Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre civile
ARRÊT DU 15 JUIN 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 20/01469 - N° Portalis DBVK-V-B7E-ORRZ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 21 janvier 2020
Tribunal Judiciaire de Montpellier N° RG 18/06161
APPELANTES :
S.A.R.L. PJD Investissements (RCS Nîmes 398 858 019) agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège social sis
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Doaä BENJABER substituant Me Arnaud LAURENT de la SCP SVA, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
E.U.R.L. Sociéte Vergezoise de Réalisation SVR (RCS Nîmes 339 111 031), prise en la personne de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Doaä BENJABER substituant Me Arnaud LAURENT de la SCP SVA, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
INTIME :
Maître [J] [B] [I]
avocat au barreau d'ALES
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, et Me Pauline KORVIN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 avril 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre
Mme Cécile YOUL-PAILHES, Conseillère
Madame Marianne FEBVRE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Charlotte MONMOUSSEAU
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, prévu le 1er juin 2023 prorogé au 15 juin 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Charlotte MONMOUSSEAU, Greffière.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE :
La SARL PJD Investissements et l'EURL SVR, marchands de biens, ont été déclarées adjudicataires sur surenchères de deux maisons mitoyennes sises à [Localité 7].
Par jugement du 22 novembre 2016, le tribunal de grande instance d'Alès a constaté la péremption des effets des deux commandements valant saisie, avec pour conséquence de permettre aux saisis de retrouver la disponibilité de leurs biens ; par jugement en interprétation du 3 avril 2017, le tribunal a précisé que la péremption des commandements avait eu pour conséquence d'opérer un nouveau transfert de propriété en faveur des saisis, à compter du 29 mai 2016.
Estimant que cette décision justifiait la mise en cause de la responsabilité de leur avocat, les sociétés PJD Investissements et SVR (ci-après les sociétés), ont fait assigner Me [B] [I] par acte d'huissier de justice en date du 6 décembre 2018.
Par jugement en date du 21 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Montpellier a notamment dit que Me [B] [I] a commis des fautes dans l'exercice du mandat que lui avaient confié la SARL PJD Investissements et l'EURL SVR ; l'a condamnée en conséquence à indemniser ses mandantes du préjudice imputable à ses fautes et après avoir rejeté la demande d'expertise pour déterminer l'étendue du préjudice commercial et financier, l'a condamnée à payer aux demanderesses les montants suivants :
- 24 995,26 euros en remboursement des frais de procédure qu'elles ont engagés en vain;
- 11 976 euros au titre des procédures relatives à la taxe foncière ;
- 10 000 euros en indemnisation de leur perte de chance de réaliser un bénéfice à la revente ;
rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires, y compris d'intérêts pour la période antérieure à la date du présent jugement ;
condamné Me [B] [I] à verser aux demanderesses un montant global de 3 000 euros en indemnisation de leurs frais irrépétibles et aux entiers dépens ; ordonné l'exécution provisoire pour le tout.
La SARL PJD Investissements et l'EURL SVR ont relevé appel par déclaration du 12 mars 2020.
Me [B] [I] a relevé appel incident du jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Vu leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 15 novembre 2022, aux termes desquelles les sociétés demandent, au visa des articles 1147 du code civil, de confirmer le jugement sauf en ce qu'il a limité la perte de chance de réaliser un bénéfice à la revente à la somme de 10 000 euros et de :
- Débouter Me [B] [I] de l'ensemble de ses demandes;
- Condamner Me [B] [I] à leur payer à minima la somme de 333 727,98 euros au titre du préjudice commercial et financier ;
- Ramener à 10 142,52 euros le préjudice découlant des taxes foncières ;
- Condamner Me [B] [I] au paiement de la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
- Ordonner l'exécution provisoire.
Vu ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 09 novembre 2022, aux termes desquelles Me [B] [I] demande de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a alloué à la SARL PJD Investissements et l'EURL SVR la somme de 11 976 euros au titre des procédure relatives à la taxe foncière et la somme de 10 000 euros en indemnisation de leur perte de chance de réaliser un bénéfice à la revente et de :
- Débouter la SARL PJD Investissements et l'EURL SVR de toutes leurs demandes, à l'exception de la demande de remboursement de la taxe foncière de 2016 et des honoraires exposés pour la contester.
- Condamner la SARL PJD Investissements et l'EURL SVR à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 14 mars 2023.
MOTIFS
L'appel principal et l'appel incident ne défèrent à la cour que la connaissance des deux postes indemnitaires retenus par les premiers juges relatifs aux taxes foncières et à la perte de chance de réaliser un bénéfice à la revente, Me [B] [I] ne critiquant pas la décision en ce qu'elle a retenu qu'une faute pouvait lui être reprochée et qu'elle avait généré certains préjudices.
S'agissant des taxes foncières, les premiers juges sur la demande d'indemnisation des taxes foncières de 2016 à 2019 qui leur était présentée tout en retenant que des procédures contentieuses étaient pendantes devant le tribunal administratif de Nîmes dont le sort leur était inconnu, ont suivi le raisonnement des sociétés demanderesses tendant à les demander soit au titre du remboursement, du fait de la perte rétroactive de leur qualité de propriétaires, soit au titre de l'indemnisation du préjudice résultant de l'obligation d'engager plusieurs procédures devant le tribunal administratif si celles-ci échouent et retenu le montant de 11976€.
La situation a évolué en cause d'appel puisque les contentieux engagés devant le tribunal administratif ont trouvé leur épilogue, étant observé que le remboursement de la taxe foncière 2016 à hauteur de 3339 € n'est pas contesté.
La taxe foncière 2017 (3049 €) et sa majoration (305 €) ont été payées par les appelantes, le tribunal administratif de Nîmes dans sa décision du 18 décembre 2020 rejetant la requête en annulation et en dégrèvement en retenant que les sociétés requérantes ne justifiaient pas de la publication du jugement du tribunal de grande instance d'Alès du 22 novembre 2016 au fichier immobilier. Il n'est pas contestable que la faute en revient uniquement à Me [B] [I] qui a omis de procéder à cette publicité, de telle sorte que le préjudice en causalité directe est de 3554 €.
Les taxes foncières 2018 à 2020 ont fait l'objet de dégrèvements. Il a toutefois fallu exposer des frais d'avocat qui sont en lien de causalité directe avec la faute de Me [B] [I] à hauteur de 3449,52 €.
Le préjudice se chiffre donc à 10142,52 € au titre des taxes foncières et frais induits.
S'agissant du préjudice commercial et financier, les sociétés appelantes, soutiennent avoir subi une perte de chance d'obtenir une plus-value sur la revente des maisons mitoyennes dont elles avaient été déclarées adjudicataires. Elles chiffrent leur préjudice à la somme de 333 727,98 €, différence entre le prix de revente qu'elles pouvaient escompter de l'ordre de 462 800 € à 480 000 € et le prix d'adjudication et les frais de saisie exposés.
Me [B] [I] conteste le principe même d'une perte de chance qu'elle qualifie d'hypothétique et spéculative, conduisant à un enrichissement sans cause des sociétés demanderesses.
La cour ne peut qu'opiner à l'existence même d'une perte de chance. Les sociétés sont des marchands de biens qui ont vocation à acheter des biens immobiliers et à les revendre dans les meilleurs délais en réalisant une plus-value. Ne pas avoir pu le faire pour ces deux maisons mitoyennes les a privées de la possibilité d'une plus-value.
Toutefois, les expertises immobilières qu'elles ont fait réaliser ne peuvent suffire à établir la valeur de revente, les évaluateurs omettant de prendre en compte l'occupation des biens par les saisis qui en sont redevenus propriétaires du fait de l'omission de Me [B] [I].
Les sociétés ne produisent pas d'attestation d'expert comptable établissant leur taux de marge qui aurait permis d'affiner la plus-value dont elles ont été privées.
Le montant de 10 000 € tel que retenu par les premiers juges apparaît toutefois insuffisant et la cour est à même de pouvoir fixer la perte de chance subie à la somme de 65 000 €.
Partie perdante au sens de l'article 696 du code procédure civile, Me [B] [I] supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Dans les limites des appels interjetés,
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné Me [B] [I] à payer aux sociétés PJD Investissements et SVR les sommes de 11976 € au titre des procédures relatives aux taxes foncières et celle de 10 000 € en indemnisation de leur perte de chance de réaliser un bénéfice à la revente.
Statuant à nouveau,
Condamne Me [B] [I] à payer aux sociétés PJD Investissements et SVR les sommes de 10 142,52 € au titre des procédures relatives aux taxes foncières et celle de 65 000 € en indemnisation de leur perte de chance de réaliser un bénéfice à la revente.
Y ajoutant,
Condamne Me [B] [I] aux dépens d'appel.
Condamne Me [B] [I] à payer aux sociétés PJD Investissements et SVR la somme de 2500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Président