ARRÊT N°
N° RG 19/00386 - N° Portalis DBVH-V-B7D-HHLF
YRD/ID
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE NIMES
25 janvier 2019
RG:18/00010
FOLLAIN
C/
S.A.S. ENGIE HOME SERVICES
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH
ARRÊT DU 14 JUIN 2022
APPELANT :
Monsieur [I] [S] Décédé le 4 juin 2016
Représenté par son ayant-droit, Madame [V] [S],
3 Impasse du Pressoir
30820 CAVEIRAC
Représenté par Me Aurélie SCHNEIDER, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉE :
SAS ENGIE HOME SERVICES
361, avenue du Président Wilson
93210 SAINT DENIS LA PLAINE
Représentée par Me Thomas AUTRIC, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Cécile BERTOLDI, avocat au barreau de MARSEILLE
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 13 Mai 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président,
Mme Catherine REYTER LEVIS, Conseillère,
Madame Evelyne MARTIN, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Isabelle DELOR, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
À l'audience publique du 18 Mai 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 Juin 2022
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 14 Juin 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
[I] [S] a été engagé, en qualité d'agent technique, par la compagnie gazière de service et d'entretien CGST-SAVE, suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 21 octobre 1985, lequel a été successivement repris par la société Savelys puis par la société Engie Home Services. A partir de l'année 2005, il a occupé le poste de responsable de l'agence de Nîmes, statut cadre.
A compter du 11 mars 2015, le salarié a fait l'objet d'un premier arrêt de travail pour maladie, auquel d'autres vont suivre.
Le 31 mai 2016, il a tenté de se suicider par pendaison à son domicile, et est décédé des suites de ses blessures le 4 juin 2016.
Par décision du 10 mars 2017, la CPAM du Gard a qualifié la tentative de suicide du salarié et le décès qui en est résulté d'accident du travail.
En sa qualité d'ayant droit de [I] [S], Mme [V] [S], faisant valoir l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de son époux, a saisi le conseil de prud'hommes de Nîmes de demandes indemnitaires, lequel par jugement contradictoire du 25 janvier 2019, a:
- débouté Mme [S] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société de ses demandes reconventionnelles,
- laissé les dépens à la charge du demandeur.
Par acte du 29 janvier 2019, Mme [S], agissant au nom et pour le compte de son époux défunt, a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Parallèlement, un contentieux a été engagé devant le pôle social du tribunal judiciaire de Nîmes, aux fins de voir reconnaître l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur dans la survenance de l'accident du travail.
Il a été fait droit à cette demande, suivant jugement du 3 avril 2019, lequel a été confirmé par la cour d'appel de Nîmes suivant arrêt du 6 juin 2021 rectifié le 19 octobre 2021, qui est devenu définitif quant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, en l'état du désistement partiel par ce dernier du pourvoi qu'il avait formé devant la Cour de cassation.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 17 décembre 2021, l'appelante demande à la cour de:
- recevoir l'appel de M. [S] représenté par son ayant droit, Mme [V] [S], et le déclarer bien fondé,
- réformer le jugement en ce qu'il a débouté M. [S] de sa demande tendant à faire juger l'existence d'un harcèlement moral à son endroit et à
voir condamner la société Engie Home Services à lui verser la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts, en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et laissé les dépens à sa charge,
- le confirmer en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à prescription pour les faits antérieurs au 12 janvier 2013 et à toute demande afférente,
- juger que M. [S] a été victime d'un harcèlement moral de la part de son employeur,
- en conséquence, statuant de nouveau, au besoin par substitution de motifs,
. condamner la société à payer à M. [S], représenté par Mme [S] en sa qualité d'ayant droit, la somme de 80 000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral,
. condamner la société à lui verser la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance outre 3 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi que les entiers dépens.
Elle fait valoir, au soutien du harcèlement moral, l'existence d'une dégradation dans les conditions de travail de [I] [S], qui a été amplifiée par les réactions inappropriées de la direction, qui le dénigrait auprès des équipes, lui a retiré brutalement la gestion de l'agence d'Arles, le surveillait durant ses arrêts de travail, et l'a mis à l'écart professionnellement notamment en publiant son poste comme étant à pourvoir, ce qui a eu un impact sur sa santé physique et mentale, ainsi que cela résulte de la répétition de ses arrêts de travail, ses hospitalisations, ainsi que son dossier médical durant l'exécution de son contrat de travail.
S'agissant du montant des dommages et intérêts réclamé, elle indique qu'il se justifie au regard du préjudice moral souffert par [I] [S] mais également de son préjudice financier lié à la multitude de ses arrêts de travail, qui ont nécessairement impacté sa rémunération ne serait-ce que sur la partie variable (primes).
En l'état de ses écritures en date du 23 juillet 2019, la SAS Engie Home Services a sollicité de voir :
- réformer le jugement entrepris sur la question de la prescription des faits,
- en conséquence, dire et juger prescrits tous les faits antérieurs au 12 janvier 2013 et toutes les demandes afférentes,
- sur le fond,
. confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a jugé que M. [S] n'a pas été victime de harcèlement moral et n'a pas fait droit aux demandes de condamnation à des dommages et intérêts de ce chef et à la demande afférente à l'article 700 du code de procédure civile.
. débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes,
. condamner l'appelante à lui verser la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Elle explique, à titre liminaire, qu'en l'état de la prescription quinquennale relative au harcèlement moral, tous les faits allégués ou documents produits portant sur une période antérieure au 12 janvier 2013 ne sont pas à examiner car nécessairement prescrits.
Sur le fond, elle fait valoir que rien dans les éléments produits ne permet d'objectiver des faits constitutifs d'un harcèlement moral, affirmant au contraire avoir tout mis en oeuvre pour permettre à [I] [S] de demeurer au sein d'une entreprise qui appréciait la qualité de son travail et l'avait à ce titre régulièrement promu.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.
L'affaire a été appelée à l'audience du 22 janvier 2022 et, par arrêt du 12 avril 2022, la cour a :
- Ordonné la réouverture des débats et prononcé la révocation de l'ordonnance de clôture du 13 octobre 2021 à effet au 7 janvier 2022,
- Reçu les conclusions de la SAS Engie Home Services adressées le 27 janvier 2022,
- Fixé à nouveau la clôture de l'instruction de la présente affaire au 13 mai 2022 à 16h00,
- Dit que l'affaire sera appelée à l'audience du 18 mai 2022 à 14h00 et dit que la notification du présent arrêt vaut convocation,
- Réservé pour le surplus.
MOTIFS
Sur la prescription des faits antérieurs au 12 janvier 2013
En application de l'article 2224 du code civil, en matière de responsabilité civile, le point de départ du délai de prescription est le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Par ailleurs, la juridiction saisie peut-être amenée à analyser l'ensemble des faits invoqués par le salarié permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, quelle que soit la date de leur commission dès lors que l'action a été engagée dans le délai de prescription.
En l'espèce, l'action a été engagée le 12 janvier 2018, la manifestation des actes de harcèlement tels que décrits remonte à 2015 ( les certificats médicaux faisant état d'un burn-out sont en date des 16 juillet 2015, 8 septembre 2015 et 9 février 2016), par ailleurs la décision de retirer à [I] [S] la gestion de l'agence d'Arles, prise fin avril/début mai 2015, lui a été annoncée officiellement par la direction en septembre 2015.
Aucune prescription ne peut être invoquée.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du Code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du Code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
Mme [S] allègue les faits suivants :
- un stress au travail ayant conduit [I] [S] à un arrêt maladie reconnu d'origine professionnelle en 2005, une pression au travail se traduisant par l'envoi de courriels à des heures incongrues ou lors de jours de repos illustrant l'absence de déconnexion, une absence d'effectif suffisant,
- l'absence de fiche de prévention des expositions aux facteurs de pénibilité,
- la décision prise fin avril/début mai 2015 de retirer à [I] [S] la gestion de l'agence d'Arles, décision qu'elle lui annonçait officiellement en septembre 2015,
- une omniprésence et une surveillance opérée par sa hiérarchie durant les arrêts de travail du salarié,
- une communication inappropriée de la Direction, la proposition du poste de travail de [I] [S] sur une bourse à l'emploi alors que son poste n'était pas vacant.
Elle produit aux débats les éléments matériels suivants :
- un certificat médical du 30 mai 2008 mentionnant « préchordialgies avec malaise apparu au décours de contrariétés professionnelles. Nécessité d'hospitalisation d'urgence (') en cardiologie »,
- un certificat du médecin du travail, le Dr [N] du 2 mars 2017 indiquant « Poussées d'HTA (hypertension artérielle) en lien avec le travail. Enquête de la part de SS. Déménagement fin mai. Surcharge de travail. Douleurs dans le bras gauche. Hospitalisation aux Franciscaines. Stress. Insomnies depuis 3 mois. Douleurs d'estomac. ' 11Kg.»,
- la pièce n°5 de la société intimée retraçant l'envoi de courriels à des heures non ouvrées mais n'appelant aucune réponse de la part du salarié et dont il pouvait prendre connaissance lors des heures de service,
- en pièces 27 et 44 des échanges de SMS entre [I] [S] et M. [G], directeur régional notamment durant ses arrêts de travail :
- 4 mai 2015 : « Bonsoir [I]. Je souhaiterais prendre de vos nouvelles. Seriez-vous disponible par téléphone demain après 17 h ' »
- 13 mai 2015 : « Bonjour [I]. Ravi de savoir que vous allez mieux. Pour la reprise ce sont aux médecins de se prononcer. Bien à vous »
- 16 juillet 2015 : « Bonjour [I]. C'est bien noté. La médecine du travail a-t-elle déjà
émise des restrictions relatives à la reprise en tant que Responsable d'agence ' Cordialement »
- 9 juillet 2015 : « Bonjour [I]. Suite à votre message et à la suite de vos visites avec les médecins seriez-vous disponible pour se rencontrer le 23 ou 24 juillet à votre convenance sur Marseille ou sur Nîmes pour faire un point sur l'avancement de votre réflexion. Bien à vous »
- 23 juillet 2015 suite à la demande de report de rendez-vous : « [I].
L'important est de ce voir demain. Ok pour utiliser votre véhicule de service. Cordialement »
- 30 juillet 2015 : « Bonjour [I]. Où en êtes vous de votre réflexion ' Appelez moi si vous le souhaitez. Bien à vous. DM »
- 28 août 2015 (en réponse au SMS de [I] [S] indiquant qu'il souhaitait reprendre son poste en septembre) : « Bonjour [I]. Etes vous dispo en fin d'après-midi pour se parler ' Cdt »
- 28 août 2015 : « Bonjour [I]. Je vous appelle à 16h. Merci. [U] »
- 3 septembre 2015 (en réponse au SMS de [I] [S] indiquant qu'il allait reprendre et souhaitait être accompagné lors d'un rdv avec la hiérarchie l'hôtel INN à Nîmes) : « Bonjour [I]. Ok pour le 07. Je vous confirme de nouveau que je ne souhaite pas que [B] soit présent puisqu'il s'agit d'un accompagnement à votre reprise de travail et non une convocation à un entretien.
Cordialement »
- un courrier de l'inspection du travail à SAVELYS du 21 janvier 2014 mais ne concernant pas [I] [S],
- une attestation de M. [R] [E], salarié et délégué syndical au sein de l'entreprise « (') la Direction régionale lui ayant accordé toutes les dispositions nécessaires pour le paiement des heures supplémentaires liés aux débordements quasi quotidien des horaires de travail des
techniciens de ses agences. Au cours de nos discussions et malgré nos désaccords sur le sujet, Monsieur [I] [S] m'a à divers moments fait ressentir son mal être du fait de cette situation, mais la pression constante qu'il me disait avoir de sa hiérarchie semblait être plus forte que la raison qui s'imposait en termes de programmation de visites d'entretiens et de dépannage pour une tournée cohérente des techniciens »,
- un procès-verbal d'audition dressé par un agent de la Cpam de M. [O] [W], chef d'équipe : « L'agence de Nîmes a toujours bien marché en termes de résultats, et M. [S] a eu recours à des heures supplémentaires assez fréquemment et régulièrement, car il manquait de personnels à l'époque (').
Au moment où M. [S] est tombé malade en 2015, l'agence était dirigée par lui. Il y avait un chef d'équipe, M. [Y], une responsable d'antenne à Arles (qui dépendait de Nîmes), Mme [Z] [F], moi-même, les 2 conseillères, une douzaine de techniciens sur Nîmes et 6 sur Arles.
Au 01/01/2017, M. [J] est le responsable d'agence (il avait pris ses fonctions en septembre 2016), nous sommes 2 chefs d'équipes, avec toujours les 2 mêmes conseillères, une vingtaine de techniciens à Nîmes (les 6 ou 7 nouveaux arrivant sont en place depuis septembre 2016), et l'antenne d'Arles est devenue une agence, donc autonome, dont la responsable est [Z] [F] »
- un procès-verbal d'audition dressé par un agent de la Cpam de Mme [Z] [F], Responsable d'agence : « Depuis quelques temps avant son premier arrêt de travail de 2015, [I] se plaignait d'un manque de personnel, et d'un manque de soutien de son responsable hiérarchique direct, Monsieur [K] [X]. [I] avait recours de temps en temps aux heures supplémentaires. (') Il me disait être stressé à cause des changements de la politique d'entreprise, d'un manque notamment d'un autre chef d'équipe, malgré ses demandes (ce renfort est arrivé alors que [I] était en arrêt de travail, sans qu'il ait pu le choisir). »
- un procès-verbal d'audition dressé par un agent de la Cpam de M. [M] [H], Technicien : « D'après ce qu'il me disait, son travail lui prenait beaucoup d'énergie, il avait demandé des embauches supplémentaires, sans succès (depuis la fin d'année 2016, 5 techniciens en contrat professionnel ont été embauchés, et l'antenne d'Arles est devenue une agence, donc
autonome) »,
- une attestation de Mme [P] [A] : « J'ai eu [I] [S] au téléphone début 2015. Il m'a dit qu'il était en arrêt de travail depuis plusieurs semaines. Le mot « harcèlement » dans sa bouche ne m'a pas surprise car il était de bon ton à la DR de trouver des prétextes dégradants lorsque une restructuration était en vue. Ce n'était pas la première fois que [I] était la cible.
La pratique était simple. Ne pas faire passer les messages. Ne pas visiter l'agence. Faire courir l'info que le chef d'agence n'était pas à la hauteur. Ne pas l'aider lorsqu'il était en difficulté avec des dossiers. L'accabler et exiger étaient les maîtres mots. » [I] disait toujours ce qu'il avait à dire et quel que soit le Directeur Régional, il se trouvait toujours un « Directeur » très persuasif pour le rabaisser. Je n'ai pas été témoin physique de ce que [I] a pu subir depuis novembre 2014, date de mon départ à la retraite. Mais je l'avais souvent au téléphone »,
- le compte rendu de visite du 16 juillet 2015 du médecin du travail : « est en arrêt maladie depuis 03/2015 pour « burn out ». Est suivi par une psychologue. Est à ce poste depuis 30 ans.
Supporte mal la pression des clients, des bailleurs sociaux, de la gestion de son équipe' d'après lui.
Avait fait la demande d'une personne supplémentaire mais ne l'a eu que trop tardivement quand était en arrêt maladie d'après lui.
Me dit qu'il travaillait de 7h à 20h. Travaillait même le samedi.
Me dit qu'il a du mal à gérer ses équipes.
Me dit qu'il est contrôlé sur tout. A beaucoup d'impératif de résultat. Beaucoup de contrôle.
Me dit qu'il n'est maître de rien alors que beaucoup d'objectif.
Amaigrissement. Pas d'idées suicidaires.
A repris le sport. Se dit angoissé.
En fait va un peu mieux. Ne sait pas s'il pourra reprendre son poste (') »
- une liste de postes à pourvoir au 3 août 2015, parmi lesquels figure le poste occupé par [I] [S] « Responsable d'agence ' Lieu : Nîmes ».
Ces éléments, s'ils établissent un stress et un mal être au travail, pris dans leur ensemble sont insuffisants à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral.
D'une part les pièces médicales sont en effet l'expression par le seul salarié d'une situation telle que vécue par ce dernier mais sans objectiver le moindre agissement de la part de l'employeur pouvant s'assimiler à un acte de harcèlement moral. Ainsi les pièces médicales versées, si elles décrivent une souffrance au travail qui ne peut être niée, ne sont en définitive que la restitution des déclarations faites par le salarié aux professionnels de santé lesquels n'ont été témoins d'aucune des situations décrites par l'intéressé. D'autre part, les attestations produites se font l'écho des plaintes et doléances de [I] [S] sans qu'aucun de ces témoins ne relate des faits précis caractéristiques de harcèlement moral.
En outre, il est pour le moins contradictoire de reprocher à l'employeur une surcharge de travail due à un manque d'effectif et faire grief à ce même employeur de retirer l'agence d'Arles du secteur géré par [I] [S] afin d'alléger sa charge de travail.
Alors qu'aucun reproche n'est objectivement rapporté sur les critiques portées par l'employeur sur les qualités managériales de [L] [S], celui -déclare spontanément qu'il a du mal à gérer ses équipes.
Cette difficulté à assumer ses responsabilité apparaît à la lecture de l'avis d'aptitude du 9 février 2016 :
« arrêt maladie $gt; 30 jours / rechute dépressive. Me dit qu'il a bcp angoissé.
A focalisé sur le courrier qu'on lui avait adressé.
Me dit qu'il a rdv prochainement au CHSCT.
A priori on lui demanderait aussi beaucoup plus un rôle commercial.
Le salarié a du mal à s'adapter à cette mission.
Examen : redort mieux. Pas d'anorexie. Poids remonte.
Me dit qu'il s'est replié sur lui-même. Repli sur soi.
Pas d'idées suicidaires.
Est suivi par un psychiatre.
A vu un psychologue du 04/12/2015 au 04/02/2016. »
La lecture des courriels échangés pendant les arrêts de travail de [L] [S], complétés par ceux produits par l'employeur, enseignent d'une part que l'employeur répondait aux message que [L] [S] avait pris l'initiative de lui adresser, que ces échanges, empreints de compassion, avaient pour objet une reprise dans les meilleures conditions ( « [I] Bonjour et merci de votre retour. C'est faire acte professionnel que se concentrer sur la priorité du moment, c'est-à-dire la récupération de votre capacité à revenir aux commande de l'agence. Donc aucun problème pour moi, nous allons nous organiser en conséquence et restons en contact » ; « Bonjour [I], j'espère que l'aide du psychologue vous permettra de vous rétablir durablement. Quant à la position, il faut entrevoir un allégement et non une surcharge. Par ailleurs nous devrons ensuite tenir compte de l'avis des Médecins. Merci d'aborder ce sujet avec eux. Bien à vous » ; « pas d'inquiétude, soignez-vous bien et revenez nous en pleine forme »).
Seule la publication de la vacance de poste de [L] [S] en août 2015, qualifiée d'erreur par la société intimée, est de nature à caractériser un acte de harcèlement moral, mais pour être isolé, il ne peut s'assimiler à des agissements répétés au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Au demeurant, l'employeur a présenté ses excuses et apporté toute explication au salarié par courrier du 12 avril 2016.
Pour retenir l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur, la présente cour, dans son arrêt du 8 juin 2021 a relevé que l'employeur ne pouvait méconnaître la dégradation de l'état de santé de [L] [S] (la SAS ENGIE HOME ENERGIE était informée de l'état psychologique dégradé de M. [I] [S] et la poursuite de cette dégradation depuis l'été 2015),retenant l'existence de pressions de la part des clients, des bailleurs sociaux, de la gestion de son équipe, de relations quasi conflictuelles avec son directeur régional, de la nécessité de réaliser des contrôles sur les techniciens (16 juillet 2015), d'angoisses, de pleurs et d'un sentiment d'avoir subi des pressions en août 2015 (08 septembre 2015), d'une relation tendue avec son supérieur hiérarchique et d'un sentiment de non reconnaissance de son investissement professionnel (02 novembre 2015), d'une difficulté à se projeter dans un nouveau poste proposé (09 février 2016).
Pour autant n'a été objectivé aucun acte matériel autre que la publication intempestive d'une vacance d'emploi qui puisse être qualifié de harcèlement moral.
La cour a stigmatisé dans son arrêt du 8 juin 2021 des mesures d'accompagnement ...manifestement insuffisantes, peu efficaces et trop tardives pour préserver son salarié du risque auquel il était exposé.
Au contraire, bien que qualifié d'insuffisant, la cour a noté que l'employeur avait mis en place un accompagnement de [I] [S] qui devait être assuré par un coach à compter du 12 novembre 2015, dont la régularité des séances n'est pas justifiée, et d'une secrétaire de la société dont il n'est pas non plus établi qu'elle disposait de compétences nécessaires pour assurer un tel accompagnement.
Comme le relève justement la société intimée les grilles de lecture entre une affaire de faute inexcusable de l'employeur et de harcèlement moral sont fondamentalement différentes : connaissance d'un risque et absence de mesure pour l'éviter dans un cas, agissements contribuant à dégrader l'état de santé de l'intéressé dans l'autre cas.
Il convient tant pour les motifs qui précèdent que ceux non contraires des premiers juges de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en l'espèce.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort
- Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription,
- Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,
- Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne l'appelante aux dépens d'appel
Arrêt signé par Monsieur ROUQUETTE-DUGARET, Président et par Madame DELOR, Greffière.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,