ARRÊT No536
R. G. : 05 / 00614
CJ / SD
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D'ALES
15 décembre 2004
X...
C /
A...
Y...
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère Chambre A
ARRÊT DU 02 OCTOBRE 2007
APPELANT :
Monsieur Jacques X...
né le 27 Mai 1952 à INGWILLER (67)
...
30270 ST JEAN DU GARD
représenté par la SCP M. TARDIEU, avoués à la Cour
assisté de la SCP ALLHEILIG GALZIN, avocats au barreau d'ALES
INTIMÉS :
Madame Marie A... épouse Y...
agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administratrice légale de ses enfants mineurs Thibaud, Robin, Manon
née le 11 Novembre 1962 à ALES (30)
...
30270 ST JEAN DU GARD
représentée par la SCP POMIES-RICHAUD-VAJOU, avoués à la Cour
assistée de Me François GILLES, avocat au barreau d'ALES
INTERVENANTS VOLONTAIRES :
M. Robin Y...
né le 13 février 1989 à SAIN MARTIN D'HÈRES (38)
...
30270 ST JEAN DU GARD
représenté par la SCP POMIES-RICHAUD-VAJOU, avoués à la Cour
assisté de Me François GILLES, avocat au barreau D'ALES
M. Thibaud Y...
né le 18 mai 1987 à GRENOBLE (38)
...
30270 ST JEAN DU GARD
représenté par la SCP POMIES-RICHAUD-VAJOU, avoués à la Cour
assisté de Me François GILLES, avocat au barreau D'ALES
Après que l'instruction ait été clôturée par ordonnance du Conseiller de la Mise en Etat en date du 11 Mai 2007 révoquée sur le siège en raison d'une cause grave invoquée conjointement par les avoués des parties et clôturée à nouveau au jour de l'audience avant le déroulement des débats,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Pierre BOUYSSIC, Président,
Mme Christine JEAN, Conseiller,
M. Serge BERTHET, Conseiller,
GREFFIER :
Mme Véronique VILLALBA, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision,
MINISTÈRE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
DÉBATS :
à l'audience publique du 05 Juin 2007, où l'affaire a été mise en délibéré au 02 Octobre 2007,
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au Greffe de la Cour d'Appel,
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé et signé par M. Pierre BOUYSSIC, Président, publiquement, le 02 Octobre 2007, date indiquée à l'issue des débats, par mise à disposition au Greffe de la Cour.
* *
*
EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 1er janvier 2003, vers 16H30, Madame Paule E..., âgée de 66 ans, se sentant prise d'un malaise, appelait au téléphone sa fille, Marie Pascale A... épouse Y.... Celle-ci domiciliée dans la même commune que sa mère se rendait immédiatement sur place et tentait vers 16H40 de joindre téléphoniquement le Docteur X..., médecin généraliste mentionné dans la presse comme médecin de garde.
En l'absence de réponse comme de message et de renvoi sur un autre médecin, la famille appelait les sapeurs pompiers qui parvenaient au domicile vers 17H05 et sollicitaient l'intervention d'un médecin urgentiste du SMUR. Arrivé au domicile de Madame E... vers 17H55, celui-ci constatait peu après le décès de Madame E....
Par exploit du 30 décembre 2003, Madame Marie Pascale Y... agissant en son nom personnel et en qualité d'administratrice légale de ses trois enfants mineurs, Thibaud, Robin et Manon, faisait assigner M. X... devant le Tribunal de Grande Instance d'ALES au visa des articles 1382 et 1383 du Code Civil,77 et 78 du Code de Déontologie médicale, aux fins de voir :
" Dire et juger que le Dr X... a commis une faute professionnelle d'imprudence ou de négligence, et d'avoir par cette faute privé dans le cadre de l'urgence vitale Mme Paule E... des soins nécessités par son état,
Dire et juger que Madame Paule E... n'a pas bénéficié du fait de l'absence du médecin de garde en l'occurrence le Docteur X... des soins appropriés de la science médicale, que cette faute professionnelle a privé Madame E... d'une chance de guérison et de survie,
Voir condamner le Docteur X... au titre du préjudice matériel à lui payer la somme de 1. 324,34 € + 85 € de frais d'obsèques,
Voir condamner le Docteur X... à lui payer la somme de 30. 489,80 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
Condamner le Dr X... à lui payer en sa qualité d'administratrice légale de ses enfants mineurs la somme de 762,25 € x3 = 2. 286,75 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral suite au décès de leur grand-mère,
Condamner le Dr X... à lui régler tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administratrice légale de ses enfants mineurs la somme de 1. 800 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
Condamner le Docteur X... aux entiers dépens ".
Par jugement en date du 15 décembre 2004, le Tribunal de Grande Instance d'ALES a dit que Monsieur X... était responsable au titre d'une perte de chance de survie de Mme Paule E... et l'a condamné à payer au titre de l'indemnisation de cette perte de chance la somme de 762,25 € à chacun des trois petits enfants de Mme E..., Thibaud, Robin et Manon pris en la personne de Mme A... épouse Y... en sa qualité d'administratrice légale ainsi que la somme de 12. 000 € à cette dernière en son nom personnel outre une somme de 1. 000 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Monsieur X... a été condamné aux dépens.
Il a régulièrement relevé appel de cette décision.
Pour l'exposé du détail des prétentions et moyens des parties devant la Cour, il est expressément fait référence, tenant la révocation de la clôture et la nouvelle clôture prononcée à l'audience du 5 juin 2007, aux conclusions récapitulatives signifiées :
-le 3 octobre 2005 pour Monsieur X...,
-le 4 juin 2007 pour Mme Y... à titre personnel et en qualité d'administratrice légale de sa fille mineure, Messieurs Robin et Thibaud Y... devenus majeurs intervenant volontairement à l'instance.
Monsieur X... conclut à la réformation du jugement entrepris aux motifs que le fait qui lui est imputé n'est pas la cause adéquate du préjudice souffert par Madame Y... et que les coupures électriques ayant effacé le message de renvoi au 15 sur son répondeur constituent une cause étrangère exonératoire de toute responsabilité. Il sollicite reconventionnellement l'allocation d'un Euro en réparation de son préjudice moral pour abus de droit d'agir en justice. A titre subsidiaire, il entend voir ramener son obligation d'indemnisation au quart des sommes allouées par le Tribunal et demande condamnation des intimés à lui payer une somme de 1. 500 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Les intimés concluent à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit Monsieur X... responsable en raison de sa faute et l'a condamné à réparation. Formant appel incident du chef du montant des dommages et intérêts, ils sollicitent l'allocation des sommes suivantes, outre celle de 1. 800 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :
-à Mme A... épouse Y... :
* 1. 324,34 € + 85 € au titre du préjudice matériel,
* 30. 489,80 € au titre du préjudice moral,
* 7. 000 € en réparation du préjudice moral subi par sa fille mineure Manon dont elle est l'administratrice légale,
-à Messieurs Robin et Thibaud Y... 7. 000 € pour chacun d'eux en réparation de leur préjudice moral.
Comme précédemment indiqué, avant le déroulement des débats, l'ordonnance de clôture rendue le 11 mai 2007 a été révoquée à la demande des intimés et avec l'accord de l'appelant, Robin et Thibaud Y... étant devenus majeurs en cours d'instance et la procédure a été à nouveau clôturée.
MOTIFS :
Sur la responsabilité
Attendu qu'il est établi et non contesté que le Docteur X..., mentionné comme médecin de garde dans la presse et auprès des pompiers, a été contacté téléphoniquement à plusieurs reprises par la famille de Madame E... dès la survenance du malaise de celle-ci ; qu'il n'a pu être joint sans qu'aucun message de renvoi sur le 15 ou un autre médecin ne soit diffusé par son répondeur ;
Attendu que les pièces produites démontrent que le Dr X... était inscrit sur le tableau des gardes du 1er janvier 2003 établi depuis un an pour l'année 2002 et diffusé au Conseil Départemental de l'Ordre comme aux services de secours, à la Gendarmerie et au journal local ; qu'il n'y a eu aucun avis de modification alors qu'au mois de décembre cette permanence a été rappelée au Dr X... ; que le même jour du 1er janvier 2003, une autre personne, Monsieur G... dont la fille était tombée de cheval, a d'ailleurs été informé par les pompiers que le médecin de garde était le Dr X... lequel n'a pu être joint à son numéro de téléphone ainsi qu'il ressort de l'attestation versée aux débats ;
Attendu que le 17 décembre 2002, les six médecins du secteur géographique concerné ont décidé de ne plus communiquer de noms au Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins afin de déclencher des réquisitions préfectorales ; que cette décision visait à alerter les pouvoirs publics sur les difficultés rencontrées par les praticiens pour mettre en oeuvre le service de garde notamment en milieu rural où la diminution constante du nombre de médecins généralistes se conjugue à une demande médicale sans cesse plus forte ; qu'au cours de cette réunion, le Docteur X... a exprimé son refus de prendre la garde du 1er janvier 2003 ayant déjà précédemment assumé celle du 1er janvier 2000 et a proposé de prendre celle du week-end du 28 et 29 décembre 2002 ; que son associé, le Docteur H..., a accepté d'intervenir le 1er janvier 2003 mais uniquement sur réquisition ;
Attendu que le Docteur H... a effectivement informé la gendarmerie et la pharmacie qu'elle serait à disposition pour les " vraies " urgences ; qu'elle était ce jour là de permanence comme médecin pompier " AKIM " mais n'a pas été avisée par les pompiers du malaise de Madame E... malgré la demande du SMUR ;
Attendu que sans ignorer les réelles difficultés rencontrées par les médecins généralistes en milieu rural pour mettre en oeuvre le service des gardes sans relais extérieur ni contester la disponibilité dont le Docteur X... avait toujours fait preuve précédemment, il importe de relever que ce dernier s'est abstenu d'informer directement le 15 comme les services de secours du changement de garde, de la possibilité de joindre le Docteur H... et de vérifier que le Conseil de l'Ordre avait été avisé d'une modification du tableau transmis en début 2002, ce qui n'était pas le cas ; que ni l'absence de transmission du nouveau tableau à cette instance ordinale avant le 1er janvier 2003 alors que la nouvelle organisation concernait l'année 2003 sans comprendre la garde du 1er janvier qui était incluse dans le tableau 2002 et affectée au Docteur X... ni le fait pour les pompiers de ne pas avoir avisé le Docteur H... médecin pompier de garde ne sont susceptibles d'exonérer le Docteur X... de la responsabilité de ses propres carences, étant tenu de respecter l'obligation déontologique majeure de continuité des soins et de prendre toutes dispositions pour s'assurer que les patients et services concernés étaient clairement avisés du nom et coordonnées téléphoniques du médecin le remplaçant pour la garde du 1er janvier 2003 comme retenu par le Tribunal aux termes de motifs précis et pertinents ; qu'en l'absence de remplacement volontaire, le processus de réquisition aurait été déclenché ; que le Docteur X... a considéré que l'annonce de son refus d'assumer la garde du 1er janvier 2003 exprimé au cours de la réunion du 17 décembre 2002 suffisait à l'en dispenser sans s'inquiéter de l'information du Conseil de l'Ordre ni des services d'urgence ni même de l'effectivité de son remplacement alors que son associé avait expressément limité sa disponibilité aux cas de réquisition ;
Attendu qu'en admettant la réalité de coupures du courant ayant empêché certains répondeurs de fonctionner, ce fait pouvait facilement être évité par le Docteur X... par l'équipement de son répondeur d'un ondulateur couramment vendu dans le commerce ; que le Tribunal a à bon droit considéré que cet événement ni imprévisible ni irrésistible ne pouvait constituer une force majeure ;
Attendu que contrairement aux assertions du Docteur X..., sa propre faute est en lien de causalité direct et certain avec la perte de chance de survie de Madame E... victime d'un infarctus du myocarde compte tenu de ce que le médecin de garde aurait pu donner dans un temps très proche du malaise les premiers soins et que cette rapidité d'intervention est essentielle dans ce type de pathologie ; qu'en l'absence de toute information sur le nom du médecin de garde, la famille a essayé à plusieurs reprises d'appeler le Docteur X... puis a dû prévenir les pompiers ce qui a généré une perte de temps dans la délivrance des premiers soins ; que si les pompiers ont omis d'aviser le Docteur H..., la faute du Docteur X... est la seule cause directe de la perte de la chance pour Madame E... de recevoir des soins adaptés dès l'appel de sa famille soit dix minutes à peine après la survenance du malaise ; que cette patiente a ainsi été privée de l'assistance médicale de proximité que le médecin de garde aurait apporté dans l'attente du SMUR et donc d'une chance de survie ;
Sur le préjudice
Attendu que la réparation de perte de chance correspond à une fraction des préjudices subis et non à l'intégralité de ceux-ci ; que tenant la nature du malaise, la proximité dans le temps du premier appel du Docteur X... par la famille, l'âge de la patiente, cette fraction sera fixée à 50 % ; que l'indemnisation du préjudice moral de chacun des petits enfants doit être évaluée à 1. 525 euros soit une somme de 762,25 euros revenant à chacun d'eux au titre de la perte de chance ;
Attendu que les frais d'obsèques se sont élevés à 1. 409,24 € et qu'il revient donc à ce titre à Mme Y... la moitié de cette somme ; que tenant le préjudice moral éprouvé par celle-ci en raison de la perte de chance de survie de sa mère, telle qu'évaluée par la Cour, la somme de 12. 000 € allouée par le Tribunal au titre des préjudices matériel et moral sera confirmée, observation étant faite que l'impossibilité d'avoir pu faire venir un médecin auprès de sa mère dès la survenance du malaise ajoute à la douleur morale et génère un sentiment de culpabilité qui est pris en compte dans la réparation du dommage ;
Attendu que le jugement déféré sera donc confirmé ;
Attendu que M. X... succombe en son recours ; que ses demandes en dommages et intérêts et en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile sont en voie de rejet ; qu'il supportera les dépens ;
Attendu que l'équité justifie d'allouer aux intimés la somme supplémentaire de 1. 500 € au titre des frais irrépétibles que l'appel de Monsieur X... les a contraints à exposer ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Dit l'appel régulier et recevable en la forme ;
Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant ;
Condamne Monsieur X... à payer aux intimés la somme supplémentaire de 1. 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Le condamne aux dépens qui seront distraits au profit de la SCP POMIES-RICHAUD-VAJOU, avoués associés, sur leurs affirmations de droit ;
Arrêt signé par M. BOUYSSIC, Président et par Mme VILLALBA, Greffier.