COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 27 OCTOBRE 2009
ARRÊT N 1289
R. G. : 08/ 02557
RT/ AG
CONSEIL DE PRUD'HOMMES D'AVIGNON
29 avril 2008
Section : Encadrement
X...
C/
L'AIST D'AVIGNON
APPELANTE :
Madame Catherine X...
née le 15 Janvier 1949 à ALGER (ALGERIE)
...
84000 AVIGNON
représentée par la SCP JURISUD AVOCATS, avocats au barreau d'AVIGNON plaidant par Maître BOUT, avocat
INTIMÉE :
ASSOCIATION INTERENTREPRISES POUR LA SANTE AU TRAVAIL (AIST)
prise en la personne de son représentant légal en exercice
18 avenue de Fontcouverte
ZI BP 776
84036 AVIGNON CEDEX 3
représentée par la SCP AXIO AVOCAT, avocats au barreau d'AVIGNON plaidant par Maître BAGLIO Olivier, avocat
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Monsieur Régis TOURNIER, Président,
Madame Sylvie COLLIERE, Conseiller,
Madame Nathalie DOMINIQUE, Vice Présidente placée,
GREFFIER :
Madame Patricia SIOURILAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
à l'audience publique du 08 Septembre 2009, où l'affaire a été mise en délibéré au 27 Octobre 2009
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, prononcé et signé par Monsieur Régis TOURNIER, Président, publiquement, le 27 Octobre 2009,
********
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
L'Association Interentreprises pour la Santé au Travail, dite AIST, domiciliée en Avignon, qui comprend actuellement vingt six médecins du travail, embauchait Madame Catherine X... le 14 septembre 2000, à effet au 2 octobre, en qualité de médecin du travail.
La convention collective applicable étant celle du personnel et services inter entreprises de la médecine du travail et l'accord annexe du 1er décembre 1986, étendu, elle était classée au coefficient 1. 55 catégorie Cadre.
Alléguant que les cinq médecins embauchés entre le 1er mars 1977 et le 26 juillet 1983, bénéficiaient d'un régime particulier au sein de l'AIST, pour avoir droit à deux terminaux coefficients supplémentaires à ceux prévus par la Convention collective et résultant d'une décision de l'employeur, elle saisissait le Conseil des Prud'hommes d'Avignon.
Se fondant sur les dispositions de l'article L 122-45 du Code du travail, et sur le principe « à travail égal, salaire égal » elle invoquait une discrimination salariale et réclamait sa re-classification au coefficient 1. 65 à compter du 1er avril 1999, et au coefficient 1. 85 à compter du 1er avril 2006, les salaires et congés payés y afférents, des dommages intérêts, la délivrance de documents sociaux rectifiés par l'employeur.
Par jugement du 28 avril 2008 Madame X... était déboutée de toutes ses demandes, ce dont elle a régulièrement relevé appel. Durant l'instance d'appel il a été proposé aux parties l'organisation d'une médiation, mais celle-ci fut infructueuse.
En cet état Madame X... soutient que :
- le jugement a commis une erreur en retenant que les médecins embauchés après l'accord du 1er décembre 1986 ne pouvaient se voir attribuer les mêmes avantages que ceux qui étaient dans l'entreprise avant cette date,
- en effet l'employeur avait décidé au début des années 1980 que les médecins y travaillant devaient bénéficier de deux nouveaux coefficients, fondés sur l'ancienneté, en les ajoutant à ceux prévus à la convention collective, et cet usage n'a pas été dénoncé, même s'il a été contractualisé ensuite pour ceux des médecins à qui ils avaient été attribués,
- aussi actuellement existent deux catégories de médecins qui ne bénéficient pas du même calcul pour l'application de leur coefficient d'ancienneté, ce dernier dépendant uniquement de leur date d'embauche dans l'entreprise.
Cette situation caractérise une méconnaissance de la règle à travail égal salaire égal, et ne peut justifier une telle inégalité.
Elle sollicite donc l'infirmation du jugement déféré, réclamant sa re-classification au coefficient 1. 65 à compter du 1er avril 1999, et au coefficient 1. 85 à compter du 1er avril 2006, un rappel de salaires et congés payés y afférents dans la limite de la prescription quinquennale avec intérêts au taux légal, et la délivrance, sous astreinte, des bulletins de paie rectifiés par l'employeur.
En outre elle demande 4. 000 euros de dommages intérêts en réparation de la privation de ses salaires du 2 octobre 2000 au mois de juin 2002, et 3. 500 euros pour ses frais non compris dans les dépens en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'association AIST intimée demande la confirmation de la décision déférée et, en sus, l'indemnisation de ses frais à hauteur de 5. 000 euros, exposant que :
- d'abord dès son embauche, Madame X... a bénéficié d'une classification plus favorable que celle résultant d'une stricte application de la convention collective,
- ensuite les médecins du travail bénéficiant d'un traitement différent, et plus favorable que celui du docteur X..., ont tous été embauchés entre le 1er mars 1977 et le 26 juillet 1983, et ceci découle de l'application des relations contractuelles entre l'employeur et ces salariés,
- en effet autrefois ces médecins étaient régis par la convention collective des médecins du travail, annexe à la convention du 20 juillet 1976, qui prévoyait une classification en deux catégories et des coefficients de 0, 9 à 1, 55, avec une valeur du point indexée d'une part sur la valeur moyenne de l'acte médical, d'autre part sur le salaire de référence dégagé chaque année par la commission paritaire en fonction du traitement moyen annuel des cadres,
- compte tenu de la valeur des points et de leur indexation, elle avait choisi de créer deux coefficients supplémentaires, 1. 65 et 1. 85, à ceux existants au sein de la convention collective permettant de valoriser les salariés cumulant une ancienneté respectivement de 18 et de 25 ans au service de la médecine du travail, et cet usage a été systématiquement contractualisé par avenant au contrat de chacun des cinq médecins concernés,
- à la suite de la dénonciation de la convention collective, sans conclusion d'une convention de substitution, les partenaires sociaux adoptaient un accord le 1er décembre 1986, définissant le classement des médecins par catégorie et par coefficient, et prévoyant une évolution des rémunérations minimales en considération du salaire de référence médian des cadres fournis chaque année par le régime de retraite des cadres institué par la convention collective interprofessionnelle du 14 mars 1947,
- en raison de cette situation l'association a respecté ses engagements contractuels à l'égard des cinq médecins du travail embauchés avant le 30 juin 1986 en leur maintenant l'attribution du coefficient prévu contractuellement à 1. 65 et 1. 85, quand ceux-ci en remplissaient les conditions, en revanche et à compter du 1er juillet 1986, en l'état de la dénonciation de la convention collective et de la méthode d'indexation des rémunérations minimales, elle n'a pas entendu maintenir aux salariés embauchés postérieurement au 30 juin 1986 le bénéfice des coefficients 1. 65 et 1. 85.
Aussi l'AIST soutient que la différence de traitement se justifie pour les salariés engagés avant la dénonciation par le maintien de leur avantage individuel acquis.
MOTIFS
Sur l'inégalité de traitement
Attendu qu'en application de l'article 1315 du Code civil, il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe " à travail égal, salaire égal " de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, et il incombe alors à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence ;
Attendu qu'en particulier la circonstance que des salariés aient été engagés avant ou après :
- l'entrée en vigueur d'un accord collectif,
- la dénonciation d'un engagement unilatéral,
- la décision de l'employeur de modifier les modalités de calcul d'un avantage salarial résultant d'un usage,
ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux et il appartient à l'employeur de démontrer l'existence de raisons objectives à la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale, le juge devant en contrôler la réalité et la pertinence ;
Attendu qu'en l'espèce il résulte des pièces produites que la Convention collective des médecins du travail du 20 juillet 1976 prévoyait :
Article 13- Classement des médecins
Pour le calcul de la rémunération minimale qui leur est applicable, les médecins du travail sont classés dans l'une ou l'autre des catégories ci-après :
- catégorie 1 : médecins ayant moins de trois ans de pratique de la médecine du travail,
- catégorie 2 : médecins ayant plus de trois ans de pratique de la médecine du travail.
Pour l'application de cette disposition, sont considérés comme ayant au moins trois ans de pratique de la médecine du travail les médecins qui ont exercé cette discipline dans un service quelconque de médecine du travail pendant :
- au moins trois années sur la base d'une durée moyenne de travail de mi-temps au moins (soit 19 h 30 par semaine ou davantage),
- ou au moins six années sur la base d'une durée moyenne de travail inférieure au mi-temps (soit moins de 19 h 30 par semaine).
Article 14- Echelle des rémunérations minimales
La valeur relative des rémunérations minimales applicables aux médecins du travail, compte tenu de la catégorie et de l'ancienneté, est donnée par le tableau ci-après :
Catégorie1 Coefficient
-pendant les 6 premiers mois 0, 9
- après 6 mois de présence dans le service 1
Catégorie 2
- à partir de l'embauchage ou de l'entrée en catégorie 2 1, 2
- après 5 ans de présence dans le service 1, 3
- après 10 ans de présence dans le service 1, 4
- après 15 ans de présence dans le service 1, 55
Attendu que l'employeur décidait entre 1979 et 1983 d'octroyer aux médecins salariés deux coefficients supplémentaires à cette échelle conventionnelle, permettant ainsi leur accès à un coefficient de 1, 65 après 18 ans au service de la médecine du travail et à 1, 85 après 25 ans au service de la médecine du travail ; que cet avantage était stipulé dans tous les contrats de l'époque, en sorte qu'il est toujours en vigueur ;
Attendu que la dénonciation de la convention en date du 29 mars 1985 ne fut pas motivée sur ce classement, selon la lettre du 24 mai 1985 du président du Centre d'information des services médicaux d'entreprises et interentreprises, mais par les modalités d'indexation des rémunérations générant des taux d'augmentation incompatibles avec les moyens financiers des services de médecine de travail et avec les possibilités contributives des entreprises ; que d'ailleurs l'annexe de la convention collective du 1er décembre 1986, étendue et publiée le 30 avril 1987, reprit l'échelonnement primitif à l'identique ;
Attendu que l'adoption d'un nouveau texte n'a donc eu aucune influence sur le classement et les coefficients ; qu'ainsi la prise en compte de l'ancienneté n'a jamais varié et cette grille conventionnelle n'a aucun rapport avec le calcul de la revalorisation annuelle des salaires dont la cause et l'objet sont différents ;
Attendu que, dès lors, l'argumentation de l'employeur ne peut être retenue en ce qu'il déduit de ce changement de l'instrument collectif une modification des conditions d'accès aux coefficients de l'entreprise découlant de l'ancienneté ;
Attendu que l'octroi par l'employeur de deux coefficients supplémentaires, complétant l'échelle conventionnelle, comme précisé ci-dessus, constitue un avantage de rémunération qui vient rétribuer le médecin en raison de la seule ancienneté acquise dans ses fonctions au service de la médecine du travail ; que s'étant renouvelé pendant plusieurs années et s'étant appliqué à tous les nouveaux médecins embauchés entre 1979 et 1983, cet avantage doit s'analyser comme un usage ;
Attendu que cet usage n'a jamais été dénoncé dans les conditions de forme, exigées pour assurer sa disparition ; que, de plus, cet usage créé antérieurement à la dénonciation de la convention collective, et maintenu aux seuls médecins embauchés avant cette date, ne peut pas venir compenser un préjudice ; qu'en effet, outre une absence de justification, le seul préjudice qui peut être allégué, par les médecins qui en sont bénéficiaires, est celui découlant de la perte des anciennes modalités de la revalorisation annuelle des salaires, alors plus favorables, mais qui sont des avantages collectifs et non individuels ;
Attendu qu'ainsi n'est pas fondée l'argumentation de l'employeur tirée du maintien des avantages individuels acquis ;
Attendu que l'usage, tel que mis en oeuvre, a pour conséquence de rompre l'égalité entre salariés dès lors qu'à catégorie égale, et à travail de valeur égale, les salariés recrutés, après le 30 juin 1986, se voient limiter dans leur augmentation de salaire lorsqu'ils atteignent un seuil d'ancienneté ; que fait défaut la démonstration par l'employeur d'un élément objectif justifiant cette pratique, les conditions d'embauche ne pouvant y suppléer ; qu'enfin la pertinence dans le choix de la mesure est inexistante ;
Attendu que l'employeur a donc méconnu le principe " à travail égal, salaire égal ", et le jugement déféré doit être infirmé ;
Attendu qu'il sera ordonné la reclassification de l'appelante au coefficient 1. 65 à compter du 1er avril 1999, et au coefficient 1. 85 à compter du 1er avril 2006, un rappel de salaires et congés payés y afférents dans la limite de la prescription quinquennale avec intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2007 date de la réception de la convocation de l'employeur devant le Bureau de conciliation et valant mise en demeure ;
Attendu que les parties disposant de tous les éléments pour calculer les rappels de salaires et les congés afférents, il convient de les liquider sur état, la Cour se réservant la possibilité d'être saisie en cas de difficulté ou de désaccord sur cette liquidation, qui devra intervenir en tout état de cause dans les quatre mois de la notification du présent arrêt ;
Sur les autres demandes
Attendu que l'employeur doit être condamné à délivrer des documents sociaux rectifiés, dont un bulletin de paie du 1er juin au 31 décembre 2002 ensuite un bulletin par année suivante ; qu'une astreinte ne se justifie pas, tout au moins, dans l'immédiat ;
Attendu que n'est pas fondée la demande de dommages intérêts en réparation de la privation de ses salaires du 2 octobre 2000 au mois de juin 2002 ; qu'en effet la prescription, découlant de la loi, n'est pas une source de préjudice causé par l'employeur ;
Attendu qu'il parait équitable que l'AIST participe à concurrence de 1. 500 euros aux frais exposés par Madame X... en cause d'appel et non compris dans les dépens en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'article 696 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
Condamne l'Association Interentreprises pour la Santé au Travail, AIST, à reclasser Madame X... au coefficient 1. 65 à compter du 1er avril 1999, et au coefficient 1. 85 à compter du 1er avril 2006,
La condamne à lui payer un rappel de salaires à compter du 1er juin 2002 jusqu'au jour du prononcé du présent arrêt et les congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2007 date de la réception de la convocation de l'employeur devant le Bureau de conciliation et valant mise en demeure pour les salaires échus avant cette date, et ensuite à compter de chaque échéance mensuelle,
Ordonne la liquidation sur état des jours des rappels de salaires et congés dans les conditions ci-dessus, qui devra intervenir en tout état de cause dans les quatre mois de la notification du présent arrêt, et dit qu'en cas de difficultés sur cette liquidation l'une ou l'autre des parties pourra saisir la Cour, pour y mettre fin, et ceci par simple requête préalablement notifiée,
Rejette la demande de dommages intérêts,
Condamne l'association AIST à payer à Madame X... pour l'instance d'appel la somme de 1. 500 euros pour ses frais en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
La condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Arrêt signé par Monsieur TOURNIER, Président et par Madame SIOURILAS, Greffier.