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07/05/2024 | FRANCE | N°18/05150

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 3e chambre sociale, 07 mai 2024, 18/05150


Grosse + copie

délivrée le

à



COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



3e chambre sociale



ARRET DU 07 MAI 2024



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/05150 - N° Portalis DBVK-V-B7C-N3HB



ARRET n°



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 OCTOBRE 2018

TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE D'AUDE

N° RG21600948







APPELANTE :



SAS [12]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentant : Me Gabriel RIGAL d

e la SELARL ONELAW, avocat au barreau de LYON - dispensé d'audience









INTIMEE :



CPAM DE L'AUDE

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentant : Mme [G] en vertu d'un pouvoir général













En application d...

Grosse + copie

délivrée le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

3e chambre sociale

ARRET DU 07 MAI 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/05150 - N° Portalis DBVK-V-B7C-N3HB

ARRET n°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 OCTOBRE 2018

TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE D'AUDE

N° RG21600948

APPELANTE :

SAS [12]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentant : Me Gabriel RIGAL de la SELARL ONELAW, avocat au barreau de LYON - dispensé d'audience

INTIMEE :

CPAM DE L'AUDE

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentant : Mme [G] en vertu d'un pouvoir général

En application de l'article 937 du code de procédure civile, les parties ont été convoquées à l'audience.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 MARS 2024,en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Pascal MATHIS, Président

Mme Anne MONNINI-MICHEL, Conseillère

M. Patrick HIDALGO, Conseiller

Greffier, lors des débats : M. Philippe CLUZEL

ARRET :

- contradictoire.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour ;

- signé par Monsieur Pascal MATHIS, Président, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.

*

* *

EXPOSÉ DU LITIGE

[1] Mme [D] [M] a été embauché par la SAS [12] à compter du 2 avril 1992. Elle a déclaré le 11 juin 2015 une « tendinite épaule gauche objectivée par IRM ». Le CRRMP de [Localité 9] a reconnu le caractère professionnel de la maladie dont souffrait Mme [D] [M] suivant avis du 20 avril 2016 ainsi rédigé :

« L'examen des pièces du dossier médico-administratif relève les éléments suivants : Mme [M] [D], âgée de 56 ans, présente une « Tendinopathie épaule gauche + tendinopathie + rupture de la coiffe des rotateurs épaule droite » tel que décrit clans le CMI du 11/06/2015 du Dr [Y], confirmée par IRM du 10/06/2015. Mme [M] [D] est droitière et exerce la profession d'employée libre service depuis le 02/04/1992 en charge de :

' de 1992 à 2007 : technicienne de surface

' depuis 2007 : étiquetage des produits, vérification des livraisons, mise en rayon des produits, contrôle des stocks, inventaire, facing de ses rayons.

Mme [M] travaille actuellement 17 heures par semaine. Le CRRMP de [Localité 9] estime que les hypers sollicitations sont susceptibles d'avoir entraîné l'émergence de la pathologie dont elle demande réparation. Compte tenu de l'ensemble des informations médico-techniques, obtenues de façon contradictoire, et portées à sa connaissance, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 9] considère qu'il peut être retenu un lien, certain et direct, de causalité entre le travail habituel de Mme [M] [D] et la pathologie dont elle se plaint, à savoir « Tendinopathie chronique objectivée par IRM Gauche » pour laquelle elle demande reconnaissance et réparation. Elle doit donc bénéficier d'une prise en charge au titre du tableau N° 57 des maladies professionnelles du régime général. »

[2] La CPAM de l'Aude a informé l'employeur de l'avis du CRRMP et de la prise en charge de la pathologie déclarée par la salariée au titre de la législation protectrice des risques professionnels par lettre du 31 mai 2016. L'employeur a saisi la commission de recours amiable de la CPAM laquelle s'est prononcée ainsi le 14 septembre 2016 :

« Objet de la demande

Contestation de Maître RIGAL pour le compte de l'employeur, quant à la prise en charge de la maladie du 11 juin 2015 au titre de la législation professionnelle. (Dossier n° 150611341 - épaule gauche). Prescription de la demande de maladie professionnelle effectuée par Mme [M]. Décision initiale de refus acquise à l'employeur.

Textes de référence [']

Faits et circonstances

Mme [D] [M] est employée depuis le 2 avril 1992 en tant que manutentionnaire / employée de libre-service, au sein de la société [12] située à [Localité 11]. Le 11 juin 2015, Mme [D] [M] a déclaré être atteinte d'une maladie professionnelle : « tendinopathie + rupture de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite ». La première constatation médicale a eu lieu en novembre 2012. Le certificat médical initial a été établi le 11 juin 2015 et mentionne : « tendinopathie épaule gauche ' tendinopathie + rupture de la coiffe des rotateurs épaule droite ». Une enquête administrative a été diligentée par la caisse.

Audition de Mme [D] [M], le 9 septembre 2015 :

« j'ai commencé à travailler dans l'enseigne [8] SAS [12] à [Localité 11] le 2 avril 1992 en tant que technicienne de smface. J'ai commencé en CDD puis j'ai été embauchée définitivement. J'ai débuté dans un premier temps en tant que technicienne de surface à temps partiel (30 h par semaine). Ce poste consistait à faire le ménage du magasin. J'étais toute seule à ce poste. Je travaillais le matin du lundi au samedi de 5h00 à 8h30 et entre 12h00 et 14h00 pendant la fermeture du magasin. Je passais dans un premier temps le balai manuellement puis je repassais avec la machine. Le magasin a brûlé en octobre 1993 et après sa reconstruction en mars 1994, j'ai été affectée au poste d'employé libre-service en rayon. J'ai travaillé dans tous les rayons sauf à la poissonnerie et au rayon fruits et légumes. Après mon accident du travail du 5 février 2005, j'ai repris mon travail le 1er avril 2007 à temps partiel (18 h par semaine). J'ai une pension d'invalidité qui complète mon salaire. J'ai repris en tant qu'employée libre-service, mais je n'avais plus de rayon attitré. En revanche, je ne travaillais plus qu'à l'épicerie [']. Je remplaçais le personnel en congés. Cette organisation a duré jusqu'à ce que je me fasse opérer de l'épaule droite en octobre 2013. Entre-temps, je me suis fait opérer du dos le 26 avril 2012. Je suis revenue travailler en mars 2014 où j'ai été affectée définitivement au rayon animaux malgré les contre-indications de la visite médicale du travail. Mes horaires de travail officiels sont les suivants : 5h30 à 8h30 mais la majorité du temps je viens avant (1/4 d'heure) et je pars après (1/4 d'heure). Je travaille du lundi au samedi. Ma journée type : j'arrive vers 5h15. Je mets ma tenue, ma blouse et mes chaussures de sécurité. J'allais voir mon responsable qui me disait dans quel rayon je devais travailler. J'étais affectée en fonction de l'absence de mes collègues. Quelques fois je connaissais à l'avance mon poste de travail. Je me rendais dans le rayon où j'étais affectée et je dépotais les palettes qui s'y trouvaient. Je « dispatchais » les marchandises dans le rayon. Les palettes étaient en général hautes et je soulevais beaucoup de poids notamment lorsque j'étais dans le rayon des animaux et lessive. Une fois mes palettes vidées, je passais mes commandes. J'utilisais pour ça un MSI (ou scanette). Je suis actuellement affectée au rayon des animaux et biscuits apéro depuis le 18 mars 2014. Le matin, j'arrive toujours en avance et je me change. Je récupère l'échelle qui est difficilement accessible. Je la fais rouler jusqu'à mon rayon des animaux. Je me trouve parfois devant des palettes de deux mètres de haut. Je suis parfois obligée de monter sur la dernière marche de l'échelle pour commencer à la dépoter. Il y a des sacs de 20 kg que je dois porter toute seule. Je place la marchandise dans les rayons. J'en laisse en stock sur l'étagère la plus haute du rayon (des casquettes). Il m'est très difficile de porter les sacs de croquettes jusqu'à cette étagère. Sur ma palette se trouve également la lessive. Je suis obligée d'enlever la lessive du rayon de mon collègue pour pouvoir récupérer ma marchandise (animaux). Une fois ma marchandise récupérée je remets sa marchandise dessus et je vais lui amener sa palette à l'aide d'un transpalette manuel dans son rayon lessive. Je peux ainsi travailler dans mon rayon. Les tâches les plus pénibles pour moi sont :

' de porter la marchandise sur les étagères du haut

' de faire des gestes répétitifs : pendant 3 heures je porte des poids et je range la marchandise

' de dépoter les palettes des rayons animaux et lessive, car c'est là où il y a le plus de poids à porter : J'avais en général l'aide de mon responsable, M. [Z], lorsqu'il était présent mais uniquement pour le rayon lessive. Pour mon travail quotidien, j'utilisais comme matériel un cutter, une échelle et une scanette. J'ai eu plusieurs arrêts de travail :

' du 29/02/2012 au 06/03/2012

' du 26/04/2012 au 29/08/2012 : opération du dos. Je me suis fait opérer à la Clinique [7] à [Localité 9] par le chirurgien Dr [I] [F]

' du 30/09/2013 au 16/03/2014 : opération de l'épaule droite. Je me suis fait opérer à la Clinique [5] de [Localité 6] par le chirurgien Dr [E] [J]

' du 28/04/2014 au 10/05/2014 (pneumopathie)

' du 28/04/2015 au 28/05/2015 (panaris)

' du 30/05/2015 à ce jour : épaule.

Je suis en congé depuis le 01/11/2015 et je reprends le travail le 24/11/2015. Je passe ma visite médicale le 23/11/2015. Ma dernière visite médicale date du 17/03/2014 avec le Dr [L] [A] : apte mais aménagement du poste, 3 heures par jour sans port de charges lourdes, 5 kg maximum et éviter les mains au-dessus des épaules. Je mis droitière, mais je me débrouille des deux mains. Je mesure 1m65 et pèse 90 kg. Je fais un peu de vélo et un peu de piscine ».

Audition de Mme [K] (directrice du magasin). le 27 novembre 2015 :

Mme [K] a repris le magasin [8] SAS [12] de [Localité 10]e le 2 janvier 2014 en tant que directrice. Le magasin compte actuellement 85 employés. Mme [K] indique que Mme [D] [M] travaille depuis 23 ans dans le magasin [8]. Mme [K] précise que Mme [D] [M] a suivi en 2006 une formation (formation de gestes et postures). En mars 2016, une journée de formation est prévue intitulée « gestes et postures : prévenir les risques liés à la manutention et les troubles musculo-squelettiques ». Mme [D] [M] a passé sa dernière visite médicale du travail le 23/11/2015 avec le Dr [S] [R] suite à sa reprise de travail du même jour : « apte aménagement du poste : pas de manutention supérieure à 5 kg et pas de tâches nécessitant l'usage des bras au-dessus du plan de l'épaule ». Mme [K] précise que Mme [D] [M] a eu de nombreux arrêts de travail depuis son embauche. Elle indique que depuis 1996 elle a commencé à avoir des problèmes de santé. Elle est reconnue travailleur handicapé depuis 1997. Mme [K] indique que Mme [D] [M] travaille à temps partiel depuis 2006. Elle travaille 18 heures par semaine du lundi au vendredi (5h30 à 8h30 avant l'ouverture du magasin). Mme [K] indique que le magasin fonctionne à flux tendu. Il n'y a pas la place pour stocker les produits.

Audition de M. [Z] (responsable de magasin), le 27 novembre 2015 :

M. [Z] indique que Mme [D] [M] travaille depuis 23 ans dans le magasin [8]. Mme [D] [M] travaille à temps partiel depuis 2006. Elle effectue 18 heures par semaine du lundi au vendredi (de 5h30 à 8h30 avant l'ouverture du magasin). Elle n'avait pas de rayon fixe. Elle était affectée à différents rayons en fonction des absences des salariés. C'est depuis 2014 que les rayons animaux et gâteaux apéritifs lui ont été affectés. M. [Z] indique que Mme [D] [M] a été absente pendant 4 mois en 2012. M. [Z] précise que le travail de Mme [D] [M] est varié. Le matin quand elle arrive la palette est déjà installée dans son rayon. Elle n'a plus qu'à la dépoter et mettre les produits et ranger les produits en rayon. Il indique que Mme [D] [M] s'occupe du rayon animaux : il précise que les produits de ce rayon sont mis sur la même palette que le rayon lessive. Il arrive parfois que les produits de son rayon se trouvent en bas de la palette. Mme [D] [M] peut alors attendre que son collègue enlève ses produits pour que Mme [D] [M] prenne les siens. Il précise que les produits ne sont pas toujours rangés de la même manière sur la palette : quelques fois les produits animaux sont les premiers sur la palette. Mme [D] [M] a d'autres tâches à effectuer : contrôle des stocks, inventaire, facing (vérifier que les produits sont bien rangés'). M. [Z] indique que Mme [D] [M] a à sa disposition un escabeau placé dans un endroit proche des rayons afin que les salariés l'utilisent plus facilement. Si l'escabeau est rangé dans la réserve, les salariés ne vont pas aller le chercher. M. [Z] précise que si Mme [D] [M] trouve des difficultés à récupérer l'échelle, elle peut lui demander de l'aide ainsi qu'à M. [O]. M. [Z] précise que si la totalité de la marchandise n'a pas pu être rangée dans les gondoles, le reste des produits est placé sur le dernier rayon du haut (« rayon casquette »). Elle utilise pour cela l'escabeau. M. [Z] indique que le magasin fonctionne à flux tendu, car il n'y a pas assez de place pour stocker les marchandises dans la réserve. Il y a donc tous les jours un arrivage de produits. Depuis avril 2015, le réapprovisionnement des marchandises se fait automatiquement. Elle doit vérifier les produits qui sortent en négatif (pour vérifier les commandes, fait les étiquettes et change les prix des produits si nécessaire). Elle casse les cartons : elle les compacte et les place dans un caddie. Elle trie le carton et le plastique. M. [Z] indique que la mise en rayon représente environ 2h30 (avec 5 minutes de pause comprise) et que les autres activités représentent environ 30 minutes. Il précise que Mme [D] [M] travaille lentement, car ses rayons ne sont pas terminés lorsqu'elle part à 8h30. M. [Z] précise que les rayons où le turnover des produits est important sont ceux qui se trouvent à hauteur d'hommes.

Par courrier du 5 août 2015, la caisse a informé la société [12] de la transmission d'une déclaration de maladie professionnelle par l'assurée. Par courrier du 30 septembre 2015, la caisse a informé l'employeur de la mise en place d'un délai d'instruction supplémentaire. Par une notification du 3 décembre 2015, la caisse a informé la société [12] de la transmission du dossier au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et de la possibilité de consulter le dossier avant la transmission. La notification précise également que l'employeur a la possibilité de formuler des observations avant la transmission du dossier au CRRMP. Le courrier indique enfin « qu'après réception de l'avis du CRRMP qui s'impose à la caisse, une notification de la décision prise vous sera adressée ». Par courrier du 31 mai 2016, la caisse a notifié à la société [12] la décision de prise en charge de la maladie de Mme [D] [M] dans le cadre du tableau n° 57 des maladies professionnelles, suite à l'avis favorable rendu par le CRRMP. Par recours formé en date du 26 juillet 2016, Maître Gabriel RIGAL, représentant la société [12] conteste cette décision auprès de la commission de recours amiable. Maître Gabriel RIGAL sollicite l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie de Mme [D] [M] à l'égard de la société [12]. À ce titre, Maître Gabriel RIGAL invoque tout d'abord la prescription de la demande de reconnaissance de la maladie au titre des risques professionnels. Pour cela, il souligne le fait que la première constatation médicale de la maladie de Mme [D] [M] remonte à novembre 2012. Selon l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues se prescrivent par deux ans. Mme [D] [M] ayant déclaré sa maladie professionnelle le 11 juin 2015, Maître Gabriel RIGAL invoque la prescription de l'action, le délai de deux ans étant dépassé. Ensuite, Maître Gabriel RIGAL, représentant la société [12], indique que la caisse a adressé à l'employeur un courrier du 30 septembre 2015, l'informant de la nécessité de recourir à un délai complémentaire d'instruction. Maître Gabriel RIGAL ajoute que « compte tenu de ce courrier la caisse se devait de prendre une décision au plus tard avant le 30 décembre 2015. Or, en l'espèce, ce n'est que par courrier du 31 mai 2016 que la caisse a informé la société [12] de sa décision de prise m charge après avis du CRRMP de la maladie professionnelle de Mme [D] [M], soit au-delà du délai de 6 mois prévu par les dispositions de l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale. Par conséquent, la caisse a donc omis d'informer la société [12] de sa décision de refus de prise en charge de la maladie de la maladie du 11 juin 2015 de Mme [D] [M], cette décision ayant dû intervenir au plus tard le 30 décembre 2015. La décision du 31 mai 2016 ne peut être qu'une décision de prise en charge après refus. Par conséquent, conformément à la circulaire DSS/2C/2009/267 du 21 août 2009, en cas de prise en charge après refus du caractère professionnel d'une maladie professionnelle, la décision initiale de refus reste acquise envers l'employeur conformément au principe d'indépendance des parties ».

Discussion

1°) S'agissant de la prescription de l'action de Mme [D] [M] en reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie :

Invoquant l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale, Maître Gabriel RIGAL, représentant la société [12], soutient que la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de Mme [D] [M] est prescrite, le délai de deux ans étant dépassé.

Il résulte des articles L. 431-1, L. 461-1 et L. 461-5 du code de la sécurité sociale que le point de départ du délai de deux ans pendant lequel la victime peut demander la prise en charge de la maladie au titre professionnel court :

' soit à compter de la date à laquelle elle est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle (Cass., 2e civ., 12 juillet 2006, n°05-10.556). Le point de départ du délai de prescription fixé à l'article L.431-2 alinéa 1°' est celui de la date du certificat médical informant la victime de l'origine professionnelle de son affection (circulaire DSS n°2000/45, 26 janvier 2000).

' soit à compter de la date de cessation du travail due à la maladie lorsqu'elle a déjà été informée que la maladie a un lien avec son travail,

' soit à compter de la cessation du paiement des indemités journalières.

En l'espèce, un certificat médical initial daté du 11 juin 2015 fait état de l'existence de la maladie de Mme [D] [M] et du lien avec son activité professionnelle. Par conséquent, le délai de deux ans à l'issue duquel l'action de la victime est prescrite court à compter de l'établissement de ce certificat médical initial, soit à compter du 11 juin 2015. Mme [D] [M] avait donc jusqu'au 11 juin 2017 pour effectuer une demande de reconnaissance de sa maladie professionnelle. La demande ayant été faite le 11 juin 2015, l'action de la victime est en aucun cas prescrite, et ce malgré le fait que la date de la première constatation médicale de la maladie soit intervenue en novembre 2012. En effet, la première constatation médicale ne signifie pas que le lien avait été fait avec l'activité professionnelle, ni que la victime en avait été informée. L'action de Mme [D] [M] ayant été faite dans les délais, Maître Gabriel RIGAL, représentant la société [12], ne peut soulever la prescription pour solliciter l'inopposabilité de la décision de prise en charge.

2°) S'agissant de la décision de refus de prise en charge définitivement acquise pour l'employeur :

Maître Gabriel RIGAL, représentant la société [12], soutient que la caisse n'a pas respecté les délais d'instruction qui s'imposent à elle lors de la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de Mme [D] [M].

Par courrier du 30 septembre 2015, la caisse a notifié à l'employeur la mise en place d'un délai complémentaire d'instruction ne pouvant excéder trois mois à compter de la notification. Maître Gabriel RIGAL soutient alors que la caisse se devait de prendre une décision au plus tard avant le 30 décembre 2015. Or, ce n'est que par courrier du 31 mai 2016 que la caisse a informé l'employeur de la prise en charge de la maladie de Mme [D] [M] au titre de la législation professionnelle. Maître Gabriel RIGAL soutient donc que la caisse a omis d'informer la société [12] de sa décision de refus de prise en charge de la maladie, cette décision ayant dû intervenir au plus tard le 30 décembre 2015. Maître Gabriel RIGAL soutient ainsi que la décision finale de prise en charge, datée du 31 mai 2016, soit au-delà du délai complémentaire de trois mois, est inopposable à l'employeur, la décision initiale de refus lui restant acquise.

À la suite du délai complémentaire d'instruction mis en place le 30 septembre 2015, la caisse a indiqué à l'employeur, par courrier du 3 décembre 2015, que la reconnaissance n'ayant pu aboutir, le dossier serait transmis au CRRMP. Le courrier indique qu'après réception de l'avis du CRRMP qui s'impose à la caisse, une notification de la décision prise sera adressée à l'employeur.

Lorsque l'avis du CRRMP n'a pas été rendu à l'issue du délai complémentaire de trois mois, la caisse adresse un refus conservatoire à l'assuré. Cependant, la décision de refus pour défaut d'avis du CRRMP ne faisant pas grief à l'employeur, elle ne lui est pas notifiée. En l'espèce, l'employeur s'est vu notifier l'information de la transmission du dossier au CRRMP à la date du 3 décembre 2015. L'avis du CRRMP ayant été rendu le 20 avril 2016, la décision de prise en charge a été notifiée à l'employeur le 31 mai 2016. Ainsi, puisqu'aucune décision de refus n'a été notifiée à l'employeur avant la décision finale de prise en charge du 31 mai 2016, cette dernière n'est pas une décision de prise en charge après refus et est donc opposable à la société [12]. En effet, en l'absence de décision définitive notifiée, l'employeur ne peut considérer que la décision de refus lui est acquise. Il convient d'ajouter que, eu égard au principe d'indépendance des parties, l'employeur ne peut se prévaloir du refus conservatoire notifié à l'égard de l'assuré (Cass., 2e civ., 19 février 2009, n° 08-10.544 ; Cass., 2e civ., 8 octobre 2009, n° 08-16.918).

Maître Gabriel RIGAL souligne ensuite que la décision du 31 mai 2016 est intervenue au-delà du délai complémentaire de trois mois, délai ayant commencé à courir au 30 septembre 2015. Il convient de rappeler que la caisse ne pouvait se prononcer dans les délais impartis, étant dépendante de l'avis du CRRMP, rendu le 20 avril 2016. En tout état de cause, le non-respect des délais n'est pas sanctionné par l'inopposabilité de la décision finale. En effet, selon l'article R. 441-10 alinéa 3 du code de la sécurité sociale, sous réserves des dispositions de l'article R. 441-14, en l'absence de décision de la caisse dans le délai prévu au premier alinéa, le caractère professionnel de l'accident est reconnu. Cette position est confirmée par la jurisprudence : « l'inobservation du délai de six mois dans la limite duquel doit statuer la caisse n'est sanctionné que par la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie » (Cass., 2e civ., 10 juillet 2008, n°07-15.670 ; Cass., 2e civ., 25 juin 2009, n° 08-15.070). Ainsi, ni les textes, ni la jurisprudence, ne sanctionnent le non-respect des délais par une inopposabilité de la décision concernée. Seul le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu à défaut de décision intervenue dans les délais.

Au vu des éléments ci-dessus, Maître Gabriel RIGAL, représentant la société [12], ne peut valablement solliciter l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle du 31 mai 2016. En effet, cette décision ne constitue pas une décision de prise en charge après refus, puisqu'aucune décision de refus n'a été notifiée à l'employeur avant la décision finale du 31 mai 2016. De plus, certes la décision du 31 mai 2016 intervient au-delà des délais légaux, mais elle ne peut être sanctionnée par une inopposabilité, tant au regard des textes que de la jurisprudence. Par conséquent, il ne peut être fait droit à la demande de Maître Gabriel RIGAL, représentant la société [12].

La demande de reconnaissance de la maladie professionnelle de Mme [D] [M] n'étant pas prescrite, et l'inopposabilité de la décision de prise en charge du 31 mai 2016 ne pouvant être valablement soulevée par Maître Gabriel RIGAL, la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie du 11 juin 2015 dont souffre Mme [D] [M] est parfaitement opposable à la société [12]. Ainsi, il ne peut être fait droit a la demande de Maître Gabriel RIGAL, représentant la société [12].

Décision de la commission

La commission rejette la demande de Maître Gabriel RIGAL, représentant la société [12], et maintient la décision initiale de la caisse. »

[3] Contestant cette décision, la SAS [12] a saisi le 15 novembre 2016 le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude, lequel, par jugement rendu le 2 octobre 2018, a :

débouté la SAS [12] de sa demande d'inopposabilité de la prise en charge par la CPAM de l'Aude de la maladie professionnelle de Mme [D] [M] « tendinopathie de l'épaule gauche objectivée par IRM » déclarée le 11 juin 2015 ;

débouté la SAS [12] de l'ensemble de ses demandes ;

rejeté toute prétention contraire ou plus ample ;

rappelé qu'il n'existe pas de dépens devant la juridiction.

[4] Cette décision a été notifiée le 4 octobre 2018 à la SAS [12] qui en a interjeté appel suivant déclaration du 12 octobre 2018.

[5] Vu les écritures adressées à la cour le 25 octobre 2023 par la SAS [12] qui a été dispensée de comparaître aux termes desquelles elle demande à la cour de :

déclarer l'appel recevable ;

infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

dire que la CPAM n'a pas respecté les conditions de saisine du CRRMP en l'absence d'avis du médecin du travail ;

dire que la CPAM ne rapporte pas la preuve que la maladie professionnelle déclarée par la salariée correspond strictement à une tendinopathie chronique non-rompue non-calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM telle que désignée dans le tableau n° 57A des maladies professionnelles, avec l'ensemble de ses caractéristiques ;

dire que la CPAM devait interroger un CRRMP sur cette condition relative à la désignation de la maladie ;

dire que la CPAM n'a pas respecté le contradictoire à son égard dans le cadre de l'instruction mise en 'uvre ;

lui déclarer inopposables la décision de prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, de la maladie déclarée par la salariée, ainsi que toutes les conséquences financières y afférentes ;

débouter la CPAM de toutes ses demandes ;

condamner la CPAM aux dépens.

[6] Vu les écritures déposées à l'audience et reprises par son conseil selon lesquelles la CPAM de l'Aude demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en son intégralité ;

dire que la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie du 11 juin 2015 notifiée par elle à l'employeur est opposable à ce dernier ;

rejeter l'ensemble des demandes adverses.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la saisine du CRRMP de [Localité 9]

[7] L'employeur, au visa des arrêts rendus par la 2e chambre civile de la Cour de cassation le 24 septembre 2020, n° de pourvoi 19-17.553, et le 6 janvier 2022, n° de pourvoi 20-17.889, reproche à la caisse de ne pas avoir sollicité l'avis du médecin du travail avant de saisir le CRRMP en violation des dispositions de l'article D. 461-29 du code de la sécurité sociale.

[8] La caisse répond que le CRRMP était composé de 3 membres dont un médecin du travail, le Dr [V] [W], et qu'il a donné son avis suite aux avis de ses trois membres.

[9] Selon l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, lorsqu'une ou plusieurs conditions de prise en charge d'une maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles ne sont pas remplies, la CPAM reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un CRRMP. Il résulte des articles D. 461-29 et D. 461-30 du même code que la caisse saisit le comité après avoir recueilli et instruit les éléments nécessaires du dossier, parmi lesquels figure un avis motivé du médecin du travail de l'entreprise où la victime a été employée. Le comité peut valablement exprimer l'avis servant à fonder la décision de la caisse en cas d'impossibilité matérielle d'obtenir cet élément. En l'absence d'impossibilité matérielle d'obtenir l'avis du médecin du travail, la décision de prise en charge de l'affection au titre de la législation sur les risques professionnels est inopposable à l'employeur sans qu'il y ait lieu de désigner un second CRRMP.

[10] En l'espèce, le CRRMP note qu'il n'a pas pris connaissance de l'avis motivé du médecin du travail. La participation à ce comité du Dr [V] [W], représentante du médecin inspecteur régional du travail, n'est pas de nature à suppléer l'avis motivé du médecin du travail de l'entreprise où la victime a été employée. La caisse n'invoque pas l'impossibilité matérielle d'obtenir un tel avis. Dès lors, sa décision de prise en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels de l'affection déclarée le 11 juin 2015 par Mme [D] [M] est inopposable à l'employeur.

2/ Sur les dépens

[11] La CPAM supportera la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Déclare l'appel recevable.

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau,

Déclare inopposable à la SAS [12] la prise en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels de la « tendinopathie de l'épaule gauche objectivée par IRM » déclarée le 11 juin 2015 par Mme [D] [M].

Laisse les dépens d'appel à la charge de la CPAM de l'Aude.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 3e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18/05150
Date de la décision : 07/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-07;18.05150 ?
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