ARRÊT N° 322
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D'AVIGNON
24 avril 2007
X...
C /
MINISTÈRE PUBLIC
CHAMBRE CIVILE
1re Chambre A
APPELANT :
Maître José- Marie X...
Huissier de Justice
...
84400 APT
assisté de Me Michel GILS, avocat au barreau D'AVIGNON
INTIMÉ :
MINISTÈRE PUBLIC
Cour d'Appel de NÎMES
Bld de la Libération
30000 NÎMES
Représenté par Madame le Substitut Général
Statuant en matière disciplinaire.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Pierre BOUYSSIC, Président,
Mme Christine JEAN, Conseiller,
M. Serge BERTHET, Conseiller,
GREFFIER :
Mme Véronique VILLALBA, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
MINISTÈRE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
DÉBATS :
à l'audience tenue en Chambre du Conseil le 25 Mars 2008, où l'affaire a été mise en délibéré au 27 Mai 2008.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé et signé par M. Pierre BOUYSSIC, Président, publiquement, le 27 Mai 2008, date indiquée à l'issue des débats, par mise à disposition au greffe de la Cour.
FAITS CONSTANTS ET PROCÉDURE
Par courrier recommandé du 25 avril 2007 avec accusé de réception du greffe de la cour du 27 avril 2007, Maître X..., huissier de justice à Apt, a relevé appel d'un jugement rendu le 24 avril 2007 par le tribunal de grande instance d'Avignon statuant en matière disciplinaire à l'initiative du Procureur de la République, qui, sur la prévention d'avoir, en empêchant le 21 septembre 2006 le contrôle de la comptabilité de son office d'huissier de justice alors qu'il faisait l'objet d'une information judiciaire du chef de faux et usage de faux, abus de confiance par officier public, et en exerçant irrégulièrement, au moins en juin 2006, l'activité accessoire d'administrateur d'immeubles alors qu'il avait renoncé à cet exercice quelques mois auparavant au profit d'un de ses confrères, commis des contraventions aux lois et règlements et des infractions aux règles professionnelles ou des faits contraires à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse, et en suite d'un premier jugement du 10 avril 2007 ayant déclaré irrecevable la constitution de la chambre départementale des huissiers de justice et ordonné le retrait du dossier de toutes les pièces et conclusions déposées pour elle par son avocat constitué tout en autorisant la présidente de ladite chambre à venir à l'audience de renvoi présenter ses observations verbales, a :
- débouté, au visa de l'article 75 du code de procédure civile, Maître X... de son exception d'incompétence tendant à voir dire que l'affaire relèverait de la compétence de la troisième chambre et non de la première chambre dudit tribunal,
- débouté, au visa de l'article 20 de la loi du 5 mars 2007, Maître X... de sa demande de sursis à statuer dans l'attente des résultats de la procédure pénale menée contre lui,
- reconnu Maître X... coupable des fautes disciplinaires visées dans ladite prévention et lui a infligé, au visa des articles 2 et suivants de l'ordonnance du 28 juin 1945, la peine disciplinaire de l'interdiction professionnelle pendant un an,
et a désigné deux huissiers de justice du ressort en qualité d'administrateurs de son office pour le remplacer dans ses fonctions d'officier public interdit, chargeant en outre le condamné des dépens.
Pour se déterminer ainsi au fond, les premiers juges ont retenu que la chambre nationale des huissiers de justice avait informé Maître X... par télécopie du 20 septembre 2006 de ce qu'un contrôle inopiné de comptabilité de son étude s'effectuerait sur place à compter du 21 septembre 2006, que les trois contrôleurs (deux huissiers et un expert-comptable) s'étaient présentés à l'office sans trouver Maître X... ni pouvoir le faire venir malgré moult appels téléphoniques de l'une de ses employées leur affirmant que son employeur était en tournée alors qu'il a expliqué s'être absenté pour des raisons personnelles non spécifiées, que son avocat, joint par la secrétaire, a cru formuler des exigences préalables posées par son client et notamment de sa récusation des confrères missionnés, que cette position et les variations dans les explications de l'absence suffisaient à montrer que celle- ci était très volontaire pour empêcher le contrôle, alors que celui- ci était d'autant plus justifié et urgent que le fonctionnement de l'étude et sa situation comptable réelle avait, notamment suite à des plaintes et au contrôle normal annuel mené en février 2006, suscité des inquiétudes et des soupçons, notamment quant à la représentation des fonds clients ou au prélèvement d'honoraires injustifiés ou indus, qu'un officier public est, par son statut, contraint de subir des contrôles de comptabilité et du fonctionnement de son office inhérents à sa mission et ne peut s'y opposer volontairement, sauf à manquer à ses obligations professionnelles, ce qui est parfaitement caractérisé en l'espèce, notamment au regard des exigences des articles 30 et suivants du décret du 29 février 1956, imposant à l'huissier de justifier « à tout moment » que le total des sommes dont il est comptable est couvert par les fonds appartenant à autrui et produire une comptabilité spéciale, dont les livres doivent être édités « à première demande », ce à quoi Maître X... n'a pas déféré, manifestement volontairement, et que par ailleurs, il s'avère qu'en juin 2006, il a utilisé des documents professionnels faisant apparaître sa prétendue qualité d'administrateur d'immeubles alors que depuis le 31 mars 2006 il n'était plus autorisé à exercer cette activité et que le gérant de droit de la SARL IMMO GESTION APT, M. Z..., avait admis n'être qu'un prète- nom de Maître X... qui continuait à gérer de fait la société avec sa collaboratrice, témoignage qui ruine l'allégation en défense qu'il ne s'agissait que d'une erreur matérielle et qui caractérise au contraire un autre manquement aux lois et règlements organisant la profession d'huissier de justice.
Après un incident de communication de pièces réglé par ordonnance de mise en état du 13 septembre 2007, l'affaire a été fixée une première fois devant la chambre du conseil de la cour le 20 septembre 2007 mais reportée à la demande de Maître X... au 6 février puis au 25 mars 2008, audience où ont comparu l'intéressé et son conseil, et le ministère public. Le président de la chambre départementale des huissiers de justice n'a pas comparu mais a fait parvenir à la cour une lettre datée du 21 mars 2008 à laquelle étaient jointes des « conclusions d'intervention », le tout ayant été laissé à la dispositions des parties dans le dossier au greffe.
MOYENS ET DEMANDES
Dans le dernier état de ses écritures déposées le 25 mars 2008 sans que personne ne soulève leur irrecevabilité, et auxquelles il est renvoyé pour plus ample informé sur le détail de l'argumentation, Maître X... soutient :
- que n'étant pas soumis à une présence constante dans son office, il n'a pu ni prendre connaissance du fax lui annonçant le contrôle inopiné à compter du lendemain, ledit avertissement ayant été adressé un jour de fermeture de l'étude, ni être touché par sa secrétaire le matin même du contrôle, ce que les contrôleurs ont constaté eux- mêmes,
- qu'en droit il y a lieu de distinguer entre contrôle de routine (annuel) prévu longtemps à l'avance avec un déroulement fixé légalement et contrôle inopiné (ou ponctuel suite à une plainte) pour lequel, se doutant de son éventualité suite à l'annulation judiciaire du contrôle de février 2006 pour irrespect des principes généraux du droit et de la convention européenne des droits de l'Homme, il avait déjà demandé à la chambre nationale dès le mois de juin 2006 de pouvoir se faire assister de son avocat et de son expert- comptable, ce que lui autorisait l'absence de réglementation dudit contrôle et donc l'absence de sanction, et alors même que si ces contrôles sont destinés à empêcher toute dissimulation de l'huissier, ils sont devenus inutiles en raison de l'informatisation de la comptabilité interdisant toute contrepassation rétroactive d'écritures, qu'en tout cas rien ne s'opposait à ce qu'il puisse préparer sa défense, ce qui lui a été interdit par le simple envoi d'une télécopie la veille du contrôle en infraction à la notion de procédure équitable et contradictoire,
- qu'il était absent pour des raisons personnelles d'ordre familial et n'était pas tenu de consulter constamment la messagerie de son téléphone,
- que son absence n'a été constatée que le premier jour d'un contrôle prévu pour au moins deux jours alors que les inspecteurs ne sont pas revenus le lendemain, mettant un terme anticipé à leur mission de leur propre initiative et non parce qu'ils en avaient été empêchés, si bien que manque à la justification de la sanction infligée en première instance le caractère volontaire du prétendu empêchement,
- qu'il doit de surcroît bénéficier de la présomption d'innocence, ce qui prive de motif sa condamnation en ce qu'elle est fondée sur l'ouverture d'une information sur la foi de documents non vérifiés et faisant état de faits délictuels qu'il nie, ce qui justifie que lesdites pièces doivent être écartées des débats,
- qu'en ce qui concerne l'usage abusif de la qualité d'administrateur d'immeubles (qu'il a exercée régulièrement pendant de longues années avec autorisation ministérielle), il a donné sa clientèle en location- gérance à la SARL IMMO GESTION APT dont M. Z... est le gérant et le simple courrier de dénonciation au procureur de la République du premier vice- président du tribunal de grande instance d'Avignon ne suffit pas pour prouver l'abus dénoncé, alors qu'en réalité c'est bien l'erreur d'une secrétaire employant un préimprimé ancien et non signé de lui qui est à l'origine du constat, et que la révélation de M. Z..., dont se sont abusivement emparés les premiers juges, appartient au secret de l'instruction et ne peut fonder une sanction disciplinaire, ne serait- ce qu'au regard du principe de présomption d'innocence (bien que l'instruction menée contre lui ne vise pas ce chef)
- que les dossiers produits à charge contre lui sont soit insignifiants (comme portant sur des sommes minimes) soit le résultat d'erreurs de secrétaires, en tout cas n'ont pas été instruits par la chambre départementale selon ses propres règles qui ont été détournées par le truchement du procureur de la République.
Il demande donc à la cour d'infirmer la décision déférée et de dire n'y avoir lieu à quelque sanction disciplinaire que ce soit contre lui, si bien que le procureur de la République poursuivant doit être condamné aux dépens (sic).
Le président de la chambre des huissiers de Vaucluse expose dans son courrier précité que les poursuites ont eu lieu à l'exclusive initiative du parquet, que Maître X... avait par le passé déjà été mis en garde sur la manière dont il gérait son étude et sur son obligation de déférer aux contrôles, et ce d'autant plus que la chambre a été saisie de nombreuses plaintes de clients qui ne parvenaient pas à se faire représenter par Maître X... les fonds encaissés pour leur compte, que la motivation des premiers juge ne lui paraît pas devoir être infirmée, pas plus que la sanction qui en découle, sous réserve des réquisitions du parquet général.
Le ministère public poursuit la confirmation pure et simple de la décision déférée.
DISCUSSION
La prévention disciplinaire, qui seule doit occuper la cour, à l'exclusion de toute considération sur des faits distincts faisant semble- t-il l'objet d'une instruction pénale en cours, tient en deux volets dont chacun à lui seul relève des poursuites prévues à l'article 2 de l'ordonnance du 28 juin 1945, s'il s'avère qu'il caractérise une contravention aux lois et règlements, ou une infraction aux règles professionnelles des huissiers de justice, ou un manquement à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse attendus d'un tel officier ministériel, et est passible alors, par application de l'article 15 de ladite ordonnance, des sanctions énumérées à l'article 3 du même texte.
Le premier volet tient en ce que le 21 septembre 2006, alors qu'en sa qualité d'huissier de justice (qu'il doit être 24 heures sur 24, 365 jours par an, n'en déplaise à son conseil), il est soumis à l'obligation de répondre aux contrôles annuels ou inopinés décidés par sa chambre nationale et mis en oeuvre par sa chambre régionale conformément aux règles édictées à l'article 66-1 du décret du 29 février 1956 qui ne prévoit, notamment pour les contrôles inopinés destinés à empêcher toute dissimulation de la part du contrôlé parce que motivés par des plaintes ou des soupçons d'irrégularité (comme Maître X... l'admet d'ailleurs dans ses écritures), ni avis d'inspection préalable, ni possibilité d'assistance du contrôlé (les droits de la défense de celui- ci ne commençant que lorsqu'il y a défense à assurer, ce que la perspective ou la réalisation en elle- même d'un contrôle, qu'il ne faut pas confondre avec l'exploitation de ses résultats, ne permet pas, surtout a priori), mais qui le soumet au contraire à l'obligation plus précise, exactement relevée par les premiers juges, de déférer à toute réquisition de représentation des documents énumérés à l'article 66-2 du décret précité, de justifier à tout moment, par application de l'article 30-3 du même texte, que le total des sommes dont il est comptable au titre d'un mandat est effectivement couvert par les fonds déposés ou placés en compte spécial et distinct, et d'éditer à première demande, en vertu de l'article 30-4 alinéa 2 du décret précité, les éléments comptables visés dans ce texte.
Aussi M. X..., qui tente vainement d'entraîner la cour dans une telle confusion entre contrôle et résultats de ce contrôle, est- il mal fondé à se prévaloir de la fermeture de son étude lors de la réception de l'avis non obligatoire d'inspection pour le lendemain, ce qui reste indifférent puisqu'il ne lui est pas reproché de n'avoir pas déféré aux instructions contenues dans cet avis, encore que le lendemain, il avait tout loisir de le préparer avant de partir (pour une raison qui reste toujours ignorée même si la cour est gratifiée de l'information qu'il s'agirait d'une raison familiale sans autre précision ni surtout preuve), puisque les inspecteurs ne se sont présentés à son étude que vers 9 h 30 et se sont trouvés devant une secrétaire apparemment sans instruction.
En outre, la cour trouve étonnant que la même secrétaire ait pu prendre l'initiative de contacter un avocat à défaut de son employeur après le prétendu échec de ses appels téléphoniques, avocat qui de surcroît a cru pouvoir, en une longue lettre faxée qui montre qu'elle était préparée depuis au moins la veille, soulever la récusation d'un des inspecteurs (dont il fallait bien avoir le nom qui n'a pu être découvert qu'à la lecture de l'avis faxé de la veille ou, le matin de l'inspection, à la présentation des inspecteurs à la secrétaire), moyen d'ailleurs sans valeur dès lors que la composition du collège des inspecteurs respectait les dispositions de l'article 66-1 avant dernier alinéa du décret précité du 29 février 1956, et qu'un inspecteur n'étant ni juge ni expert judiciaire, aucun texte ne prévoit une telle récusation.
En réalité, la cour partage l'analyse des premiers juges en ce qu'ils ont retenu que le comportement de M. X... le 21 septembre 2006 équivaut à une obstruction volontaire à la mission d'inspection, ce qui effectivement constitue un manquement aux règles professionnelles tombant sous le coup des sanctions visées à la prévention dont celle de l'interdiction temporaire fixée justement à un an par les premiers juges, pour les motifs que la cour adopte intégralement.
Surabondamment et sur le second volet relatif à l'exercice irrégulier de la fonction d'administrateur d'immeuble en qualité de gérant de fait de la SARL IMMO- GESTION APT, les déclarations de M. Z... corroborent suffisamment le constat objectif fait par le premier vice- président du tribunal de grande instance d'Avignon à l'occasion d'une affaire distincte de référé, pour écarter en pure conviction partagée d'ailleurs par les premiers juges l'argutie d'une erreur de secrétaire (décidément M. X... aime bien se réfugier derrière les erreurs de secrétaires) sans en apporter la preuve.
Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions et M. X... restera en charge des dépens du présent.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement après débats en chambre du conseil en dernier ressort par arrêt contradictoire
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
Y ajoutant :
Condamne M. X... aux dépens d'appel.
Arrêt signé par M. BOUYSSIC, Président, et par Mme VILLALBA, Greffier.