommes en référé est intervenue dans le délai de 2 ans susvisé, il convient de relever que Mme [P] n'a formulé aucune prétention sur les sanctions disciplinaires litigieuses à cette occasion, de sorte que l'effet interruptif attaché à la saisine de la juridiction prud'homale ne peut jouer que pour les demandes y présentées.
Il est ainsi manifeste qu'un délai de plus de deux années s'était écoulé depuis que la salariée avait eu connaissance des sanctions disciplinaires prises à son encontre lorsqu'elle en a demandé l'annulation devant le conseil de prud'hommes d'Orange par requête en date du 8 mars 2018.
Enfin, la prescription était déjà acquise lorsque Mme [P] a déposé un dossier d'aide juridictionnelle le 19 septembre 2017.
Mme [P] ne produit aucun élément de nature à établir qu'elle n'aurait pas été en mesure, dès juillet/août 2014, de contester les sanctions disciplinaires, ce dont il résulte que ses demandes sont prescrites.
Il en est de même des demandes indemnitaires subséquentes.
Le jugement déféré mérite confirmation sur ce point.
Les avertissements des 27 avril et 12 mai 2015 seront abordés dans le paragraphe concernant le harcèlement moral, la salariée soutenant avoir fait l'objet de sanctions abusives et injustifiées pour fonder en partie sa prétention à ce titre.
Sur la prescription soulevée par M. [Y] au titre du licenciement
L'article L.1471-1 du code du travail dispose :
« Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. »
La lettre de licenciement est datée du 11 mars 2016, aucune date de réception de celle-ci n'étant démontrée.
Le délai de prescription pour contester le licenciement courait ainsi jusqu'au 11 mars 2018.
Aux termes de l'article 2241 du code civil, la demande en justice interrompt le cours de la prescription.
L'article R. 1452-1 du code du travail dans sa version applicable au litige précise que 'La demande en justice est formée soit par une requête, soit par la présentation volontaire des parties devant le bureau de conciliation et d'orientation.
La saisine du conseil de prud'hommes, même incompétent, interrompt la prescription.'
Aux termes des dispositions de l'article 2242 du code civil, « l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ».
Il résulte de l'ensemble de ces observations que c'est la date d'envoi, au conseil de prud'hommes, de la lettre recommandée le saisissant qui fixe la date d'introduction de l'instance et, par conséquent, la date d'interruption de la prescription.
En effet, ce n'est pas la date à laquelle le défendeur reçoit sa convocation devant le bureau de conciliation qui compte, mais la date de la demande.
En l'espèce, par requête envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception le 8 mars 2018, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes d'Orange contre M. [Y], la SELARL CAMBON et le CGEA AGS de diverses demandes et notamment en contestation de son licenciement, soit dans le délai de deux ans qui a commencé à courir le 11 mars 2016 au plus tôt, et au plus tard à la date de réception de la lettre de licenciement.
La demande de la salariée au titre de la rupture du contrat de travail n'était dès lors pas prescrite lorsqu'elle a saisi le conseil de prud'hommes, justifiant ainsi la réformation du jugement déféré.
Sur la prescription soulevée par M. [Y] au titre des dommages et intérêts pour sanctions disciplinaires abusives
La demande de la salariée porte sur une somme de 5000 euros de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice né d'une sanction disciplinaire abusive de l'employeur, à savoir une retenue sur salaire de 350 euros.
Par arrêt du 23 mai 2017, la cour a condamné à titre provisionnel M. [Y] à payer à Mme [P] la somme de 350 euros à titre de remboursement de retenue indue sur salaire.
La salariée a été déboutée de sa demande de réparation provisionnelle de son préjudice moral, la cour estimant que l'obligation était sérieusement contestable en l'absence de pièce démontrant la réalité du préjudice invoqué.
Il apparaît à la lecture de cette décision que la sanction pécuniaire abusive a été appliquée par l'employeur le 15 novembre 2013.
La prescription de deux ans pour agir a été interrompue le 16 août 2015 par la saisine de la juridiction des référés du conseil des prud'hommes de Nîmes.
L'ordonnance rendue a ensuite fait l'objet d'un appel par déclaration reçue le 21 décembre 2015, laquelle interrompt de nouveau la prescription jusqu'à l'arrêt rendu le 23 mai 2017.
Mme [P] ayant par la suite saisi le conseil des prud'hommes de Nîmes au fond, notamment en réparation du préjudice causé par la sanction pécuniaire illicite susvisée, par requête du 8 mars 2018, ladite demande n'est pas prescrite et le jugement déféré sera réformé sur ce point.
Sur la prescription soulevée par M. [Y] au titre des dommages et intérêts au titre du trouble manifestement illicite
Mme [P] sollicite à ce titre une somme de 8000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de la privation du véhicule qui était mis à sa disposition par l'employeur.
Par arrêt du 23 mai 2017, la cour a considéré que l'obligation au titre du véhicule mis à disposition était sérieusement contestable et que le trouble allégué n'était pas manifestement illicite.
La prescription de deux ans pour agir a été interrompue le 16 août 2015 par la saisine de la juridiction des référés du conseil des prud'hommes de Nîmes.
L'ordonnance rendue a ensuite fait l'objet d'un appel par déclaration reçue le 21 décembre 2015, laquelle interrompt de nouveau la prescription jusqu'à l'arrêt rendu le 23 mai 2017.
Mme [P] ayant par la suite saisi le conseil des prud'hommes de Nîmes au fond, notamment en réparation du préjudice causé par le retrait du véhicule mis à disposition, par requête du 8 mars 2018, ladite demande n'est pas prescrite, entraînant la réformation du jugement.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.
Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Mme [P] invoque les faits suivants, constitutifs, selon elle, d'actes de harcèlement :
- l'employeur a contesté l'accident du travail dont elle a été victime le 27 mai 2014, ce qui a donné lieu à une enquête de la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse au mois de juillet 2014
- l'employeur a remis en cause les conditions d'utilisation de son véhicule de fonction lorsqu'elle a réclamé le paiement de ses heures supplémentaires et de ses frais de gasoil
- l'employeur lui a notifié plusieurs avertissements injustifiés
- elle n'a pas perçu l'intégralité de son indemnité de congés payés à son échéance
- à son retour d'arrêt de travail, M. [Y] a adopté à son encontre un comportement résolument hostile
- l'employeur l'a envoyée sur des chantiers particulièrement physiques alors qu'elle est une femme
Pour étayer ses affirmations, Mme [P] produit les éléments suivants :
l'employeur a contesté l'accident du travail dont elle a été victime le 27 mai 2014, ce qui a donné lieu à une enquête de la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse au mois de juillet 2014
l'employeur a remis en cause les conditions d'utilisation de son véhicule de fonction lorsqu'elle a réclamé le paiement de ses heures supplémentaires et de ses frais de gasoil
- un courriel du 13 juillet 2014 dans lequel elle réclame la compensation de ses heures supplémentaires en journée de RTT et le solde des frais de gasoil pour le mois de mai.
- un courrier du 14 juillet 2014 dans lequel l'employeur écrit :
'Les trajets effectués avec le véhicule de fonction sont :
Votre domicile (Carpentras) lieu de travail vu avec Mr [Y]
Lieu de travail vu avec Mr [Y] - Votre domicile (Carpentras)
Tout autres déplacements seront entièrement sur votre responsabilité et sanctionné'.
- un courriel du 17 octobre 2014 dans lequel elle indique : '... vous m'avez enlevé le véhicule de fonction depuis lundi, obligeant ainsi a venir au depot a 7h30 pour repartir des chantiers a 16h30 contrairement aux autres...'
- un courriel du 2 novembre 2014 adressé à LROUSS-UT30 dans lequel elle indique notamment : '... désormais il m'impose d'aller sur le chantier par mes propres moyens alors que jusqu'à maintenant, j'étais avec son véhicule. Bien entendu, je refuse d'y aller avec ma voiture personnel mais en transport en commun. Je ne peux pas partir de chez moi car mon patron m'impose de décoller du dépot à 7h30 où il me donner mon planning au jour le jour...'
- un courrier du 17 juillet 2015 dans lequel elle indique que le bénéfice du véhicule de fonction est devenu 'obligatoire par ses caractères de généralité, de constance et de fixité...'
- un courrier du 25 août 2015 dans lequel elle soutient qu'il s'agit d'un véhicule de fonction qui lui a été attribué dès son embauche,
- un courrier du 9 novembre 2015 adressé à la CPAM dans lequel elle dénonce ses conditions de travail et le traitement discriminant dont elle fait l'objet, notamment en ce qui concerne le véhicule de fonction/service.
l'employeur lui a notifié plusieurs avertissements injustifiés
La salariée produit les avertissements dont elle a fait l'objet les 21 juillet et 30 juillet 2014, 27 avril et 12 mai 2015.
elle n'a pas perçu l'intégralité de son indemnité de congés payés à son échéance
La salariée demande des explications à l'employeur par courriel du 2 septembre 2014
à son retour d'arrêt de travail, M. [Y] a adopté à son encontre un comportement résolument hostile
Mme [P] reproche divers comportements à l'employeur, à savoir :
- le 20 septembre 2014, elle s'aperçoit que l'employeur a fait état d'une contre vérité dans sa déclaration à la CPAM en prétendant avoir été informé le lendemain ainsi qu'il résulte du questionnaire employeur adressé par la caisse à M. [Y],
- le bulletin de salaire du mois de septembre 2014 a fait l'objet d'une déduction anormale pour maladie les 9 et 10 septembre 2014 alors qu'elle est restée à la disposition de l'employeur qui n'avait pas de travail à lui fournir,
- le 13 octobre 2014, elle constate que son code d'accès pour se rendre au dépôt avait été déprogrammé et qu'elle ne pouvait se rendre aux toilettes : elle s'en plaint auprès de l'employeur par courriel du 13 octobre 2014,
- elle fait l'objet d'une surveillance constante de l'employeur, ce qu'elle a dénoncé par email du 2 décembre 2014,
- l'employeur ne lui donnait plus de travail ce qu'elle a dénoncé par courriels des 2 décembre 2014 et 29 avril 2015,
- elle était délibérément mise à l'écart des moments de détente de l'entreprise, ce qu'elle a dénoncé par email du 7 mai 2015,
- le 7 mai 2015, elle a été agressée verbalement par son employeur et a été victime, à la suite, d'un malaise : elle démontre que les pompiers sont intervenus et avoir été transportée au centre hospitalier d'Avignon. Cet épisode a par la suite été reconnu en accident du travail (notification de la CPAM du 18 août 2015)
Son arrêt de travail s'est ensuite prolongée jusqu'au 20 janvier 2016. Lors de la visite de reprise, la médecine du travail a constaté que 'tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé'.
l'employeur l'a envoyée sur des chantiers particulièrement physiques alors qu'elle est une femme
Mme [P] produit :
- un email du 3 septembre 2014 dans lequel elle dénonce cette situation à l'employeur,
- un courriel du 4 septembre 2014 dans lequel elle dénonce cette situation à la DIRECTE,
- la fiche d'aptitude de la médecine du travail du 15 septembre 2014 préconisant une restriction sur le 'port de charges limité à 20 kg de façon limitée, ponctuelle dans le temps - travail mural à privilégier'
- la fiche d'aptitude de la médecine du travail du 2 octobre 2014 dont les conclusions sont les suivantes :
'Pas de port de charges lourdes $gt; 20 kg
Pas de chape
Travail mural exclusif
Apte avec restriction et aménagement du poste sans limitation de temps..'
Il résulte de ce qui précède que Mme [P] établit la matérialité de plusieurs faits constitutifs selon elle de harcèlement.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et il est donc nécessaire d'examiner les moyens de défense de l'employeur.
Ce dernier conteste le harcèlement moral invoqué.
La contestation de l'accident du travail du 27 mai 2014
La salariée produit le questionnaire employeur - complément d'information qui détaille les causes et les circonstances de l'accident telles que M. [Y] a pu en avoir connaissance, ce qui ne saurait dégénérer en abus, même si une enquête est ensuite diligentée par la caisse d'assurance maladie.
En outre, la lecture de ce document permet de relever que l'employeur est resté neutre dans ses déclarations.
La remise en cause des conditions d'utilisation de son véhicule de fonction lorsqu'elle a réclamé le paiement de ses heures supplémentaires et de ses frais de gasoil
Par email du 13 juillet 2014, l'appelante réclame la compensation de ses heures supplémentaires en journée de RTT et le solde des frais de gasoil pour le mois de mai.
Par un courrier du 14 juillet 2014, l'employeur ne remet pas en cause l'utilisation du véhicule mis à disposition de la salariée, mais indique que :
'Les trajets effectués avec le véhicule de fonction sont :
Votre domicile (Carpentras) lieu de travail vu avec Mr [Y]
Lieu de travail vu avec Mr [Y] - Votre domicile (Carpentras)
Tout autres déplacements seront entièrement sur votre responsabilité et sanctionné'.
La réclamation de la salariée portait ainsi sur une somme de 180 euros de carburant pour les mois de juin et juillet 2014, sachant qu'elle reconnaît n'avoir travaillé que 4 jours en juin et 9 jours en juillet (courriel du 13 juillet) ; ce qui a justifié la réponse de l'employeur qui estimait la somme réclamée démesurée en rapport avec le nombre de jours travaillés.
Par ailleurs, la salariée considère qu'il s'agit d'un véhicule de fonction alors que l'employeur soutient qu'il s'agit d'un véhicule de service.
Il existe deux types de véhicules d'entreprise :
' les véhicules d'utilisation collective ou véhicules de service, qui ne sont pas attribués individuellement mais à un service pour l'accomplissement d'une tâche donnée ;
' les véhicules attribués à un individu précis, soit pour un usage purement professionnel, soit plus fréquemment, pour un usage à la fois professionnel et personnel ; en d'autres termes, les voitures de fonction.
L'attribution à un salarié d'un véhicule de fonction peut trouver sa source, soit dans une convention collective ou dans un accord collectif applicable à l'entreprise, soit dans le contrat de travail du salarié.
Elle peut également résulter d'un usage, en vigueur dans l'entreprise.
Le contrat de travail liant les parties ne prévoit nullement l'attribution à la salariée d'un véhicule de fonction. Il est seulement prévu que 'les frais de déplacements seront indemnisés conformément aux dispositions légales et conventionnelles en vigueur.'
Les parties utilisent alternativement les termes de 'véhicule de fonction' et de 'véhicule de service'.
Par courrier du 14 août 2015, l'employeur écrit à Mme [P] en ces termes :
'...
S'agissant plus particulièrement de votre courrier en date du 17 juillet 2015, je me dois de vous apporter des précisions.
Ni vous, ni aucun salarié de l'entreprise n'avez jamais bénéficié d'un véhicule de fonction.
Vous-même et vos collègues de travail vous voyez attribuer un véhicule de service que vous conservez durant la semaine afin d'effectuer les trajets domicile/lieu de travail, et ce dans un intérêt bien compris de tous, salariés et employeur, mais avez tous pour instruction de laisser le véhicule de service en question lors de l'arrêt de votre activité hebdomadaire, soit vous concernant le vendredi après-midi.
Ledit véhicule n'a jamais été laissé à aucun salarié, ni bien évidemment à vous-même, durant le repos hebdomadaire ou les congés.
Vous êtes par ailleurs bien évidemment toujours désintéressée des frais kilométriques sur la base des notes que vous nous présentez.
Votre contrat de travail et votre bulletin de salaire ne font à aucun moment état d'un quelconque véhicule de fonction.
Il est en conséquence totalement conforme aux règles législatives en vigueur que vous ayez eu à restituer le véhicule de service KANGOO, lors de votre absence de la structure en raison de l'accident dont vous vous êtes prévalue le 8 juin 2015
...'
Le véhicule ne constitue un avantage en nature que s'il n'est pas indispensable à la fonction exercée par le salarié. Comme l'indique la circulaire DSS n° 2003-07 du 7 janv. 2003, si le véhicule est mis à disposition pour un usage uniquement professionnel, il n'y a pas lieu de retenir un avantage en nature lorsque ce véhicule est utilisé pour effectuer le trajet domicile-lieu de travail sous réserve que l'employeur puisse apporter les preuves suivantes :
' l'utilisation du véhicule est nécessaire à l'activité professionnelle ;
' ce véhicule n'est pas mis à la disposition permanente du salarié et ne peut donc être utilisé à des fins personnelles ;
' le salarié ne peut pas utiliser les transports en commun soit parce que le trajet domicile-lieu de travail n'est pas desservi, soit en raison de conditions ou d'horaires particuliers de travail.
La voiture est alors un moyen de l'activité professionnelle, un outil de travail.
En l'espèce, la salariée était domiciliée à une quarantaine de kilomètres de son lieu de travail.
L'employeur a écrit à plusieurs reprises à la salariée pour lui rappeler l'usage strictement limité du véhicule aux trajets domicile/travail.
Mme [P] indique disposer de ce moyen de locomotion depuis son embauche, ce qui n'est pas contesté par l'employeur.
La salariée reconnaît dans un courrier adressé à l'employeur le 25 août 2015 que M. [Y] l'obligeait à ramener le véhicule au dépôt tous les soirs puis ajoute plus avant dans son courrier qu'elle ne ramenait pas la voiture au dépôt le vendredi soir jusqu'au mois de juillet 2014.
Elle reconnaît également qu'elle ramenait de son propre chef celui-là 'car j'avais besoin de mon véhicule personnel (resté la semaine au dépôt) pour faire des déplacements important les we.'
Le dossier de l'employeur comporte l'attestation de M. [N] qui indique à propos de Mme [P] :
'... Elle utilisait un véhicule de l'entreprise durant la semaine du lundi au vendredi qu'elle menait de temps en temps chez elle les week ends.'
L'existence d'un avantage en nature doit en outre dépendre étroitement de l'existence d'une économie réalisée par le salarié : sans économie, il n'y a pas d'avantage en nature. La fourniture d'un véhicule indispensable à la fonction du salarié ne constitue pas une économie, puisque la dépense est générée par l'exercice même de la fonction, ce qui est le cas en l'espèce dans la mesure où la voiture mise à la disposition de Mme [P] est un outil de travail pour se rendre sur les différents chantiers de son domicile et/ou de l'entreprise.
Il résulte ainsi de ce qui précède qu'il s'agit d'un véhicule de service et non d'un véhicule de fonction.
Pour autant, l'employeur ne doit pas traiter différemment les salariés de son entreprise, Mme [P] soutenant que ses collègues de travail bénéficient d'un véhicule de fonction/service, alors que cet avantage lui a été retiré dès le mois d'octobre 2014.
La cour relève que Mme [P] a écrit à l'employeur à de nombreuses reprises pour se plaindre du traitement qui lui était réservé, l'employeur apportant réponse par un courrier du 14 août 2015 dont le contenu est repris supra.
Il convient de relever que la salariée a été en arrêt maladie du 23 février 2015 au 30 mars 2015, puis à compter du 8 mai 2015 jusqu'à son licenciement du 11 mars 2016.
Dans son courrier du 14 août 2015, l'employeur conteste les précédents courriers qui lui ont été adressés par la salariée et indique que la restitution du véhicule est intervenue à la suite de l'arrêt maladie de celle-ci.
Dans un email du 8 janvier 2015, il est indiqué par l'employeur et non contesté par la salariée dans sa réponse, que cette dernière ne doit pas conserver les clés du Kangoo 'pour des raisons de logistique', ce qui démontre que celle-ci en avait toujours la possession contrairement à ses allégations.
Enfin, s'agissant d'un véhicule de service, la restitution de ce dernier pendant les périodes de congés ou d'arrêt maladie ne peut être retenue à l'encontre de l'employeur.
L'appelante sera dès lors déboutée de sa demande de dommages et intérêts fondée sur le retrait illicite du véhicule Kangoo.
Les avertissements injustifiés
Les avertissements des 21 et 30 juillet 2014 sont définitifs dans la mesure où la salariée ne les a pas contestés dans le délai de l'article L.1471-1 du code du travail.
Ils ne peuvent dès lors être retenus.
L'avertissement du 27 avril 2015
Mme [P] a fait l'objet d'une sanction disciplinaire en ces termes :
'Mademoiselle,
Par ce courrier en recommandé je vous signale un 1er avertissement pour votre comportement condescendant et votre indiscipline.
En date du 03/04/2015, vous avez quitté votre poste sur chantier 1h15 avant son terme, estimant que c'était la récupération d'heures supplémentaires, hors en date du 12/12/2014 par courrier remis en main propre que vous n'avez jamais voulu signé (comme par hasard) je stipulé que les heures supplémentaires, sont sous conditions de demande, et à ce jour je n'en ai eu aucunes vous concernant.
Je vous rappelle une nouvelle fois vos horaires de travail :
7h30 siège chantier 12h repos 13h chantier 16h30
En date du 22/4/2015, étant donné mon absence du lendemain 23/04/2015, je vous demande de rester au siège et de débarrasser les cendres, ainsi que les carreaux cassés stockés contre le hangar et les jeter dans la benne appropriée.
Une fois de plus cela a posé soucis.
Par sms du 23/04/2015 à 15h29, vous me signalez que soit disant vous m'auriez averti de votre absence le matin même, sachez que je n'ai reçu aucun sms et mail dans ce sens et à perturbé l'organisation de la journée.
Le jour même à 11h36, vous m'envoyez un autre sms me signalant votre retour au dépôt, je ne comprends pas très bien, puisque vous m'avez soit disant signalé être absence au matin.
En effet [J] était au dépôt, oui j'ai eu l'air surpris car comme dit précédemment je n'ai reçu aucun texto et mail de votre absence du matin.
...
Par la suite vous me notez que vous ferais aucune distinction concernant le tri des carreaux, et sur le coup je n'y ai pas vraiment cru, j'ai pu le constater à mon arrivée en effet vous n'avez pas respecté les consignes qui étaient de débarrasser que les carreaux uniquement cassés.
Je vous signale que les carreaux stockés contre le hangar sont des carreaux de chantier, donc dit chantier dit décennale, si par hasard nous devons changer des carreaux que vous avez délibérément jetés, cela posera un gros souci. Cela est inadmissible.
À 14h24, un autre sms pour manque sanitaire et point d'eau à boire est à votre disposition.
Pour les raisons précédentes, les locaux ont été fermés et en aucun cas laissés ouvert à quiconque voulait rentrer.
Je tiens à vous signaler Melle [P] que votre comportement qui perdure depuis quelques mois est intolérable.
Ces faits sont inacceptables et entrave le bon fonctionnement de l'entreprise.
...'
Le juge saisi de la contestation sur le bien-fondé d'une sanction disciplinaire, peut l'annuler si elle apparaît irrégulière dans la forme, injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
L'employeur doit fournir au juge les éléments qu'il a retenus pour prendre la sanction ; le salarié fournit également les éléments qui viennent à l'appui de ses allégations. Le juge peut, pour former sa conviction, ordonner toute mesure d'instruction utile. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La cour relève que la salariée ne conteste pas avoir quitté son poste de travail avant l'heure normale de départ mais soutient qu'elle a, par ce biais, récupéré une heure supplémentaire qui ne lui avait pas été payée, mais ne produit aucun élément démontrant la réalité de son allégation, et ce, d'autant plus qu'elle ne formule aucune demande en paiement d'heures supplémentaires, malgré les nombreux courriels dans lesquels elle fait état du manquement de l'employeur sur ce point.
Ce grief est dès lors établi et justifie à lui seul l'avertissement litigieux.
Mme [P] soutient encore que la tâche qui lui a été confiée par l'employeur consistant à débarrasser les cendres et les carreaux cassés ne correspondent pas à sa qualification.
Non seulement le dossier de M. [Y] ne comporte aucune pièce démontrant la réalité du surplus des griefs visés supra mais il ne développe aucune argumentation dans ses écritures, de sorte que ceux-ci ne seront pas retenus.
L'avertissement du 12 mai 2015
Il s'agit en réalité d'un courrier adressé à la salariée le 11 mai 2015 ainsi rédigé:
'Mademoiselle,
Nous vous avons adressé le 27/04/2015 un avertissement concernant votre comportement condescendant et votre indiscipline.
Nous sommes dans l'obligation de renouveler celui-ci. En effet, en date du 07/05/2015 pendant notre pause déjeuner, nous vous avons surpris une nouvelle fois, prenant des photos de Mr [X] Mr [L] et moi-même, je ne sais pour quel intérêt, je vous signale Melle [P] qu'il est formellement interdit de prendre des photos de qui que ce soit à leur insu.
Je vous rappelle qu'il vous est aussi interdit de porter une charge supérieure à 20kg étant donné les restrictions du Docteur [S] (médecine du travail) et au final une nouvelle fois vous êtes parti de votre poste après une altercation Mr [L], sans m'en avertir.
...'
La salariée ne conteste pas avoir pris les photographies litigieuses pour tenter de prouver l'exclusion et le harcèlement dont elle était victime.
Le droit à l'image découle du droit au respect de la vie privée prévu à l'article 9 du code civil.
En raison du droit à l'image propre à chaque individu, toute personne doit donner son accord avant d'être photographiée dans un endroit privé. Ce faisant, tout individu a le droit de s'opposer à l'utilisation ou à la diffusion de son image, que ce soit à un tiers ou au public.
Il est dès lors incontestable que Mme [P] a commis une faute en photographiant plusieurs personnes à leur insu, lesquelles se trouvaient dans un lieu privé, à savoir l'enceinte de l'entreprise.
La cour constate que l'employeur ne produit aucun élément ni ne développe aucune argumentation sur le surplus des griefs reprochés.
Tenant la faute de la salariée telle que retenue ci-dessus, l'avertissement infligé est justifié, et ce d'autant plus qu'elle avait déjà fait l'objet d'une sanction disciplinaire le 27 avril 2015.
Sur la non perception de l'intégralité de son indemnité de congés payés à son échéance
La salariée démontre que l'employeur n'était pas à jour de ses cotisations auprès de la caisse des congés payés du bâtiment, ce qui a un impact sur l'ensemble des salariés et non seulement Mme [P].
Bien plus, le juge des référés prud'homal, dans l'ordonnance par lui rendue le 10 août 2016, a relevé que 'l'indemnité compensatrice de congés payés pour la période du 1er avril 2015 au 11 mars 2016 est due par la caisse congés intempéries BTP du Languedoc Roussillon.'
Il ajoute que :
'... une attestation de paiement émanant de la caisse congés intempéries BTP du Languedoc Roussillon, avec pour bénéficiaire Madame [P], a été établie au titre des congés 2015. Que ce document mentionne un virement bancaire en date du 21 avril 2016 d'un montant de 1646,15 euros, avec en détail du paiement : 'nombre de jours payés pour un départ le 20.04.2016" ;
Attendu que, de part l'existence de ce document, la plaignante a connaissance que c'est la caisse congés intempéries BTP du Languedoc Roussillon qui lui règle ses congés payés et non l'employeur ;
...
Attendu que ladite caisse a demandé à l'employeur de lui confirmer l'adresse de la plaignante car des courriers revenaient NPAI. Ce que ce dernier a fait ;
Attendu que la société [Y] CARRELAGE est à jour de ses cotisations au jour de la tenue de l'audience de référé ;
Attendu qu'il appartiendra à Madame [P] d'établir une demande auprès de la caisse congés intempéries BTP du Languedoc Roussillon si elle estime n'avoir pas reçu l'intégralité de ses congés payés .'
Il en résulte que le grief de la salariée reproché à l'employeur à ce titre n'est pas fondé.
Le comportement résolument hostile de l'employeur à l'encontre de Mme [P] à son retour d'arrêt de travail
Les écritures de la salariée comportent certains reproches qui ont été repris supra, à savoir :
- le 20 septembre 2014, elle s'aperçoit que l'employeur a fait état d'une contre vérité dans sa déclaration à la CPAM en prétendant avoir été informé le lendemain ainsi qu'il résulte du questionnaire employeur adressé par la caisse à M. [Y] :
L'employeur conteste les déclarations de la salariée, soutenant que la déclaration qu'il a remplie à destination de la CPAM mentionne qu'il a eu connaissance de l'accident le jour même, soit le 27 mai 2014.
La lecture de la copie de ce document (de mauvaise qualité) fait apparaître une date mal écrite puisqu'elle peut être lue comme un 27 ou un 28.
En toute hypothèse, la salariée ne pourrait revendiquer aucun préjudice à ce titre.
- le bulletin de salaire du mois de septembre 2014 a fait l'objet d'une déduction anormale pour maladie les 9 et 10 septembre 2014 alors qu'elle est restée à la disposition de l'employeur qui n'avait pas de travail à lui fournir : l'employeur ne produit aucun élément quant à une déclaration d'arrêt maladie qui lui aurait été envoyée par la salariée et qui aurait justifié la déduction opérée.
Ce grief sera ainsi retenu.
- le 13 octobre 2014, elle constate que son code d'accès pour se rendre au dépôt avait été déprogrammé et qu'elle ne pouvait se rendre aux toilettes : elle s'en plaint auprès de l'employeur par courriel du 13 octobre 2014.
L'employeur conteste ces déclarations et indique que le courriel que la salariée lui a adressé le 17 octobre 2014 démontre qu'elle avait bien accès au dépôt.
Cependant, le nouveau code d'accès a pu être communiqué à l'appelante entre le 13 et le 17 octobre, ce qui démontre que l'employeur a déféré à la demande de sa salariée sur ce point.
- elle fait l'objet d'une surveillance constante de l'employeur, ce qu'elle a dénoncé par email du 2 décembre 2014 : '... De plus, plutot que de m'appeler pour me dire quoi faire, vous etes venus a 14h depuis un tout autre access de la résidence, a labri des regards, la ou tres peu de personne ne voit qui que ce soit arriver...serait ce pour constater si jetais toujours dans les parages sachant que je n'avais rien a faire ' Japparente cela a de l'espionnage...'
La cour doit rappeler que l'employeur dispose du pouvoir de contrôler et surveiller l'activité de ses salariés pendant les heures de travail.
Il résulte encore des déclarations de Mme [P] que cette dernière se trouvait au dépôt à ce moment là, de sorte que l'intervention de l'employeur était parfaitement légitime.
- l'employeur ne lui donnait plus de travail ce qu'elle a dénoncé par courriels des 2 décembre 2014 et 29 avril 2015 :
Le courriel du 2 décembre 2014 adressé par l'appelante à l'employeur ne comporte aucune allusion à ce titre.
Celui du 29 avril 2015 indique :
'Monsieur
cela fait plusieurs jours que vous ne me fournissez pas de travail et lorsque je vous en demande vous ne me repondez pas. Je vous rappelle que vous avez l'obligation de me fournir du travail conformément a la loi. Sachez que ceci est un manquement de votre part et est sanctionné. Cela ressemble a une mise au placard et s'inscrit bien évidemment dans votre volonté de me pousser a bout psychologiquement. Je vous demande de faire le nécessaire pour que cela ne se reproduise plus.'
Cet email a été envoyé le mercredi 29 avril et le 4 mai suivant, Mme [P] écrit que 'mercredi subitement vous me demandez de coller des carreaux sur un seuil de porte et jointer une terrasse...Le lendemain jeudi, vous me demandez de jointez une terrasse ...'.
La cour constate que la salariée a écrit à l'employeur le 29 avril à 7h00 et que l'employeur lui a donné des tâches à réaliser le jour même.
Il résulte encore des écrits de la salariée des 12, 13, 14, 15, 19 et 20 avril 2015 que du travail lui était confié par l'employeur ; la période litigieuse se situant dès lors les lundi 23 et mardi 24 avril.
L'employeur ne produit aucun élément pour contrer les allégations de la salariée, les contestant dans ses conclusions.
Il convient de retenir les explications de l'employeur aux termes desquelles il indique que tenant les restrictions recommandées par la médecine du travail, les tâches pouvant être réalisées par la salariée étaient limitées, ce qui ne peut être valablement contesté.
Ainsi, eu égard aux restrictions médicales touchant la salariée et à la durée limitée pendant laquelle cette dernière est restée sans travail, la faute de l'employeur ne saurait s'assimiler à un acte de harcèlement.
- elle était délibérément mise à l'écart des moments de détente de l'entreprise, ce qu'elle a dénoncé par email du 7 mai 2015 :
L'employeur conteste les allégations de la salariée mais ne produit aucun élément sur ce point, la preuve contraire ayant pu être rapportée par des attestations de salariés ayant participé aux moments de détente avec la salariée.
Ce grief sera dans ces circonstances retenu à la charge de l'employeur.
- le 7 mai 2015, elle a été agressée verbalement par son employeur et a été victime, à la suite, d'un malaise : elle démontre que les pompiers sont intervenus et avoir été transportée au centre hospitalier d'Avignon. Cet épisode a par la suite été reconnu en accident du travail (notification de la CPAM du 18 août 2015)
Son arrêt de travail s'est ensuite prolongée jusqu'au 20 janvier 2016. Lors de la visite de reprise, la médecine du travail a constaté que 'tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé'.
La cour relève que la salariée ne démontre aucunement l'agression verbale dont elle dit avoir été la victime, d'ailleurs contestée par l'employeur, celle-ci indiquant, tantôt, avoir été agressée verbalement par l'employeur et M. [L] , tantôt avoir été agressée verbalement par un autre salarié encouragé par M. [Y].
Les déclarations fluctuantes de Mme [P] ne permettent pas de retenir ses allégations sur la participation de M. [Y].
L'employeur reconnaît néanmoins une altercation entre M. [L] et Mme [P], en lien avec la prise de photos dont il a été fait mention ci-dessus.
Il n'est pour autant pas contestable que celle-ci a fait un malaise le 7 mai 2015 après avoir quitté l'entreprise, justifiant un arrêt maladie, qui a perduré jusqu'à la rupture du contrat de travail en raison de la déclaration d'inaptitude du 1er février 2016 aux termes de laquelle :
'Tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé.
Inapte en un seul examen, danger immédiat'
Elle a ainsi fait l'objet d'une hospitalisation de 2h46 ainsi qu'il résulte du bulletin de situation produit par la salariée.
La cour ne peut que relever que Mme [P] ne rapporte la preuve d'aucune faute de l'employeur dans l'altercation l'ayant opposée à M. [L] le 7 mai 2015.
- l'employeur l'a envoyée sur des chantiers particulièrement physiques alors qu'elle est une femme :
Les déclarations et les pièces produites par les parties ne permettent de retenir aucune restriction touchant la salariée dans le cadre de l'exécution de son métier.
Il apparaît encore que Mme [P] s'est plainte auprès de son employeur de sa difficulté dans le port de charges lourdes, ce qui a conduit l'employeur à provoquer une visite auprès de la médecine du travail les 15 septembre et 2 octobre 2014.
Il en est résulté les restrictions suivantes :
Pas de port de charges lourdes $gt; 20 kg
Pas de chape
Travail mural exclusif
Apte avec restriction et aménagement du poste dans limitation de temps.
Dans un email du 2 décembre 2014, la salariée écrit à l'employeur :
'... je note aussi par ce fait, la volonte de me nuire, de nuire a ma sante comme vous le faites depuis septembre pour que je mette en arret maladie...entre les dalles de 40 kilos a remplacer, les 33 tonnes chape a réaliser a la betonniere et a transporte sur 25 a 30 m...
Ou encore de manipuler et de trier des bares de 60 kilos en moyenne sans tenir compte de mes objections pour ma sante...'
En page 11 de ses conclusions, Mme [P] indique à l'avant dernier paragraphe :
'... après lui avoir imposé de travaux manifestement incompatibles avec sa condition physique en juillet et septembre 2014, avant que le médecin du travail n'intervienne...'
Il en résulte que l'employeur a respecté les restrictions médicales reprises ci-dessus, le courriel du 2 décembre 2014 ne pouvant ainsi concerner que la période antérieure à la saisine de la médecine du travail.
En outre, et contrairement à ce que soutient la salariée, le médecin du travail ne s'est pas auto saisi suite à ses nombreuses plaintes, les pièces produites démontrant que celui-ci est intervenu à la demande de M. [Y].
Les éléments développés ci-dessus montrent ainsi que l'employeur a pris toutes les mesures dans l'intérêt de sa salariée, suite à ses doléances et à l'exercice de son droit de retrait, M. [Y] rappelant à sa salariée, le 11 mai 2015, qu'il lui était interdit de porter une charge supérieure à 20 kg.
Le dossier de Mme [P] comporte encore :
- des courriers adressés à la DIRECTE, qui n'ont donné lieu à aucune réponse (sauf une le 5 novembre 2014), ni aucune enquête ou demande d'explications à l'employeur.
La seule réponse concerne l'utilisation du véhicule de l'entreprise et il était rappelé à la salariée les dispositions de la convention collective aux termes desquels 'l'employeur n'est pas tenu, sauf dispositions contractuelles le prévoyant, d'assurer le transport des salariés jusqu'au chantier'.
- un courrier adressé le 9 novembre 2015 à la CPAM dans lequel elle reproche à l'employeur le non respect de son obligation de sécurité et les incidents qui selon elle sont constitutifs de harcèlement moral.
Là encore, il n'y aura aucune réaction de la caisse.
- une note confidentielle du 10 décembre 2015, de Mme [I], psychologue psychothérapeute, à l'attention du médecin conseil sécurité sociale ainsi libellée:
'J'ai reçu Madame [C] [P] le 20 octobre dernier, elle présente un syndrome d'anxiété important, qui s'est déclenché dans un contexte professionnel.
L'effondrement de sa confiance actuelle est proportionnel à son implication dans cet emploi et la dégradation des relations avec l'employeur.
Madame [P] est engagée dans un travail thérapeutique. Nous travaillons depuis 3 séances sur le registre cognitif et comportemental (clarification des distances et priorités) afin de remédier aux perturbations émotionnelles actuelles et apprendre à fonder un meilleur équilibre personnel.'
Ce certificat médical est insuffisant à lui seul puisqu'il ne fait que reprendre les doléances du patient
Il en est de même des attestations produites par Mme [P], les témoignages produits ne faisant que reprendre les propos de cette dernière, les attestants n'ayant pas été témoins des faits rapportés.
L'employeur produit de son côté des attestations de collègues de travail de l'appelante qui décrivent les relations difficiles avec cette dernière et les propos parfois insultants et dénigrants qu'elle pouvait avoir à leur encontre.
Il résulte de l'ensemble des explications développées supra que Mme [P] semblait entretenir des relations professionnelles difficiles avec ses collègues de travail et son employeur, interprétant la moindre parole ou le moindre acte de ce dernier comme un acte harcelant, ce qui constitue à une appréciation subjective de la situation ressentie à tort par l'appelante comme une situation de harcèlement.
Le seul élément qui puisse avoir un lien avec le travail est l'avis d'inaptitude du 1er février 2016.
Mme [P] considère que si le médecin du travail l'a déclarée inapte en un seul examen, c'est nécessairement parce qu'il estimait qu'elle subissait une situation de harcèlement moral.
Cependant, le médecin n'a pas été témoin des faits allégués de harcèlement et il prend sa décision en tenant compte de l'état de santé physique et psychologique de la salariée, et des déclarations de cette dernière, aucune enquête n'ayant été diligentée par la CPAM ou la DIRECTE malgré les courriers adressés par Mme [P].
Il résulte des explications développées ci-dessus que l'employeur démontre que les décisions prises sont étrangères à tout harcèlement moral, les fautes retenues à son encontre ne pouvant être assimilées à des actes répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, renversant ainsi la présomption relevée supra.
Les éléments de la cause ne suffisent pas à caractériser l'existence d'un comportement harcelant à l'égard de Mme [P].
Le harcèlement moral n'étant pas constitué, Mme [P] doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour harcèlement ainsi que de sa demande en nullité du licenciement motivée par des faits de harcèlement moral.
Sur l'obligation de sécurité
Aux termes de l'article L 4121-1 du code du travail, « L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
· Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;
· Des actions d'information et de formation ;
· La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes »
Pour la mise en 'uvre des mesures ci-dessus prévues, l'employeur doit s'appuyer sur les principes généraux suivants visés à l'article L.4121-23 du code du travail:
· Eviter les risques
· Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
· Combattre les risques à la source ;
· Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
· Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;
· Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
· Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis par l'article L. 1142-2-1 ;
· Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
· Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
La réparation d'un préjudice résultant d'un manquement de l'employeur suppose que le salarié qui s'en prétend victime produise en justice les éléments de nature à établir d'une part la réalité du manquement et d'autre part l'existence et l'étendue du préjudice en résultant.
Enfin, l'employeur peut s'exonérer de sa responsabilité en démontrant qu'il a pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité des salariés.
Il est constant que si l'inaptitude médicalement constatée d'un salarié trouve son origine dans un ou plusieurs manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, le licenciement intervenu pour inaptitude et impossibilité de reclassement est sans cause réelle et sérieuse.
L'inaptitude physique ne peut en effet légitimer un licenciement lorsqu'elle résulte d'un manquement de l'employeur à son obligation générale de sécurité.
La reconnaissance de l'origine professionnelle de l'accident du travail du 7 mai 2015 ne permet pas de retenir de facto une violation par l'employeur de son obligation de sécurité.
La cour relève que Mme [P] évoque les éléments dont elle a fait état pour démontrer un harcèlement moral, lesquels n'ont pas été retenus.
Elle ajoute que l'employeur n'a pris aucune mesure pour tenir compte de sa situation de détresse, dénoncée par de nombreux courriers entre juillet 2014 et son accident du travail du 7 mai 2015, puis postérieurement à son arrêt de travail. Au lieu d'améliorer les choses, l'attitude de l'employeur a au contraire aggravé son état de santé.
Les nombreux courriers et emails adressés à l'employeur ne démontrent aucune détresse psychologique mais seulement une situation conflictuelle vécue par la salariée comme un harcèlement moral, lequel n'a pas été retenu.
Aucun élément ne vient démontrer que M. [Y] a volontairement aggravé la situation, les parties reconnaissant que celui-ci a proposé à la salariée une rupture conventionnelle que cette dernière a refusé.
La cour relève que la salariée n'avait pas fait, auparavant, l'objet d'un arrêt de travail pour dépression, stress ou burn out, seul le certificat médical d'arrêt de travail établi le 7 mai 2015 mentionne un état d'épuisement psychologique et une tension permanente, sans pour autant établir un quelconque lien de causalité avec le travail.
Il apparaît enfin que le syndrome réactionnel ayant présidé à l'arrêt de travail et à l'inaptitude définitive est en lien avec le malaise dont a été victime Mme [P].
Même si celui-ci a été qualifié d'accident du travail, il n'est aucunement démontré que la violation par l'employeur de son obligation de sécurité serait à l'origine de l'inaptitude de la salariée.
Aucun manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ne pourra dès lors être retenu.
L'appelante sera dans ces circonstances déboutée de sa demande pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l'obligation de sécurité ainsi que des demandes afférentes de dommages et intérêts et indemnités.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de la sanction financière abusive
Il est constant que l'employeur a fait l'objet d'une condamnation à ce titre par arrêt du 23 mai 2017, la cour ayant condamné à titre provisionnel M. [Y] à payer à Mme [P] la somme de 350 euros en remboursement de retenue indue sur salaire.
La salariée a en outre été déboutée de sa demande de réparation provisionnelle de son préjudice moral, la cour estimant que l'obligation était sérieusement contestable en l'absence de pièce démontrant la réalité du préjudice invoqué.
Devant la présente cour statuant au fond, Mme [P] ne produit pas plus d'élément démontrant un quelconque préjudice en lien avec la faute de l'employeur.
L'appelante sera dans ces circonstances déboutée de ce chef de demande.
En définitive, il convient pour les motifs qui précèdent substitués à ceux des premiers juges de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré.
Sur la demande de l'intimé en dommages et intérêts pour procédure abusive
L'intimé ne rapporte pas la preuve de ce que Mme [P] aurait fait un usage abusif de son droit d'agir en justice et d'exercer un recours ou aurait commis une faute dans la conduite des procédures de première instance et d'appel.
Il y a dès lors lieu de le débouter de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
Sur les demandes accessoires
La cour prend acte de l'intervention volontaire du CGEA AGS de Toulouse en lieu et place du CGEA AGS de Marseille.
Les dispositions de l'article L.3253-6 du code du travail subordonnent la mise en jeu de la garantie de l'AGS à l'ouverture d'une procédure collective de l'employeur et non à l'existence d'une telle procédure en cours au moment où le juge statue sur la fixation de la créance salariale et sur la garantie de l'AGS.
Il résulte des pièces du dossier que M. [Y] a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire le 27 septembre 2017, laquelle a été clôturée le 2 octobre 2018 pour extinction du passif, Mme [P] ayant saisi la juridiction prud'homale le 8 mars 2018.
Dans ces circonstances, la demande de mise hors de cause du CGEA AGS de Toulouse ne saurait prospérer.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Partie succombante, les dépens d'appel seront mis à la charge de Mme [P].
Les dispositions du jugement seront confirmés en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort,
Prend acte de l'intervention volontaire du CGEA AGS de Toulouse en lieu et place du CGEA AGS de Marseille,
Rejette la demande du CGEA AGS de Toulouse tendant à sa mise hors de cause,
Déclare la demande de nullité des avertissements des 21 juillet 2014 et 31 juillet 2014 irrecevable pour cause de prescription,
Confirme le jugement rendu le 24 avril 2019 par le conseil de prud'hommes d'Orange en ce qu'il a débouté Mme [C] [P] en toutes ses demandes,
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [C] [P] aux dépens d'appel,
Arrêt signé par Monsieur ROUQUETTE-DUGARET, Président et par Madame BERGERAS, Greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,