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12/05/2009 | FRANCE | N°08/03871

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 12 mai 2009, 08/03871


ARRÊT N° 327

RG : 08 / 03871



TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CARPENTRAS
13 septembre 2005


X...


A...


C /


Y...

Compagnie ASSURANCES GÉNÉRALES DE FRANCE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE VAUCLUSE

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE
1re Chambre B

ARRÊT DU 12 MAI 2009

APPELANTS :

Monsieur Jean-Christophe X...

né le 02 Octobre 1965 à CARPENTRAS (84200)

...


représenté par la SCP FONTAINE-MACALUSO JULLIEN, avoués à la Cour
as

sisté de la SCP Z... ASSOCIES, avocats au barreau D'AVIGNON

Madame Agnès A... épouse X...

née le 17 Juillet 1965 à CARPENTRAS (84200)

...


représentée par la SCP FONTAINE-MACA...

ARRÊT N° 327

RG : 08 / 03871

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CARPENTRAS
13 septembre 2005

X...

A...

C /

Y...

Compagnie ASSURANCES GÉNÉRALES DE FRANCE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE VAUCLUSE

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE
1re Chambre B

ARRÊT DU 12 MAI 2009

APPELANTS :

Monsieur Jean-Christophe X...

né le 02 Octobre 1965 à CARPENTRAS (84200)

...

représenté par la SCP FONTAINE-MACALUSO JULLIEN, avoués à la Cour
assisté de la SCP Z... ASSOCIES, avocats au barreau D'AVIGNON

Madame Agnès A... épouse X...

née le 17 Juillet 1965 à CARPENTRAS (84200)

...

représentée par la SCP FONTAINE-MACALUSO JULLIEN, avoués à la Cour
assistée de la SCP Z... ASSOCIES, avocats au barreau D'AVIGNON

INTIMÉS :

Monsieur Jean-Claude Y...

...

représenté par la SCP POMIES-RICHAUD-VAJOU, avoués à la Cour
assisté de la SCP FABRE-GUEUGNOT-SAVARY, avocats au barreau de PARIS

Compagnie ASSURANCES GÉNÉRALES DE FRANCE
prise en la personne de ses représentants légaux en exercice, domiciliés ès qualités au siège social situé :
87 rue de Richelieu
75002 PARIS

représentée par la SCP POMIES-RICHAUD-VAJOU, avoués à la Cour
assistée de la SCP FABRE-GUEUGNOT-SAVARY, avocats au barreau de PARIS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE VAUCLUSE
prise en la personne de ses représentants légaux en exercice, domiciliés ès qualités au siège social situé :
7 rue François Ier
84000 AVIGNON

n'ayant pas constitué avoué,
assignée à personne habilitée,

INTERVENANTE :

Mademoiselle Julie X...

née le 26 Juillet 1990 à CARPENTRAS (84200)

...

représentée par la SCP FONTAINE-MACALUSO JULLIEN, avoués à la Cour
assistée de la SCP Z... ASSOCIES, avocats au barreau D'AVIGNON

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 20 Février 2009, révoquée sur le siège en raison d'une cause grave invoquée conjointement par les avoués des parties, et à nouveau clôturée au jour de l'audience avant les débats.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Gabriel FILHOUSE, Président,
Mme Muriel POLLEZ, Conseiller,
Mme Isabelle THERY, Conseiller,

GREFFIER :

Mme Sylvie BERTHIOT, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DÉBATS :

à l'audience publique du 17 Mars 2009, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 Mai 2009.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

ARRÊT :

Arrêt réputé contradictoire, prononcé et signé par M. Jean-Gabriel FILHOUSE, Président, publiquement, le 12 Mai 2009, date indiquée à l'issue des débats, par mise à disposition au greffe de la Cour.

FAITS et PROCÉDURE, MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l'appel interjeté le 26 octobre 2005 par M. Jean-Christophe X... et son épouse Madame Agnès A... épouse X... à l'encontre du jugement prononcé le 13 septembre 2005 par le tribunal de grande instance de Carpentras.

Vu l'arrêt du 1er juillet 2008 ordonnant le retrait du rôle à la demande des avoués,

Vu la révocation de l'ordonnance de clôture, prononcée, à la demande de tous les avoués de la cause, par mention au dossier à la date de l'audience du 17 mars 2009 pour le motif grave pris de la nécessité de veiller au respect du principe du contradictoire, afin de permettre de recevoir les dernières écritures déposées par les appelants suite à l'intervention de Julie X... devenue majeure en cours de procédure d'appel, ainsi que la nouvelle clôture prononcée par mention au dossier avant l'ouverture des débats.

Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la mise en état le 17 mars 2009 par M. Jean-Christophe X..., Madame Agnès A... épouse X..., appelants, et Mlle Julie X..., intervenant volontairement et le même jour par le docteur Jean-Claude Y... et la compagnie d'assurances générales de France, intimés,
auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé du litige et des prétentions respectives.

Par actes des 21 et 26 décembre 2000, les époux X... ont fait assigner le Dr Y... et son assureur devant le tribunal de grande instance de Carpentras en réparation du dommage souffert par leur fille Julie, née le 26 juillet 1990, affectée à la naissance de graves séquelles neurologiques sur le fondement de l'article 1147 du Code civil.

Par ordonnance du 28 juin 2001, le juge de la mise en état a désigné en qualité d'experts le professeur B... et le professeur C... qui ont déposé leur rapport le 21 janvier 2002.

Le tribunal, par jugement du 13 septembre 2005, a débouté les époux X... de l'ensemble de leurs demandes déclarant le jugement commun à la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse et disant n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au profit du Dr Y....

Les époux X... ont régulièrement interjeté appel de ce jugement en vue de son infirmation demandant à la cour d'annuler l'expertise judiciaire pour défaut de respect du principe du contradictoire, de déclarer M. Y... responsable des conséquences corporelles et psychologiques affectant l'enfant Julie X... et de le condamner in solidum avec son assureur dans les limites contractuelles à payer :

à Julie X... :
– la somme de 4 814 796 € au titre du préjudice patrimonial et sous réserve du montant du recours de l'organisme social, outre les frais restés à charge,
– au titre du dommage non patrimonial les sommes de 714 000 € pour les dommages personnels et 182 758 € au titre des frais d'aménagement,
aux époux X... :
– 60 000 € en réparation de leur préjudice moral,
– 40 000 € au titre du préjudice spécifique souffert par Madame Agnès X...

À titre subsidiaire, si la cour souhaitait ordonner une expertise complémentaire, ils sollicitent la désignation d'un collège d'experts avec mission explicitée dans leurs écritures.
Ils réclament en tout état de cause une provision de 500 000 € et la somme de 20 000 € pour leurs frais irrépétibles.

Ils font essentiellement valoir que les experts se sont abstenus de répondre à leur demande tendant à l'audition de la sage-femme et des personnes présentes lors de l'accouchement, que le dépôt du rapport définitif ne comportant ni les dires, ni les correspondances qui leur ont été transmises constitue un manquement manifeste à leur obligation tenant au respect du principe du contradictoire et génère un grief de fond évident à la lecture du jugement critiqué.

Ils considèrent en se prévalant comme en première instance des avis des professeurs D... et E... que M. Y... a manqué à son obligation contractuelle de soins et d'information en omettant :
– d'informer sa patiente de sa qualification effective,
– de l'informer également de l'absence de système de détection précoce d'acidose (pH mètres) et d'un dysfonctionnement du monitoring,
– de procéder à un examen de sa patiente malgré la modification de la qualité du liquide amniotique et de s'informer de l'évolution du travail et des signes de gravité de l'état de Madame X... alors qu'il était tenu d'une obligation de surveillance renforcée,
– de mettre en oeuvre un plateau technique permettant d'envisager un mode d'extraction par césarienne du fait de l'urgence.

Ils explicitent les préjudices qu'ils ont subis.

Le Dr Y... et la compagnie Assurances générales de France concluent à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation des appelants à leur payer la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils demandent à la cour de débouter les époux X... et leur fille de l'intégralité de leurs réclamations, de prononcer leur mise hors de cause, de rejeter la demande de contre-expertise et subsidiairement de confier la mesure de contre-expertise à un collège d'experts selon la mission qu'ils explicitent.

Ils considèrent quant à la validité du rapport d'expertise que la non-convocation par les experts judiciaires de personnes non parties à la procédure ne saurait constituer en soi une cause de nullité et que les appelants pouvaient toujours saisir le juge chargé du contrôle immédiatement après le dépôt du rapport définitif.

Sur le fond, contestant l'ensemble des griefs, ils répliquent notamment en se référant aux dispositions du code de la santé publique que le médecin accoucheur n'est pas tenu de suivre l'état d'une parturiente dès son entrée en clinique lorsque celle-ci est sous la surveillance d'une sage-femme, qu'aucun manquement au vu du rapport d'expertise judiciaire ne peut être reproché au Dr Y... .

Ils affirment que le Dr Y... n'a pas été précisément informé par la sage-femme de l'aspect méconial du liquide amniotique ce qui ne permet pas de retenir une faute et s'opposent aux appelants quant à la chronologie des événements soutenant qu'il y a eu apparition brutale et non prévisible de la souffrance foetale et que le médecin a eu un comportement adapté pour l'extraction de l'enfant.

Ils précisent que le Dr Y... est bien qualifié en obstétrique, ce qui lui permettait de réaliser une césarienne si celle-ci s'était révélée opportune.
Ils estiment à l'instar des experts que le médecin a effectué tous les gestes indispensables de réanimation et qu'il ne peut lui être reproché un acharnement thérapeutique.
Ils s'opposent enfin à toute indemnité provisionnelle en l'absence de preuve d'un quelconque manquement.

La caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse, régulièrement assignée à personne habilitée, n'a pas constitué avoué.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le moyen tiré de la nullité du rapport d'expertise

Aux termes de l'article 276 du code de procédure civile, l'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties et lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.

Les appelants soutiennent que le fait pour les experts d'avoir déposé leur rapport sans procéder à l'audition de sachants qui leur avait été demandée à deux reprises et en omettant de joindre les dires et correspondances à eux transmises constitue une violation du principe du contradictoire et un manquement à leurs obligations générant un grief de fond.

L'analyse des pièces versées aux débats et les écritures des appelants permettent de retenir que :
– les opérations d'expertise se sont déroulées le 17 octobre 2001 de façon contradictoire et ont donné lieu à l'envoi d'un prérapport aux parties le 19 octobre 2001,
– le conseil des appelants a établi un dire par lettre recommandée avec avis de réception reçue le 5 novembre 2001 qui attire l'attention de l'expert sur plusieurs questions et qui sollicite l'audition de la sage-femme et des deux grand-mères de l'enfant,
– par deux courriers recommandés des 3 décembre 2001 et 7 janvier 2002, le conseil des appelants a renouvelé sa demande d'audition,
– par courrier du 11 janvier 2002 le professeur B... répond :
« nous avons bien reçu vos dires et vos lettres du 6 décembre 2001 et du 7 janvier 2002, nous vous adressons les réponses à l'ensemble de vos dires qui seront mentionnées dans le rapport définitif. Nous n'avons pas estimé nécessaire de diligenter une nouvelle audition contradictoire des divers sachants. Comme vous le savez, il n'est pas de votre responsabilité de décider d'une réunion qui, je vous le rappelle, doit être obligatoirement contradictoire. Cette réunion contradictoire a eu lieu le 17 octobre 2001.... »,
– les experts ont adressé leur rapport daté du 17 janvier 2002 au greffe du tribunal de grande instance de Carpentras le 21 janvier 2002.

S'il est exact que le rapport définitif ne mentionne pas expressément le dire du 29 octobre 2001 et les autres courriers ci-dessus rappelés et que ces pièces n'ont pas été annexées à ce rapport, il ne peut pour autant être prétendu à la nullité du rapport alors que l'examen attentif du pré rapport puis du rapport révèle que les experts ont répondu aux questions techniques soulevées par ce dire en les intégrant directement dans le rapport définitif conformément à ce qui est indiqué dans leur courrier du 11 janvier 2002 et qu'il n'existe donc aucune atteinte aux droits de la défense ou au principe du contradictoire.

La cour observe en outre qu'il est fait expressément référence au dire de Maître Z... en page 11 du rapport définitif concernant la couleur de l'enfant à la naissance ce qui corrobore le fait que les experts ont bien répondu aux questions qui leur étaient posées par le dire.

Ce grief n'est donc pas fondé.

En ce qui concerne les auditions sollicitées, aucune disposition légale n'impose à l'expert d'entendre une personne dans le cadre de ses opérations s'il ne l'estime pas utile.
Il est rappelé que le technicien doit donner son avis sur les points pour l'examen desquels il a été commis. Il peut recueillir des informations orales ou écrites de toutes personnes.
Il s'agit d'une initiative qui lui est propre et qui ne peut lui être imposée par une partie.
Ainsi que le concluent de façon pertinente les intimés, l'expert a pu considérer que ces personnes n'étaient pas susceptibles d'apporter par leurs témoignages des informations objectives autres que celles figurant déjà au dossier, étant encore souligné le laps de temps écoulé entre les faits litigieux et les opérations d'expertise (11 ans et demi).

En tout état de cause, dans la mesure où l'expert B... a clairement indiqué qu'il n'entendait pas procéder à l'audition des " sachants ", il appartenait aux appelants d'en tirer toutes les conséquences et de demander leur audition par le juge conformément à l'article 238 du code de procédure civile, étant souligné que cette mesure est également soumise à son pouvoir d'appréciation.

Il ressort de ces éléments que le principe de la contradiction a bien été respecté et qu'aucun manquement ne peut être imputé aux experts dans le déroulement des opérations d'expertise de sorte qu'il n'existe aucun motif d'annuler le rapport.

Ce chef de demande ne peut en conséquence prospérer.

Sur le bien-fondé de l'action :

La responsabilité du docteur Y... est recherchée sur un fondement contractuel dans le cadre du contrat « clinique ouverte » qui a été passé entre celui-ci et sa cliente Madame X..., étant observé que ce cadre contractuel n'est en l'occurrence pas discuté et que l'activité médicale des médecins exerçant en clinique ouverte engage leur responsabilité dans les conditions du droit privé.

Il doit être également précisé compte tenu des arguments développés par les appelants que l'admission en clinique ouverte au sein d'un établissement public se limite à la désignation par le patient du médecin auquel il fait appel en contrepartie de la perception d'une rémunération spécifique.
L'organisation administrative de la clinique ouverte dépend de celle de l'établissement de santé qui lui sert de support.
Le cadre de clinique ouverte permet au médecin libéral d'exercer son art conformément aux dispositions du code de la santé publique.

Le médecin s'engage à donner à son patient des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science.

Il est tenu d'une obligation de moyens et doit répondre de ses fautes qui peuvent être définies comme un manquement à l'engagement spécifié supra que n'aurait pas commis un professionnel avisé placé dans les mêmes circonstances que l'auteur du dommage.

Pour apprécier la responsabilité du docteur Y..., il est nécessaire de reprendre de façon exhaustive les griefs développés au soutien de l'action en responsabilité.

Sur le défaut d'information :

Le médecin doit donner à son patient une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. En matière d'accouchement, l'information doit porter sur le déroulement et les risques normalement prévisibles.

Cette obligation ne saurait s'étendre au matériel utilisé dans l'établissement de soins, s'agissant d'une information relevant de la sphère de compétence de l'établissement de santé.

C'est ainsi que l'absence d'un appareil Ph Mètres ne peut être utilement reprochée au médecin qui intervient dans l'établissement de soins alors que cette technique était peu diffusée en 1990 et souvent limitée aux centres hospitalo-universitaires ainsi que l'ont indiqué les experts judiciaires et qu'elle ne pouvait donc être considérée comme une donnée acquise de la science.

Le dysfonctionnement du monitoring, à supposer que le médecin en ait eu connaissance, ne relève pas de son obligation d'information mais engage éventuellement la responsabilité de l'établissement de soins, tenu de mettre à disposition du personnel soignant un matériel opérationnel.

La qualification du docteur Y... en obstétrique depuis 1975 rend vaines les critiques des appelants tenant à l'omission " dolosive " alléguée relative à l'absence de qualification en gynécologie qui n'a aucune incidence en l'espèce puisque la gynécologie selon la définition communément admise a trait à l'étude de l'appareil génital de la femme alors que la qualification d'obstétrique (partie de la médecine qui traite de la grossesse et des accouchements) permet précisément de suivre des accouchements et pratiquer des césariennes ce que n'autorise pas la seule qualification de gynécologie.

Ce premier grief doit être écarté.

Sur le défaut de diligence et de surveillance

Il est reproché en substance au docteur Y... de s'être abstenu de procéder à un examen de sa patiente malgré la modification de la qualité du liquide amniotique et de s'être informé de l'évolution du travail et des signes de gravité de l'état de Madame X... alors qu'il était tenu d'une obligation de surveillance renforcée.

La recherche de fautes éventuellement commises par le médecin nécessite de tenir compte du déroulement de l'accouchement et des compétences respectives du médecin accoucheur et de la sage-femme.

À cet égard les intimés concluent exactement que le médecin accoucheur n'est pas tenu de suivre l'état de sa patiente par une présence constante auprès de celle-ci lors de la phase de travail lorsque celle-ci est sous la surveillance d'une sage-femme et ce, quel que soit le cadre contractuel.

La sage-femme est en effet habilitée à pratiquer les actes nécessaires notamment à la surveillance et à la pratique de l'accouchement conformément aux dispositions du code de la santé publique.

Elle est responsable de l'organisation générale des soins et des actes obstétricaux relevant de sa compétence.

En cas d'accouchement dystocique ou de suites de couches pathologiques, elle doit faire appeler un médecin (ancien article L. 369 du code de la santé publique applicable au litige).

Le choix du médecin par la patiente imposait que celui-ci se tienne informé de l'évolution de son état lors de la phase de dilatation pour donner des instructions téléphoniques et envisager un déplacement si l'état de sa patiente le nécessitait en cours de travail, qu'il soit prêt à intervenir dans les délais les plus rapides en fonction des informations délivrées par la sage-femme et soit présent lors de l'accouchement proprement dit.

Dès lors les consorts X... ne peuvent utilement prétendre que le médecin devait prendre l'initiative des appels téléphoniques pour s'enquérir de l'état de sa patiente durant la phase de travail alors que la sage-femme présente était tenue d'assurer cette information.

Il y a lieu en conséquence de rechercher à partir des éléments techniques versés aux débats quelles ont été les informations délivrées au médecin pour analyser les fautes reprochées dans sa conduite, ses choix et ses prescriptions.

Le rapport définitif des experts B... et C... peut être résumé de la façon suivante :
– le suivi de la grossesse a été effectué selon les règles de l'art de l'époque à la fois sur le plan clinique et sur le plan biologique, la croissance foetale était normale, aucune anomalie ne pouvait être décelée pouvant faire suspecter la survenue de complications neurologiques,
– l'accouchement a été effectué par le docteur Y... selon les règles de l'art compte tenu de l'équipement de la maternité de Carpentras et la mise en oeuvre de la réanimation néonatale immédiate a été adaptée,
– l'état neurologique de l'enfant à la naissance et sa gravité peuvent être mis en relation avec une hypoxie ischémique constituée lors de l'accouchement puisque la bradycardie inférieure à 80 s'est maintenue pendant 17 minutes,
– les lésions secondairement constatées chez l'enfant (infirmité motrice d'origine cérébrale) relèvent de l'aléa médical.

À l'appui de leur critique du rapport d'expertise, les appelants se prévalent de deux avis recueillis à leur initiative (du professeur E... du 10 mai 2003 et du professeur D... non daté) qui n'en valent pas moins à titre de preuve dès lors que, régulièrement communiqués, ils ont été soumis à la libre discussion des parties.
Leur caractère non contradictoire est donc vainement soutenu par les intimés.

En l'état des critiques du rapport judiciaire, il convient de façon liminaire de relater chronologiquement le déroulement de l'accouchement en se référant à la pièce objective constituée par la feuille de surveillance établie par la sage-femme en l'état des contestations élevées par les appelants sur les horaires de survenance des signes d'un accouchement pathologique.

Il sera rappelé préalablement que Madame X..., ayant ressenti des contractions, a été admise le 26 juillet 1990 à la clinique ouverte au centre hospitalier de Carpentras à 9 h 30 et que les examens pratiqués par la sage-femme (enregistrement cardiotocographique et amnioscopie révélant un liquide clair) étant normaux, celle-ci a été autorisée à regagner son domicile.

Selon la feuille de surveillance, il apparaît qu'elle s'est à nouveau présentée le même jour en début d'après-midi :
A 14 h 10, il est noté que le liquide amniotique est teinté et le monitoring bon.
À 15 h 30, le monitoring est bon, la patiente est installée en salle de naissance.

À 15 h 40 appel docteur Y... qui prescrit une RADM (rupture artificielle des membranes) rapide et une perfusion de synthocinon,
À 16 h 20, il est pratiqué la rupture artificielle des membranes qui révèle un liquide amniotique " purée de pois ", les bruits du coeur sont bons... Toucher vaginal 2-3 cm
À 17h, toucher vaginal col 3-4 cm, les bruits du coeur sont bons, le monitoring est bon, mise en place d'une perfusion d'ocytocique
à 17 h 30, monitoring bon
à 18 heures toucher vaginal col 6 cm bruit des coeurs bons,
à 18 h 15 toucher vaginal col épais + + + 8 cm DIP légers récupérant bien
à 18 h 30 DC appel docteur Y...... Début d'expulsion,
à 18 h 40 bradycardie permanente à 70 80,
à 18 h 55 naissance d'une fille... Réanimation intubation appel docteur F... docteur G....
Il est précisé que l'expulsion a duré 25 minutes.

Il apparaît ainsi de façon certaine que le docteur Y... a été appelé dans l'après-midi à deux reprises, à 15 h 40 et au moment de l'expulsion.

Contrairement à ce que prétendent les appelants, il ne résulte pas de ce compte-rendu et de l'avis du professeur D... que le docteur Y... a été prévenu de l'existence d'un liquide amniotique " purée de pois " alors que le professeur D... indique en page 2 de son avis que le docteur Y... responsable de l'accouchement devait immédiatement être prévenu dès la rupture des membranes c'est-à-dire à 17 heures et qu'il ne l'a pas été dans les faits.

Il ne peut être fait grief au docteur Y... de ne pas s'être informé de l'évolution de l'état de sa patiente alors qu'il a été retenu que la sage-femme a précisément pour rôle d'assurer la surveillance de la patiente sous le contrôle du médecin accoucheur, que ce contrôle peut être effectué à partir de prescriptions téléphonique si l'état de la patiente le permet.

À cet égard il ne résulte pas de la feuille de surveillance que la sage-femme l'ait informé à 15 h 40 de l'aspect teinté du liquide amniotique constaté à 14 h 10 ce qui, en tout état de cause, tant pour les experts que pour les médecins sollicités par les appelants n'était pas à lui seul révélateur d'une souffrance foetale.

Les experts relèvent en effet que le résultat de cette amnioscopie est noté de façon lapidaire « teintée » ce qui ne permet pas d'interpréter ce résultat de façon fiable dans la mesure où il est opérateur dépendant et que sa spécificité apparaît faible particulièrement dans les cas où le liquide amniotique n'est pas considéré comme méconial de façon évidente.

La rupture artificielle des membranes a été effectuée à 16 h 20 sans que la sage-femme ait rendu compte au médecin de l'aspect méconial du liquide amniotique.

En l'occurrence, les experts judiciaires estiment que le liquide " purée de pois " devait éveiller l'attention et faire envisager une extraction en cas d'apparition de troubles du rythme cardiaque foetal mais que la constatation d'un liquide teinté ne constitue pas la manifestation d'une souffrance foetale aiguë contemporaine du déclenchement du travail et ne saurait justifier une extraction immédiate par césarienne.

Ce point de vue est partagé par le professeur E... qui écrit pour sa part que la présence isolée de méconium en cours de travail n'a pas de valeur pronostique mais que ce paramètre incite à suivre les variations pathologiques du rythme cardiaque foetal dans la mesure où liquide méconial et mauvais monitoring sont des éléments prédictifs de la survenue d'une asphyxie périnatale.

Le professeur E... a également procédé à l'interprétation du monitoring duquel il ressort que ce dernier a été normal jusqu'à 17 heures, que par la suite sont apparues deux décélérations du rythme cardiaque entre 17 heures 42 et 17 heures 45, que le caractère isolé de ces deux décélérations était rassurant, qu'à 18 heures le monitoring foetal était saltatoire ce qui était également rassurant, qu'à 18 h 15 est apparue une bradycardie qui, interprétée avec la notion d'un liquide méconial au stade de dilatation complète du col devait inciter à envisager l'expulsion dans les plus brefs délais, décision prise par la sage-femme qui a appelé le docteur Y... à 18 heures 23 selon la note manuscrite sur le monitoring.

Elle indique qu'une bradycardie sévère et persistante à 80 par minute est apparue à partir de 18 h 30 qui a persisté jusqu'à la naissance de l'enfant soit 18h55.

Il ne résulte donc pas des constatations et des pièces médicales ci-dessus reproduites que le médecin, en l'état des informations dont il disposait avant la phase de délivrance ait commis un quelconque manquement à ses obligations ou une faute de surveillance.

Sur le délai d'intervention :

Il est établi par le monitoring et la feuille de surveillance que le médecin a été appelé à 18 heures 23 et que les ventouses ont été posées à 18 h 40.
Le docteur Y... était nécessairement présent avant la pose des ventouses puisqu'il a fait le choix de ce mode d'expulsion ce qui ne permet pas de considérer comme tardive son intervention.

Sur le choix de la méthode (extraction par ventouse)

Les experts judiciaires indiquent que la mauvaise qualité du tracé qui était très pâle et d'interprétation difficile et le fait qu'une extraction foetale d'urgence était en cours n'ont pas permis au docteur Y... d'envisager une alternative à ce mode d'extraction.

Il ne résulte pas formellement des avis des professeurs D... et E... qu'une césarienne pouvait être envisagée dans un laps de temps aussi réduit en considérant que le docteur Y... n'était pas informé avant 18 heures 23 de l'apparition d'une bradycardie qui est devenue permanente à partir de 18 h 30.

L'avis du professeur D... est inopérant puisqu'il fonde celui-ci à partir de l'hypothèse erronée selon laquelle le docteur Y... a été prévenu de l'aspect méconial du liquide ce qui lui aurait effectivement permis d'envisager une césarienne.

Le professeur E... considère pour sa part que les 25 minutes de bradycardie prolongée auraient pu être évitées par la présence d'un obstétricien expérimenté sur place dès 18 h 25 afin d'accélérer la naissance par une instrumentation plus précoce.

Néanmoins, il ne peut être fait grief au docteur Y... de ne pas avoir été présent avant d'avoir été appelé (appel à 18 heures 23) alors qu'il n'avait pas été informé auparavant de l'existence d'un liquide méconial puis de l'apparition d'une bradycardie et que de l'aveu même du professeur E... l'existence d'une bradycardie sévère et persistante a été constatée seulement à partir de 18 h 30 et non antérieurement.

L'accouchement par voie basse constituait en effet le seul choix médicalement approprié en raison de l'état de dilatation complète du col de l'utérus.

Il s'ensuit que l'instrumentation utilisée et l'épisiotomie pratiquée pour faciliter l'expulsion compte tenu du temps et des éléments d'information dont disposait le docteur Y... ne sauraient être critiquables.

Sur le matériel utilisé :

Le dysfonctionnement du monitoring en ce qui concerne l'enregistrement du tracé des contractions utérines subies par la mère reste sans incidence quant à la responsabilité du médecin puisque ce dernier n'était pas informé de l'existence d'une souffrance foetale.
Ainsi qu'il a été retenu supra, la défectuosité du matériel relève de la seule responsabilité de l'établissement de soins de sorte que le grief n'est pas fondé.

Sur le défaut de mise en oeuvre d'un plateau technique

Le grief tenant au défaut de mise en oeuvre du plateau technique n'est pas davantage caractérisé au regard des motifs retenus ci-avant quant au choix de la méthode retenue.
En tout état de cause l'obligation de renseignements concernant les prestations assurées dans l'établissement relève de l'établissement de santé et non du médecin.

Il est d'ailleurs fait référence de façon inopérante à l'obligation pour l'établissement de santé de mettre au service du patient en vertu du contrat d'hospitalisation des médecins pouvant intervenir dans les délais imposés par leur état alors que la présente action a été diligentée à l'encontre du seul médecin et non de l'établissement de soins.

Il ressort du rapport des experts judiciaires qui n'est pas combattu par les avis techniques versés aux débats que la réanimation a été menée de façon diligente et que l'absence de pédiatre et d'anesthésiste n'a pas eu d'effet aggravant sur l'hypoxie ischémique développée par l'enfant de sorte que les reproches formulés en dernier lieu quant à l'acte de réanimation par les appelants ne sont pas fondés.

Il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise complémentaire, en l'état des éléments contenus dans le rapport d'expertise complétés par les avis techniques versés aux débats qui ont permis à la cour de statuer sur l'ensemble des griefs formulés à l'encontre du médecin.

Il s'ensuit qu'en l'absence de faute pouvant être retenue à l'encontre du docteur Y..., il y a lieu de confirmer le jugement qui a débouté les appelants de l'ensemble de leurs demandes.

Sur les frais de l'instance :

L'équité commande de n'allouer aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les consorts X... qui succombent devront supporter les dépens de l'instance conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en matière civile et en dernier ressort,

Rejette la demande de nullité du rapport d'expertise,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Rejette la demande de M. Jean-Claude Y... et de la compagnie d'assurances AGF au titre des frais irrépétibles,

Dit que les appelants devront supporter les dépens d'appel dont distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile au profit des avoués de la cause qui en ont fait la demande.

Arrêt signé par M. FILHOUSE, Président et par Madame BERTHIOT, greffier présent lors du prononcé.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Numéro d'arrêt : 08/03871
Date de la décision : 12/05/2009

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Carpentras


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2009-05-12;08.03871 ?
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