COUR D'APPEL DE NÎMES
DEUXIÈME CHAMBRE
Section B-COMMERCIALE
ARRÊT DU 31 JANVIER 2008
ARRÊT No 58
Magistrat Rédacteur : Mme BRISSY-PROUVOST / DR
R. G : 07 / 02343
TRIBUNAL DE COMMERCE DE NÎMES
05 avril 2007
SAS COMPAGNIE DES VINS DU SUD
C /
S. A. S. CHAIS BEAUCAIROIS
APPELANTE :
SAS COMPAGNIE DES VINS DU SUD, Société en liquidation amiable dont le liquidateur est M. André X..., domicilié en cette qualité... 18038 SAN REMO (ITALIA),
... Talabot
30020 NIMES
représentée par la SCP M. TARDIEU, avoués à la Cour
assistée de la ODYSSEE AVOCATS, avocats au barreau D'AVIGNON
INTIMEE :
S. A. S. CHAIS BEAUCAIROIS, poursuites et diligences de son Président en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,
6 Quai de la Paix
BP132
30302 BEAUCAIRE
représentée par la SCP POMIES-RICHAUD-VAJOU, avoués à la Cour
assistée de la SCP FOURGOUX et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS
Statuant en matière d'Assignation à jour fixe ;
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
Madame Catherine BRISSY-PROUVOST, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l'article 786 du NCPC, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la Cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Monsieur Raymond ESPEL, Président
Monsieur Bruno BERTRAND, Conseiller
Madame Catherine BRISSY-PROUVOST, Conseiller
GREFFIER :
Mme Dominique RIVO ALLAN, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DEBATS :
à l'audience publique du 17 Décembre 2007, où l'affaire a été mise en délibéré au 31 Janvier 2008,
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel ;
ARRET :
Arrêt contradictoire, prononcé et signé par Monsieur Raymond ESPEL, Président, publiquement, le 31 Janvier 2008, date indiquée à l'issue des débats, par mise à disposition au greffe de la Cour
DONNEES DU LITIGE
Le litige
II n'est pas contesté par la sas Compagnie des vins du Sud (CVS) que les livraisons de vins français et italiens effectuées à partir de 1998 par la sas Compagnie des vins du Sud au profit de la sas Chais Beaucairois (groupe Casino) ont été les suivantes :
1998 : 82 128 hectolitres
1999 : 247 590 hl
2000 : 293 123 hl
2001 : 272 744 hl
de janvier à avril 2002 : 45 193 hl.
Le volume des affaires effectuées par la sas Compagnie des vins du Sud avec la sas Chais Beaucairois a représenté jusqu'à 97 % de son chiffre d'affaires tandis que la sas Chais Beaucairois a acheté 10 à 20 % de ses vins auprès de la sas Compagnie des vins du Sud.
Le 8 avril 2002, la sas Compagnie des vins du Sud a saisi le juge des référés ; les relations commerciales entre ces deux sociétés ont alors définitivement cessé.
La procédure devant le tribunal de commerce
Par ordonnance de référé en date du 15 mai 2002, le président du tribunal de commerce de Nîmes a désigné M. B... en qualité d'expert avec mission de :
«- analyser la situation du marché du vin et les raisons de la crise actuelle sur ce marché,
- comparer les tarifs et les conditions commerciales proposées par la société CVS par rapport aux prix et conditions d'autres concurrents sur le marché,
- dire s'il y a eu un changement dans les relations commerciales entre la société CVS et la sas Chais Beaucairois à la fin de l'année 2001 et au début de l'année 2002 et en rechercher les causes, notamment par rapport à l'évolution des importations de vins de tables italiens destinés à la grande distribution,
- rechercher toutes informations et rassembler tous les éléments utiles sur les difficultés rencontrées par les producteurs nationaux,
- plus généralement rechercher toutes informations susceptibles d'éclairer la juridiction éventuellement saisie au fond sur le comportement de la société CVS à l'égard de la société Chais Beaucairois, notamment dans l'origine de la quasi exclusivité de vente de CVS auprès des Chais Beaucairois ».
L'homme de l'art a déposé son rapport le 1er novembre 2002.
Par acte du 17 février 2003, la sas Compagnie des vins du Sud, régulièrement autorisée par ordonnance présidentielle a assigné la sas Chais Beaucairois à comparaître à jour fixe devant le Tribunal de commerce de Nîmes pour obtenir, au visa de l'article 1134 du Code civil et des dispositions (sans autre précision) de l'ordonnance du 1er décembre 1986 :
- à titre principal, sa condamnation à paiement :
+ de la somme de 4 280 470 euros correspondant à son préjudice,
+ de la somme de 7622, 45 euros à titre de dommages et intérêts,
+ des dépens, y compris ceux de référé et d'expertise,
la décision à intervenir devant être assortie de l'exécution provisoire,
- subsidiairement,
+ l'institution d'une expertise comptable,
+ le paiement d'une provision d'un million d'euros.
Par jugement du 5 juin 2003, le tribunal de commerce de Nîmes a sursis à statuer dans l'attente de la décision relative à la plainte pour escroquerie, faux et usage de faux déposée le 27 août 2002 par la sas Chais Beaucairois à l'encontre de la sas Compagnie des vins du Sud.
Par ordonnance rendue par le juge d'instruction le 27 juin 2005, un non-lieu a été prononcé et la sas Chais Beaucairois a été condamnée à paiement d'une amende civile.
Par arrêt du 16 mars 2006, cette décision a été confirmée sauf sur l'amende civile.
La procédure a été remise au rôle.
La sas Chais Beaucairois,
contestant une rupture fautive des relations commerciales telle que prévue par l'article L. 442-6 du code de commerce (et non L. 441-5 du code de commerce comme indiqué par erreur dans ses écritures),
a conclu au débouté des demandes formulées par la sas Compagnie des vins du Sud et a sollicité sa condamnation à paiement de la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi que des dépens.
Par jugement du 5 avril 2007, le tribunal de commerce de Nimes, au visa des articles 1315, 1134, 1147 et suivants du Code civil,
estimant
d'une part, que les relations commerciales se sont éteintes sur une durée d'une année de sorte qu'aucune faute n'a été commise dans leur rupture
d'autre part, que la sas Compagnie des vins du Sud n'a justifié d'aucun préjudice directement lié à cette rupture,
- a débouté la sas Compagnie des vins du Sud de ses demandes,
- l'a condamnée à paiement de la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- l'a condamnée aux entiers dépens,
- a rejeté le surplus des demandes.
La sas Compagnie des vins du Sud a interjeté appel de cette décision par acte du 29 mai 2007.
Par ordonnance présidentielle en date du 22 juin 2007, elle a été autorisée à assigner la sas Chais Beaucairois pour l'audience du 17 décembre 2007.
Les prétentions et moyens des parties devant la Cour
Par conclusions et bordereau de pièces déposés à la mise en état le 30 novembre 2007, auxquels il est fait expressément référence
la sas Compagnie des vins du Sud, « société en liquidation amiable dont le liquidateur amiable est Monsieur André X... » conclut à la réformation de ce jugement et demande à la Cour de :
- dire que la sas Chais Beaucairois devra réparer son préjudice résultant de la brusque rupture de leurs relations commerciales à la date du 1er janvier 2002,
- en conséquence, condamner la sas Chais Beaucairois à payer :
+ la somme de 4 280 470 euros en réparation de son préjudice financier outre intérêts de droit à compter du 1er janvier 2002, date de la rupture,
+ la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour comportement procédural dilatoire,
+ la somme de 7622, 47 euros au titre des frais irrépétibles,
+ les entiers dépens de première instance et d'appel, y compris les frais de référé et d'expertise judiciaire, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP d'avoués Tardieu,
- subsidiairement,
+ d'ordonner une mesure d'expertise afin de déterminer la durée du préavis qui aurait dû être respecté par la sas Chais Beaucairois au moment de la rupture de leurs relations commerciales et fournir à la Cour tous les éléments de son préjudice consécutif à cette brusque rupture,
+ de condamner la sas Chais Beaucairois à paiement d'une provision d'un million d'euros,
+ de réserver les dépens.
Par conclusions et bordereau de pièces déposés à la mise en état le 14 septembre 2007, auxquels il est fait expressément référence,
la sas Chais Beaucairois conclut à la confirmation de cette décision et prie la juridiction d'appel, au visa de l'article L. 442-6 du code de commerce (et non L 441-6 du code de commerce comme indiqué par erreur), de condamner la sas Compagnie des vins du Sud à payer la somme de 7000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi que les entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP d'avoués Pomies-Richaud Vajou.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la procédure
Attendu qu'au vu des pièces produites, la recevabilité de l'appel n'est ni contestée ni contestable ;
Sur le fondement juridique de la demande
Attendu que devant la Cour, la sas Compagnie des vins du Sud n'a pas précisé le fondement juridique de sa demande mais qu'en l'état de la rédaction de ses écritures et de la discussion instaurée entre les parties, il sera considéré qu'elle fonde son action sur les dispositions de l'article L 442-6 du code de commerce ;
Attendu en droit qu'engage sa responsabilité tout commerçant qui, hormis les cas de force majeure ou d'inexécution de ses obligations par l'autre partie, rompt brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée des relations commerciales antérieures et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ;
qu'une rupture brutale s'entend d'une rupture effectuée d'une manière imprévisible, soudaine et violente ;
qu'aucune distinction ne doit être faite entre les relations commerciales contractuellement établies et les autres ;
que celui qui se plaint de la rupture abusive n'a pas à établir qu'il se trouve dans un état de dépendance économique ;
que le fournisseur ne peut obtenir réparation que du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle-même ;
Sur le moven tiré de la rupture abusive des relations commerciales par la sas Chais Beaucairois
Attendu que la sas Compagnie des vins du Sud prétend que la sas Chais Beaucairois a procédé à une rupture brutale de leurs relations commerciales établies et que le délai de préavis aurait dû être de quatre ans tandis que la sas Chais Beaucairois conteste l'existence d'une rupture fautive desdites relations commerciales ;
Mais attendu que les parties conviennent avoir entretenu à partir de 1998 des relations commerciales (portant sur la fourniture de vins de table italiens principalement ainsi que de vins de table français) non formalisées par un écrit ;
que le volume des affaires effectuées par la sas Compagnie des vins du Sud avec la sas Chais Beaucairois a représenté jusqu'à 97 % de son chiffre d'affaires tandis que la sas Chais Beaucairois achetait 10 à 20 % de ses vins auprès de la sas Compagnie des vins du Sud ;
Attendu qu'en avril 2001, la situation de dépendance de la sas Compagnie des vins du Sud a été constatée par M. C... qui avait pris la direction de la sas Chais Beaucairois en février 2001 et que, d'un commun accord, les parties ont convenu d'une réduction importante des transactions entre leurs deux sociétés sur trois ans (cf rapport d'expertise B...) ;
que selon l'expert judiciaire, le volume des achats à la sas Compagnie des vins du Sud a diminué d'environ 20 % en 2001 ;
Attendu qu'en raison d'une production excessive de vins de table français par rapport à la consommation dans l'union européenne, la crise de ce secteur a commencé début 2001, ce qui a entraîné une diminution de leur prix de vente (cf rapport d'expertise B...) ramené au prix de début 1990 ; que par ailleurs, le chiffre d'affaires résultant de la vente de ces produits a chuté de 10 % dans la grande distribution ; que la sas Compagnie des vins du Sud ne conteste pas avoir été informée en juin 2001 par la sas Chais Beaucairois de son intention de réduire ses achats de vins de table italiens au profit des vins de table français ;
que la sas Compagnie des vins du Sud a également modifié sa politique commerciale en décidant, pour la plus grande partie de ses achats de vins français principalement, de formuler des offres de prix au vu des échantillons adressés par les vendeurs ;
Attendu qu'au début de l'année 2002, les relations commerciales étant quasiment nulles entre les deux sociétés, les parties se sont rencontrées ;
que le 17 janvier 2002, la sas Compagnie des vins du Sud a présenté une offre qui a généré une commande ;
que le 29 janvier 2002, la sas Compagnie des vins du Sud a présenté (par fax) une offre relative à deux vins italiens et à un vin espagnol à la sas Chais Beaucairois qui dans un premier temps a prétendu ne pas l'avoir reçue ;
que le 25 février 2002, la sas Chais Beaucairois a adressé un appel d'offres pour 11 vins français, 5 vins italiens et un vin espagnol à la sas Compagnie des vins du Sud qui y a répondu le 26 février 2002 ;
que le 1er mars 2002, la sas Compagnie des vins du Sud a proposé des échantillons de 4 vins ;
que le 21 mars 2002, la sas Chais Beaucairois a reproché à la sas Compagnie des vins du Sud de pratiquer des prix supérieurs de 7 à 18 % à ceux de ses concurrents ;
que le 29 mars 2002, la sas Chais Beaucairois a accusé réception du fax du 29 janvier 2002, a précisé que les achats se faisaient au fil des besoins, a confirmé que les prix pratiqués par la sas Compagnie des vins du Sud étaient trop élevés et a enfin évoqué un incident / qualité concernant une livraison de vins de table italiens, terminant ainsi son courrier : « je constate une énergie colossale déployée dans le but de saboter notre relation commerciale ; j'estime en réalité que vous recherchez par tous les moyens à constituer un dossier totalement artificiel destiné à nous faire supporter les conséquences de vos défaillances » ;
que par lettre du 11 avril 2002, la sas Chais Beaucairois a notamment visé une offre de vins italiens formulée par la sas Compagnie des vins du Sud et a précisé qu'elle continuerait à lui adresser des appels d'offres ;
que les relations entre les parties ont cessé avec l'assignation en référé d'avril 2002 aux fins de désignation d'un expert judiciaire ; que de janvier à avril 2002, soit en 3 mois, la sas Chais Beaucairois a acheté à la sas Compagnie des vins du Sud 45 193 hl alors que les transactions pour l'année 2001 avaient porté sur 272 744 hl et que les parties avaient convenu d'une diminution significative de leurs relations commerciales ;
Attendu que de l'ensemble de ces éléments il ressort :
- que la sas Compagnie des vins du Sud, créée en 1999, n'était pas liée à la sas Chais Beaucairois par un contrat d'exclusivité et qu'elle s'est volontairement mise dans une situation de dépendance économique par rapport à la sas Chais Beaucairois,
- qu'en avril 2001, la sas Compagnie des vins du Sud a convenu avec la sas Chais Beaucairois de la réduction significative de ses achats sur 3 ans afin de faire cesser son état de dépendance économique,
- qu'à cette même époque, elle a eu connaissance de la réduction du volume d'achat de vins italiens, lesquels constituaient la majeure partie de ses transactions avec la sas Chais Beaucairois,
- qu'elle n'a formulé aucune observation,
- que la sas Chais Beaucairois a modifié ses méthodes d'achat et qu'elle a fait participer la sas Compagnie des vins du Sud aux appels d'offres,
- que la sas Chais Beaucairois n'a pas signifié à la sas Compagnie des vins du Sud la rupture de leurs relations commerciales et que pendant le 1 er trimestre 2002, le volume d'affaires a été à sensiblement égal à 1 / 6 du chiffre d'affaires réalisé pendant toute l'année 2001,
- qu'en agissant de la sorte, la sas Chais Beaucairois, sur fond de crise viticole française, a usé de sa liberté fondamentale de s'approvisionner et a laissé à la sas Chais Beaucairois la possibilité de continuer un partenariat commercial dans des nouvelles conditions,
- qu'il n'est pas contesté que les relations commerciales ont cessé lors de l'assignation en référé diligentée en avril 2002 par la sas Compagnie des vins du Sud,
- qu'en outre, la sas Compagnie des vins du Sud ne produit aucun élément de nature à démentir la faible compétitivité de ses prix par rapport à ceux proposés par les nouveaux fournisseurs de la sas Chais Beaucairois ;
Attendu en conséquence que le grief de rupture brutale des relations commerciales n'est donc pas fondé à l'égard de la sas Chais Beaucairois ;
que d'ailleurs l'expert judiciaire n'a pas conclu à rupture fautive des relations commerciales par la sas Chais Beaucairois ;
Attendu au surplus qu'en s'abstenant d'anticiper, dès avril 2001, les conséquences :
- de la réduction de ses relations commerciales réalisées à 97 % avec la sas Chais Beaucairois,
- de la suppression des achats de vins italiens achetés à titre principal par la sas Chais Beaucairois,
- de la crise viticole française,
la sas Compagnie des vins du Sud n'a pas adopté un comportement de commerçant avisé et s'est trouvée à l'origine des difficultés dont elle fait état et dont elle ne saurait valablement faire supporter les conséquences par la sas Chais Beaucairois ;
Attendu en définitive que le jugement déféré sera confirmé ;
Sur les dépens de première instance et d'appel ainsi que les frais irrépétibles
Attendu que les entiers dépens, y inclus les frais de référé et d'expertise judiciaire, seront supportés par la sas Compagnie des vins du Sud qui succombe mais qu'il ne s'avère pas équitable de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au profit de la sas Chais Beaucairois ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire. publiquement, en matière commerciale et en dernier ressort
-déclare l'appel recevable,
- confirme la décision déférée,
- rejette le surplus des demandes,
- condamne la sas Compagnie des vins du Sud aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP d'avoués Pomies-RichaudVajou.
Arrêt signé par M. Espel, président, et par Mme Rivoallan, greffier, présente lors du prononcé
Le greffier
Le président