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14/03/2024 | FRANCE | N°21/01484

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 4e chambre civile, 14 mars 2024, 21/01484


ARRÊT n°































Grosse + copie

délivrées le

à

























COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



4e chambre civile



ARRET DU 14 MARS 2024



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/01484 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O422



Décision déférée à la Cour :

Jugement du 16 novembre 2020

T

ribunal judiciaire de Béziers - N° RG 19/00647





APPELANTE :



Crcam [Localité 6] et Ile- de-France

Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel de [Localité 6] et d'Ile de France, société coopérative à capital variable, inscrite au RCS de Paris sous le n° 775 665 615 agissant en la personne de son représentan...

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

4e chambre civile

ARRET DU 14 MARS 2024

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 21/01484 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O422

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 16 novembre 2020

Tribunal judiciaire de Béziers - N° RG 19/00647

APPELANTE :

Crcam [Localité 6] et Ile- de-France

Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel de [Localité 6] et d'Ile de France, société coopérative à capital variable, inscrite au RCS de Paris sous le n° 775 665 615 agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Fanny LAPORTE substituant Me Yann GARRIGUE de la SELARL LX MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant ayant plaidé pour Me Jean-Philippe GOSSET, avocat au barreau de PARIS

INTIME :

Monsieur [D] [E]

né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 4] / FRANCE

Représenté par Me Laurent PORTES substituant Me Xavier LAFON de la SCP LAFON PORTES, avocat au barreau de BEZIERS, avocat postulant et plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 JANVIER 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre

M. Philippe BRUEY, Conseiller

Mme Marie-José FRANCO, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Henriane MILOT

ARRET :

- contradictoire ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Henriane MILOT, Greffier.

*

* *

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Après avoir vendu sa maison en région parisienne, M.[D] [E] a souhaité placer une somme de 50 000 euros provenant de cette vente.

Sa banque, la société coopérative à capital variable (SCCV) Caisse régionale de crédit agricole mutuel de [Localité 6] et d'Île-de-France (CRCAM de [Localité 6] et d'Île-de-France) lui a conseillé d'investir dans des titres « Calyon » intitulés « EMTN Autocall Sweet CAC 40 », dont le rendement était indexé sur l'évolution de l'indice du CAC 40, qui reflète la performance des 40 actions les plus importantes de la bourse de [Localité 6].

Le 5 ou 7 décembre 2007, M. [D] [E] en a acheté pour un montant nominal de 50 000 euros.

Lors de la crise bancaire et financière de l'automne 2008 (dite « crise des subprimes ») qui a notamment provoqué la faillite de la banque d'investissement « Lehman Brothers », le cours du CAC 40 a chuté fortement et de manière durable.

En septembre 2010, M. [D] [E] a été informé de la perte probable d'une partie de son capital.

Il a contesté cette perte expliquant n'avoir jamais voulu investir dans un placement risqué.

La banque a refusé de lui restituer son capital et, à l'échéance du contrat, le 7 janvier 2011, lui a remboursé une somme de 34 286 euros.

M. [D] [E] a, ainsi, perdu la somme de 15 714 euros.

Après diverses réclamations, le 26 mai 2011, la CRCAM de [Localité 6] et d'Île-de-France lui a proposé de transiger à hauteur de 5000 euros.

C'est dans ce contexte que par acte du 17 août 2012, M.[D] [E] a assigné le Crédit Agricole de [Localité 6] et d'Ile de France devant le tribunal de grande instance de Béziers aux fins d'obtenir notamment sa condamnation à lui payer la somme de 15.714 euros à titre de dommages-intérêts.

Par jugement du 25 juin 2018, le tribunal de grande instance de Béziers a fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par la banque et a renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance de Paris.

Par arrêt du 20 mars 2019, la cour d'appel de Montpellier a infirmé ce jugement et renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance de Béziers.

Par jugement du 16 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Béziers a :

- condamné la CRCAM CRCAM de [Localité 6] et d'Île-de-France à payer à M. [D] [E] la somme de 8 000 € à titre de dommages et intérêts augmentés des intérêts au taux légal à compter de la décision ;

- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires ;

- condamné la CRCAM De [Localité 6] et d'Île-de-France à payer à M.[E] la somme de 1 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné la CRCAM De [Localité 6] et d'Île-de-France aux dépens avec distraction au profit de la SCP d'avocats Lafon Portes, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration du 8 mars 2021, la CRCAM De [Localité 6] et d'Île-de-France a relevé appel de ce jugement.

Par dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 décembre 2021, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de [Localité 6] et d'Île-de-France demande, sur le fondement des articles 1103, 1104, 1231-1, 1360 et 1365 du code civil, de :

Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

à titre principal,

juger qu'elle n'a commis aucun manquement à ses devoirs d'information et de conseil,

débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire,

juger que M. [E] ne pourrait se prévaloir que d'une perte de chance,

limiter, en conséquence, le préjudice de M. [E] à la seule éventuelle perte d'une chance de ne pas contracter et ce de manière inférieure à la somme fixée à hauteur de 8 000 € par le jugement de première instance,

en tout état de cause,

condamner M. [E] aux dépens et à lui payer la somme de 4 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par uniques conclusions transmises par voie électronique le 7 septembre 2021, M. [D] [E] demande sur le fondement des articles 1142 et 1147 anciens du code civil, des articles L. 533-11, L. 533-12 et L. 533-13 du code monétaire et financier, de :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la responsabilité de la banque est engagée ;

infirmer le jugement pour le surplus ;

En conséquence,

condamner la CRCAM de [Localité 6] et d'Île-de-France à lui payer la somme de 15 714 € à titre de dommages et intérêts majorée des intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2011, date de la mise en demeure,

condamner la CRCAM de [Localité 6] et d'Île-de-France à lui payer la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

Y ajoutant,

condamner la CRCAM de [Localité 6] et d'Île-de-France à lui payer la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner la CRCAM de [Localité 6] et d'Île-de-France aux dépens dont distraction au profit de la SCP d'avocats Lafon Portes.

Vu l'ordonnance de clôture du 13 juin 2023.

Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur les manquements de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde

L'article L.533-11 du code monétaire et financier dans sa version applicable aux faits de l'espèce, dispose que : « Lorsqu'ils fournissent des services d'investissement et des services connexes à des clients, les prestataires de services d'investissement agissent d'une manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts des clients ».

L'article L533-12 du même code ajoute que :

« I. ' Toutes les informations, y compris les communications à caractère promotionnel, adressées par un prestataire de services d'investissement à des clients, notamment des clients potentiels, présentent un contenu exact, clair et non trompeur. Les communications à caractère promotionnel sont clairement identifiables en tant que telles.

II. ' Les prestataires de services d'investissement communiquent à leurs clients, notamment leurs clients potentiels, les informations leur permettant raisonnablement de comprendre la nature du service d'investissement et du type spécifique d'instrument financier proposé ainsi que les risques y afférents, afin que les clients soient en mesure de prendre leurs décisions d'investissement en connaissance de cause ».

Il résulte de ces textes les principes suivants :

Le prestataire de services d'investissement est tenu à une obligation de mise en garde lorsque l'investissement en cause présente à un caractère spéculatif (Com. 30 mai 2012 n°11-11063) ;

Il est également tenu à une obligation d'information qu'il doit adapter à la compétence de son client. Il lui appartient d'établir qu'il a respecté cette obligation (Com. 16 février 2010 n° 09-12071).

La CRCAM de [Localité 6] et d'Île-de-France poursuit l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit que l'investissement reposant sur l'indice CAC 40 devait être considéré comme spéculatif. Elle expose que M. [D] [E] était titulaire d'un compte PEA et d'un compte titre, ce qui faisait de lui, selon elle, un investisseur averti. Elle ajoute que toutes les informations utiles lui ont été données, en particulier celle selon laquelle le capital n'était pas garanti, rappelant les termes de la clause contractuelle selon laquelle « le remboursement du montant nominal des titres n'est pas garanti et que, par conséquent, le porteur peut perdre tout ou partie de son investissement initial lors du remboursement à maturité des titres ».

Pour retenir la responsabilité de la CRCAM de [Localité 6] et d'Île-de-France en raison de son manquement à son devoir d'information, les premiers juges ont relevé que : « Par la simple production d'un document particulièrement abscons comportant deux pages dont la première est un montage et seule la seconde est signée de M. [D] [E] à la date du 7 décembre 2007, soit postérieurement à la conclusion du contrat, la banque ne prouve pas avoir satisfait à son obligation d'information envers un investisseur profane sur les risques des opérations boursières, malgré un placement antérieur d'épargne en actions avec risque limité par un capital garanti ».

La cour ne peut que partager cette analyse procédant à une correcte et pertinente appréciation des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité d'un prestataire de services d'investissement pour manquement à son devoir d'information.

Il sera ajouté que la CRCAM de [Localité 6] et d'Île-de-France produit plusieurs documents dont elle échoue à rapporter la preuve qu'ils ont été communiqués à M. [D] [E]. Le seul document où figure sa signature est la page n° 2 (non numérotée) du bulletin de « confirmation de demande d'achat » qui affirme : « Je soussigné M. [E] confirme ma demande d'achat ferme et irrévocable pour un montant de 50 000 € de l'EMTN sur l'indice CAC 40, de maturité 13 décembre 2010, dont les caractéristiques sont rappelées ci-dessus. Le 07/12/07 » (pièce n° 2).

M. [D] [E] dénie sa signature, mais comme le fait observer la CRCAM de [Localité 6] et d'Île-de-France, sa signature évolue d'un document à l'autre, et, en tout état de cause, cette signature apparaît authentique.

Cependant, il n'est pas prouvé que M. [D] [E] a eu communication de la première page du document litigieux. Dès lors, rien ne permet de s'assurer qu'il a été informé de ce qu'il s'agissait d'un « capital non garanti », mention qui, en outre, n'apparaît seulement que sur l'une des deux versions de cette première page (celle de la pièce n°2, mais pas celle de la pièce n°8).

La CRCAM de [Localité 6] et d'Île-de-France ne peut pas davantage se retrancher sur les notices descriptives des pièces n°1 et 7, puisqu'elles ne sont ni paraphées ni signées par M. [D] [E].

Quant à la mention figurant au bas de la page n° 2 signéepar M. [E] (« (...) A ce titre, l'attention des investisseurs potentiels est attirée sur le fait que le remboursement du montant nominal des Titres n'est pas garanti et que par conséquent le porteur peut perdre tout ou partie de son investissement initial lors du remboursement à maturité des Titres(...) »), elle ne peut permettre à la banque de démontrer qu'elle s'est acquittée de façon « loyale et professionnelle » de son obligation de délivrer une information complète et appropriée à son client alors qu'elle est rédigée dans une police de petite taille qui n'attire nullement l'attention d'un lecteur normalement vigilant.

Le tribunal doit, en conséquence, être approuvé lorsqu'il juge que faute d'apporter la preuve qu'elle a effectivement informé son client des risques que l'investissement faisait courir à son capital, la banque a engagé sa responsabilité.

La CRCAM de [Localité 6] et d'Île-de-France ne démontre pas davantage avoir rempli son obligation de mise en garde de son client qui s'imposait pourtant à elle, M. [D] [E] étant un investisseur non averti qui n'avait pas d'expérience suffisante en matière boursière, en dépit de la détention d'un compte PEA et d'un compte titre.

Le préjudice résultant des manquements du prestataire de services d'investissement à ses obligations d'information et de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance d'échapper, par une décision peut-être plus judicieuse, aux risques qui se sont réalisés.

Contrairement à ce que soutient M. [E], son indemnisation ne peut pas porter sur l'intégralité de la perte financière subie.

En effet, la perte de chance « ne peut qu'être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée » (Com. 15 févr. 2011, pourvoi n° 09-16.779). Ainsi, plus il y a de chances que l'investisseur aurait maintenu son choix s'il avait été informé et mis en garde des risques courus, moins sera élevée l'indemnité qu'il pourra obtenir à titre de dédommagement.

Le premier juge, par des motifs pertinents et adaptés que la cour adopte, a justement retenu que par cet investissement, M.[E] a renoncé à procéder à un dépôt sur les comptes qu'il possédait déjà qui offraient à ses capitaux une sécurité parfaite, mais avec l'inconvénient d'une rémunération peu attractive.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé le préjudice subi par M. [E] causé par le défaut d'information, mais également par l'absence de mise en garde, à la somme de 8 000 euros de dommages-intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter de cette décision.

C'est également à juste titre que la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive a été rejetée, aucun abus n'étant démontré en l'espèce.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de [Localité 6] et d'Île-de-France supportera les dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP d'avocats Lafon Portes.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de [Localité 6] et d'Île-de-France aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP d'avocats Lafon Portes,

Condamne la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de [Localité 6] et d'Île-de-France à payer à M. [D] [E] une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 4e chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/01484
Date de la décision : 14/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-14;21.01484 ?
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