ARRÊT No68
R. G : 09/ 05469
IT/ CM
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PRIVAS 17 décembre 2009
S. A. CAISSE FÉDÉRALE DU CRÉDIT MUTUEL NORD EUROPE
C/
X... Société BANQUE X... ET CIE
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE 1ère Chambre B
ARRÊT DU 25 JANVIER 2011
APPELANTE :
S. A. CAISSE FÉDÉRALE DU CRÉDIT MUTUEL NORD EUROPE (CFCMNE) poursuites et diligences de ses représentants légauxl en exercice, domicilié en cette qualité au siège social 4 Place Richebe 59000 LILLE
Rep/ assistant : la SCP GUIZARD-SERVAIS (avoués à la Cour) Rep/ assistant : Me Bernard VATIER (avocat au barreau de PARIS)
INTIMÉES :
Madame Josette X... épouse Y... née le 06 Août 1926 à LE CHEYLARD (07160)... 07160 LE CHEYLARD
Rep/ assistant : la SCP P. PERICCHI (avoués à la Cour) Rep/ assistant : Me Olivier PARDO (avocat au barreau de PARIS) Rep/ assistant : Me Jean René FARTHOUAT (avocat au barreau de PARIS)
Société en commandite simple BANQUE X... ET CIE prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité au siège social 16 Place Saléon Terras 07160 LE CHEYLARD
Rep/ assistant : la SCP P. PERICCHI (avoués à la Cour) Rep/ assistant : Me Olivier PARDO (avocat au barreau de PARIS) Rep/ assistant : Me Jean René FARTHOUAT (avocat au barreau de PARIS)
Statuant sur appel d'un jugement rendu par le Juge de l'Exécution
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Isabelle THERY, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l'article 786 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la Cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Gérard DELTEL, Président Mme Isabelle THERY, Conseiller Mme Nicole BERTHET, Conseiller
GREFFIER :
Mme Sylvie BERTHIOT, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
à l'audience publique du 29 Novembre 2010, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 Janvier 2011. Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé et signé par M. Gérard DELTEL, Président, publiquement, le 25 Janvier 2011, date indiquée à l'issue des débats, par mise à disposition au greffe de la Cour.
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FAITS et PROCÉDURE – MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu l'appel interjeté le 24 décembre 2009 par la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe à l'encontre du jugement prononcé le 17 décembre 2009 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Privas.
Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 29 novembre 2010 par la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe, appelante et le 26 novembre 2010 par la banque X... et compagnie et Madame Josette X... épouse Y..., intimées, auxquelles la Cour se réfère expressément pour un plus ample exposé du litige et des prétentions respectives.
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A la suite d'un différend intervenu entre la banque X... et la caisse fédérale de crédit mutuel Nord Europe au sujet de la cession par la première à la seconde de sa participation de 24 % au capital de la société d'assurances La pérennité moyennant le prix de 45 millions de francs, une première sentence arbitrale a été rendue le 19 septembre 2000 au terme de laquelle la caisse fédérale de crédit mutuel Nord Europe a été condamnée à payer à la banque X... la somme de 129 millions de francs moyennant le transfert des titres à son profit.
Suivant lettre recommandée du 6 octobre 2003 adressée à la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe, la banque X... a de nouveau mis en oeuvre la procédure d'arbitrage en vue d'obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de ce que l'accord de Marrakech intervenu le 24 janvier 1997 en vertu duquel la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe s'engageait à céder à la banque fédérative du crédit mutuel les actions au prix de 201. 600. 000 francs avait été intégralement exécuté.
Selon la sentence arbitrale prononcée le 2 décembre 2008 entre les parties, la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe a été condamnée à payer : – à la banque X... une somme de 114 millions d'euros avec intérêts au taux moyen des emprunts d'État majoré de 400 points de base à compter du 6 octobre 2003, – à M. Serge Z... la somme de 20 millions d'euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 octobre 2003, – à Madame Josette X... épouse Y... une somme de 200. 000 € avec intérêts au taux légal à compter du 6 octobre 2003, – à M. Jean-Michel Y... la somme de 600. 000 € avec intérêts au taux légal à compter du 6 octobre 2003, outre la somme de 150. 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la banque X... et compagnie.
Cette sentence arbitrale a été revêtue de l'exequatur le 5 décembre 2008 et signifiée à la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe le 29 décembre 2008.
Par acte d'huissier du 4 décembre 2008, cette dernière a formé un recours devant la cour d'appel de Paris en sollicitant l'annulation de cette sentence arbitrale et restitution de la somme de 190. 029. 532, 35 €, outre 10 millions d'euros à titre de dommages-intérêts et un million d'euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.
Selon procès verbaux du 8 avril 2009, la banque X... et Madame Y... ont fait pratiquer une saisie attribution à l'encontre de la caisse fédérale de crédit mutuel Nord Europe et ont obtenu le règlement pour la banque de la somme de 167. 482. 102, 21 € et pour Madame Y... la somme de 231. 426, 02 €.
La sentence du 2 décembre 2008 a été annulée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 novembre 2009 qui a, par la même décision, invité les parties à conclure sur le fond dans les limites de la mission confiée aux arbitres et réservé le surplus des demandes et les dépens.
La caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe a fait procéder selon procès verbaux du 4 décembre 2009 à une saisie attribution des comptes de la banque X... ouverts à la Banque de France et le 7 décembre 2009 à une saisie attribution des droits d'associés et des comptes de Madame Josette Y... ouverts à la banque X... aux fins d'obtenir restitution des sommes versées par elle en exécution de la sentence arbitrale annulée.
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Par acte du 12 décembre 2009, Madame Y... et la banque X... et compagnie ont fait assigner la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Privas aux fins principalement d'obtenir la main levée des saisies pratiquées.
Par jugement du 17 décembre 2009, le juge de l'exécution a : – annulé la saisie attribution du 4 décembre 2009 pratiquée par la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe à l'encontre de la banque X... et compagnie entre les mains de la Banque de France et à l'encontre de Madame Josette X... épouse Y... entre les mains de la banque X..., – ordonné la main levée de ces mesures d'exécution, – déclaré sans objet les demandes reconventionnelles de la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe et condamné celle-ci à payer à la banque X... la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
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La caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe a régulièrement interjeté appel de ce jugement en vue de son infirmation demandant à la Cour de débouter les intimées de l'ensemble de leurs demandes et de les condamner solidairement au paiement de la somme de 10. 000 € pour ses frais irrépétibles.
Elle fait essentiellement valoir : – que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 novembre 2009 a annulé le titre en vertu duquel l'exécution provisoire avait été entreprise, – que les sommes en cause sont le produit de l'exécution provisoire d'un titre assumé aux risques et périls de ses bénéficiaires et que la disparition du titre entraîne la restitution des sommes versées, – qu'elle dispose d'une créance à l'égard des intimées et des autres associés commandités en restitution des sommes remises par le tiers saisi le 7 juillet 2009.
Elle rappelle encore que l'arrêt d'une Cour infirmant ou annulant un jugement de condamnation constitue un titre exécutoire permettant d'obtenir la restitution au moyen d'une mesure d'exécution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire quand bien même l'arrêt ne condamne pas expressément à la restitution.
Elle considère enfin au vu de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 novembre 2010 qui a désigné un médiateur que la demande de sursis à statuer est irrecevable soulignant que le médiateur a pour seule mission d'aider les parties à rechercher une solution consensuelle sur l'objet de la demande d'arbitrage qui est le fait des intimées et n'est pas chargé de la question de la restitution.
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La banque X... et compagnie et Madame Josette X... épouse Y... sollicitent, à titre principal, le renvoi à la mise en état ou le sursis à statuer dans l'attente de la fin de la médiation ordonnée par la cour d'appel de Paris, par arrêt du 9 novembre 2010, et le rejet des demandes adverses. À titre subsidiaire, elles concluent à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelante à payer à chacune la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elles répliquent en substance qu'il serait d'une bonne administration de la justice que l'instance fasse l'objet d'un renvoi à la mise en état ou d'un sursis à statuer afin que la médiation se déroule sereinement dans les conditions fixées par la cour d'appel.
Elles soutiennent ensuite que l'arrêt du 19 novembre 2009 n'est pas un titre exécutoire puisqu'il n'emporte aucune condamnation à restitution et maintient la compétence de la Cour d'appel sur le fond en réservant à ce titre toutes les autres demandes dont celle en restitution des sommes présentée par la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe.
Elles soulignent le fait que l'arrêt comporte une réserve expresse ce qui ne permet pas de considérer cette décision comme un titre exécutoire valant obligation de restitution.
Elles s'opposent aux demandes de dommages et intérêts et au paiement des intérêts depuis la date des saisies pratiquées affirmant que le point de départ des intérêts est le jour de la sommation ou de la mise en demeure et non du jour de la saisie.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En l'état du dernier arrêt de la Cour d'appel de Paris du 9 novembre 2010, il y a lieu d'examiner préalablement au fond du litige les demandes de renvoi et de sursis à statuer formulées par les intimées.
La demande de renvoi à la mise en état ne peut à l'évidence prospérer alors qu'il s'agit d'une procédure initiée devant le juge de l'exécution et non devant le tribunal de grande instance de sorte qu'il ne peut y avoir de mise en état et que la Cour est saisie selon la procédure spécifiée à l'article 910 du code de procédure civile.
Il appartient aux intimées en vertu des dispositions de l'article 378 du code de procédure civile de démontrer que le résultat de la procédure suivie devant la Cour d'appel de Paris a une conséquence sur l'affaire en cours.
Force est de constater que la décision concernant le sort des saisies attribution pratiquées par la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe les 4 et 5 décembre 2009 ne comporte aucune incidence sur la procédure ayant donné lieu aux deux arrêts des 19 novembre 2009 et 9 novembre 2010 qui concernent le fond du litige s'agissant de mesures d'exécution qui donnent lieu à des procédures spécifiques et soumises à des dispositions spéciales ce qui rend non fondée cette demande.
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L'article 2 de la loi du 9 juillet 1991 dispose que tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution.
L'appelante soutient selon ses différents moyens que l'arrêt du 19 novembre 2009 vaut nécessairement titre exécutoire puisque la disparition du titre en vertu duquel l'exécution provisoire a été entreprise entraîne ipso facto la restitution des sommes versées et qu'elle dispose ainsi d'une créance en restitution des sommes remises par le tiers saisi.
Ces moyens nécessitent de reproduire in extenso le dispositif de l'arrêt du 19 novembre 2009 litigieux : « Annule la sentence rendue entre les parties le 2 décembre 2008, – invite les parties à conclure sur leurs demandes au fond dans les limites de la mission des arbitres, – renvoie l'affaire à la mise en état du 4 mars 2010, – réserve le surplus des demandes ainsi que les dépens »
L'article 31 de la loi du 9 juillet 1991 dispose que l'exécution est poursuivie aux risques du créancier qui, si le titre est ultérieurement modifié, devra restituer le débiteur dans ses droits en nature et par équivalent.
Si, en vertu des articles 542 et 561 du code de procédure civile, le dispositif d'un arrêt d'appel infirmatif se substitue à celui de la décision de première instance exécutoire par provision, en l'occurrence l'arrêt d'appel litigieux n'a pas statué sur tous les chefs de demande se contentant d'annuler la sentence pour des motifs tenant à la violation des conditions de forme puisque le tribunal arbitral a statué sur " convention expirée " et que la Cour est restée saisie du fond du litige par application de l'article 1485 du code de procédure civile.
La caisse fédérale de crédit mutuel Nord Europe ne peut prétendre que l'arrêt qui annule une décision induit nécessairement une créance de restitution puisque la Cour d'appel de Paris est saisie dans le cadre spécifique des dispositions de l'article 1485 précité, inséré dans le titre quatrième du code de procédure civile relatif aux voies de recours de la sentence arbitrale, qui énoncent que la juridiction statue sur le fond dans les limites de la mission de l'arbitre.
La Cour se trouve alors saisie du même litige que les arbitres dans les mêmes limites et avec le même pouvoir et statue en vertu d'un effet dévolutif complet lui donnant, une fois la sentence annulée, le pouvoir de statuer à nouveau dans les termes de la convention d'arbitrage.
En l'occurrence, elle n'a pas vidé sa saisine, l'arrêt ayant annulé la sentence d'une part et invité d'autre part les parties à conclure sur le fond du litige.
Il se déduit de ces éléments que la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe ne dispose pas d'une créance liquide et exigible et que l'arrêt litigieux ne saurait constituer un titre exécutoire.
Cette analyse est encore confirmée à la seule lecture des prétentions émises par l'appelante dans ses écritures devant la cour d'appel de Paris du 8 octobre 2009 puisqu'elle sollicite « l'annulation de la sentence et la condamnation solidaire des quatre défendeurs à lui restituer la somme de 190. 029. 532, 35 € appréhendée en exécution de la sentence avec les intérêts de droit à hauteur de 186. 509. 640, 05 € depuis le 8 avril 2009 et à hauteur de 3. 519. 892, 30 € depuis le 13 août 2009 », chef de demande sur lequel n'a pas statué la cour d'appel Paris, mais également de l'arrêt du 9 novembre 2010 qui ordonne une médiation en se référant expressément aux dispositions de l'article 1485, le médiateur ayant pour mission d'entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose.
L'appelante ne peut pas davantage soutenir que les intimées ne peuvent justifier de la détention d'une somme appréhendée en vertu d'un titre annulé et qu'elle n'est plus tenue d'obligations à leur égard alors que la Cour n'a pas encore statué sur le fond du litige et n'a donc pas épuisé sa saisine.
Il s'ensuit que le premier juge a annulé à bon droit les saisies attributions pratiquées les 4 et 7 décembre 2009 par la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe et ordonné la main levée de ces mesures d'exécution ce qui justifie de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions.
Sur les frais de l'instance
La caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe qui succombe devra supporter les dépens de l'instance et payer à chacune des intimées une somme équitablement arbitrée à 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière civile et en dernier ressort,
Rejette les demandes de renvoi à la mise en état et de sursis à statuer,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la caisse fédérale du crédit mutuel Nord Europe aux dépens d'appel dont distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Perrichi, avoué qui en a fait la demande et la condamne à payer à la SCS banque X... et compagnie d'une part, et à Madame Josette X... épouse Y..., d'autre part, chacune la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Monsieur DELTEL, Président et par Madame BERTHIOT, greffier présent lors du prononcé