ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 02 JUILLET 2024
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 22/05761 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PTQZ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 20 SEPTEMBRE 2022
TRIBUNAL DE COMMERCE DE RODEZ
N° RG 202000652
APPELANT :
Monsieur [B] [K]
né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représenté par Me Alexandre SALVIGNOL de la SARL SALVIGNOL & ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD MIDI PYRENEES Société coopérative à capital et personnel variable RCS 444 953 830 représentée par son représentant légal en exercice domicilié es-qualité au siège social
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 02 Mai 2024
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Mai 2024,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Thibault GRAFFIN, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Jacqueline SEBA
ARRET :
- contradictoire;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, Présidente de chambre, et par Mme Jacqueline SEBA, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 6 novembre 2013, la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord Midi-Pyrénées (la banque) a prêté la somme de 39'000 euros à la société Sud Protect.
M. [B] [K], président de la S.A.S. Sud Protect, s'est porté caution personnelle et solidaire dans la limite de la somme de 50'700 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et des éventuelles pénalités ou intérêts de retard.
Le 11 février 2014, la banque a consenti à la société Sud Protect un contrat de prêt de trésorerie d'un montant de 45'000 euros, et M. [K] s'est à nouveau porté caution dans la limite de la somme de 58'500 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et des éventuelles pénalités ou intérêts de retard.
Le 3 décembre 2014, la banque a prêté une somme de 65'000 euros à la société Sud Protect, M. [K] se portant caution dans la limite de la somme de 84'500 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et des éventuelles pénalités ou intérêts de retard.
À la date du 4 février 2020, le compte de dépôt à vue, support de l'ouverture de crédit en compte courant, présentait un solde débiteur de 74'577,62 euros.
Le 25 avril 2017, la société Sud Protect a été placée en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire le 8 octobre 2019 par le tribunal de commerce de Rodez.
Les 8 juin 2017 et 22 octobre 2019, la banque a déclaré ses créances au mandataire judiciaire de la procédure collective de la société Sud Protect.
Le 28 novembre 2019, M. [K] a été mis en demeure, en sa qualité de caution solidaire, de régler les échéances de retard dues par la société Sud Protect, sous dizaine, à peine de déchéance du terme.
Le 26 décembre 2019, la banque a notifié à M. [K] l'acquisition de la déchéance du terme des prêts souscrits par la société Sud Protect et a sollicité vainement la somme de 126'223,12 euros au titre de ses engagements de caution.
Par exploit d'huissier du 5 mars 2020, la banque a fait assigner M. [K] pour le voir condamner en paiement au titre de ses engagements de caution.
Par jugement contradictoire du 20 septembre 2022, le tribunal de commerce de Rodez a':
-dit que la banque peut se prévaloir de l'engagement de caution d'un montant en principal de 39 000 euros';
-condamné M. [B] [K] à payer la banque la somme de 14'079,49 euros avec intérêts aux taux conventionnel de 3% en sus à compter du 21 février 2020, date de l'arrêté du décompte, jusqu'au complet paiement';
-dit que la banque peut se prévaloir de l'engagement de caution d'un montant en principal de 65 000 euros';
-condamné M. [B] [K] à payer la banque la somme de 53'957,17 euros avec intérêts aux taux conventionnel de 3,15 % en sus à compter du 21 février 2020, date de l'arrêté du décompte, jusqu'au complet paiement';
-dit que la banque peut se prévaloir de l'engagement de caution au titre du compte de dépôt à vue n°44676811189 support de l'ouverture de crédit en compte courant n°00000059953 d'un montant de 45'000 euros';
-condamné M. [B] [K] à payer à la banque la somme de 58 500 euros avec intérêts aux taux conventionnel de 3,15 % en sus à compter du 21 février 2020, date de l'arrêté du décompte, jusqu'au complet paiement';
-dit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les autres moyens et prétentions développés par les parties qui sont devenus inopérants';
-condamné M. [B] [K] à payer à la banque la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
-rappelé que l'exécution provisoire du jugement est de plein droit';
-liquidé les dépens pour frais de greffe à la somme de 73,22 euros';
-et, condamné M. [B] [K] aux entiers dépens.
Par déclaration du 16 novembre 2022, M. [K] a relevé appel de ce jugement et demande à la cour, au visa des articles L. 341-1, L. 341-4, L. 341-6 du code de la consommation, de l'ancien article 1147, de l'article1343-5, et des articles 1347 et suivants du code civil, de :
infirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué';
rejeter l'intégralité des demandes adverses';
à titre principal
-juger que la banque n'a pas exécuté son devoir de mise en garde de la caution non avertie à l'égard de M. [K]';
en conséquence':
-condamner la banque à payer à M. [K] la somme de 126 536,66 euros assortie des intérêts légaux à compter du 21 février 2020 euros à titre de dommages et intérêts et sauf meilleur calcul';
-ordonner la compensation des créances réciproques à concurrence de leurs quotités respectives entre les sommes dont les cautions s'avéreraient redevable et le préjudice qu'elles ont subi';
à titre subsidiaire
-juger que les engagements de caution de M. [K] conclu les 6 novembre 2013, 11 février 2014 et 3 décembre 2014 sont manifestement disproportionnés';
en conséquence':
-juger que le crédit agricole ne peut s'en prévaloir';
à titre très subsidiaire
-accorder les délais de paiement les plus larges possibles à M. [K]';
et, en tout état de cause
-condamner la banque aux entiers dépens de première instance et d'appel et à verser à M. [B] [K] la somme de 2'500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 11 mai 2023, la banque demande à la cour, au visa des articles 1902, 2288 et suivants du code civil, de':
-confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions';
-débouter M. [B] [K] de l'ensemble de ses demandes';
-et, condamner M. [K] à payer à la banque la somme de 2'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 2 mai 2024.
MOTIFS :
Sur le manquement de la Banque du Crédit agricole à son devoir de mise en garde
M. [K] soutient qu'il n'est pas une caution avertie et que la banque a manqué à son devoir de mise en garde en ne l'alertant pas sur son endettement excessif.
La banque soutient pour sa part que M. [K] est une caution avertie, que son endettement n'était nullement excessif lors de ses engagements de caution et les prêts étaient adaptés à la situation financière de la société Sud Protect.
La caution non avertie bénéficie du devoir de mise en garde obligeant le banquier à l'alerter des risques d'endettement encourus par elle à raison de ses capacités financières mais également des risques d'endettement encourus par le crédité lui-même lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
En présence d'une caution avertie, la banque n'est tenue à ce devoir de mise en garde qu'à la condition qu'elle ait détenu des informations sur les revenus de cette caution, son patrimoine et ses capacités de remboursement raisonnablement prévisibles en l'état du succès escompté de l'opération financée ou de la société cautionnée, que la caution aurait elle-même ignorées
Le caractère averti d'une caution ne peut être déduit des seules fonctions de dirigeant et associé de la société débitrice principale. Cette qualité s'apprécie non seulement au regard de son âge et de son expérience des affaires, mais aussi de la complexité de l'opération envisagée et de son implication personnelle dans l'affaire.
La preuve du caractère averti incombe à la banque.
Or, en l'espèce, en premier lieu, le caractère averti de M. [K] ne saurait découler de la circonstance qu'il a comparu seul devant le juge commissaire lors d'une audience de vérification des créances et qu'il aurait rédigé lui-même des conclusions complexes lors de cette audience ce que la banque ne démontre nullement.
En second lieu, le caractère averti de M. [K] ne saurait non plus se déduire du montant du chiffre d'affaires réalisé par sa société (environ 1'300'000 euros en 2012 et 2013), créée par lui en 2009.
M. [K] ne saurait dès lors être considéré comme une caution avertie et le jugement sera réformé sur ce point.
En cas de crédit excessif, la banque engage sa responsabilité contractuelle à l'égard d'une caution non avertie pour ne pas l'avoir mise en garde du risque d'endettement qu'elle encourt du fait de son engagement, ou si l'opération financée était manifestement inadaptée aux capacités financières de l'emprunteur.
La banque a prêté à la société Sud Protect les sommes de 39'000 euros le 6 novembre 2013, 45'000 euros le 11 février 2014 et 65'000 euros le 3 décembre 2014, soit un total de 149'000 euros.
Comme relevé par la banque, le bilan comptable 2012 de la société Sud Protect fait apparaître des fonds propres à hauteur de 174'043 euros, un chiffre d'affaires net de 1'373'398 euros et un résultat déficitaire de 4 447 euros.
Le bilan comptable de la société en 2013 fait apparaître un chiffre d'affaires de 1'003 231 euros, les mêmes fonds propres et un résultat déficitaire de 45'516 euros.
Eu égard à son chiffre d'affaires, à ses fonds propres et aux montants de ses déficits pour ces deux années, les prêts accordés par la Banque du Crédit agricole à la société Sud Protect n'étaient pas manifestement inadaptés à ses capacités financières.
La banque n'a donc pas engagé sa responsabilité en n'alertant pas son client sur les risques de l'opération envisagée.
Par ailleurs, comme il sera constaté ultérieurement, M. [K] ne rapporte pas la preuve du caractère disproportionné de ses engagements de caution lors de leur souscription.
Le moyen est ainsi inopérant.
Sur le caractère manifestement disproportionné de l'engagement de caution de M. [K]
Selon l'article L 332-1 du code de la consommation applicable au litige, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
La disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution suppose que cette dernière se trouve, lorsqu'elle s'engage, dans l'impossibilité manifeste de faire face à son obligation avec ses biens et revenus.
La charge de la preuve du caractère disproportionné de l'engagement appartient à la caution qui l'invoque. Le créancier est quant à lui en droit de se fier aux informations qui lui ont été fournies dans la fiche de renseignements, sans avoir en l'absence d'anomalies apparentes l'affectant, à en vérifier l'exactitude et la caution n'est pas admise à établir, devant le juge, que sa situation était, en réalité, moins favorable que celle qu'elle avait déclarée à la banque.
M. [K] a rempli le 6 novembre 2013 une fiche de renseignements de son patrimoine, étant précisé qu'il est marié sous le régime de la communauté légale et que son épouse a donné son consentement à ses trois engagements de caution, de sorte que la proportionnalité de ses engagements contractés seul doit être apprécié tant au regard de ses biens et revenus propres que de ceux de la communauté, incluant ainsi les salaires de son épouse.
Au titre de son patrimoine, M. [K] a déclaré être propriétaire de sa résidence principale qu'il a évaluée à la somme de 500'000 euros. Il a mentionné un capital restant dû au titre de crédits immobiliers d'un montant de 284'400 euros, soit une valeur nette de 215'600 euros, laquelle ne saurait nullement correspondre au montant du capital déjà remboursé au titre de son prêt immobilier comme M. [K] le soutient à tort.
Il a déclaré pour son foyer des revenus annuels de 70'841 euros, et une charge annuelle de remboursement pour ses crédits immobiliers de 17'714 euros. Il a également mentionné une somme de 2 818 euros au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, outre un enfant à charge âgé de huit ans.
À la date du second engagement de caution le 11 février 2014, la banque était en droit de se fier aux informations mentionnées sur la fiche de renseignements du 6 novembre 2013, remplie à un temps proche, de sorte que M. [K] ne peut démontrer que sa situation était en réalité moins favorable que celle mentionnée sur ladite fiche, s'agissant d'emprunts qu'il n'aurait pas mentionnés sur celle-ci ou que la banque ne pouvait ignorer.
Ainsi, pour ce qui concerne les engagements de caution du 6 novembre 2013 et du 11 février 2014, au regard de la valeur de son patrimoine immobilier et de ses revenus, même en tenant compte lors du second engagement de caution du premier engagement que la banque ne pouvait ignorer, M. [K] ne rapporte pas la preuve que la banque aurait exigé un cautionnement manifestement disproportionné à ses biens et à ses revenus, et il n'y a dès lors pas lieu de rechercher si son patrimoine, au moment où il a été appelé, lui permet de satisfaire à ses obligations.
S'agissant de l'engagement de caution du 3 décembre 2014 pour un montant de 65'000 euros,
M. [K] n'a pas rempli de fiche de renseignements de son patrimoine, et la banque ne pouvait se fier à la fiche de renseignements remplie un an plus tôt, de sorte que M. [K] est admis à établir qu'au moment de son engagement, celui-ci était manifestement disproportionné à ses biens et à ses revenus.
Cependant, M. [K] ne précise pas quels étaient les revenus de son foyer à la date du 3 décembre 2014 et il ne fait pas état d'autres crédits qu'il aurait souscrits depuis le précédent engagement de caution du 11 février 2014, ainsi que d'une évolution particulière de sa situation financière et/ou patrimoniale.
Ainsi, en tenant compte du cumul de ces trois engagements de caution pour un total de 149'000 euros, de son patrimoine immobilier ayant nécessairement augmenté du fait du remboursement du crédit immobilier pesant sur sa résidence principale, de ses revenus et de ses charges, M. [K] ne démontre pas non plus le caractère manifestement disproportionné à ses biens et à ses revenus de son troisième cautionnement, sans qu'il y ait lieu de rechercher si son patrimoine, au moment où il est appelé, lui permet de satisfaire à ses obligations.
En conséquence, le moyen sera rejeté et la décision des premiers juges, intégralement confirmée.
Sur la demande de délais de paiement
L'article 1343-5 du code civil dispose que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Il convient de constater que la dette est ancienne et que M. [K] a de fait bénéficié de délais de paiement.
De surcroît, il ne justifie pas de sa capacité à honorer sa dette dans le délai de deux ans au regard de sa situation financière actuelle au sujet de laquelle il ne produit aucune pièce.
Il sera donc débouté de sa demande de délais de paiement.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement critiqué en toutes ses dispositions,
Condamne M. [B] [K] aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la Banque du Crédit agricole la somme de 3'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier Le président