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19/11/2007 | FRANCE | N°04/01913

France | France, Cour d'appel de Nancy, 19 novembre 2007, 04/01913


COUR D'APPEL DE NANCY
première chambre civile ARRÊT No 2627/07 DU 19 NOVEMBRE 2007

Numéro d'inscription au répertoire général : 04/01913

Décision déférée à la Cour : jugement du Tribunal de Grande Instance de NANCY, R.G.no 03/01770, en date du 29 mars 2004,

APPELANTES :
S.A. EXEL INDUSTRIES représenté par son Directeur Général pour ce, domicilié au siège social,
dont le siège est 54 rue Marcel Paul - 51200 EPERNAY
SA BERTHOUD AGRICOLE,
dont le siège est 1 rue de l'Industrie - 69220 BELLEVILLE
représentée par la SCP CHARDON & NAVREZ

, avoués à la Cour
assistées de Me Dariusz SZLEPER, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :
SAS BOBARD JEU...

COUR D'APPEL DE NANCY
première chambre civile ARRÊT No 2627/07 DU 19 NOVEMBRE 2007

Numéro d'inscription au répertoire général : 04/01913

Décision déférée à la Cour : jugement du Tribunal de Grande Instance de NANCY, R.G.no 03/01770, en date du 29 mars 2004,

APPELANTES :
S.A. EXEL INDUSTRIES représenté par son Directeur Général pour ce, domicilié au siège social,
dont le siège est 54 rue Marcel Paul - 51200 EPERNAY
SA BERTHOUD AGRICOLE,
dont le siège est 1 rue de l'Industrie - 69220 BELLEVILLE
représentée par la SCP CHARDON & NAVREZ, avoués à la Cour
assistées de Me Dariusz SZLEPER, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :
SAS BOBARD JEUNE,
dont le siège est 19 rue de Réon - 21200 BEAUNE
représentée par la SCP MILLOT-LOGIER & FONTAINE, avoués à la Cour
assistée de Me PARAY, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 Octobre 2007, en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Guy DORY, Président de Chambre, en son rapport,
Monsieur Gérard SCHAMBER, Conseiller,
Madame Pascale TOMASINI- KRIER , Conseiller,
qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Laïla CHOUIEB ;

ARRÊT : contradictoire, prononcé à l'audience publique du 19 NOVEMBRE 2007 date indiquée à l'issue des débats, par Monsieur DORY, Président, conformément à l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
signé par Monsieur Guy DORY, Président, et par Mademoiselle Laïla CHOUIEB , greffier présent lors du prononcé ;

FAITS ET PROCÉDURE :

Selon acte du 22 juin 1994, inscrit au Registre National des Brevets le 4 novembre 1994, la SA EXEL INDUSTRIES, alors dénommée TECNOMA, a acquis de Messieurs Alain et Dominique Z... le brevet français no8022094 déposé le 10 octobre 1980 par la SA Z... pour une machine à vendanger et dont la licence exclusive avait le 13 mai 1981 été concédé à la SA ETABLISSEMENT LEON LOISEAU ;

Selon procès-verbal de saisie contrefaçon dressé le 2 décembre 1994 par Maître A..., huissier de justice à BORDEAUX, la SA TECNOMA a fait procéder à la description avec prise de clichés photographiques, du système de vibreurs équipant deux machines à vendanger présentées par la SA BOBARD JEUNE dans un salon professionnel s'étant tenu au parc des expositions de BORDEAUX et a fait saisir trois exemplaires des prospectus concernant les machines en cause ;

Para acte du 16 décembre 1994, la SA TECNOMA et la SA BERTHOUD AGRICOLE, nouvelle dénomination de la SA ETABLISSEMENT LEON LOISEAU, ont attrait la SA BOBARD JEUNE devant le Tribunal de Grande Instance de NANCY auquel elles ont demandé :
- de dire et juger que les machines à vendanger de la SA BOBARD JEUNE faisant l'objet du procès-verbal susvisé constituaient des contrefaçons des revendications du brevet no8022094,
- de dire et juger qu'il résultait du procès-verbal en cause que la SA BOBARD JEUNE commettait des actes de contrefaçon du brevet précité en application de l'article L 615-1 du Code de la Propriété Intellectuelle,
- d'interdire la SA BOBARD JEUNE de fabriquer, faire fabriquer, importer, commercialiser et détenir en vue de la commercialisation les machines à vendanger en cause et ce sous astreinte de 100.000 F par infraction commise à compter de la signification du jugement,
- d'ordonner la confiscation en vue de leur destruction, aux frais de la défenderesse, des machines à vendanger contrefaites,
- d'ordonner la confiscation en vue de leur destruction de tous les documents publicitaires et commerciaux détenus au jour du jugement par la société BOBARD et sur lesquels figurait la représentation des machines contrefaites,
- de condamner la SA BOBARD JEUNE à payer à chacune d'entre elles une indemnité provisionnelle de 500.000 F en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon,
- d'ordonner une expertise aux fins de déterminer ledit préjudice,
- d'ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux de leur choix aux frais de la SA BOBARD JEUNE,
- d'ordonner l'exécution provisoire,
- de condamner la SA BOBARD JEUNE à payer à chacune d'entre elles une indemnité pour frais irrépétibles de 15.000 F,
- de condamner la SA BOBARD JEUNE aux dépens dont distraction au profit de Maître KROELL, avocat postulant ;

En réponse, la SA BOBARD JEUNE a pour sa part demandé à la juridiction :
- de déclarer nuls tant l'assignation lui ayant été délivrée que le procès-verbal de saisie contrefaçon du 2 décembre 1994,
- de dire et juger que les revendications no1 et 2 du brevet 8022094 étaient nulles pour défaut de nouveauté, ou à tout le moins d'activité inventive, compte tenu des brevets antérieurs HALLY et CALVET,
- de condamner les SA EXEL INDUSTRIES et BERTHOUD in solidum à lui payer 200.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui avaient causé l'action téméraire et les agissements fautifs des demanderesses,
- d'ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux de son choix au frais des sociétés demanderesses,
- d'ordonner l'exécution provisoire,
- de condamner in solidum les sociétés EXEL INDUSTRIES et BERTHOUD AGRICOLE à lui payer 30.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- de condamner la SA EXEL INDUSTRIES ET BERTHOUD AGRICOLE aux dépens dont distraction au profit de Maître VILLEMIN ;

Par écritures du 8 décembre 1998 les SA EXEL INDUSTRIES et BERTHOUD AGRICOLE, exposant que par jugement du 25 novembre 1997 le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX avait déclaré nul pour défaut de nouveauté le brevet 8022094 et qu'un recours contre cette décision se trouvait pendant devant la Cour d'Appel de BORDEAUX, ont sollicité que soit ordonné le sursis à statuer jusqu'à décision de cette juridiction ;

La SA BOBARD JEUNE, se désistant de sa demande en nullité du brevet 8022094 et indiquant que le débat se trouvait limité à l'existence de la contrefaçon alléguée, s'est opposée à cette demande ;

Par jugement du 14 février 2000, le Tribunal de Grande Instance de NANCY relevant que par application de l'article L 613-27 du Code de la Propriété Intellectuelle la décision d'annulation prise le 25 novembre 1997 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX avait un effet absolu et opposable "erga omnes", a sursis à statuer jusqu'à arrêt de la Cour d'Appel pouvant conditionner le sort de l'action principale en contrefaçon ;

Le 27 mars 2001, la Cour de BORDEAUX, infirmant sur ce seul point la décision du Tribunal de Grande Instance de cette ville, a rejeté la demande dont elle était saisie aux fins d'annulation du brevet no8022094 ;

Par écritures du 24 mars 2001, les SA EXEL INDUSTRIES et BERTHOUD AGRICOLE ont repris l'instance, précisant que le brevet en cause étant expiré, l'interdiction initialement sollicitée ne pouvait plus être ordonnée et demandant en conséquence au tribunal :
- de dire et juger que les machines à vendanger de la SA BOBARD JEUNE portant les références 844 et 817 objets du procès-verbal de saisie du 2 décembre 1994 constituaient des contrefaçons des revendications no1 et 2 du brevet no8022094,
- de dire et juger que la SA BOBARD JEUNE avait commis des actes de contrefaçon du brevet et cela en application des dispositions de l'article L 615-1 du Code de la Propriété Intellectuelle,
- de condamner la SA BOBARD JEUNE à payer à chacune d'entre elles une indemnité provisionnelle de 75.000 € en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon,
- d'ordonner une expertise portant sur tous les faits de contrefaçon commis jusqu'à l'expiration du brevet 8022094 aux fins de déterminer ledit préjudice,
- d'ordonner la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux de leur choix aux frais de la SA BOBARD JEUNE,
- d'ordonner l'exécution provisoire,
- de condamner la SA BOBARD JEUNE à payer à chacune d'entre elles une indemnité pour frais irrépétibles de 20.000 €,
- de condamner la SA BOBARD JEUNE aux dépens dont distraction au profit de Maître KROELL, avocat postulant ;

Les parties se sont accordées pour limiter le débat, outre aux frais irrépétibles et aux dépens, à la contrefaçon et à ses conséquences, la SA BOBARD JEUNE reprenant sur ces points ses moyens antérieurs ;

Par jugement en date du 29 mars 2004 le Tribunal de Grande Instance de NANCY a :
- donné acte aux parties de leur accord pour limiter le débat à la contrefaçon et à ses conséquences,
- débouté les SA EXEL INDUSTRIES et BERTHOUD AGRICOLE de la totalité de leurs demandes,
- condamné les SA EXEL INDUSTRIES et BERTHOUD AGRICOLE aux dépens dont distraction au profit de Maître VILLEMIN, avocat aux offres de droit,
- débouté les SA EXEL INDUSTRIES et BERTHOUD AGRICOLE de leurs demandes en paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles,
- condamné les SA EXEL INDUSTRIES et BERTHOUD AGRICOLE in solidum à payer à la SA BOBARD JEUNE 4.500 € par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Le tribunal a considéré que la machine BOBARD présentait des différences significatives par rapport au brevet EXEL no8022094 ;

Que les secoueurs du système BOBARD qui réalisaient une boucle en épingle à cheveux pourvue d'extrémités coaxiales avaient une forme très différente de celle des secoueurs du brevet EXEL ;

Que les secoueurs du système BOBARD étaient directement reliés à l'arbre moteur et qu'ils n'avaient pas de support intermédiaire entre l'arbre d'entraînement et les secoueurs, alors qu'il s'agissait d'une caractéristique de l'invention du brevet EXEL ;

Que les supports caractérisant l'invention du brevet EXEL n'étaient pas reproduits dans la machine BOBARD ;

Que la machine BOBARD ne constituait pas la contrefaçon par reproduction des caractéristiques des revendications 1 et 2 du brevet EXEL ;

D'autre part, le tribunal a également débouté la société EXEL INDUSTRIES de la demande en contrefaçon par équivalence ;

Le tribunal a notamment considéré que le fonctionnement des deux machines était différent dans la mesure où l'invention du brevet EXEL no8022094 était caractérisée par le fait que les batteurs étaient solidarisés chacun à un support rigide et qu'ils étaient de ce fait dépourvus d'indépendance les uns par rapport aux autres alors que les secoueurs du système BOBARD étaient conçus pour se déformer de manière autonome en fonction des obstacles rencontrés et qu'ils pouvaient s'adapter aux obstacles indépendamment les uns des autres ;

Que le dispositif BOBARD ne reproduisait pas la fonction du dispositif EXEL ;

Les sociétés EXEL et BERTHOUD AGRICOLE ont interjeté appel de cette décision par déclaration du 7 juin 2004 ;

A l'appui de leur recours, les appelantes font valoir que les machines à vendanger existant avant le brevet no8022094 délivré le 12 juin 1994, comportaient des fléaux aux extrémités libres et incontrôlées qui détérioraient le raisin, sans pouvoir pincer la vigne ;

Que l'invention suivant le brevet EXEL no8022094 a pour but de remédier à ces inconvénients ;

Qu'en effet, la structure de la machine brevetée, selon le brevet EXEL no8022094 est telle qu'elle empêche toute détérioration de la vendange et supprime tout effet de coup de fouet ;

Qu'en raison de la forme et du fonctionnement particulier du dispositif breveté, les pieds de vigne sont progressivement enserrés par des secoueurs (ou batteurs) qui restent en contact avec le pied de vigne et qui, grâce à un mouvement d'oscillation qui entraîne la vigne sur toute sa hauteur, permettent de faire tomber les fruits sans détériorer ni la vigne, ni la vendange ;

Que ce résultat est obtenu grâce à deux caractéristiques essentielles conjuguées de la machine brevetée qui sont :
- d'une part, la structure particulière des batteurs qui comportent une partie inclinée de l'extérieur vers l'intérieur de la machine qui, au fur et à mesure de l'avancement de la machine à vendanger, enserre progressivement les pieds de vigne, et une partie sensiblement parallèle à l'axe de la machine qui pince temporairement les pieds de vigne avant de les libérer après secouage,
- d'autre part le fait que le dispositif breveté comprend deux séries de batteurs disposées respectivement sur deux supports maintenus parallèles et animés d'un mouvement oscillant dans le même sens de part et d'autre de leur position intermédiaire dans laquelle ils sont parallèles à l'axe longitudinal de la machine ;

Les appelantes rappellent que la revendication 1 du brevet EXEL no8022094 couvre "une machine à vendanger, du type comportant un châssis enjambeur équipé d'au moins deux supports disposés de part et d'autre d'un plan médian longitudinal de l'appareil, dont chacun est articulé autour d'un axe vertical situé à proximité de l'une de ses extrémités et porte une série de batteurs parallèles disposés dans des plans horizontaux, caractérisée :
- en ce que chaque batteur est constitué par une tige dont les deux extrémités sont fixées sur le support, chaque batteur présentant de l'avant vers l'arrière une partie inclinée de l'extérieur vers l'intérieur de la machine, une partie sensiblement parallèle à l'axe de la machine, et une partie postérieure de raccordement au support sensiblement perpendiculaire à l'axe de la machine,
- les deux supports étant maintenus parallèles et animés d'un mouvement oscillant de part et d'autre de la position intermédiaire dans laquelle ils sont parallèles à l'axe de la machine" ;

Elles font valoir que la revendication 1 du brevet no8022094 a une portée tout à fait générale ;

Qu'elle ne se limite nullement à une machine à vendanger, suivant les dessins du brevet ;

Qu'en effet, si la description illustre la machine suivant la revendication 1 du brevet no8022094 par des exemples précis permettant de réaliser une telle machine, la portée de la revendication n'est nullement limitée au nombre ou à la forme particulière des supports ou des batteurs présentés dans les dessins ;

Que par conséquent, la revendication 1 couvre non seulement des machines ayant la forme identique à celles des dessins du brevet no8022094 mais également toute autre machine à vendanger qui reproduirait les caractéristiques et le fonctionnement innovant du brevet EXEL no8022094 ;

Qu'ainsi, la revendication 1 du brevet EXEL no8022094 couvre toute machine à vendanger comportant un châssis enjambeur équipé de deux séries de batteurs parallèles dont les extrémités sont reliées sur le même support (et dont l'une des extrémités n'est donc pas libre), et dont le profil est conformé de telle sorte qu'il comporte une partie parallèle à l'axe de la machine qui permet de pincer temporairement la vigne qui est entraînée dans un mouvement d'oscillation provoqué par le mouvement des supports ;

Que le brevet no8022094 appartient donc à la famille des solutions privilégiant la souplesse contrôlée, selon la classification proposée par la société BOBARD JEUNE ;

Que d'ailleurs l'antériorité HALLY n'a pas été jugée pertinente pour affecter la brevetabilité de l'invention faisant l'objet du brevet EXEL ;

Les appelantes soulignent aussi que la revendication 2 du brevet no8022094 qui se réfère à la revendication 1, ajoute à la machine à vendanger la caractéristique selon laquelle la largeur de chaque batteur c'est-à-dire la distance dont il fait saillie de son support en direction du centre de la machine, correspond sensiblement à la moitié de la distance entre les deux supports ;

Que cette caractéristique permet de pincer ou en serrer de manière symétrique le pied de vigne par les deux batteurs, ces deux batteurs ayant des dimensions équivalentes et laissant peu de place pour le pied de vigne ;

Que d'ailleurs cette caractéristique démontre que les batteurs sont nécessairement élastiques car ils sont destinés à pincer des pieds de vigne de différentes épaisseurs, ce qui implique qu'ils doivent se déformer individuellement plus ou moins en fonction de ces différentes épaisseurs ;

Elles précisent qu'il résulte tant de la saisie-contrefaçon du 2 décembre 1994, que du procès-verbal de constat du 22 septembre 2004, que la machine à vendanger BOBARD comporte une tête de récolte équipée des deux arbres pivotants sur lesquels sont montés deux séries de secoueurs parallèles ;

Que ces secoueurs travaillent par oscillation en pinçant la vigne sur toute sa hauteur ;

Que l'oscillation des secoueurs a pour effet de faire tomber les raisins sur le tapis de récolte ;

Elles soulignent d'autre part que chaque brevet constitue un titre indépendant et que le brevet français de la société EXEL INDUSTRIES, dont la validité n'est pas contestée par la société BOBARD, ne peut être interprété à la lumière d'un autre titre pouvant appartenir à la société EXEL INDUSTRIES, comme l'a fait à tort le tribunal de NANCY dans son jugement du 29 mars 2004 se référant à la procédure européenne d'un brevet de la société EXEL INDUSTRIES correspondant au brevet no8022094 ;

Que la contrefaçon consiste dans la reproduction des caractéristiques essentielles d'une invention brevetée ;

Qu'elle peut être également réalisée par identité des fonctions ;

Qu'il s'agit alors d'une contrefaçon par équivalence ;

Qu'en effet, un moyen de forme différente peut constituer la contrefaçon d'un brevet lorsqu'il remplit la même fonction que le moyen breveté en vue d'obtenir le même résultat ou un résultat de même nature ;

Que la contrefaçon par équivalence existe même lorsque le brevet ne revendique pas expressément une fonction ;

Qu'il suffit pour fonder une demande en contrefaçon par équivalence que le moyen protégé par le brevet exerce une fonction technique et que cette fonction soit nouvelle ;

Les appelantes font valoir que les machines BOBARD arguées de contrefaçon constituent la contrefaçon de la revendication 1 du brevet EXEL no8022094 ;

Qu'en effet, les machines BOBARD qui comportent un châssis enjambeur, comportent, comme les machines brevetées, deux séries de secoueurs (ou batteurs) dont chacun est constitué par une tige dont les deux extrémités sont fixées sur un support ;

Que chaque secoueur présente, de l'avant vers l'arrière, une partie inclinée de l'extérieur vers l'intérieur de la machine, une partie sensiblement parallèle à l'axe de la machine et une partie postérieure de raccordement au support sensiblement perpendiculaire à l'axe de la machine ;

Que les deux séries de batteurs (ou secoueurs) sont maintenus parallèles et animés d'un mouvement oscillant de part et d'autre de leur positon intermédiaire dans laquelle ils sont parallèles à l'axe de la machine ;

Elles soutiennent que les prétendues différences de forme sont inopérantes et ne permettent pas de supprimer le grief de contrefaçon ;

Que le fait que le batteur (ou secoueur) BOBARD ait la forme d'une épingle à cheveux, ne supprime pas la contrefaçon ;

Que ce batteur a une forme qui comporte, comme le batteur du brevet EXEL, trois parties permettant progressivement d'enserrer le pied de vigne pour le maintenir ensuite temporairement pincé dans un mouvement de secouage et que dans leur troisième partie, ces batteurs reviennent vers le support ;

Que les secoueurs tant du brevet EXEL que de la machine BOBARD présentent une partie active sensiblement parallèle à l'axe de la machine ;

Que c'est cette partie active qui va enserrer le pied de vigne et l'entraîner dans un mouvement d'oscillation en faisant ainsi tomber le raisin sur le tapis de récolte ;

Qu'ainsi la machine BOBARD reproduit la caractéristique essentielle du système EXEL pour obtenir le même résultat que celui recherché par le brevet EXEL ;

Que la rigidité du support n'a aucune incidence sur le comportement élastique individuel de chaque batteur ;

Que non seulement il résulte de la description du brevet EXEL, que les batteurs peuvent être réalisés en un matériau souple ou élastique car le brevet cite comme exemple des matériaux dans lesquels sont réalisés les secoueurs - les cordes à piano - qui sont nécessairement élastiques, mais qu'en outre, il résulte du procès-verbal de constat de Maître D... opéré sur la machine LOISEAU mettant en oeuvre l'enseignement du brevet no8022094 que malgré la rigidité du cadre de support, les batteurs de la machine brevetée sont flexibles et élastiques ;

Les appelantes considèrent que malgré les prétendues différences de forme, la machine BOBARD fonctionne comme la machine du brevet EXEL, et qu'elle permet d'obtenir le même résultat ;

Qu'en effet, toutes les caractéristiques de la revendication 1 du brevet EXEL se retrouvent sur le dispositif de la société BOBARD JEUNE ;

Que dans ces conditions, la demande en contrefaçon est fondée ;

Elles ajoutent que la thèse selon laquelle les tiges des batteurs des machines BOBARD seraient flexibles et souples est contraire à la réalité des faits ;

Attendu tout d'abord qu'il résulte des constatations opérées par Maître D..., huissier de justice, et qui ne sont pas contestées par la société BOBARD JEUNE, que les tiges des machines BOBARD sont rigides ;

Que non seulement ces tiges présentent un diamètre important et sont réalisées en inox mais encore elles comportent un gainage en plastique qui renforce leur rigidité ;

Que c'est également à tort que la société BOBARD JEUNE prétend que sa machine ne constituerait pas la contrefaçon du brevet EXEL au motif que ses tiges auraient une forme différente des tiges de la machine EXEL ;

Que rien dans le brevet EXEL ne permet de limiter la portée de la revendication 1 à une forme particulière de la tige du batteur ;

Elles font valoir qu'il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 2 décembre 1994 et du procès-verbal de Maître D... du 22 septembre 2004, que les batteurs (ou secoueurs) des machines BOBARD ont une largeur correspondant sensiblement à la moitié de la distance entre les deux supports ;

Il est finalement demandé à la Cour de :
- déclarer irrecevables et en tout cas non fondées toutes les demandes, fins et conclusions de la société BOBARD JEUNE, l'en débouter,
- déclarer bien fondées et recevables les sociétés EXEL INDUSTRIES et BERTHOUD AGRICOLE en leur appel,
- en conséquence,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Grande Instance de NANCY du 29 mars 2004,
- dire et juger que les machines à vendanger de la société BOBARD JEUNE faisant l'objet du procès-verbal de la saisie contrefaçon du 2 décembre 1994 opérée par Maître A..., huissier de justice à BORDEAUX et portant la référence 844 et 817, constituent la contrefaçon des revendications 1 et 2 du brevet 8022094 du 10 octobre 1980,
- dire et juger que la société BOBARD JEUNE a commis des actes de contrefaçon de brevet 8022094 et cela en application des dispositions de l'article L 615-1 du Code de la Propriété Intellectuelle,
- en conséquence,
- condamner la société BOBARD JEUNE à payer à chacune des demanderesses, une indemnité provisionnelle de 75.000 € en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon et ordonner une expertise afin de donner au tribunal tous les éléments nécessaires pour apprécier le préjudice subi par les sociétés demanderesses et dire que l'expertise portera sur tous les faits de contrefaçon commis jusqu'à la date de l'expiration du brevet 8022094,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux au choix des appelantes et aux frais de la société BOBARD JEUNE,
- condamner la société BOBARD JEUNE à payer à chacune des sociétés appelantes une indemnité de 30.000 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- condamner les sociétés appelantes en tous les dépens qui comprendront notamment les frais de saisies contrefaçons et qui pourront être recouvrées directement par la SCP CHARDON & NAVREZ, avoués associés à la Cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

La SAS BOBARD JEUNE répond que les machines à vendanger relèvent de deux courantes techniques :
- le premier préconisant de rigidifier le système de secouage afin d'éviter les mouvements "coups de fouet",
- le second privilégiant au contraire le maintien de la souplesse initiale mais en tentant de la contrôler ;

Qu'il existence donc deux familles de machines à vendanger :
- celles dont les organes de secouage sont statiques et fixés sur des panneaux oscillants ou supportés eux mêmes rigides,
- celles dont les organes de secouage sont indépendants et animés chacun d'un mouvement alternatif ;

Que le brevet Z... appartient à la première famille, le brevet BOBARD appartenant à la seconde ; l'intimée explique encore que la solution brevetée par Z... consistait à remplacer les types de secouage à extrémité libre dont il déplorait l'effet coup de fouet, par des organes de secouage formés de trois moyens :
- les supports,
- les axes,
- les batteurs ;

Que le système de secouage BOBARD comporte comme toute machine à vendanger un châssis enjambeur ;

Que les éléments de secouage sont, en revanche, constitués par des tiges flexibles en forme d'épingle à cheveux ;

Que chaque tige flexible est indépendante et elle est reliée à un axe vertical commun ;

Que la liaison entre la première extrémité est réalisée par un manchon solidaire de l'axe vertical ;

Que la livraison entre la deuxième extrémité est réalisée par un deuxième support articulé pouvant pivoter par rapport à l'axe vertical ; un ressort exerce une force de rappel tendant à "ouvrir la boucle" des secoueurs au repos ;

Que le système BOBARD fonctionne sur le principe des tiges souples qui est précisément celui que Z... voulait éviter ;

La société BOBARD ajoute qu'afin d'interpréter la teneur de cette revendication principale 1 et la faire comprendre, Z... l'a illustrée de dessins dont l'examen permet de constater que le support sensiblement vertical et longitudinal doit, pour remplir sa fonction, nécessairement adopter une forme spécifique ; celle d'avoir une longueur au moins égale à celle du batteur qui est fixé à chacune de ses extrémités ;

Que le support assure ainsi deux fonctions essentielles dans le brevet Z... ;

Qu'il supporte les batteurs qui sont fixés solidement à chacune de ses extrémités sans degré de liberté, cette construction rigide étant censée empêcher les mouvements de "coup de fouet" des secoueurs à extrémité libre ;

Qu'il transmet à la végétation les mouvements d'oscillation par l'intermédiaire des batteurs ;

Qu'il est ainsi clairement démontré que le brevet Z... caractérisé par sa revendication principale 1 présente un système de secouage rigide et monobloc par la présence des supports venant enserrer les batteurs à chacune de leurs extrémités pour éviter des mouvements anarchiques en tête de récolte ;

L'intimée répond encore qu'il est d'une part constant que le système breveté par elle ne comporte pas de support au sens de la revendication 1 du brevet Z... ; que dans son invention, chaque secoueur est indépendant et relié à l'une de ses extrémités à l'arbre moteur par une bride souple articulée par un ressort de rappel et à l'autre par un manchon en inox ; que la partie articulée est celle qui est en contact avec la végétation tandis que la partie opposée reste fixe ; que le système de secouage BOBARD fonctionne ainsi totalement différemment du système Z... en ce que chaque secoueur, animé par un entraînement double (l'arbre moteur et la bride articulée) s'adapte à la configuration de la végétation du fait précisément que la partie souple peut l'être dans les deux directions ; qu'il n'est donc nullement question dans ce cas d'un support sensiblement vertical et horizontal portant une série de batteurs puisque dans l'invention BOBARD chaque secoueur est autonome parce qu'il n'est pas partie intégrante d'un ensemble rigide ;

L'intimée considère que la contrefaçon s'analysant d'après les ressemblances, force est de constater à l'examen des deux systèmes de secouage qu'ils n'ont rien de commun, ni dans leur forme, ni dans leur fonction et leur fonctionnement ;

Il est finalement demandé à la Cour de :
- déclarer mal fondées en leur appel les sociétés EXEL INDUSTRIES brevetée et BERTHOUD AGRICOLE licenciée,
- les en débouter,
- confirmer purement et simplement le jugement déféré,
- faisant droit en revanche à l'appel incident de la concluante,
- s'entendre les sociétés EXEL INDUSTRIES et BERTHOUD AGRICOLE solidairement condamnées à lui payer la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure manifestement abusive et dilatoire, ainsi qu'une indemnité de 7.000 e sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- s'entendre en outre les sus-nommées condamner aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP MILLOT - LOGIER & FONTAINE, avoués associés à la Cour, sur ses affirmations de droit ;

SUR CE :

Attendu que les revendications no1 et no2 du brevet des appelantes sont les suivantes :
"1- machine à vendanger, du type comportant un châssis enjmabeur équipé d'au moins deux supports disposés de part et d'autre d'un plan médian longitudinal de l'appareil, dont chacun est articulé autour d'un axe vertical situé à proximité de l'une de ses extrémités et porte une série de batteurs parallèles, disposés dans des plans horizontaux, caractérisée en ce que chaque batteur est constitué par une tige dont les deux extrémités sont fixées sur le support, chaque batteur présentant, de l'avant vers l'arrière, une partie inclinée de l'extérieur vers l'intérieur de la machine, une partie sensiblement parallèle à l'axe de la machine et une partie postérieure de raccordement au support sensiblement perpendiculaire à l'axe médian, les deux supports étant maintenus parallèles et animés d'un mouvement oscillant de part et d'autre de leur position intermédiaire dans laquelle ils sont parallèles à l'axe de la machine.
2- machine selon la revendication 1, caractérisée en ce que la largeur de chaque batteur, c'est-à-dire la distance dont il fait saillie de son support en direction du centre de la machine, correspond sensiblement à la moitié de la distance entre les deux supports."

Attendu qu'il convient tout d'abord de relever que l'ensemble des machines à "vendanger" actuellement sur le marché sont constituées d'un châssis enjambeur, permettant une circulation entre les pieds de vigne ; qu'il peut être relevé que le brevet no7231354 déposé le 5 septembre 1972 par la société américaine UP RIGH fait mention d'arbres mécaniques verticaux oscillants, que le brevet déposé le 14 novembre 1972 par la société américaine CHISHOLM RYDER COMPANY, décrit également une machine comprenant des bras auxquels sont imprimés un mouvement alternatif transversalement aux plans ; que le brevet HALLY no7302323 met également en oeuvre un mouvement alternatif dans une direction essentiellement transversale à la direction de mouvement de la machine ;

Que s'agissant de la contrefaçon alléguée, il apparaît que si le secouage alternatif (ou oscillant) est commun au brevet des appelantes et aux machines à vendanger, le dispositif de la société BOBARD met en oeuvre "des secoueurs, disposés symétriquement de part et d'autre de la rangée de végétation, chaque organe secoueur, animé d'un mouvement alternatif de va et vient, étant constitué par une tige repliée sur elle-même d'environ 180o en ayant une forme analogue à celle d'une épingle à cheveux, les deux branches de la tige ayant pratiquement la même longueur et leurs extrémités, disposées à l'avant, étant pratiquement côte à côte, la portion repliée étant située à l'arrière, caractérisé par le fait que lesdites extrémités de la tige sont reliées à l'arbre moteur, qui les entraîne, par des moyens tels que l'une est reliée de façon rigide audit arbre moteur, alors que l'autre y est reliée de façon souple" ;

Qu'il ressort de l'énoncé de l'ensemble de ces éléments techniques que le support décrit par le brevet des appelantes doit nécessairement avoir une longueur au moins égale à celle du batteur qui est fixé à chacune de ses extrémités ; que ce support transmet à la végétation les mouvements d'oscillation par l'intermédiaire des batteurs ; qu'au contraire, la machine de l'entreprise BOBARD est équipée de secoueurs indépendants, reliés l'une de leurs extrémités à l'arbre moteur par une bride souple articulée par un ressort de rappel et à l'autre par un manchon en inox ;

Qu'ainsi et comme le fait exactement valoir la société BOBARD, chaque secoueur est autonome et peut avoir un mouvement qui lui est propre indépendamment de celui de l'arbre moteur ;

Attendu que dans de telles conditions, et alors que la contrefaçon s'apprécie par les ressemblances, il ne peut être considéré que les revendications 1 et 2 du brevet des appelantes ont été reproduites par l'intimée ; que d'autre part et s'agissant de la contrefaçon par équivalence, celle-ci implique que, malgré la différence de la forme du moyen protégé et du moyen argué de contrefaçon, les fonctions de ceux-ci soient identiques en vue d'un même résultat ;

Que tel n'est pas spécialement le cas, alors que les dispositifs en cause, bien qu'ayant le même résultat, présentent des différences de structures telle qu'énoncées plus haut, et de fonctions, alors que dans un cas le support assure le maintient solidaire des batteurs, qui dans l'autre, peuvent développer des mouvements autonomes, tant entre eux que par rapport au support ;

Attendu qu'en définitive, il ya lieu de confirmer le jugement querellé ;

Attendu qu'eu égard aux circonstances de la cause, la procédure ne peut être qualifiée d'abusive et dilatoire et ouvrir droit à l'allocation de dommages et intérêts au profit de la SAS BOBARD JEUNE ,

Que succombant en leur action, la SA EXEL INDUSTRIE et SA BERTHOUD AGRICOLE seront condamnées aux dépens d'appel, outre le paiement à l'intimée de la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant en audience publique et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris ;

Dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts pour procédure abusive des appelants ;

Condamne in solidum la SA EXEL INDUSTRIES et la SA BERTHOUD AGRICOLE à payer à la SAS BOBARD JEUNE la somme de SIX MILLE EUROS (6.000 €) sur le fondement e l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Condamne les appelantes aux dépens d'appel qui pourront être directement recouvrés par la SCP MILLOT - LOGIER & FONTAINE, avoués associés à la Cour, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

L'arrêt a été prononcé à l'audience publique du dix neuf Novembre deux mille sept par Monsieur DORY, Président de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, conformément à l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile, assisté de Mademoiselle CHOUIEB, Greffier.

Et Monsieur le Président a signé le présent arrêt ainsi que le Greffier.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nancy
Numéro d'arrêt : 04/01913
Date de la décision : 19/11/2007
Sens de l'arrêt : Autre

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Nancy


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2007-11-19;04.01913 ?
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