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19/06/2024 | FRANCE | N°24/00427

France | France, Cour d'appel de Montpellier, Rétentions, 19 juin 2024, 24/00427


COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

N° RG 24/00427 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QI2W



O R D O N N A N C E N° 2024 - 438

du 19 Juin 2024

SUR LE CONTROLE DE LA REGULARITE D'UNE DECISION DE PLACEMENT EN RETENTION ET SUR LA PROLONGATION D'UNE MESURE DE RETENTION ADMINISTRATIVE

ET

SUR REQUÊTE DE L'ETRANGER EN CONTESTATION DU PLACEMENT EN RETENTION ADMINISTRATIVE



dans l'affaire entre,



D'UNE PART :



Monsieur [T] [C]

né le 05 Novembre 1993 à [Localité 3] (TUNISIE)

de nationalité Tunisienne

retenu au centre de rétention de [Localité 5] dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire,



Comparant et assisté par Maître Fra...

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

N° RG 24/00427 - N° Portalis DBVK-V-B7I-QI2W

O R D O N N A N C E N° 2024 - 438

du 19 Juin 2024

SUR LE CONTROLE DE LA REGULARITE D'UNE DECISION DE PLACEMENT EN RETENTION ET SUR LA PROLONGATION D'UNE MESURE DE RETENTION ADMINISTRATIVE

ET

SUR REQUÊTE DE L'ETRANGER EN CONTESTATION DU PLACEMENT EN RETENTION ADMINISTRATIVE

dans l'affaire entre,

D'UNE PART :

Monsieur [T] [C]

né le 05 Novembre 1993 à [Localité 3] (TUNISIE)

de nationalité Tunisienne

retenu au centre de rétention de [Localité 5] dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire,

Comparant et assisté par Maître François QUINTARD, avocat commis d'office

Appelant,

et en présence de [X] [P], interprète assermenté en langue arabe,

D'AUTRE PART :

1°) MONSIEUR LE PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES

[Adresse 1]

[Localité 2]

Non représenté

2°) MINISTERE PUBLIC :

Non représenté

Nous, Fanny COTTE, vice-présidente placée près Monsieur le premier président de la cour d'appel de Montpellier déléguée aux fonctions de conseiller à la cour d'appel de Montpellier par ordonnance n°2024-66 du 19 février 2024, plus spécialement pour les attributions dévolues par les articles L 741-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, assisté de Béatrice MARQUES, greffier,

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Vu les dispositions des articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu l'arrêté du 13 juin 2024, de MONSIEUR LE PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES portant obligation de quitter le territoire national sans délai avec interdiction de retour d'une durée de 2 ans et ordonnant la rétention de Monsieur [T] [C], pendant 48 heures dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ;

Vu la requête de Monsieur [T] [C] en contestation de la régularité de la décision de placement en rétention administrative en date du 14 juin 2024 ;

Vu la requête de MONSIEUR LE PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES en date du 14 juin 2024 tendant à la prolongation de la rétention de Monsieur [T] [C] dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour une durée vingt-huit jours ;

Vu l'ordonnance du 15 Juin 2024 à 16h05 notifiée le même jour à la même heure, du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de PERPIGNAN qui a :

- rejeté la requête en contestation de la régularité de la décision de placement en rétention administrative formée par Monsieur [T] [C],

- ordonné la prolongation de la rétention administrative de Monsieur [T] [C] , pour une durée de vingt-huit jours à compter de l'expiration du délai de 48 heures suivant la notification de la décision de placement en rétention

Vu la déclaration d'appel faite le 17 Juin 2024 par Monsieur [T] [C] , du centre de rétention administrative de [Localité 5], transmise au greffe de la cour d'appel de Montpellier le même jour à 15h35,

Vu les courriels adressées le 17 Juin 2024 à MONSIEUR LE PREFET DES PYRENEES-ORIENTALES, à l'intéressé et à son conseil, et au Ministère Public les informant que l'audience sera tenue le 19 Juin 2024 à 09 H 30,

L'avocat et l'appelant, qui ont pu préalablement prendre connaissance de la procédure, se sont entretenus, librement, dans le box dédié de l'accueil de la cour d'appel de Montpellier, les portes de la salle étant fermées pour assurer la confidentialité de l'entretien, en la seule présence de l'interprète , et ce, sur le temps de l'audience fixée, avec l'accord du délégué du premier président de la cour d'appel de Montpellier.

L'audience publique initialement fixée à 09 H 30 a commencé à 11h26 .

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Assisté de [X] [P], interprète, Monsieur [T] [C] déclare sur transcription du greffier à l'audience : ' Je me nomme Monsieur [T] [C] né le 05 Novembre 1993 à [Localité 3] (TUNISIE) de nationalité Tunisienne . J'ai fait toutes les démarches nécessaires pour renouveller mon titre de séjour qui a expiré en 2022 ; j'étais incarcéré depuis janvier 2023. Les démarches n'ont pas abouti. Ils m'ont renvoyé le dossier pour faire les démarches par internet . J'ai essayé de faire les démarches en prison mais j'étais à [Localité 6] j'étais trop loin. Oui je travaillais avant l'incarcération. Sur le questionnaire de vulnérabilité j'ai dit que j'avais pas d'autres problèmes à part l'épaule. J'ai été opéré il y a pas longtemps. A l'aéroport de [Localité 4], j'ai eu un accident sur le chantier j'ai été opéré le 20/12/2023 . J'ai l'écharpe depuis l'opération. Je prends un cachet pour la douleur mais cela ne m'arrête pas la douleur. Je n'ai pas encore vu le médecin au CRA ; j'ai un suivi kiné '

Me [D] [L] produit les certificats médicaux, certificats de travail et de bonne conduite en prison, et indique qu'au TA cela a été renvoyé sur la contestation de demande de titre de séjour et rejeté pour le surplus . Monsieur a fait sa demande de renouvellement avant l'expiration .

Monsieur [T] [C] déclare : Je me suis déplacé même à la Préfecture pour les démarches . J'ai un passeport au centre remis à la PAF ; il n'est plus valide . Non je n'ai pas fait de démarches auprés de la Tunisie.

L'avocat, Me [D] [L], développe les moyens de l'appel formé contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qui a prolongé le maintien en rétention de l'étranger.

Monsieur aurait dû être placé à résidence par la Préfecture.

Absence de considération de la situation personnelle de monsieur . Il n' a pas vu son enfant depuis deux ans. Monsieur a toujours travaillé. Il n' y a aucun risque de fuite. Il a commis une erreur et il a payé.

Assisté de [X] [P], interprète, Monsieur [T] [C] a eu la parole en dernier et et a déclaré sur transcription du greffier à l'audience : ' Je suis arrivé en France depuis 2019, je travaille. J'ai fait une seule bêtise et j'ai payé. Je suis quelqu'un de bien je veux faire ma vie construire une grande famille . Cela fait deux ans que je n'ai pas vu mon fils ; je suis toujours avec la maman. Il a 4 ans . '

Le conseiller indique que l'affaire est mise en délibéré et que la décision sera notifiée par les soins du Directeur du centre de rétention de [Localité 5] avec l'assistance d'un interprète en langue arabe à la demande de l'étranger retenu.

SUR QUOI

Sur la recevabilité de l'appel :

Le 17 Juin 2024, à 15h35, Monsieur [T] [C] a formalisé appel motivé de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de PERPIGNAN du 15 Juin 2024 notifiée à 16h05, soit dans les 24 heures de la notification de l'ordonnance querellée, qu'ainsi l'appel est recevable en application des articles R 743-10 et R743-11 du CESEDA.

Sur l'appel :

Sur le défaut de motivation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention

Il y a lieu de rejeter le moyen fondé sur l'insuffisance de motivation de la décision critiquée en ce qu'elle répond longuement, sur dix pages, aux différents moyens soulevés dans la requête en contestation de l'arrêté de placement en rétention administrative et aux autres moyens soulevés sans en omettre.

Sur le défaut d'examen individuel et sérieux de la situation personnelle de l'appelant et la violation des articles 3 et 8 de la CESDH et sur le défaut d'examen de sa vulnérabilité

L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme prévoit 'Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. '

Enfin, l'article 3 de la convention internationale de New York relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 dispose que 'dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale'.

Aux termes de l'article L741-4 du CESEDA, la décision de placement en rétention prend en compte l'état de vulnérabilité et tout handicap de l'étranger.

Le handicap moteur, cognitif ou psychique et les besoins d'accompagnement de l'étranger sont pris en compte pour déterminer les conditions de son placement en rétention.

A titre liminaire, il convient de rappeler que le placement en rétention administrative ne constitue pas, en soi, une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale édicté par l'article 8 de la CESDH, ni aux droits de l'enfant tels que prévus par l'article 3 de la convention de New York, laquelle résulte le cas échéant de la mesure d'éloignement.

Or, la contestation de la mesure d'éloignement ne relève pas de la compétence du juge judiciaire mais de celle du juge administratif.

L'autorité préfectorale n'a en outre pas l'obligation d'énoncer tous les éléments de personnalité dont il dispose et peut se cantonner à énumérer ceux qui justifient la mesure qu'il prend. En l'espèce, bien que Monsieur [T] [C] déplore que Monsieur le Préfet des Pyrénées-Orientales n'ait pas suffisamment tenu compte de sa situation familiale et notamment du fait qu'il est père d'un enfant de quatre enfants, il ressort de l'arrêté portant placement en rétention administrative du 13 juin 2024 les éléments suivants :

- il a sollicité son admission au séjour en qualité de parent d'enfant français en date du 27 novembre 2020, s'est vu remettre un récépissé de demande de titre de séjour puis une carte de séjour temporaire valable du 22 octobre 2021 au 21 octobre 2022 mais il n'a pas sollicité le renouvellement de son titre de séjour dans les délais réglementaires

- il a sollicité le 30 janvier 2023 son admission au séjour auprès de la préfecture des Alpes-Maritimes et la délivrance d'une carte de résident de dix ans en qualité de parent d'enfant français et a fait valoir être en concubinage avec une femme de nationalité française, père d'un enfant né le 13 mai 2020 de nationalité française, être hébergé à [Localité 4], qu'il a produit copie de son livret de famille, copie des documents d'identité de son fils, des contrats de mission temporaire ainsi que des factures d'achat pour prouver de la contribution à l'éducation et l'entretien de son fils.

- que lors de son audition à l'occasion d'une enquête pénale en janvier 2023, il a déclaré être employé comme maçon dans une entreprise depuis le 1er février 2019, être en concubinage avec la mère de son fils

- qu'il a fait des déclarations similaires lors de son audition par la police aux frontières le 29 mai 2024 et a fait état qu'il allait bien mais qu'il avait subi une opération de l'épaule après un accident du travail

- son comportement constitue une menace pour l'ordre public du fait de sa condamnation par le tribunal correctionnel de Toulouse le 16 janvier 2023 à la peine de trois ans d'emprisonnement dont douze mois avec sursis avec maintien en détention pour des faits de violences sur personne dépositaire de l'autorité publique et refus d'obtempérer

Ainsi, le préfet a tenu compte de sa situation personnelle lorsqu'il a pris l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français assorti du placement en rétention administrative.

En revanche, s'agissant de son état de vulnérabilité, s'il est étonnant qu'il n'ait pas fait état d'une vulnérabilité ou d'un handicap dans le questionnaire de vulnérabilité qui lui a été soumis pendant le temps de son incarcération, il a tout de même fait état d'une opération à l'épaule. Or, contrairement à ce qu'indique l'autorité préfectorale, cette opération à l'épaule caractérise un état de vulnérabilité. Monsieur [C] se présente à l'audience avec l'épaule en écharpe qu'il dit porter depuis plus de deux ans. Il indique qu'il a subi un accident du travail en 2022 qui a nécessité une opération à l'épaule droite ; qu'il ressent toujours des douleurs chroniques pour lesquelles les médicaments sont peu efficaces ; qu'il faisait l'objet de séances de rééducation kinésithérapeutiques trois fois par semaine en prison jusqu'à sa libération et qu'il est suivi par des spécialistes à [Localité 6], raison pour laquelle il n'envisageait pas immédiatement de revenir vivre auprès de sa compagne en Corse.

Ces éléments n'ont absolument pas été pris en compte par l'autorité administrative lors du placement en rétention administrative et l'appelant n'a pu pour le moment se voir prescrire de nouvelles séances de kinésithérapie depuis son arrivée.

Il en résulte que son état de vulnérabilité a été insuffisamment été pris en compte dans l'arrêté portant placement en rétention administrative qui contient effectivement une formule stéréotypée sur cette question et ne répond pas à l'exigence légale de motivation.

En conséquence, il convient, sans qu'il n'y ait besoin de statuer sur les autres moyens soulevés, d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté la requête en contestation de l'arrêté portant placement en rétention administrative pris par Monsieur le préfet des Pyrénées-Orientales le 13 juin 2024 et de remettre en liberté Monsieur [T] [C].

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement,

Vu l'article 66 de la constitution du 4 octobre 1958,

Vu les articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

Déclarons l'appel recevable,

Infirmons la décision déférée,

Et statuant à nouveau,

Ordonnons la remise en liberté de Monsieur [T] [C],

Ordonnons la notification immédiate de la décision au Procureur Général,

Disons que la présente ordonnance sera notifiée conformément à l'article R 743-19 du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile,

Fait à Montpellier, au palais de justice, le 19 Juin 2024 à 13h00

Le greffier, Le magistrat délégué,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : Rétentions
Numéro d'arrêt : 24/00427
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;24.00427 ?
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