ARRÊT N° 714
N° RG 19/02364 - N° Portalis DBVH-V-B7D-HMJB
MS/EB
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES
06 mai 2019
RG :18/00289
[N]
C/
S.N.C. LIDL
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 14 JUIN 2022
APPELANTE :
Madame [I] [N] épouse [M]
née le 29 Août 1977 à Nîmes (30000)
532 rue du Moulin Détienne
Résidence Le Mireille - Bât. 3
30600 VAUVERT
Représentée par Me Jean paul CHABANNES de la SELARL CHABANNES-SENMARTIN ASSOCIES, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Frédéric MORA, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMÉE :
SNC LIDL
35 rue Charles Péguy
67000 STRASBOURG
Représentée par Me Anne-france BREUILLOT de la SELARL BREUILLOT & AVOCATS, avocat au barreau de CARPENTRAS
Représentée par Me Sonia BRUNET-RICHOU, avocat au barreau de TOULOUSE
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 24 Mars 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Virginie HUET, Conseillère
M. Michel SORIANO, Conseiller
GREFFIER :
Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
à l'audience publique du 14 Juin 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 Juin 2022
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 14 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Mme [N] [I] a été engagée le 12 septembre 2005 par la société LIDL en qualité de caissière employée libre-service par le biais d'un contrat à temps partiel à durée indéterminée.
Mme [N] était promue chef caissière le 22 mars 2013, niveau 4 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
Elle percevait une rémunération brute mensuelle de 1 692 euros.
Au dernier état de la relation contractuelle, Mme [N] était affectée sur le magasin de Vauvert en qualité de chef caissière, niveau 4 de la convention collective, moyennant un horaire de travail à temps partiel de 136.52 heures mensuelles et une rémunération mensuelle brute de 1673.75 euros.
Mme [N] a été victime d'un accident du travail le 29 mars 2016 et a été placée en arrêt de travail.
Le 4 janvier 2018, une visite de reprise était organisée et Mme [N] était déclarée inapte définitive au poste de chef de caisse en ces termes : « inaptitude définitive au poste de chef caissière. Préconisations pour un poste de reclassement : poste de type administratif sans manutention manuelle de charges lourdes, sans geste répétitif des bras, sans mouvement de grande amplitude des bras, ni travail des bras au-dessus du plan des deux épaules. Inaptitude au poste en lien avec un accident du travail en date du 29 mars 2016. ».
Les recherches de reclassement et les postes étaient présentés aux délégués du personnel le 26 janvier 2018.
Les postes et leur descriptif étaient proposés à Mme [N] par courrier du 29 janvier 2018.
Il était ainsi proposé 8 postes administratifs à Mme [N], qui indiquait, par courrier en date du 2 février 2018 être intéressée par le poste
d'employée gestion des ressources humaines à la direction régionale de Lunel, en CDI, pour un salaire mensuel brut de 1 642.13 euros.
Considérant l'absence d'expérience et de formation ressortant du CV de Mme [N] , cette dernière se voyait, lors d'un entretien, proposer différents tests basiques de calculs et d'orthographe afin de savoir si elle avait les compétences requises pour le poste.
Par courrier du 23 février 2018, la responsable administratif de la direction régionale de Lunel, Mme [P], devait donc informer Mme [N] que les tests n'avaient pas été concluants.
Eu égard au fait qu'elle n'était pas mobile dans un rayon de plus de 10 kms et qu'elle n'acceptait pas de poste en CDD, aucune autre possibilité de reclassement n'était possible pour Mme [N] au sein de la SNC LIDL. Il lui était proposé le financement d'une formation à hauteur de 5 000 euros dans un délai de 6 mois.
Après un entretien préalable en date du 27 février 2018, Mme [N] était licenciée pour inaptitude sans possibilité de reclassement, en ces termes :
« Nous faisons suite à l'entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement du 9 mars 2018.
Les faits sont les suivants :
Vous avez été déclarée inapte à votre poste de chef caissière suite à la confirmation du médecin du travail dans le cadre de la visite médicale du 4 janvier 2018 selon les termes suivants : « inaptitude définitive au poste de chef
de caisse. Préconisations pour un reclassement : poste de type administratif, sans manutention manuelle de charges lourdes, sans gestes répétitifs des bras, sans mouvements de grande amplitude des bras, ni travail des bras au-dessus du plan des deux épaules. Inaptitude au poste en lien avec un accident du travail en date du 29 mars 2016. »
Le 15 janvier 2018, Madame [W] [G], Responsable des Relations Humaines, vous a reçue dans le cadre d'un entretien de reclassement.
Au cours de cet entretien, vous nous avez indiqué être mobile dans un rayon de 10 kms autour de votre ancien lieu de travail et ne pas accepter de proposition de contrat à durée déterminée.
En conséquence, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, après avoir opéré une recherche au sein de notre propre direction régionale, nous avons interrogé l'ensemble de nos directions régionales, ainsi que notre centre des services administratifs à Strasbourg et notre centre des services opérationnels à Rungis, pour vérifier si un tel poste, répondant à vos attentes, pouvait vous être proposé, en supplément des autres postes disponibles dans l'entreprise dont la loi nous incombe de vous les proposer.
Le centre des services administratifs à Strasbourg et le centre des services opérationnels de Rungis, ainsi que les directions régionales de Lunel, Barbery, Chanteloup-les-Vignes, les Arcs-sur-Argens, Entzheim et St Laurent de Mûre
nous ont informés de l'existence de postes disponibles.
Les délégués du personnel ont alors été consultés lors de la réunion du 26 janvier 2018.
Par courrier en date du 29 janvier 2018, nous vous avons donc proposé les postes suivants :'
...
- employée gestion ressources humaines, CDI à la direction régionale de Lunel
- chargée relation clientèle, CDD 6 mois au centre des services administratifs de Strasbourg
- employée administratif services finances, CDD 6 mois au centre des services administratifs de Strasbourg
- employée administratif service GESCO, CDD 6 mois à la direction régionale de Barbery,
- employée administratif immobilier, CDD 3 mois, à la direction régionale de Chanteloup-les-Vignes,
- employée administratif service développement commercial régional, CDD 3 mois, à la direction régionale des Arcs-sur-Argens,
- employée administratif services ventes, CDI, à la direction régionale d'Entzheim,
- employée administratif service GESCO, CDD 6 mois à la direction régionale de St Laurent de Mûre.
'Par courrier en date du 2 février 2018, vous nous avez informés de votre intérêt pour le poste d'employée administrative, service gestion des ressources humaines sur la direction régionale de Lunel.
Nous vous avons reçue le 19 février 2018 pour réaliser des tests de type administratif afin d'évaluer vos compétences, les comparer à celles requises pour occuper le poste et éventuellement déterminer la formation
d'adaptation nécessaire. Cependant, il s'avère que les résultats des tests n'ont pas été concluants.
Au regard de ce constat, nous sommes dans l'impossibilité de procéder à votre reclassement au sein de la société. Aussi, nous nous voyons contraints de procéder à votre licenciement pour impossibilité de reclassement suite à votre inaptitude.
Votre licenciement interviendra à la date d'envoi de ce courrier. »
Contestant la légitimité de la rupture, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes afin de voir prononcer la requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir la condamnation de l'employeur à diverses sommes à caractère indemnitaire, lequel, par jugement contradictoire du 6 mai 2019 l'a déboutée de toutes ses demandes.
Par acte du 13 juin 2019, Mme [N] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Par conclusions en date du 29 août 2019, elle demande à la cour de :
Réformant en son entier le jugement entrepris :
Dire et juger :
1. Que la société LIDL, au vu des arrêts de la Cour de cassation du 23/05/2016 et des arrêts postérieurs, a renoncé à ce qu'elle aurait pu faire valoir, à savoir : la prise en compte des sollicitations de Mme [N] puisque la société a tenté de reclasser partout en France, notamment à Strasbourg, Chanteloup les Vignes, Arc Sur Argen''
2. Que la société ne peut invoquer aujourd'hui les sollicitations de Mme [N] et les dispositions des arrêts du 23/11/2016 et des arrêts postérieurs en la matière.
3. Que la société LIDL a mal interprété l'avis de la médecine du travail, faisant d'un simple exemple posé par la médecine du travail, un impérium.
4. Que la société devait se rapprocher du médecin du travail afin d'avoir des précisions sur le contenu de l'avis rendu, ce qu'elle n'a pas fait.
5. Que la société devait rechercher d'autres postes, qu'un poste administratif, qui correspondaient aux préconisations du médecin du travail et aux réserves émises par ce dernier notamment un poste d'hôtesse d'accueil.
6. Que la société a agi avec une légèreté blâmable, sollicitant les responsables administratifs le 16/01 et obtenant des réponses les 16 et 17/01/2019, ce qui manifestement caractérise une exécution déloyale de la recherche de reclassement.
7. L'existence d'un groupe européen et international, la permutation du personnel étant parfaitement établie, puisqu'en effet, la société, dans le cadre d'une obligation de reclassement identique liée à la mise en place d'un licenciement collectif pour motif économique, a proposé dans le cadre d'un PSE, un reclassement dans le cadre de l'Europe entière.
8. Qu'ici, la société n'ayant pas souhaité prendre en compte les préconisations de Mme [N] alors qu'elle pouvait le faire, conformément aux arrêts du 23/11/2016, cette dernière qui a tenté de reclasser Mme [N] en France, devait tenter de la reclasser dans le cadre de l'ensemble du groupe y compris à l'étranger.
9. Que la recherche de reclassement n'a pas été individualisée.
10. Que l'employeur devait assumer une formation pour une remise à niveau de Mme [N] ce que ce dernier n'a pas fait, ne s'agissant pas d'une formation initiale.
En foi de quoi,
Dire et juger la mise en 'uvre par la société LIDL d'une recherche totalement déloyale de reclassement dans le cas de Mme [N],
En foi de quoi,
Dire et juger le licenciement de Mme [N] sans cause réelle et sérieuse.
Quoi faisant,
Condamner la société LIDL à verser à Mme [N] :
- 26.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC.
Prononcer l'exécution provisoire de la décision à venir.
Condamner la société aux entiers dépens.
Mme [N] soutient essentiellement que :
- les postes proposés n'ont pas reçu l'agrément du médecin du travail et n'ont pas été analysés par ce dernier, la société proposant manifestement des postes incompatibles avec son état de santé,
- l'employeur doit apporter la preuve qu'aucun poste n'était disponible dans le groupe, tant en France qu'à l'étranger, ce qui n'a pas été fait,
- l'employeur doit tenter de reclasser son salarié en individualisant la recherche de reclassement. Or, l'employeur propose à tous ses salariés licenciés, les mêmes postes,
- la société n'apporte aucun élément justifiant de ce que les seules propositions de reclassement qui lui ont été faites sont les seules possibilités que la
société a trouvées,
- la proposition doit avoir été analysée par l'employeur, répondre aux
préconisations du médecin du travail et convenir à la salariée si bien qu'il n'y a pas à faire passer ni des tests psychotechniques ni des tests administratifs ni un entretien d'embauche à la salariée, à partir du moment où elle est reclassée dans le cadre d'une inaptitude d'origine professionnelle,
- la société va se contenter d'écrire à différents responsables administratifs en date du 16/01/2018 pour leur demander s'ils n'ont pas de poste de « type administratif » tel que préconisé par la médecine du travail,
- il existait d'autres postes qui n'impliquaient pas « de ports de charges, de
manutention ou d'utilisation des bras au-dessus du plan des deux épaules », comme à titre d'exemple, celui d'hôtesse d'accueil, et il appartenait à la société de faire procéder à des recherches en ce sens plutôt que de se contenter du terme générique de « type administratif »,
- la société ose soutenir qu'il n'y aurait pas de groupe alors même qu'elle considère qu'il y a un groupe dans le cadre d'un licenciement pour motif économique et qu'elle considère qu'il n'y a pas de groupe dans le cadre d'un licenciement pour inaptitude alors même que l'obligation de tentative de reclassement correspond au même périmètre,
- la recherche sérieuse est une recherche effectuée dans le cadre d'abord de l'entreprise puis dans le cadre d'autres sociétés où le personnel peut être
permuté, c'est-à-dire dans le cadre du groupe y compris à l'étranger,
- la société n'a pas souhaité tenir compte de ses sollicitations, puisqu'elle lui a proposé des postes à Strasbourg, Barbery, Chanteloup les Vignes, Arc
Sur Argens, Entzheim, St Laurent de Mure,
- de fait, la société s'est mise hors de ses prétentions et ne peut venir aujourd'hui soutenir qu'il conviendrait de prendre en compte ses sollicitations puisque la société qui pouvait les prendre en compte, ne l'a pas fait,
- dès lors que la société n'a pas assumé cette recherche de reclassement dans le cadre du groupe en France et à l'étranger, la position du salarié et son avis, n'a pas à être pris en compte puisque la société n'a pas loyalement et sérieusement assumé l'obligation de tentative de reclassement.
La SNC LIDL a déposé des conclusions le 21 octobre 2019 dans lesquelles elle demande à la cour de :
Confirmer le jugement dont appel.
Débouter Mme [N] de l'ensemble de ses demandes.
Dire et juger que le licenciement prononcé pour inaptitude est parfaitement valable.
Dire et juger que la SNC LIDL a rempli la totalité de ses obligations en matière de reclassement.
Débouter en conséquence Mme [N] de toute demande formée à ce titre.
Débouter Mme [N] de sa demande formée au titre de l'article 700.
Condamner Mme [N] au paiement de la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle fait essentiellement valoir que :
- elle a respecté ses obligations de reclassement en effectuant des recherches
sur les seuls postes compatibles avec les préconisations du médecin du travail,
- la recherche de reclassement a été faite dès le 16 janvier 2018 envers non seulement la direction régionale de Lunel mais aussi l'ensemble des directions régionales, le siège et les services administratifs,
- Mme [N] ne pouvait être reclassée en magasin, ni en entrepôt, où il existe une part importante de manutention de charges lourdes et de mouvements répétés et de grandes amplitudes des bras, la seule possibilité étant de la reclasser sur un poste administratif , sachant qu'il n'existe pas de poste d'hôtesse d'accueil, comme Mme [N] voudrait le faire croire,
- les postes administratifs consistent essentiellement en des travaux de paye et de comptabilité, dont les contraintes principales sont : le travail sur écran, le standard téléphonique et la station assise prolongée,
- elle a reçu Mme [N] en entretien préalable aux recherches de reclassement ,
- elle a proposé 9 postes disponibles à Mme [N],
- les tests passés par la salariée pour le poste de Lunel ne s'avéraient pas concluants eu égard au trop grand nombre d'erreurs faites par Mme [N],
- rien n'interdit à un employeur de faire passer à sa salariée des tests de compétence, celui-ci devait s'assurer de l'adéquation des compétences au poste, fut-ce lié à un reclassement.
Rien n'oblige l'employeur dans le cadre d'un reclassement à former son salarié.
Si l'employeur a effectivement une obligation de formation envers son salarié, cette obligation n'est pas une obligation de formation initiale ou qualifiante.
- elle n'avait aucune obligation de recherche de reclassement dans « le groupe ». Aucune obligation en ce sens dès lors que les textes ne l'imposent pas et que surtout elle n'appartient pas à un groupe de sociétés, et encore moins de dimension communautaire, au sein duquel elle serait, soit une entreprise dominante contrôlant d'autres entreprises, soit une entreprise contrôlée par une autre société dominante,
- l'obligation de reclassement à l'international instituée par la Loi d'août 2015 par le législateur, ne l'a été que dans le cadre d'un licenciement pour motif économique et non dans le cadre du licenciement pour inaptitude,
- en tout état de cause, une recherche de reclassement à l'étranger ne doit intervenir que parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. Or, en l'espèce, aucune permutabilité n'existe,
- l'absence d'effectifs au sein des deux sociétés associées de droit allemand (AMRS WARENDHANDEL GmbH et 3H VERMÖGENSVERWALTUNG GmbH) rend impossible une permutation de
salariés et par biais de conséquence tout reclassement. Ces deux sociétés ne peuvent faire partie d'un groupe en tant que périmètre de recherche de
reclassement des salariés inaptes,
- Mme [N] ne rapporte pas la preuve d'une permutabilité effective des salariés qui conditionnerait le reclassement dans le groupe,
- elle a proposé la totalité des postes administratifs disponibles,
- les recherches de reclassement établies ont été individualisées et d'ailleurs chacune des directions régionales a répondu en faisant référence à Mme [N].
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures,
Par ordonnance en date du 24 décembre 2021, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet du 24 mars 2022.
MOTIFS
Sur le licenciement pour inaptitude
Selon l'article L.1226-10 du code du travail, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses compétences.
Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.
Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation destinée à lui proposer un poste adapté.
L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.
Il est précisé à l'article L.1226-12 du même code que lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à son reclassement.
Il ne peut rompre le contrat que s'il justifie soit de l'impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues ci-dessus soit du refus du salarié de l'emploi proposé dans ces conditions.
Il appartient à l'employeur, qui peut tenir compte de la position prise par le salarié et des réponses apportées par le médecin du travail postérieurement au constat régulier de l'inaptitude, de justifier qu'il n'a pu, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail, reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse au sein de l'entreprise, et, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient lequel s'entend des entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.
Toutefois, l'obligation de reclassement n'est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyens renforcée : l'employeur n'est ainsi pas tenu de proposer un poste qui n'est pas disponible ni de créer un poste nouveau, sans réelle utilité ou encore incompatible avec le bon fonctionnement de l'entreprise.
Il résulte des éléments du dossier que le 16 janvier 2016, la société LIDL a engagé des recherches de reclassement auprès du siège social et des directions régionales, en précisant l'inaptitude de la salariée, les préconisations du médecin du travail, le poste occupé par Mme [N], son ancienneté et ses qualifications. La société a reçu 8 propositions de poste.
Après avoir soumis le 26 janvier 2018, les 8 postes à l'avis des délégués du personnels, la société LIDL les a proposés à Mme [N] le 29 janvier 2018. Le 2 février 2018, la salariée a accepté le poste d'employée gestion ressources humaines à Lunel.
Le 12 février 2018, l'employeur a convoqué la salariée à un entretien en présence de Mme [P], responsable administratif, pour le 19 février suivant, pour une évaluation de ses compétences pour occuper cet emploi.
Cette évaluation produite aux débats a consisté en des tests d'orthographe, de conjugaison et de grammaire, de calcul et de logique, de tests Axel et de similitudes.
L'employeur a indiqué à la salariée par courrier du 23 février 2018 que les tests n'avaient pas été concluants et de ce fait, qu'aucune possibilité de reclassement n'était envisageable.
L'employeur tenu d'une obligation de reclassement du salarié déclaré inapte en application des dispositions de l'article L.1226-10 du code du travail, doit présenter des propositions de reclassement loyales et sérieuses et proposer au salarié non seulement des postes relevant de sa qualification et compatibles avec les restrictions médicales mais aussi ceux de catégorie inférieure et ceux qu'il pourrait occuper moyennant une formation complémentaire.
En l'état de ce test et de ses résultats, il n'est pas justifié de formation appropriée proposée à la salariée en vue d'améliorer ses résultats aux pré-requis et de faciliter ainsi son reclassement.
Il n'est en effet pas contestable que Mme [N] a occupé depuis son embauche le poste de caissière et chef caissière, postes totalement différents de celui proposé par la médecine du travail, à savoir un poste administratif.
Par courrier en date du 8 janvier 2018, la société LIDL a convoqué la salariée afin de préparer ses recherches concernant les possibilités éventuelles de reclassement :
'Dans le cadre de cet entretien, nous souhaitons :
- évaluer vos compétences ;
- connaître précisément vos qualifications professionnelles et les langues étrangères que vous pratiqueriez ;
- effectuer le bilan des dernières formations effectuées au sein de la société ;
- connaître vos éventuels souhaits, notamment en termes de mobilité (cf questionnaire joint à nous remettre le jour de l'entretien dûment complété) ;
- connaître vos attentes personnelles concernant les éventuels postes de reclassement qui vous seront proposés ;
Dans cette perspective, veuillez vous munir lors de cet entretien de votre CV actualisé, de vos éventuels diplômes et de toute pièce justifiant vos compétences particulières.'
Dès cet entretien, la société LIDL était consciente de la nécessité pour l'appelante de bénéficier d'une formation de remise à niveau et d'adaptation à un poste administratif, ces derniers étant particulièrement limités au sein de la société. Cette nécessité s'est par la suite confirmée ainsi qu'il résulte des résultats du test d'évaluation professionnelle.
En agissant de la sorte, et en faisant dépendre le reclassement de la salariée sur le poste choisi de son appréciation discrétionnaire ultérieure, laquelle était nécessairement biaisée dans la mesure où aucune formation ne lui a été proposée, l'employeur révèle sa carence dans l'étude du profil de la salariée devenue inapte ainsi que l'inadéquation entre les postes proposés et son profil.
Les propositions de reclassement effectuées dans de telles conditions ne sont pas sérieuses et le licenciement doit être déclaré sans cause réelle et sérieuse, justifiant la réformation du jugement dont appel.
S'agissant du préjudice résultant de la perte de l'emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, de l'absence de demande de réintégration, du montant de la rémunération versée (1.692 euros bruts), de l'âge de l'intéressée (41 ans), de son ancienneté dans l'entreprise (13 ans), de l'absence d'information sur sa situation professionnelle actuelle et des dispositions de l'article L.1226-15 alinéa 3 qui prévoit l'allocation d'une indemnité ne pouvant être inférieure à 6 mois de salaire, la société Lidl sera condamnée à lui verser la somme de 11.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes accessoires
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [N] et de condamner la SNS LIDL à lui payer la somme de 2.000 euros.
Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la société intimée.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort,
Réforme le jugement rendu le 6 mai 2019 par le conseil de prud'hommes de Nîmes en toutes ses dispositions
Statuant à nouveau
Dit le licenciement de Mme [I] [N] sans cause réelle et sérieuse
Condamne la SNC LIDL à payer à Mme [I] [N] la somme de 11.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la SNC LIDL à payer à Mme [I] [N] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SNC LIDL aux dépens de première instance et d'appel
Arrêt signé par Monsieur ROUQUETTE-DUGARET, Président et par Mme BERGERAS, Greffier.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,