COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1re Chambre B
ARRÊT DU 03 JUIN 2008
ARRÊT N° 347
R. G. : 05 / 04531
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NÎMES
22 septembre 2005
SOCIÉTÉ NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS
C /
X...
-
Y...
-
X...
-
X...
- MUTUALITÉ SOCIALE AGRICOLE DU GARD
APPELANTE :
SOCIÉTÉ NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sise 34 rue du Commandant René Mouchotte 75014 PARIS et en sa direction juridique méditerranée sise
90, rue de Rome
13006 MARSEILLE
représentée par la SCP CURAT-JARRICOT, avoués à la Cour
assistée de la SCP GOUJON-MAURY, avocats au barreau de NÎMES
INTIMÉS :
Monsieur Ahmed
X...
agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légal de ses enfants mineurs :
- Zakaria né le 19 / 11 / 1992
- Malika née le 09 / 05 / 1999
- Faisal né le 20 / 04 / 1997
- Imran né le 19 / 04 / 2000
né le 01 Janvier 1952 à LE KOLLA (MAROC)
...
84500 BOLLÈNE
représenté par la SCP FONTAINE-MACALUSO JULLIEN, avoués à la Cour
assisté de Me Serge BILLET, avocat au barreau D'AVIGNON
Madame Tamimount
Y...
épouse
X...
agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légal de ses enfants mineurs :
- Zakaria né le 19 / 11 / 1992
- Malika née le 09 / 05 / 1999
- Faisal né le 20 / 04 / 1997
- Imran né le 19 / 04 / 2000
née le 01 Janvier 1958 à YANITH (MAROC)
...
84500 BOLLÈNE
représentée par la SCP FONTAINE-MACALUSO JULLIEN, avoués à la Cour
assistée de Me Serge BILLET, avocat au barreau D'AVIGNON
Mademoiselle Fatiha
X...
née le 20 Avril 1983 à EL KOLA BENI AMMARIT (MAROC)
...
84500 BOLLÈNE
représentée par la SCP FONTAINE-MACALUSO JULLIEN, avoués à la Cour
assistée de Me Serge BILLET, avocat au barreau D'AVIGNON
Monsieur Jamal
X...
né le 25 Mai 1981 à EL KOLA BENI AMMARIT (MAROC)
...
84500 BOLLÈNE
représenté par la SCP FONTAINE-MACALUSO JULLIEN, avoués à la Cour
assisté de Me Serge BILLET, avocat au barreau D'AVIGNON
MUTUALITÉ SOCIALE AGRICOLE DU GARD
prise en la personne de ses représentants légaux en exercice, domiciliés ès qualités au siège social situé :
10 rue Edouard Lalo
30924 NÎMES CEDEX 9
assignée à personne habilitée,
n'ayant pas constitué avoué,
Monsieur Mohamed
X...
né le 26 Mars 1988
...
84500 BOLLÈNE
représenté par la SCP FONTAINE-MACALUSO JULLIEN, avoués à la Cour
assisté de Me Serge BILLET, avocat au barreau D'AVIGNON
Mademoiselle Nadia
X...
née le 05 Mai 1989
...
84500 BOLLÈNE
représentée par la SCP FONTAINE-MACALUSO JULLIEN, avoués à la Cour
assistée de Me Serge BILLET, avocat au barreau D'AVIGNON
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 31 Mars 2008
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Gabriel FILHOUSE, Président,
Mme Muriel POLLEZ, Conseillère,
Mme Isabelle THERY, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Sylvie BERTHIOT, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DÉBATS :
à l'audience publique du 01 Avril 2008, où l'affaire a été mise en délibéré au 03 Juin 2008.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
ARRÊT :
Arrêt réputé contradictoire, prononcé et signé par M. Jean-Gabriel FILHOUSE, Président, publiquement, le 03 Juin 2008, date indiquée à l'issue des débats, par mise à disposition au greffe de la Cour
FAITS et PROCÉDURE-MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu l'appel interjeté le 4 novembre 2005 par la SNCF à rencontre du jugement prononcé le 22 septembre 2005 par le tribunal de grande instance de Nîmes.
Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la mise en état le 25 mars 2008 par la SNCF, appelante et le 21 mars 2008 par les consorts
X...
, intimés,
auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé du litige et des prétentions respectives.
Vu l'ordonnance de clôture de la procédure en date du 31 mars 2008.
Le 2 octobre 2001, Youssef
X...
et Boukhiyar
A...
, passagers du train effectuant la liaison Avignon-Perpignan sont descendus de celui-ci alors qu'il était immobilisé en amont de la gare de Nîmes et ont été percutés par le train assurant la liaison Cerbère-Avignon qui circulait en sens inverse. Youssef
X...
décédait des suites de ses blessures.
L'enquête de police était clôturée par une décision de classement sans suite prise par le procureur de la république de Nîmes le 13 février 2003.
Par acte du 28 mai 2004 les parents de Youssef
X...
, agissant tant en leur nom propre qu'en leur qualité d'administrateurs légaux des biens de leurs 6 enfants mineurs ainsi que Fatiha et Jamal
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, soeur et frère majeurs du défunt, ont fait assigner la société nationale des chemins de fer français (la SNCF) pour voir constater sa responsabilité sur le fondement de l'article 1384 alinéa premier du Code civil en qualité de gardienne du train et obtenir l'indemnisation de leur préjudice moral.
Par jugement du 22 septembre 2005, le tribunal a jugé que la SNCF était tenue sur le fondement de l'article 1384 alinéa premier du Code civil d'indemniser les ayants droits de Youssef
B...
dans une limite de moitié en raison de la faute commise par la victime directe et a condamné la SNCF à payer en réparation de leur préjudice moral dans la limite de la responsabilité encourue :
-9. 000 € à M. Ahmed
X...
,
-9. 000 € à Madame Tamimount
Y...
,
-4. 500 € à chacun des frères et soeurs.
Le tribunal a dit également que les indemnités allouées aux enfants mineurs seraient versées aux parents et employées sous le contrôle du juge des tutelles, que les intérêts au taux légal sur les sommes allouées seront dus à compter du jugement, a condamné la SNCF à payer aux époux
X...
, à Mlle Fatiha
X...
et M. Jamal
X...
la somme de 800 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, a rejeté toutes les autres demandes et a déclaré le jugement commun à la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse.
La SNCF a régulièrement interjeté appel de ce jugement en vue de son infirmation demandant à la cour de débouter les consorts
X...
de l'ensemble de leurs demandes en retenant que Youssef
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a commis une faute à l'origine exclusive de l'accident dont il a été victime, constitutive d'un cas de force majeure.
Elle sollicite leur condamnation solidaire ou in solidum à lui verser la somme de 10. 873 € correspondant au préjudice subi à la suite de l'accident. Elle réclame encore la somme de 1. 000 €, pour ses frais irrépétibles ainsi que la condamnation des intimés aux dépens de première instance et d'appel.
Elle fait valoir notamment que Youssef
X...
, sous l'emprise de stupéfiants ainsi que l'atteste son camarade, a ouvert une des portes du train à l'aide d'une clef de berne SNCF qu'il avait dérobée et que l'on a par la suite retrouvée dans les affaires de M.
A...
, alors qu'il était formellement interdit de descendre du train en arrêt sur la voie et que les consignes de sécurité avaient été rappelées par le personnel. Elle ajoute que ces circonstances établissent que l'accident résulte exclusivement de la faute irrésistible et imprévisible de la victime. Elle critique encore le jugement en ce qu'il a retenu que le système de fermeture rendait possible la descente d'un voyageur pendant un laps de temps où le train était immobilisé alors que le blocage des portes avait été assuré.
Les consorts
X...
concluent à la confirmation du jugement entrepris sauf sur le montant des sommes allouées et à la condamnation en deniers ou quittances de l'appelante à verser :
- à chacun des parents la somme de 30. 500 €,
- à ces derniers pris en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs et pour chacun d'eux la somme de 20. 000 €,
- à chaque frère et soeur majeurs la somme de 20. 000 €.
Ils demandent que l'arrêt soit déclaré commun et opposable à la MSA de Vaucluse.
Ils soulèvent l'irrecevabilité de la demande nouvelle formulée par la SNCF au visa de l'article 564 du nouveau code de procédure civile et à titre subsidiaire, ils sollicitent de la cour qu'elle retienne les sommes fixées par le jugement.
M.
X...
, son épouse, Mlle Fatiha
X...
, M. Jamal
X...
et M. Mohamed
X...
réclament chacun la somme de 1 500 € pour leurs frais irrépétibles.
Ils répliquent essentiellement que les circonstances de l'accident restent confuses, qu'il n'est pas établi que la clé ait été utilisée et que les éléments de la force majeure ne sont pas réunis, le système de fermeture des portes mis en place étant défaillant pour empêcher les passagers de descendre d'un train immobilisé au milieu d'une voie hors de la gare d'arrêt.
La Mutualité Sociale Agricole, régulièrement assignée à sa personne, n'a pas constitué avoué.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le bien-fondé de l'action des consorts
X...
Pour critiquer la décision déférée, la SNCF qui ne conteste pas le fondement de sa responsabilité au regard de l'article 1384 alinéa 1 du Code civil, soutient que la faute de la victime ne revêt pas les caractères de la force majeure.
Cette argumentation se heurte aux éléments de fait et de droit justement analysés par le jugement déféré dont la cour adopte les motifs.
La SNCF ne peut s'exonérer en effet de sa responsabilité du fait de la chose qu'en rapportant la preuve que l'accident est dû à la faute exclusive de la victime présentant les caractères de la force majeure ce qui suppose de démontrer le caractère d'extériorité, d'irrésistibilité ou d'imprévisibilité.
Il est rappelé que l'irrésistibilité est définie en doctrine comme un événement contre lequel on ne peut se prémunir même en le prévoyant ou qui lorsqu'il se produit, laisse le débiteur ou le gardien impuissant.
Il est constant au vu de l'enquête effectuée par le commissariat de Nîmes que :
- la victime a été percutée par le train assurant la liaison Cerbère Avignon alors qu'elle était descendue en compagnie de M.
A...
du train effectuant la liaison Avignon Perpignan qui se trouvait à l'arrêt sur la voie suite à un problème technique,
- il a été retrouvé immédiatement après l'accident dans les sous-vêtements de M.
A...
une clé de berne utilisée exclusivement par les agents SNCF pour ouvrir les portes du train et les compartiments en cas de nécessité.
Ce dernier, qui n'avait aucun souvenir de l'accident, a reconnu avoir consommé en compagnie de la victime des joints précisant que celle-ci avait en outre absorbé des tranquillisants.
Il résulte du témoignage de M.
C...
, passager de la voiture dans laquelle avait pris place M.
X...
que :
- alors qu'il se trouvait dans le sas peu avant l'arrivée du train en gare de Nîmes, il a entendu l'appel par radio indiquant l'arrêt inopiné du train et l'interdiction de descendre,
- que M.
X...
dont le comportement témoignait d'un état d'excitation et qui paraissait être sous l'empire d'un état alcoolique, a ouvert la porte gauche du train, après avoir dit à son camarade « qu'il n'avait pas de temps à perdre ».
Ce témoignage est confirmé par les déclarations de M.
D...
, autre passager, qui souligne leur état d'excitation donnant l'impression qu'ils étaient sous l'empire d'un état alcoolique.
M.
F...
, contrôleur, confirmait dans sa déclaration téléphonique aux services enquêteurs l'annonce radio et dans son rapport non daté avoir vu que la première porte de la « seconde Z2 » était ouverte et avoir actionné le dispositif de correspondance pour fermer les portes durant une à deux minutes. Le rapport complémentaire précise qu'il a maintenu la clé monocoup sur la position P et que cela a eu pour effet le blocage des portes.
De la directive concernant la prévention du risque de chute des voyageurs depuis un train VO-01 44 communiquée par la SNCF, il ressort que lorsque le train ne s'arrête pas dans l'établissement, l'agent d'accompagnement qui détient la commande de fermeture à distance des portes doit :
- si nécessaire maintenir les portes fermées et si possible bloquées ;
- inviter les voyageurs à ne pas tenter de descendre de voiture en utilisant la sonorisation ou à défaut de vive voix,
- se renseigner si nécessaire sur le motif de l'arrêt,
- prendre les mesures de sécurité nécessitées par les circonstances.
L'analyse de l'ensemble de ces pièces met en évidence le fait que la fermeture des portes ne signifie pas pour autant qu'elles soient bloquées et qu'en l'occurrence, c'est la seule manoeuvre du contrôleur effectuée après l'arrêt du train et après qu'il ait remarqué une porte ouverte qui a permis le blocage des portes.
Contrairement à ce que prétend la SNCF, les portes n'étaient pas verrouillées lorsque M.
X...
est descendu du train de sorte que le premier juge a considéré à juste titre que le comportement de la victime, bien qu'extérieur au conducteur du train n'était pas imprévisible ou irrésistible alors que l'accident a été rendu possible par le verrouillage tardif des portes du train dans lequel se trouvait la victime.
L'utilisation de la clé de berne n'est pas établie au regard du témoignage de M.
C...
qui ne l'évoque pas alors qu'il se trouvait à côté de M.
X...
dans le sas et qu'il n'aurait pas manqué de remarquer le maniement inhabituelle d'une clé, propriété de la SNCF, étant observé que cette clé a été retrouvée non sur la victime mais sur son camarade et qu'il ne s'est écoulé que quelques secondes depuis leur descente avant qu'ils ne soient percutés par le train.
Si la SNCF ne peut se prévaloir d'un fait totalement exonératoire, il doit être retenu le caractère particulièrement dangereux du comportement de la victime qui n'a pas hésité à descendre du train sans attendre l'arrivée en gare au mépris du bon sens et ce, malgré les informations sonores.
Ce comportement fautif justifie que la SNCF supporte seulement à hauteur de 20 % la responsabilité de l'accident.
Le préjudice moral subi par la famille de la victime a été exactement évalué par les premiers juges, qui ont pris en compte la durée et l'intensité du lien d'affection de sorte que le jugement sera confirmée dans cette évaluation.
Tenant compte de la limitation de la responsabilité encourue, la SNCF sera condamnée à payer les indemnités suivantes :
-3. 600 € à chacun des parents et 1. 800 € pour chacun des frères et soeurs.
Les autres dispositions du jugement relatives notamment à l'emploi des sommes versées aux enfants encore mineurs seront confirmées.
L'arrêt sera déclaré commun à la MSA de Vaucluse sans qu'il y ait lieu de le déclarer opposable, celle-ci étant partie à la procédure.
Sur l'appel incident de la SNCF
Aux termes de l'article 564 du nouveau code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses.
Il est constant au vu des pièces de procédure que la SNCF n'a présenté aucune demande en première instance de sorte que sa demande en appel tendant à la seule indemnisation de son préjudice, étant nouvelle, est irrecevable.
Sur les frais de l'instance
La SNCF qui succombe devra supporter les dépens de l'instance et payer aux consorts
X...
une somme équitablement arbitrée à 1. 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en matière civile et en dernier ressort,
Dit que la société nationale des chemins de fer français est tenue sur le fondement de l'article 1384 alinéa premier du Code civil d'indemniser les ayant droits de M. Youssef
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dans la limite de 20 % en raison de la faute commise par la victime ;
Condamne en conséquence la SNCF à payer en réparation de leur préjudice moral dans la limite de la responsabilité encourue les sommes de :
-3. 600 € à M. Ahmed
X...
,
-3. 600 € à Madame Tamimount
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,
-1. 800 € à Mlle Fatiha
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,
-1. 800 € à M. Jamal
X...
,
-1. 800 € à M. Mohamed
X...
,
-1. 800 € à M. Zakaria
X...
,
-1. 800 € à Mlle Nadia
X...
,
-1. 800 € à Mlle Malika
X...
,
-1. 005 € à M. Faisal
X...
,
-1. 800 € à Mlle Imram
X...
,
Déclare le présent arrêt commun à la MSA de Vaucluse,
Déclare irrecevable la demande d'indemnisation de la SNCF,
Confirme le jugement pour le surplus,
Condamne la société nationale des chemins de fer français à payer à M. Ahmed
X...
, Madame Tamimount
Y...
, Mlle Fatiha
X...
, M. Jamal
X...
la somme de 1. 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SNCF aux dépens d'appel.
Arrêt signé par M. FILHOUSE, Président et par Madame BERTHIOT, greffier présent lors du prononcé.