R. G : 06 / 03903
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D' AVIGNON
28 septembre 2006
Y...
C /
X...
COUR D' APPEL DE NIMES
CHAMBRE CIVILE
Chambre 2 C
ARRÊT DU 05 DECEMBRE 2007
APPELANTE :
Madame Arlette Y... épouse X...
née le 12 Février 1936 à LE PONTET (73110)
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représentée par la SCP POMIES- RICHAUD- VAJOU, avoués à la Cour
assistée de Me Guy GUENOUN, avocat au barreau D' AVIGNON
INTIME :
Monsieur Jean X...
né le 03 Juin 1934 à AVIGNON (84000)
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représenté par la SCP CURAT- JARRICOT, avoués à la Cour
assisté de Me Christophe MILHE- COLOMBAIN, avocat au barreau D' AVIGNON
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 28 Septembre 2007
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
M. me Sylvie BONNIN, Conseiller, a entendu les plaidoiries, en application de l' article 786 du Nouveau Code de Procédure Civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la Cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean- Louis ROUDIL, Président
Mme Christine AUBRY, Conseiller
Madame Sylvie BONNIN, Conseiller
GREFFIER :
Madame Nicole GUIRAUD, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
en Chambre du Conseil sur rapport oral de Madame BONNIN le 10 Octobre 2007, où l' affaire a été mise en délibéré au 05 Décembre 2007,
Les parties ont été avisées que l' arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d' appel ;
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé et signé par M. Jean- Louis ROUDIL, Président, publiquement, le 05 Décembre 2007, date indiquée à l' issue des débats,
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EXPOSE DU LITIGE :
Monsieur X... et Madame Y... se sont mariés le 21 septembre 1957, sans contrat de mariage préalable à LE PONTET (Vaucluse).
De cette union, sont nés deux enfants :
- Vincent, le 30 septembre 1958,
- Simon, le 26 août 1968.
Par ordonnance de non- conciliation en date du 10 décembre 1993, le juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance d' AVIGNON a :
- autorisé la résidence séparée des époux,
- attribué la jouissance du logement familial à l' épouse,
- fixé à la somme de 2. 700 francs (411, 61 €) la contribution à l' entretien et à l' éducation de l' enfant majeur Simon,
- alloué à Madame Y... la somme mensuelle de 5. 000 francs (762, 25 €) au titre de la pension alimentaire dans le cadre du devoir de secours.
Par jugement en date du 3 décembre 1998, le Tribunal de Grande Instance d' AVIGNON a débouté Madame Y... de ses prétentions relatives à la clause d' exceptionnelle dureté qu' elle opposait à la demande en divorce pour rupture de la vie commune engagée par Monsieur X....
Par arrêt en date du 24 mai 2000, la Cour d' Appel de NIMES a confirmé ce jugement. Par arrêt en date du 6 juin 2002, la Cour de Cassation a déclaré le pourvoi de Madame Y... irrecevable.
L' affaire est revenue devant le Tribunal de Grande Instance d' AVIGNON qui avait ordonné la réouverture des débats sur les conséquences de la dissolution du mariage.
Par jugement en date du 28 septembre 2006, le juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance d' AVIGNON a :
- déclaré régulière et recevable la demande en divorce pour rupture de la vie commune introduite par l' époux,
- prononcé le divorce des époux par application des dispositions des articles 237 et suivants du Code Civil,
- fixé les effets du jugement dans les rapports entre époux quant à leurs biens à la date de l' ordonnance de non- conciliation,
- dit que Madame Y... conserverait l' usage du nom patronymique du mari,
- rejeté les demandes de Madame Y... au titre de la pension alimentaire, des dommages et intérêts et des frais irrépétibles.
- dit que chacune des parties supporterait les dépens respectivement engagés.
Madame Y... a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 12 octobre 2006.
Par conclusions récapitulatives en date du 21 septembre 2007, Madame Y... sollicite la réformation de la décision déférée, demandant à titre principal que la demande en divorce pour rupture de la vie commune introduite par Monsieur X... soit déclarée irrecevable par application de l' ancien article 1123 du Nouveau Code de Procédure Civile et subsidiairement si le divorce est prononcé en application de l' article 237 du Code Civil, de désigner un notaire pour établir le projet de liquidation du régime matrimonial, l' avance de la provision devant être à la charge du demandeur à la procédure, de dire que ce dernier devra, au titre du devoir de secours, verser une pension alimentaire de 1372 € par mois et céder l' usufruit de ses droits sur l' immeuble sis à LE PONTET et sur l' immeuble sis à LES ANGLES. Elle sollicite en outre la condamnation de Monsieur X... à lui verser la somme de 15. 400 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, ainsi qu' une somme de 3. 750 € au titre de l' article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et aux entiers dépens de première instance et d' appel.
Par conclusions récapitulatives en date du 27 septembre 2007, Monsieur X... sollicite la confirmation du jugement déféré, demandant que Madame Y... soit déboutée de l' ensemble de ses demandes. Il demande à la Cour de voir déclarer satisfactoires ses offres, à savoir :
- la conservation par Madame Y... de son nom de femme mariée,
- le bénéfice de la pension de réversion en fonction du prorata de la vie commune,
- le bénéfice d' une couverture sociale toute sa vie durant,
- le bénéfice de la jouissance de l' immeuble sis à LE PONTET, bien que l' épouse occupe actuellement.
L' ordonnance de clôture est intervenue le 28 septembre 2007.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la recevabilité de la demande en divorce :
Cette contestation de Madame Y... sur la recevabilité de la demande en divorce pour rupture de la vie commune a été tranchée par l' arrêt de la Cour d' Appel de NIMES en date du 24 mai 2000, décision revêtue de l' autorité de la chose jugée. En effet, cet arrêt confirme le jugement du juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance d' AVIGNON qui, pour rejeter la clause d' exceptionnelle dureté invoquée par Madame Y... a admis la recevabilité de la demande de l' époux, en ces termes : " Monsieur X..., conscient de son devoir d' avoir à supporter la charge de la rupture du mariage, expose dans sa requête et ses écritures postérieures que sa situation économique lui permet de remplir ses obligations envers sa femme. Il formule des offres. Les conditions prévues par la loi sont remplies, en la forme et au fond, pour que le divorce pour rupture de la vie commune soit prononcé. "
La réouverture des débats n' a été ordonnée que sur le seul point des conséquences de la dissolution du mariage. Aussi l' argumentation de Madame Y... a pour effet d' ajouter à la loi, en ce que le caractère, selon elle, insuffisant des offres financières dans le cadre du devoir de secours, ne saurait à rendre la requête irrecevable, question au demeurant définitivement tranchée.
Ce moyen d' irrecevabilité sera donc rejeté par application de l' article 480 du Nouveau Code de Procédure Civile.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu' il a prononcé le divorce pour rupture de la vie commune par application des dispositions de l' article 237 ancien du Code Civil, toute communauté de vie, tant matérielle qu' affective ayant cessé entre les époux depuis plus de six ans.
- sur les conséquences du divorce pour rupture de la vie commune :
- sur le rapport d' expertise de Monsieur Christian B... :
Le patrimoine des époux mariés sans contrat de mariage préalable est constitué de deux biens immobiliers, l' un situé sur la commune des ANGLES, le second sur la commune de LE PONTET, Madame Y... possédant en propre des droits relatifs à un immeuble sis à CARPENTRAS, ayant appartenu à ses parents décédés.
A la date du dépôt du rapport d' expertise en novembre 1995, l' immeuble sis aux ANGLES, appartenant pour 3 / 4 à Monsieur X... et pour 1 / 4 à Madame Y..., était évalué à la somme de 38. 112, 25 €.
L' immeuble sis à LE PONTET appartenant pour moitié à chacun des époux constitue l' habitation principale de Madame Y... qui s' en est vu attribuer la jouissance par le magistrat conciliateur. Il a été évalué en 1995 à la somme de 53. 357, 16 €.
Quant à l' immeuble sis à CARPENTRAS hérité de ses parents, Madame Y... atteste sur l' honneur ne percevoir aucun revenu locatif de cette maison qui nécessite d' importants travaux qu' elle ne peut financer. Sa valeur en 1995 était estimée à la somme de 600. 000 francs (91. 470 €) et était habitée par la mère de Madame Y... jusqu' à son décès récent.
Madame Y... ne fournit aucune indication sur la valeur actuelle de ce bien immobilier situé dans un quartier résidentiel de la ville de CARPENTRAS, tandis que Monsieur X... l' estime à la somme de 400. 000 €.
Il n' en demeure pas moins que cet élément de patrimoine, qu' il soit destiné à la vente ou à la location, doit être pris en considération dans l' appréciation de l' état de besoin de l' épouse.
- sur la situation financière de Madame Y... :
Il n' est pas contesté que Madame Y..., actuellement âgée de 71 ans n' a pu prétendre qu' à une faible retraite, n' ayant jamais travaillé pour s' être consacrée à l' éducation des deux enfants.
Il n' est pas davantage contesté que son état de santé est précaire, comme le démontre un récent certificat médical en date du 17 septembre 2007, Madame Y... souffrant de diverses pathologies invalidantes (asthme chronique, épilepsie, hypertension artérielle, glaucome et perte de la capacité auditive).
- sur ses ressources :
Madame Y... dispose des revenus locatifs du bien immobilier sis aux ANGLES, bien qui lui a été attribué, ainsi que des revenus d' un placement d' assurances GMF (613, 67 € par trimestre), soit en moyenne la somme de 1. 259, 14 € par mois.
- sur ses charges :
Elle s' acquitte des charges courantes d' habitation mais n' a pas de dépense de loyer, ayant la jouissance gratuite du bien immobilier.
Elle ne démontre pas qu' elle doit impérativement supporter la charge de son fils Simon âgé de 37 ans, en bonne santé, en âge et capacité de travailler depuis plus de quinze ans. Le choix personnel de ce dernier de se maintenir au domicile de sa mère, alors qu' il est en mesure de partager avec elle les charges de la vie courante, ne saurait être imputée à Monsieur X....
- sur la situation financière de Monsieur X... :
- sur ses ressources :
Monsieur X..., retraité depuis 1994, était directeur de l' URSAFF, disposant d' une pension de retraite mensuelle de 3. 796 €.
- sur ses charges :
Il s' acquitte d' un loyer mensuel d' un montant de 880 €.
Il convient de rappeler que la pension alimentaire dans le cadre du devoir de secours n' a pas vocation à compenser la disparité dans les situations respectives des parties mais doit permettre à l' époux créancier de subvenir à ses besoins, en maintenant un niveau de vie aussi proche que possible de celui qui était le sien avant la séparation.
Il résulte de l' ensemble de ces éléments qu' en cédant à Madame Y... l' usufruit de ses droits sur l' immeuble sis à LE PONTET et en la faisant bénéficier, outre la pension de réversion, d' une couverture sociale sa vie durant, Monsieur X... satisfait, de façon suffisante à son obligation dans le cadre du devoir de secours, sans qu' il soit tenu à verser une pension alimentaire en complément de cette exécution.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur la demande en dommages et intérêts :
Si Madame Y... n' est pas recevable à solliciter des dommages et intérêts sur le fondement de l' article 266 du Code Civil, s' agissant d' un divorce en rupture de la vie commune, elle peut fonder sa demande en application de l' article 1382 du Code Civil, à charge pour elle de démontrer que Monsieur X... a commis une faute de nature à lui créer un préjudice distinct de la dissolution du mariage.
Si la faute de Monsieur X... ne peut donc être caractérisé par l' abandon du domicile familial, il ressort néanmoins des pièces versées aux débats, et spécialement des lettres adressées par ce dernier à l' appelante que cette épouse, a subi pendant plus de dix ans à compter de l' été 1978, alors qu' elle n' était âgée que de 42 ans et avait la charge des deux enfants du couple respectivement âgés de 20 et 10 ans, un persistant " chaud et froid " quant à l' espoir du retour de son époux.
Monsieur X..., dans une lettre adressée à son épouse le 9 juin 1978, écrivait : " je peux bien le dire, maintenant, ma vie s' est arrêté le jour où je suis parti. J' ai été envoûté par un être qui s' est jeté vers moi avec un élan démesuré. Tu sais, ce fameux amour passion dont je parlais l' autre qui vient vers vous, qui s' élance vers vous et bien cela en plus grand encore. Oui mais voilà, je n' ai pu extirper de mon coeur un seul brin de tendresse ".
Monsieur X... écrivait encore, à l' évidence atteint de culpabilité, le 30 juin 1978 : " mon attitude à ton égard a été impardonnable, aussi je n' ai pas la prétention de la justifier..., je n' ai jamais aimé comme je t' aime, je sais que c' est incroyable, idiot, ", correspondance pouvant légitimement laisser Madame Y... croire au retour de son mari et père de ses enfants.
Cet espoir a perduré jusqu' à ce que Monsieur X... dépose sa requête en divorce, alors que Madame Y... ne pouvait plus envisager de refaire sa vie.
C' est donc ce " faux espoir " entretenu par Monsieur X..., sans doute plus par coupable faiblesse que par malicieuse manoeuvre, qui est à l' origine du préjudice moral dont elle est fondée à demander réparation et non l' abandon du domicile conjugal ou l' adultère ne pouvant caractériser que le seul divorce pour faute et non celui prononcé pour rupture de la vie commune.
Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de faire droit à la demande en dommages et intérêts présentée par Madame Y... et de lui allouer, à ce titre, la somme de 10. 000 € en réparation de son préjudice moral.
- sur la demande au titre de l' article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :
Il serait contraire à l' équité de laisser à la charge de l' épouse qui subit la procédure de divorce, la totalité des frais non compris dans les dépens qu' elle a exposés. Il convient de lui allouer la somme de 3. 000 € au titre de l' article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- sur les dépens :
En application de l' article 1127 du Nouveau Code de Procédure Civile, Monsieur X... sera tenu aux entiers dépens de première instance. Le jugement déféré sera réformé en ce sens, Monsieur X... devant supporter en outre les entiers dépens d' appel.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant publiquement, après débats en chambre du conseil, contradictoirement,
REFORME le jugement déféré sur les dommages et intérêts et sur les dépens,
Statuant à nouveau sur cette seule disposition,
CONDAMNE Monsieur X... à verser à Madame Y... la somme de 10. 000 € à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice moral,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses autres dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE Monsieur X... à payer à Madame Y... la somme de 3. 000 € au titre de l' article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
CONDAMNE Monsieur X... aux entiers dépens de première instance et d' appel avec distraction au profit de la SCP POMIES- RICHAUD- VAUJOU, avoués, conformément aux dispositions de l' article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Arrêt signé par M. ROUDIL, Président et par Madame GUIRAUD, Greffier.