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20/04/2022 | FRANCE | N°20/03325

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 4ème chambre commerciale, 20 avril 2022, 20/03325


ARRÊT N°





N° RG 20/03325 - N° Portalis DBVH-V-B7E-H4EB





CO











TRIBUNAL DE COMMERCE DE MENDE

13 novembre 2020

RG:2019000016











S.A. BANQUE RHONE-ALPES



C/



[N]





Grosse délivrée le 20 avril 2022 à :



- Me GUILLE

- Me CHABAUD









COUR D'APPEL DE NÎMES



4ème CHAMBRE COMMERCIALE





ARRÊT DU 20 AVRIL 2022<

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APPELANTE :



S.A. BANQUE RHONE-ALPES, SA à directoire et conseil de surveillance au capital de 12562800,00 € immatriculée sous le numéro 057502270 du registre du commerce et des sociétés de GRENOBLE, agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège.

[A...

ARRÊT N°

N° RG 20/03325 - N° Portalis DBVH-V-B7E-H4EB

CO

TRIBUNAL DE COMMERCE DE MENDE

13 novembre 2020

RG:2019000016

S.A. BANQUE RHONE-ALPES

C/

[N]

Grosse délivrée le 20 avril 2022 à :

- Me GUILLE

- Me CHABAUD

COUR D'APPEL DE NÎMES

4ème CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU 20 AVRIL 2022

APPELANTE :

S.A. BANQUE RHONE-ALPES, SA à directoire et conseil de surveillance au capital de 12562800,00 € immatriculée sous le numéro 057502270 du registre du commerce et des sociétés de GRENOBLE, agissant poursuite et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège.

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Céline GUILLE de la SELARL CELINE GUILLE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉ :

Monsieur [H] [N]

né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 4]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Nicolas BES de la SCP BES SAUVAIGO, Plaidant, avocat au barreau de LYON

Représenté par Me Jean-marie CHABAUD de la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Claire OUGIER, Conseillère, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Christine CODOL, Présidente de chambre

Madame Corinne STRUNK, Conseillère,

Madame Claire OUGIER, Conseillère.

GREFFIER :

Monsieur Julian LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 21 Mars 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 20 Avril 2022.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Madame Christine CODOL, Présidente de chambre, le 20 Avril 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour.

EXPOSÉ

Vu l'appel interjeté le 16 décembre 2020 par la SA Banque Rhône-Alpes à l'encontre du jugement prononcé le 13 novembre 2020 par le tribunal de commerce de Mende dans l'instance n°2019000016 ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 3 mars 2022 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 16 mars 2022 par Monsieur [H] [N], intimé, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu l'ordonnance de clôture de la procédure à effet différé au 10 mars 2022 en date du 2 décembre 2021 ;

Vu l'ordonnance du 14 mars 2022 révoquant partiellement l'ordonnance de clôture du 10 mars 2022 afin de permettre à l'intimé de répondre aux dernières conclusions de l'appelante et fixant la clôture de la procédure au 17 mars 2022 ;

* * *

Par acte du 23 avril 2015, l'intimé s'est porté caution personnelle et solidaire de la société dont il était le dirigeant, auprès de la banque appelante, pour un montant de 54.600 euros et sur une durée de neuf ans, dans le cadre d'un concours consenti à cette société à hauteur de 105.000 euros sur sept ans.

Par acte du 22 octobre 2015, l'intimé s'est encore porté caution personnelle et solidaire de la même société auprès de la même banque dans la limite de 52.000 euros sur une durée de 84 mois, dans le cadre d'un concours consenti à cette société à hauteur de 40.000 euros sur 60 mois.

Par jugements du tribunal de commerce de Vienne du 3 octobre 2017 puis du 25 septembre 2018, la société a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ensuite convertie en liquidation judiciaire.

La banque a déclaré sa créance auprès du mandataire judiciaire par courrier du 17 novembre 2017 au titre de ces deux concours pour des montants respectifs de 70.642,05 euros pour le premier avec un taux d'intérêt à 2,30%, et de 25.944,29 euros pour le second avec un taux d'intérêt de 2,65%, créances qui ont été admises au passif de la procédure collective à titre privilégié en l'état d'un nantissement sur le fonds de commerce pour l'un et sur du matériel pour l'autre.

Le 17 novembre 2017, la banque a mis en demeure l'intimé en vertu de ses deux engagements de caution, de s'acquitter auprès d'elle d'un montant de 54.201,11 euros outre intérêts de retard, en vain.

Par exploit du 17 juillet 2019, elle l'assignait en paiement devant le tribunal de commerce de Mende.

Par jugement du 13 novembre 2020 -dont appel, le tribunal de commerce a :

dit l'intimé déchargé de ses engagements de caution souscrits les 2 » avril et 22 octobre 2015 auprès de la banque appelante,

débouté celle-ci de l'intégralité de ses demandes formulées à l'endroit de la caution,

condamné la banque à payer à la caution la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.

***

La banque a relevé appel de ce jugement pour le voir infirmer en toutes ses dispositions.

Elle fait valoir qu'il incombe à la caution, appelée en paiement, de démontrer le caractère manifestement disproportionné de l'engagement contracté pour s'en exonérer, sans qu'il puisse être reproché à la banque de ne pas avoir établi de « fiche solvabilité » ni d'avoir préalablement vérifié cette solvabilité, dès lors que rien ne l'y contraint.

Elle ajoute que cette disproportion s'apprécie au regard des revenus mais également du patrimoine de la caution, et que les parts sociales détenues dans d'autres sociétés font partie de ce patrimoine et doivent être prises en compte pour évaluer ses capacités financières.

Or en l'espèce, l'intimé est propriétaire de parts sociales dans d'autres sociétés commerciales et sociétés civiles immobilières et ne justifie pas de leur valeur au jour où il a souscrit ses engagements de caution. Il ne rapporte donc pas la preuve d'une quelconque disproportion et le jugement déféré doit être infirmé.

Sur la demande en indemnisation formulée à titre subsidiaire par l'intimé, la banque conteste toute faute.

Elle ajoute que la caution est tenue de garantir le prêt souscrit avant l'ouverture de la procédure collective, et qu'elle se prévaut à tort de la cession d'une branche d'activité et du nantissement de fonds de commerce dont dispose la banque pour prétendre limiter le montant de son engagement, alors que la banque n'a reçu aucun règlement dans le cadre de la procédure collective et n'est pas le seul créancier privilégié de sorte que rien ne permet de retenir qu'elle sera de fait réglée du prix obtenu après cession de cette branche d'activité.

Par application des dispositions de l'article L641-14 alinéa 6 du code de commerce, la caution ne peut se prévaloir de l'article L622-28 du code de commerce quant à l'arrêt du cours des intérêts, et rien n'interdisait à la banque d'adresser des mises en demeure à cette caution.

La banque demande donc paiement des sommes restant dues par la caution en vertu des deux engagements souscrits avec intérêts au taux contractuel, et capitalisation de ces intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil.

L'appelante soutient justifier du respect de son obligation d'information annuelle de la caution au titre des années 2015 et 2016 et affirme que l'éventuelle déchéance revendiquée par la caution ne peut dès lors être encourue qu'à compter du 6 mars 2017 et jusqu'à la mise en demeure qui lui a été adressée le 17 novembre 2017, produisant à titre subsidiaire un décompte en ce sens.

A titre infiniment subsidiaire, si la banque devait être déchue des intérêts depuis la souscription des engagements, elle demande paiement des sommes restant dues après déduction opérée dans un troisième décompte.

Au terme de ses dernières écritures, la banque demande donc à la cour, au visa des articles 1103, 1343-2, 2288 et suivants du code civil, de :

« réformer le jugement (déféré),

A titre principal,

condamner (l'intimé) au paiement de la somme de 29.205,86 € outre intérêts au taux contractuel de 2,30% à compter du 12 mars 2019,

ordonner la capitalisation des intérêts à l'issue de chaque période annuelle à compter de la mise en demeure en date du 17 novembre 2017 jusqu'à parfait paiement,

condamner (l'intimé) au paiement de la somme de 26.965,22 € outre intérêts au taux contractuel de 2,65% à compter du 12 mars 2019,

ordonner la capitalisation des intérêts à l'issue de chaque période annuelle à compter de la mise en demeure en date du 17 novembre 2017 jusqu'à parfait paiement.

A titre subsidiaire,

condamner (l'intimé) au paiement de la somme de 27.906,78 € outre intérêts au taux contractuel de 2,30% à compter du 17 novembre 2019,

ordonner la capitalisation des intérêts à l'issue de chaque période annuelle à compter de la mise en demeure en date du 17 novembre 2017 jusqu'à parfait paiement,

condamner (l'intimé) au paiement de la somme de 25.561,72 € outre intérêts au taux contractuel de 2,65% à compter du 17 novembre 2019,

ordonner la capitalisation des intérêts à l'issue de chaque période annuelle à compter de la mise en demeure en date du 17 novembre 2017 jusqu'à parfait paiement.

A titre infiniment subsidiaire,

condamner (l'intimé) au paiement de la somme de 26.287,56 €, outre intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2017 jusqu'à parfait règlement,

ordonner la capitalisation des intérêts à l'issue de chaque période annuelle à compter de la mise en demeure en date du 17 novembre 2017 jusqu'à parfait paiement,

condamner (l'intimé) au paiement de la somme de 24.285,84 € outre intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2017 jusqu'à parfait règlement,

ordonner la capitalisation des intérêts à l'issue de chaque période annuelle à compter de la mise en demeure en date du 17 novembre 2017 jusqu'à parfait paiement.

En tout état de cause,

débouter (l'intimé) de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

(le) condamner au paiement de la somme de 1.500,00 € sur dispositions de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens,

ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir. »

***

A titre principal, l'intimé conclut à la confirmation du jugement déféré.

En effet, par application de l'article L332-1 du code de la consommation, le créancier professionnel ne peut se prévaloir de l'engagement d'une caution qui serait manifestement disproportionné, et « il est constamment établi qu'une banque ne peut se prévaloir des engagements de caution souscrits si elle ne produit aucune fiche de renseignement sur la situation des personnes co-obligées ».

La caution doit ainsi être purement et simplement déchargée de son engagement lorsque le banque ne justifie pas qu'elle s'est assurée de la proportionnalité de l'engagement de la caution à ses facultés contributives et sa situation patrimoniale, puisqu'elle a un « devoir de se renseigner quant à la situation patrimoniale des cautions ».

Or en l'espèce, la banque ne produit aucun document justifiant des facultés contributives et de la situation patrimoniale de la caution au jour de ses engagements, de sorte qu'elle ne démontre pas s'être assurée de la proportionnalité de ceux-ci.

L'intimé fait encore valoir qu'il n'a pour sa part pas à justifier de ses revenus et patrimoine lors de la conclusion des cautionnements mais, qu'en tout état de cause, il était alors marié sous régime de séparation de biens, avait deux enfants à sa charge et disposait d'un revenu annuel de 31.085 euros, sans aucun autre revenu foncier, situation qui ne lui permettait manifestement pas de faire face aux deux engagements souscrits à quelques mois d'intervalle.

Il précise que le fait d'être dirigeant d'une société n'apporte aucun patrimoine, que les biens immobiliers détenus par des sociétés civiles immobilières n'ont pas à être pris en compte et que seules peuvent être prises en compte le cas échéant dans le patrimoine de la caution les parts sociales de société pour leur valeur nominale telle que portée aux statuts.

Il est pour sa part « associé ultra minoritaire des SCI » et quatre de ces SCI ont un capital social de 3.000 euros, celui de la cinquième étant de 152,45 euros, tandis que d'autres ont été créées postérieurement aux cautionnements. De même il n'est associé que de deux sociétés par actions simplifiées dont l'une est en procédure collective et une société à responsabilité limitée qui n'a plus d'activité.

De plus, au jour de la souscription de ses engagements, l'intimé s'était déjà porté caution de plusieurs prêts consentis à ces sociétés pour un montant total de 973.500 euros.

Il n'est pas davantage revenu à meilleure fortune depuis, bien au contraire.

Si la cour ne prononçait pas la déchéance des engagements de caution, elle devrait constater que la banque a manqué à son obligation de prudence et de renseignement ainsi qu'à l'obligation qui était sienne de s'enquérir de la situation patrimoniale de cette caution au regard de ses biens et revenus. Elle a de ce fait engagé sa responsabilité à son égard en lui faisant perdre une chance de ne pas contracter ces engagements et doit être condamnée à l'indemniser de ce préjudice, avec compensation.

Subsidiairement, l'intimé se prévaut des dispositions des articles L341-6 du code de la consommation et L313-22 du code monétaire et financier, et relève que la banque ne produit pas la moindre lettre d'information annuelle de la caution et qu'elle présente des calculs qui ne permettent pas de tenir compte des paiements effectués par le débiteur principal et de déterminer l'impact de la déchéance encourue. Sa créance est donc incertaine.

A titre infiniment subsidiaire, il fait encore valoir que des règlements sont intervenus à la suite de la vente d'une branche d'activité du débiteur principal et doivent être pris en considération pour limiter le plafond de son engagement, la banque étant de plus titulaire d'un nantissement sur le fonds de commerce.

Enfin, la banque ne pouvait pas valablement mettre en demeure la caution postérieurement au jugement d'ouverture de payer quelque somme, toute action étant suspendue par application de l'article L622-28 du code de commerce, de sorte que le courrier adressé le 17 novembre 2017 ne peut valoir comme tel. Dès lors les intérêts ne peuvent courir qu'à compter de la mise en demeure qui lui a été délivrée le 26 octobre 2018, et rien ne justifie qu'ils soient capitalisés.

L'intimé demande ainsi à la cour, au visa des articles L341-4 et L341-6 du code de la consommation, de l'article L313-22 du code monétaire et financier et de l'article 1315 du code civil, de :

« juger l'intimé recevable et bien fondé en ses demandes, fins et conclusions,

confirmer le jugement (déféré) en toutes ses disposions, et en tout état de cause :

A titre principal :

' dire et juger que (la banque) ne justifie pas de la proportionnalité des engagements de caution souscrits par (l'intimé),

' dire et juger qu'au jour de la souscription des engagements de caution dont se prévaut (la banque), (l'intimé) avait des revenus n'excédant pas 31.085 €,

' dire et juger que la situation de (l'intimé) au jour de la conclusion des engagements de caution litigieux implique, en outre, de tenir compte de son endettement global, et notamment, des autres engagements de caution dont il pouvait se trouver tenu,

' dire et juger que (l'intimé) démontre qu'à cette date, il s'était déjà porté caution à hauteur d'un montant global de 973.500 €,

' dire et juger manifestement disproportionnés les cautionnements souscrits par (l'intimé) à l'égard de (la banque), tant au jour de leur souscription qu'à ce jour, de sorte que (la banque) ne peut s'en prévaloir,

' prononcer la déchéance des engagements de caution souscrits par (l'intimé),

' débouter (la banque) de l'intégralité de ses demandes,

A défaut, si par extraordinaire, la cour ne prononçait pas la déchéance des engagements de caution :

' juger que (la banque) a commis une faute à l'encontre de (l'intimé) en ne se renseignant pas sur la proportionnalité de ses engagements de caution au jour de leur souscription,

' juger que (l'intimé) a, en raison de cette faute, perdu une chance de ne pas contracter lesdits engagements de caution,

' condamner, en conséquence, (la banque) à verser à (l'intimé) la somme de 56.000 € en réparation du préjudice qu'il a subi compte tenu des graves manquements de la banque quant à son devoir de se renseigner,

' ordonner, le cas échéant, la compensation entre les sommes dues.

A titre subsidiaire :

' dire et juger que (la banque) ne justifie pas avoir informé annuellement (l'intimé),

' dire et juger en conséquence que (la banque) doit être déchue de son droit à intérêts s'agissant des contrats de prêt souscrits par la société (...) et dont (l'intimé) s'est porté caution solidaire,

' dire et juger que (la banque) ne ventile pas sa créance entre principal et intérêts,

' dire et juger en conséquence incertaine la créance de (la banque),

' rejeter l'intégralité des demandes de (la banque) à l'encontre de (l'intimé).

En toutes hypothèses :

' dire et juger que l'engagement de caution de (l'intimé) du 23 avril 2015 ne saurait excéder 18.891,62 €, en principal et intérêts,

' rejeter toute demande au-delà de ce montant,

' débouter (la banque) de ses demandes de condamnation à l'encontre de (l'intimé) en ce qu'elles portent sur les intérêts à compter du 17 novembre 2017,

' débouter (la banque) de sa demande au titre de la capitalisation des intérêts,

' (la) condamner à (lui) payer la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamner (la banque) aux entiers dépens, dont distraction. »

***

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

Sur le fond :

sur la disproportion des cautionnements souscrits :

L'article L.332-1 du code de la consommation prévoit qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où elle est appelée, ne lui permette de faire face à ses obligations.

Ce texte n'érige ainsi pas la disproportion manifeste en cause de nullité de l'engagement mais interdit seulement au créancier de s'en prévaloir.

La disproportion manifeste du cautionnement doit être évaluée lors de la conclusion du contrat, au regard du montant de l'engagement et en fonction des revenus et du patrimoine de la caution, en prenant également en considération l'endettement global de celle-ci.

Si en vertu de ces dispositions, la sanction d'une disproportion manifeste entre la situation patrimoniale de la caution au moment de son engagement et le montant de celui-ci est l'impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir du cautionnement souscrit, c'est à la caution qu'il incombe de rapporter la preuve de la disproportion qu'elle allègue.

Les articles L. 332'1 et L. 343'3 du code de la consommation ne mettent pas à la charge du créancier professionnel l'obligation de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement sauf anomalie apparente qui figurerait sur une fiche de renseignements remplie. Com 13 septembre 2017 n°15-20294

Contrairement à ce que soutient l'intimé, il n'appartenait pas à la banque de s'enquérir de ses revenus et sa situation patrimoniale au jour de la souscription des cautionnements, ni de vérifier que ceux-ci y étaient proportionnés, et cette banque n'avait aucune obligation de lui faire remplir une fiche de renseignements, une telle fiche constituant seulement une modalité de preuve qui peut ensuite être utilisée par la banque pour contester l'argument d'une disproportion.

En l'espèce, en l'absence de toute fiche de renseignements, c'est à l'intimé qu'il appartient de démontrer que les deux engagements souscrits les 23 avril et 22 octobre 2015 étaient manifestement disproportionnés à ses revenus et à ses biens.

S'agissant de ses revenus, il produit en pièce 1 un avis de situation déclarative à l'impôt sur les revenus de l'année 2015 faisant état pour ce qui le concerne personnellement de salaires et assimilés perçus pour un montant total de 34.539 euros, avec deux enfants à charge sur le foyer fiscal.

En revanche, s'agissant de son patrimoine, l'intimé est particulièrement taisant.

Il admet dans ses propres écritures détenir des parts sociales dans cinq sociétés civiles immobilières, deux sociétés par actions simplifiées et une société à responsabilité limitée (page 11) et revendique s'être engagé comme caution au bénéfice de plusieurs d'entre elles pour des montants conséquents (page 12 et 13).

Si, comme l'ont justement rappelé les premiers juges, la valeur des immeubles qui sont la propriété de ces sociétés ne peut être prise en compte dans le patrimoine de l'intimé, en revanche, les parts sociales qu'il détenaient dans toutes ces sociétés au jour où il a souscrit les deux cautionnements contestés, faisaient partie de son patrimoine et leur valeur doit être prise en compte pour apprécier celui-ci.

Contrairement encore à ce que soutient l'intimé, ce n'est ni la valeur des parts sociales de ces sociétés au jour de leur création et telle que fixée dans les statuts, ni la valeur actuelle des parts sociales de ces sociétés, qui doit être prise en compte pour apprécier la composition de son patrimoine aux 23 avril et 22 octobre 2015, mais la valeur de ces parts à ces deux dates respectives, peu important dès lors le sort que lesdites sociétés ont depuis connu.

La Cour observe que si, effectivement, l'intimé justifie de la souscription de cautionnements antérieurs au bénéfice de ces sociétés, il reste taisant sur la valeur que pouvait alors représenter ses sociétés pour obtenir de tels financements, et n'apporte aucun élément qui puisse permettre à la cour d'apprécier la valeur des parts sociales qu'il détenait au jour où il s'est encore engagé auprès de l'appelante.

Il est donc défaillant dans la démonstration de la composition de son patrimoine au 23 avril et 22 octobre 2015, de telle sorte qu'il ne peut en suite arguer d'une quelconque disproportion manifeste des engagements souscrits au regard, non seulement de ses revenus, mais encore de ce patrimoine.

Ce moyen sera donc rejeté et le jugement déféré infirmé.

sur la faute de la banque :

S'il est argué d'un manquement de la banque à son obligation de prudence et à son devoir de se renseigner sur la situation patrimoniale de la caution, il a déjà été rappelé qu'aucun texte n'impose à la banque de vérifier la solvabilité de la caution avant de recueillir son engagement, et il a de plus été retenu que la disproportion manifeste de cet engagement n'était pas démontrée.

L'intimé fait état de la perte d'une chance de ne pas contracter, préjudice qui fait référence au manquement de la banque à son devoir de mise en garde.

A cet égard, l'intimé qui n'était pas seulement à la date des cautionnements litigieux, gérant de la société cautionnée, mais également dirigeant et associé de plusieurs autres sociétés de formes diverses, et avait déjà souscrit à leur bénéfice plusieurs autres engagements de cautionnement comme il en justifie lui-même, était parfaitement rompu à la vie des affaires, en mesure d'apprécier les risques de ces opérations, et était ainsi une caution avertie.

En cette qualité, il lui appartient pour qualifier un manquement de la banque à son devoir de mise en garde, de démontrer qu'elle détenait alors sur les revenus et patrimoines de la société garantie et sur les facultés de remboursement prévisibles de celle-ci, des informations que lui même ne détenait pas, ce qu'il ne fait pas.

Aucune faute n'est dès lors établie à la charge de l'appelante et cette prétention doit être rejetée.

Sur les sommes dues :

S'agissant du cautionnement souscrit le 23 avril 2015 par l'intimé, il porte sur la somme de 54.600 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de neuf ans (pièce 1 de l'appelante).

Il est justifié de la déclaration de cette créance au passif de la société débitrice principale en date du 17 novembre 2017 à hauteur de 70.642,05 euros en principal, avec intérêts au taux de 2,30% (pièce 3) et de l'admission pour ce montant de cette créance selon avis du 3 mai 2018 (pièce 4).

S'agissant du cautionnement souscrit le 22 octobre 2015 par l'intimé, il porte sur la somme de 52.000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 84 mois (pièce 2 de l'appelante).

Il est justifié de la déclaration de cette créance au passif de la société débitrice principale en date du 17 novembre 2017 à hauteur de 25.944,29 euros en principal, avec intérêts au taux de 2,65% (pièce 3) et de l'admission pour ce montant de cette créance selon avis du 3 mai 2018 (pièce 5).

L'intimé ne démontre pas que des sommes aient été de fait encaissées par la banque sur ces créances depuis lors, ni au titre d'une cession partielle d'une activité, ni au titre du nantissement dont elles étaient pourvues.

Il reste donc, par son engagement solidaire, tenu du paiement de ces sommes, dans les limites précisées aux actes des 23 avril et 22 octobre 2015 telles que précédemment rappelées, et c'est donc vainement qu'il en conteste le montant.

S'agissant de l'obligation annuelle d'information de la banque, la caution conclut au visa de l'ancien article L.341-6 du code de la consommation -abrogé par ordonnance du 14 mars 2016, en vertu duquel :

»Le créancier professionnel est tenu de faire connaître à la caution personne physique, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement. (...) A défaut, la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. »

L'article L313-22 du code monétaire et financier également cité -et également abrogé depuis par ordonnance du 15 septembre 2021 mais applicable à l'espèce, dispose également que « les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. (') Le défaut d'accomplissement de la formalité (') emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette ».

Pour justifier avoir satisfait à cette obligation au titre des années 2015 et 2016, la banque produit un « duplicata » de lettre datée du 6 mars 2017 (pièce 22) et un relevé informatique (pièce 23), qui ne démontrent en rien l'envoi effectif de ces courriers d'information annuelle à l'intimé ni donc l'exécution de cette obligation.

C'est en conséquence, après application de la déchéance et de l'imputation prioritaire prévues par les articles précités, le dernier décompte présenté par la banque à titre infiniment subsidiaire qui doit être retenu, décompte confirmé par les tableaux d'amortissement produits (pièces 24 et 25) et dont les modalités de calcul ne sont d'ailleurs pas contestées par l'intimé -celui-ci arguant seulement d'éventuels paiements intervenus depuis par le débiteur principal mais dont il ne justifie pas (page 17 de ses conclusions).

En vertu de l'article L622-28 du code de commerce -invoqué par l'intimé, « le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus. Les personnes physiques coobligées (') peuvent se prévaloir des dispositions du présent alinéa. Nonobstant les dispositions de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus de ces créances ne peuvent produire des intérêts. Le jugement d'ouverture suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation judiciaire toute action contre les personnes physiques coobligées ».

Les deux contrats de prêt cautionnés par l'intimé ayant été conclus pour des durées respectives de 84 mois et 60 mois (pièce 3 de l'appelante), le cours des intérêts n'a pas été arrêté par le prononcé du jugement du 3 octobre 2017 ouvrant le redressement judiciaire, et l'anatocisme n'est pas prohibé.

Enfin, si ce texte interdit à la banque toute « action », elle ne lui interdit pas de mettre en demeure une caution solidaire de s'acquitter des sommes dues par un débiteur principal placé en redressement judiciaire.

La valeur du courrier recommandé daté du 17 novembre 2017 adressé par la banque à l'intimé en ce sens ne peut donc être contestée et a pour effet de faire courir les intérêts au taux légal sur les sommes dues par la caution depuis lors.

Le bénéfice des dispositions de l'article 1343-2 du code civil étant demandé par la banque, et la prohibition visée par l'article L622-28 du code de commerce n'ayant pas vocation à s'appliquer comme précédemment retenu, cette prétention doit être accueillie.

Sur les frais de l'instance :

L'intimé, qui succombe, devra supporter les dépens de la première instance et de l'instance d'appel, et payer à l'appelante une somme équitablement arbitrée à 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La demande en prononcé de l'exécution provisoire formulée par la banque est sans objet en appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

Dit que Monsieur [H] [N] ne démontre pas que les cautionnements qu'il a conclus les 23 avril et 22 octobre 2015 étaient manifestement disproportionnés à ses revenus et biens ;

Dit que la SA Banque Rhône Alpes n'a commis aucune faute à l'égard de Monsieur [H] [N] lors de la souscription des cautionnements par celui-ci les 23 avril et 22 octobre 2015 ;

Dit que la SA Banque Rhône Alpes a manqué à son obligation annuelle d'information de la caution au titre de ces deux engagements et ce, depuis leur souscription ;

Condamne en conséquence Monsieur [H] [N] à payer à la SA Banque Rhône Alpes la somme de 26.287,56 euros au titre du cautionnement souscrit le 23 avril 2015, avec intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2017, et capitalisation de ces intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Condamne en conséquence Monsieur [H] [N] à payer à la SA Banque Rhône Alpes la somme de 24.285,84 euros au titre du cautionnement souscrit le 22 octobre 2015, avec intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2017, et capitalisation de ces intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Dit que Monsieur [H] [N] supportera les dépens de première instance et d'appel et payera à la SA Banque Rhône Alpes une somme de 1.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande.

Arrêt signé par Madame Christine CODOL, Présidente de chambre et par Monsieur LAUNAY-BESTOSO, Greffier à la 4ème chambre commerciale.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 20/03325
Date de la décision : 20/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-20;20.03325 ?
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