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25/06/2024 | FRANCE | N°22/04984

France | France, Cour d'appel de Montpellier, Chambre commerciale, 25 juin 2024, 22/04984


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



Chambre commerciale



ARRET DU 25 JUIN 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/04984 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PR7O





Décision déférée à la Cour :

Juge

ment du 13 SEPTEMBRE 2022

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN

N° RG 2021J00100





APPELANTE :



S.A.R.L. PY TRANSACTIONS prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités au siège

« Domus Patrimoine »

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me David DUPETIT de la SCP GIPULO - DUPETIT - MURCIA, avocat a...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 25 JUIN 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/04984 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PR7O

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 13 SEPTEMBRE 2022

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN

N° RG 2021J00100

APPELANTE :

S.A.R.L. PY TRANSACTIONS prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités au siège

« Domus Patrimoine »

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me David DUPETIT de la SCP GIPULO - DUPETIT - MURCIA, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES

INTIMEE :

S.A. KPMG prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 6]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LX MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Guilhem RAJALU, avocat au barreau de PARIS substituant Me Georges DE MONJOUR, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

PARTIE INTERVENANTE :

S.A.S. KPMG ESC & GS venant aux droits de la société KPMG SA, prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 6]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LX MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Guilhem RAJALU, avocat au barreau de PARIS substituant Me Georges DE MONJOUR, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 23 Avril 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 MAI 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre

Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère

M. Thibault GRAFFIN, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Audrey VALERO, greffière.

EXPOSE DU LITIGE :

La S.A.R.L Py Transactions exerce depuis le mois de janvier 2012 une activité de marchands de biens, de promotion et de construction immobilières.

En juillet 2013, M. [H] [Y] est devenu gérant à la place de M. [T] [G].

A partir de l'année 2012 et jusqu'en 2022, la société Py Transactions a confié à la S.A. KPMG, cabinet d'expertise comptable, la mission d'établissement de ses comptes annuels et de son bilan ainsi que de ses déclarations fiscales.

En décembre 2015, à la demande du conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, la société KPMG a adressé à la société Py Transactions sa lettre de mission ainsi que ses conditions générales d'interventions, dont les termes ont été acceptés par cette dernière le 22 décembre 2015.

Entre 2012 et 2015, la société Py Transactions a rénové deux immeubles collectifs à usage d'habitation situés tous les deux à [Localité 4], [Adresse 1]. Elle a financé ces travaux et vendu ces immeubles au titre de contrats dits de «'Vente d'Immeuble à Rénover'» (VIR).

Les différentes sociétés ayant effectué des travaux de rénovation sur ces immeubles pour le compte de la société Py Transactions ont facturé un taux de TVA à 19,6% ou 20%.

Par courriel du 7 juin 2017, à propos de travaux de rénovation prévus sur un autre immeuble appartenant à la société Py Transactions, Mme [M] [I], salariée de la société KPMG, informait M. [H] [Y] que selon les dispositions de l'article 279-0 bis A du code général des impôts, les travaux de rénovation des locaux d'habitation bénéficiaient d'un taux réduit de TVA.

Par plusieurs échanges d'e-mails et de courriers à partir de 2019, la société Py Transactions a demandé à la société KPMG de trouver une solution pour récupérer la TVA trop versée sur les deux ventes précédentes d'immeubles à rénover situés à [Localité 4].

Le 6 août 2019, la société Py Transactions a indiqué aux différentes sociétés ayant effectué pour son compte des travaux de rénovation que leurs factures indiquaient un mauvais taux de TVA, et leur a réclamé en conséquence des factures rectificatives ainsi que le remboursement du différentiel.

Par lettre recommandée du 7 novembre 2019, la société Py Transactions a vainement reproché à la société KPMG son défaut de conseil, et lui a réclamé l'indemnisation de son préjudice au titre de la mauvaise facturation du taux de TVA.

Par courriel du 7 septembre 2020, M. [E] [O], associé de la société KPMG, a informé M. [H] [Y] et M. [T] [G] que leur service Risk Management et leur assureur refusaient d'indemniser la société Py Transactions.

Le 16 novembre 2020, la société Py Transactions a saisi le conseil régional de l'ordre des experts-comptables de Montpellier d'une demande de conciliation, qui a abouti à un procès-verbal d'échec.

Par exploit d'huissier du 31 mars 2021, la société Py Transactions a assigné la société KPMG en responsabilité.

Par jugement contradictoire du 13 septembre 2022, le tribunal de commerce de Perpignan a':

- débouté'la société KPMG de sa demande au titre de la prescription de l'action introduite par la société Py Transactions ;

- débouté la société Py Transactions de l'ensemble de ses demandes';

- condamné la société Py Transactions à verser à la société KPMG la somme de 2'000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';

- et condamné la société Py Transactions aux dépens de l'instance, dans lesquels seront compris les frais et taxes y afférents et notamment ceux de greffe liquidés selon tarif en vigueur.

Par déclaration du 29 septembre 2022, la société Py Transactions a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 12 décembre 2022, la société Py Transactions demande à la cour, au visa des articles 257 et 279-0bis du code général des impôts, de l'article 1231-1 du code civil et du code de déontologie de la profession d'expert-comptable résultant du décret n°2010-432 du 30 mars 2012, de :

- réformer le jugement querellé';

- juger qu'au moment des opérations litigieuses antérieures à l'année 2015, il n'existait aucune lettre de mission qui restreignait les obligations de la société KPMG dans le cadre de sa mission d'expertise comptable';

- juger que, en toute hypothèse, l'expert-comptable est tenu de s'assurer de la correcte application des taux de TVA de la comptabilité qu'il doit présenter, et est tenu à un devoir d'information et de conseil envers son client relativement à la possibilité de bénéficier d'un taux de TVA réduit compte tenu de l'activité de son entreprise';

- juger qu'elle n'avait pas de connaissance particulière sur le régime fiscal applicable à la vente d'immeubles à rénover en 2012 lors de la constitution de cette société, n'a pu mesurer l'ampleur du préjudice subi du fait de l'application d'un taux de TVA erroné que par l'information qui lui en a été donnée par un courrier électronique de la société KPMG du 7 juin 2017 l'informant de la possibilité de bénéficier d'un régime de taux de TVA réduite.

- juger que la compétence supposée ou réelle de son gérant n'est pas de nature à atténuer les obligations de la société KPMG, ce d'autant plus que ledit gérant n'avait aucune connaissance sur les règles fiscales en jeu dans le cadre de l'instance ;

- juger que la circonstance que la société KPMG, après réclamation de la société Py Transactions ait pris l'initiative de tenter de réduire le dommage en s'adressant aux fournisseurs de la société Py Transactions par divers courriers adressés le 6 aout 2019, constitue une reconnaissance de responsabilité ;

- juger que la société KPMG en sa qualité d'expert-comptable de la société Py Transactions a manqué à ses obligations de contrôle des éléments comptables soumis par sa cliente dans le cadre de sa mission d'établissement des comptes annuels, en ne s'avisant pas que le taux de TVA appliqué par les entreprises en charge de la rénovation des immeubles acquis par la société Py Transactions en vue de leur revente dans le cadre de vente d'immeuble à rénover, ne correspondait pas au taux de TVA réduit à 10 % s'appliquant à ce type d'opération';

- juger que la société KPMG avait connaissance que les opérations immobilières de la société Py Transactions se faisaient dans le cadre de ventes d'immeuble à rénover, tant au regard des échanges de courriers électroniques produits aux débats par la demanderesse, qu'au constat du fait qu'elle avait demandé à la société Py Transactions d'enregistrer les factures des entreprises mandatées en TTC, dans la mesure où la TVA n'est pas récupérable dans le cadre d'une vente d'immeuble à rénover';

- juger que la société KPMG avait connaissance, au travers de sa mission notamment de présentation du passif de la société Py Transactions figurant au bilan comptable et fiscal annuel qu'elle établissait, du taux de T.V.A facturé à sa cliente par les fournisseurs de celle-ci, dans le cadre des travaux de rénovation qu'elle leur commandait ;

- juger qu'en ne l'informant pas que du fait du statut juridique s'appliquant à son activité, elle pouvait bénéficier d'un taux de TVA réduit à 10 %, la société KPMG a manqué à son devoir d'information et de conseil';

- juger que les fautes imputables à la société KPMG sont directement et exclusivement à l'origine du préjudice subi par la société Py Transactions, consistant dans le fait qu'elle a payé des travaux au taux de TVA de 20 % , alors qu'elle aurait dû bénéficier d'un taux de TVA réduit de 10 %';

- juger que la société KPMG a elle-même calculé le préjudice subi par la société Py Transactions au titre de la TVA trop payée à une somme de 78607,43 euros ;

- en conséquence,

- condamner la société KPMG à payer à la société Py Transactions une somme de 78 607,43 euros';

- juger que cette somme sera majorée de l'intérêt au taux légal à compter du 7 novembre 2019, date de la première lettre de mise en demeure avec capitalisation annuelle des intérêts au 31 décembre de chaque année';

- condamner la société KPMG à lui payer une indemnité provisionnelle de 60000 euros';

- et, en toute hypothèse,

- condamner la société KPMG à lui payer une indemnité de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.

Au soutien de son appel, elle fait valoir pour l'essentiel que :

- elle aurait dû bénéficier d'un taux de TVA réduit de 10 % pour les travaux qu'elle a réalisés entre 2012 et 2015, en application des dispositions des articles 279 0bis et 257 du code général des impôts';

- par application des articles 257 et 245 du code général des impôts, le contrat de vente d'immeubles à rénover n'est pas soumis à la TVA, mais uniquement aux droits d'enregistrement'; en conséquence, elle ne pouvait pas déduire la TVA dont elle s'est acquittée auprès des entreprises de rénovation puisqu'elle n'était pas assujettie à la TVA';

- la société KPMG ne l'a nullement informée de la possibilité d'appliquer le taux de TVA réduit de sorte qu'elle a manqué à son obligation de conseil';

- la première lettre de mission de la société KPMG est en date du 18 décembre 2015, de sorte que cette dernière ne peut se retrancher derrière celle-ci pour limiter le champ de sa responsabilité.

Par conclusions du 9 mars 2023, formant appel incident, la société KPMG et la société KPMG ESC & GS venant aux droits de cette dernière, demande à la cour, au visa des articles 1231-1 et 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce, de':

- donner acte à la société KPMG ECS & GS de son intervention';

- à titre principal

- infirmer le jugement entrepris'en ce qu'il a débouté la société KPMG de sa demande au titre de la prescription de l'action introduite par la société Py Transactions, en conséquence, et statuant à nouveau, déclarer irrecevables car prescrites l'ensemble des demandes formulées par la société Py Transactions à son encontre ;

- subsidiairement,

- confirmer le jugement entrepris au surplus';

- et, en tout état de cause, condamner la société Py Transactions à lui régler la somme de 5'000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle expose principalement que :

- elle n'intervient depuis 2012 pour le compte de la société Py Transactions que dans le cadre d'une mission de présentation des comptes annuels, sans tenue de comptabilité ;

- les entreprises de rénovation ont nécessairement remis à la société Py Transactions des attestations simplifiées sur le taux de TVA applicable aux opérations susvisées';

- les demandes de la société Py Transactions sont prescrites, par application des dispositions des articles L.110- 4 du code de commerce et 2224 du code civil, qui instaurent une prescription quinquennale ;

- en effet, la société Py Transactions a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance du fait dommageable lorsqu'elle a reçu ou lorsque lui ont été présentées par ses fournisseurs et ses prestataires de travaux des attestations sur la TVA applicable, soit entre 2012 et 2015 ;

- elle n'a nullement manqué à son obligation de conseil, puisqu'elle ne gérait pas les déclarations de TVA que la société Py Transactions effectuait elle-même';

- en tant que professionnelle de l'immobilier, la société Py Transactions devait parfaitement connaître le taux de TVA applicable à ses travaux de rénovation';

- la société Py Transactions n'a pas subi de préjudice puisque les sommes qu'elle a payées en plus au titre de la TVA se seraient répercutées sur son résultat et aurait entraîné une augmentation du montant de l'impôt sur les sociétés.

L'ordonnance de clôture est datée du 23 avril 2024.

MOTIFS :

Sur la prescription

Selon les dispositions de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

L'article L.110-4 du code de commerce dispose que les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes.

La société Py Transactions a réalisé deux opérations immobilières de vente d'immeubles à rénover, l'une entre 2012 et 2013, l'autre de 2014 à 2015, étant précisé que l'application d'une TVA à taux réduit pour la vente d'immeubles à rénover résulte de la loi de finances rectificative du 14 mars 2012.

Il ressort des productions que par courriel du 7 juin 2017, la société Py Transactions a interrogé la société KPMG sur la possibilité d'avoir un taux réduit pour les travaux de rénovation'qu'elle envisageait pour une nouvelle opération immobilière, et que ce n'est qu'à cette date que la société KPMG l'a informée de la possibilité d'avoir un taux de TVA réduit.

La société KPMG soutient que la société Py Transactions aurait dû avoir connaissance de cette possibilité d'un taux de TVA réduit lorsque les entreprises de bâtiment lui ont communiqué l'attestation simplifiée relative à la nature des travaux et à l'application du taux de TVA.

Cependant, le délai de prescription n'a pas commencé à courir à compter de la date à laquelle la société Py Transactions a reçu les attestations simplifiées relatives à la fiscalité des travaux envisagés qui lui auraient été remises par les entreprises de bâtiment, s'agissant d'un dispositif fiscal nouvellement créé en 2012 et dont il est établi qu'elle en a en définitive ignoré l'existence jusqu'au 7 juin 2017.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société Py Transactions, la circonstance que la société KPMG aurait collaboré avec elle pour obtenir auprès des entreprises de bâtiment une nouvelle facturation avec un taux de TVA de 10 % au lieu de celui appliqué de 20 %, ce que la société KPMG conteste toutefois, ne saurait être regardée comme la reconnaissance par cette dernière du droit de la société Py Transactions et qui aurait interrompu la prescription au sens de l'article 2240 du code civil.

Ainsi, comme décidé à bon droit par les premiers juges, ce n'est que le 7 juin 2017, par la lettre qui lui a été adressée par la société KPMG, que la société Py Transactions a su qu'elle aurait pu bénéficier d'un taux de 10 % au lieu de celui de 20 % appliqué aux factures litigieuses, de sorte que le délai de prescription a commencé à courir à cette date pour s'achever le 7 juin 2022.

Par ailleurs, la lettre de mission du 18 décembre 2015 signée par les sociétés KPMG et Py Transactions indique que la responsabilité civile professionnelle de la société KPMG ne peut être mise en jeu que sur une période contractuellement définie de 4 ans à l'issue de la remise des livrables.

Cependant, il a été vu que ce n'est qu'à la date du 7 juin 2017 que la société Py Transactions a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer son action, de sorte que par application des dispositions précitées de l'article 2224 du code civil, le délai de prescription contractuellement fixé à 4 années n'a commencé à courir qu'à cette dernière date pour s'achever le 7 juin 2021.

L'action engagée par la société Py Transactions par son assignation du 31 mars 2021 n'est donc pas prescrite.

Sur le manquement à son obligation de conseil

La rédaction d'un contrat définissant notamment les prestations de l'expert-comptable n'a été imposée que par le décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 régissant la profession d'expert-comptable et, en l'espèce, les relations contractuelles entre les parties se sont déroulées en l'absence de toute lettre de mission avant que la première ne soit signée le 18 décembre 2015.

Toutefois, l'article 155 du décret précité précise que dans la mise en 'uvre de chacune de leur mission, les personnes mentionnées à l'article 141 sont tenues vis-à-vis de leurs clients ou adhérents à un devoir d'information et de conseil.

De manière générale, l'expert-comptable n'est tenu que d'une obligation de moyens et ne peut voir sa responsabilité engagée que s'il commet un manquement à ses obligations en relation avec le préjudice subi.'

En l'absence de lettre de mission, il appartient au client d'apporter la preuve de la mission qu'il a confiée à son expert-comptable, et le devoir de conseil de ce dernier est donc apprécié en fonction de la nature et de l'étendue de sa mission.

En conséquence, il ne peut être imputé de faute à l'expert-comptable qu'en cas de manquement de ce dernier à son obligation de conseil dans le cadre de la mission qui lui est confiée.

Enfin, la compétence de son client n'exonère pas l'expert-comptable de son obligation de conseil.

En l'espèce, la société Py Transactions soutient que la société KPMG a manqué à son devoir de conseil en ne l'informant pas du taux de TVA applicable aux opérations de rénovation immobilière qu'elle a effectuées entre 2012 et 2015.

La société KPMG affirme pour sa part qu'elle n'était chargée que du bilan comptable de la société Py Transactions ce qui n'incluait nullement un devoir de conseil en matière de taux de TVA applicable aux activités de cette dernière.

Cependant, la société Py Transactions verse aux débats un courriel daté du 10 juillet 2012 dans lequel le gérant de la société Py Transactions, M. [T] [G], sollicitait notamment sa correspondante à la société KPMG, Mme [V] [I], afin de savoir, à la suite d'une réunion qui s'était tenue avec elle et une tierce personne, s'il convenait mieux de réaliser les travaux de rénovation pour deux opérations immobilières dans le cadre d'un contrat de vente d'immeubles à rénover (VIR) nouvellement créé (en mars 2012) ou d'une vente en l'état futur d'achèvement (VEFA)'; M. [G] questionnait également ses deux interlocuteurs au sujet de la fiscalité des opérations (droits d'enregistrement, récupération de la TVA'), et terminait son courriel en indiquant : «'merci d'apporter vos lumières'».

Il en résulte que dans le contexte de l'absence d'une lettre de mission qui ne sera signée par les deux sociétés que le 18 décembre 2015, la société Py Transactions rapporte la preuve que la société KPMG avait accepté une mission de conseil relativement à ses projets immobiliers et à leur fiscalité.

Ce constat est corroboré par le fait qu'après avoir eu connaissance de la possibilité qu'il aurait eu d'appliquer un taux de TVA réduit, le gérant de la société Py Transactions indiquait, le 7 novembre 2019, dans une lettre recommandée avec accusé de réception adressée à la société KPMG': «'pour ces deux dossiers, nous avons sollicité les conseils de votre cabinet à plusieurs reprises et nous n'avons pas obtenu de réponse ou des réponses erronées nous ont été communiquées'».

De surcroît, et quand bien même elle n'eût été chargée que d'établir le bilan comptable de la société Py Transactions, la société KPMG, qui avait été consultée sur l'opportunité de réaliser des opérations de rénovation immobilière dans le cadre de VIR, devait également, au titre de sa mission d'établissement des comptes de la société, vérifier les factures enregistrées par la société Py Transactions dans sa comptabilité au vu de l'établissement de son bilan comptable, et donc vérifier, au minimum par sondages, les pièces comptables déclarées au bilan et en conséquence également le taux de TVA applicable aux opérations immobilières réalisées par cette dernière.

Il en résulte que la société KPMG a manqué à son obligation de conseil vis-à-vis de la société Py Transactions et engagé sa responsabilité contractuelle. Le jugement sera réformé.

Sur le préjudice

Il résulte des pièces produites que la différence entre le taux de TVA de 20 % qui a été appliqué et le taux réduit de 10 % voire de 7 % qui aurait dû l'être sur l'ensemble des factures litigieuses est d'un montant de 78 607,43 euros.

Cette somme constitue le préjudice certain et direct subi par la société Py Transactions, étant relevé que celui-ci ne saurait être compensé par un nouveau calcul à rebours de l'impôt sur les sociétés dû par cette dernière à la suite du retranchement des sommes trop payées au titre de la TVA, dans la mesure où la somme de 78'607,43 euros due par la société KPMG au titre de sa responsabilité contractuelle devra être intégrée dans le prochain exercice de la société Py Transactions, de sorte que l'opération fiscale sera nulle.

En conséquence, la société KPMG sera condamnée à payer à la société Py Transactions la somme de 78'607,43 euros à titre de dommages et intérêts.

Cette somme portera des intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt, qui seul fixe le principe et le montant de la créance de la société Py Transactions, avec anatocisme.

Par ailleurs, la société Py Transactions sera déboutée de sa demande d'indemnité provisionnelle de 60'000 euros non motivée mais aussi non justifiée en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement critiqué en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Condamne la S.A. KPMG ESC & GS venant aux droits de la SA KPMG à payer à la S.A.R.L Py Transactions la somme de 78'607,43 euros à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt, avec anatocisme,

Déboute la S.A.R.L Py Transactions du surplus de ses demandes,

Condamne la S.A. KPMG ESC & GS venant aux droits de la SA KPMG aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la S.A.R.L Py Transactions la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

le greffier, la présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 22/04984
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;22.04984 ?
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