Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre civile
ARRET DU 11 MAI 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 20/04443 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OW7B
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 28 septembre 2020 du Tribunal Judiciaire de Beziers
N° RG 18/02566
APPELANTS :
Monsieur [K] [F]
né le 01 Mars 1958 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 2]
Représenté par Me Marie-Pierre VEDEL SALLES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant ayant plaidé pour Me Annie RUIZ-ASSENAT, avocat au barreau de BEZIERS
Madame [E] [P] épouse [F]
née le 14 Septembre 1958 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 2]
Représenté par Me Marie-Pierre VEDEL SALLES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant ayant plaidé pour Me Annie RUIZ-ASSENAT, avocat au barreau de BEZIERS
INTIMEE :
S.A. CA Consumer Finance
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
Représentée par Me Jérôme PASCAL de la SARL CAP-LEX, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant ayant plaidé pour Me Jérôme MARFAING-DIDIER, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 MARS 2023,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marianne FEBVRE, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre
Mme Cécile YOUL-PAILHES, Conseillère
Madame Marianne FEBVRE, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Henriane MILOT
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Henriane MILOT, Greffier.
*
* *
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Selon un bon de commande du 6 février 2017, M. [K] [F] et Mme [E] [P], son épouse, ont conclu avec la Sasu La Compagnie de l'Eco-Habitat un contrat portant sur l'installation de panneaux photovoltaïques pour un prix de 11.000 €.
Le 13 février 2017, M. et Mme [F] ont souscrit auprès de la société Sofinco-CA Consumer Finance (Sofinco, ci-après) un crédit du même montant affecté au financement de travaux d'isolation des combles et de menuiserie, remboursable en 156 échéances de 107,79 €.
La Compagnie de l'Eco-Habitat a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 12 juillet 2018.
Affirmant que l'installation photovoltaïque n'avait pas eu lieu et que La Compagnie l'Eco-Habitat avait adressé un faux procès-verbal de réception à Sofinco afin d'obtenir le déblocage des fonds, par actes du 4 octobre 2018, M. Et Mme[F] l'ont fait assigner par l'intermédiaire d'un mandataire ad'hoc désigné par le président du tribunal de commerce de Montpellier ainsi que la société Sofinco en annulation des conventions et en responsabilité.
La Compagnie l'Eco-Habitat ayant été placée en redressement judiciaire par un jugement du 20 décembre 2018 avec conversion de la procédure en liquidation judiciaire le 18 juin 2019, M. Et Mme [F] ont mis en cause le mandataire liquidateur désigné, à savoir l'Etude Balincourt représentée par Me [T] [I].
Vu le jugement réputé contradictoire du 28 septembre 2020, par lequel le tribunal judiciaire de Béziers a :
- annulé le contrat souscrit entre M. Et Mme [F] et La Compagnie de l'Eco-Habitat ainsi que le contrat de crédit affecté souscrit avec Sofinco du fait de l'interdépendance des contrats,
- fixé la créance de M. Et Mme [F] au passif de la procédure collective de La Compagnie de l'Eco-Habitat aux sommes de :
- 11.000 € au titre du préjudice matériel,
- 5.000 € au titre du préjudice moral,
- débouté M. Et Mme [F] de leurs demandes à l'encontre de Sofinco,
- condamné solidairement M. Et Mme [F] à payer à Sofinco la somme de 9.383, 15 € en restitution du solde des sommes versées,
- dit n'y avoir lieu à condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné La Compagnie de l'Eco-Habitat aux dépens de l'instance, avec distraction au profit de son avocat en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Vu l'appel de M. Et Mme [F] en date du 16 octobre 2020, expressément limité au rejet de leurs demandes à l'encontre de Sofinco et à leur condamnation à lui à restituer les sommes versées,
Vu leurs dernières conclusions en date du 30 décembre 2021, par lesquelles les appelants demandent à la cour de confirmer l'annulation des contrats de prestation de service et de prêt affecté souscrits respectivement avec la société Eco-Habitat et Sofinco mais d'infirmer partiellement le jugement à l'égard de Sofinco et, en substance, de :
- rejeter la demande de remboursement du capital présentée par cet organisme,
- le condamner à leur payer la somme de 5.000 € pour préjudice moral et matériel, à leur rembourser la somme de 1.616,85 € au titre des sommes déjà prélevées, et à leur verser une indemnité de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
Vu les dernières conclusions prises le 4 novembre 2021 pour le compte de la société Sofinco aux fins de confirmation du jugement et de :
- condamnation solidaire de M. Et Mme [F]à lui verser la somme de 9.383,15 € en restitution du solde des sommes versés,
- rejet de l'intégralité de leurs demandes dirigées à son encontre,
- condamnation solidaire de M. Et Mme [F] au paiement d'une indemnité de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, avec distraction au profit de son conseil,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 13 février 2023.
Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
La cour est saisie d'un appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués en relation avec les négligences fautives que les emprunteurs appelants imputent à Sofinco sur le fondement de l'article 1382 du code civil, à l'exclusion des dispositions relatives à l'annulation du contrat principal de prestation de services et ses conséquences - non remises en cause et ayant ainsi acquis l'autorité de la chose définitivement jugée - qui étaient motivées au regard des constatations suivantes :
- les époux [F] avaient souscrit le 6 février 2017 dans le cadre d'un demarchage à domicile un contrat pour la pose et la fourniture d'une centrale solaire, composée de quatorze panneaux photovoltaiques et d'un onduleur, ainsi qu'un contrat de crédit affecté,
- s'ils ne contestaient pas leurs signatures sur le bon de commande et sur le contrat de crédit affecté, ils opposaient que les mentions portées sur le contrat de crédit affecté par le prestataire de service, hors leur présence, ne correspondaient pas à leur commande puisque la prestation financée, déclarée auprès de Sofinco, avait trait à l'isolation des combles et des travaux de menuiseries,
- en outre, il était constant que la prestation commandée n'avait jamais été réalisée par le prestataire malgré les relances effectuées auprès de l'entreprise pendant près d'une année, alors qu'a contrario, la société de financement avait débloqué les fonds du crédit affecté sur présentation par La Compagnie de l'Eco-Habitat d'un procès-verbal de réception de chantier daté du 8 mars 2017,
- qu'il était établi que le prestataire de service avait usé de manoeuvres dolosives pour les amener à contracter, ceci afin de percevoir des sommes d'argent d'un organisme de financement sans pour autant réaliser les travaux commandés,
- il convenait donc de prononcer1'annulation du contrat souscrit le 6 février 2017 auprès de La Compagnie de l'Eco-Habitat pour vice du consentement, et plus précisément pour dol.
Le tribunal a annulé, par voie de conséquence, le contrat de crédit affecté, ce qui n'est pas davantage remis en cause par les parties dans le cadre du présent appel.
S'agissant de la responsabilité de Sofinco, le tribunal a relevé que les époux
[F] invoquaient une faute de la part de l'organisme dans le déblocage des fonds ce qui justifiait à leur yeux, outre la restitution des échéances déjà versées, le rejet de la demande de remboursement du capital ainsi que la condamnation de l'organisme à leur payer une somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour leur préjudice moral et matériel.
Puis il a justement rappelé qu'en droit, le préteur qui a délivré des fonds au vendeur ou prestataire de service sans s'assurer que celui-ci avait executé son obligation commettait une faute qui le privait de la possibilité de se prévaloir, à l'égard de l'emprunteur, des effets de 1'annulation du contrat de prêt, conséquence de celle du contrat principal.
Il a cependant constaté qu'en l'espèce :
- Sofinco avait débloqué les fonds entre les mains de La Compagnie de l'Eco-Habitat sur la foi d'un procès-verbal de réception de chantier du 8 mars 2017 présenté comme ayant été signé par M. [F] et constatant que les travaux d'isolation - menuiseries étaient achevés et ne donnaient lieu à aucune observation,
- ce procès-verbal de réception du chantier était conforme à la prestation prévue sur le contrat de crédit affecté et sur la facture présentée par le prestataire au nom des clients pour des travaux d'isolation de combles et de menuiseries datée du 13 février 2017 à l'organisme de financement,
- si les époux [F] contestaient la signature apposée sur ce procès-verbal et s'il était acquis, au cours de l'instance, qu'elle ne pouvait être attribuée à M. [F], elle présentait de fortes similitudes avec la signature de celui-ci et avait pu légitimement tromper l'organisme de financement, également victime des manoeuvres frauduleuses de La Compagnie de l'Eco-Habitat dès lors que le projet de financement qui lui a été présenté ne correspondait pas à la commande des clients,
- aucune faute n'était relevée à l'encontre de Sofinco dans le deblocage des fonds, si bien qu'il convenait de condamner les emprunteurs à lui payer une somme de 9 383.15 € (correspondant au montant du crédit hors intérêts sous déduction des échéances déja versée, soit 11.000 € - 1.616,85 €).
Au soutien de leur appel, M. Et Mme [F] font valoir en substance :
- qu'en accordant le crédit sans vérifier l'adéquation entre le contat de crédit et les prestations promises dans le cadre du bon de commande, Sofinco avait commis une négligence fautive de nature à engager sa responsabilité.
- que la signature figurant sur l'attestation de réception des travaux communiqués à Sofinco n'était manifestement pas celle de M. [F] et qu'en outre, celle de Mme [F], co-empruntrice, faisait défaut, ce qui aurait dû inciter Sofinco à effectuer des vérifications et diligences ce qu'elle n'avait pas fait, commettant ainsi une nouvelle négligence fautive.
Au vu des pièces versées aux débats, la cour estime qu'il ne peut être reproché à Sofinco d'avoir débloqué les fonds au vu du procès verbal de réception des travaux comportant une signature pouvant être attribuée à M. [F], nonobstant l'absence de signature de Mme [F]. Il est en effet admis en jurisprudence que la signature d'un seul des coemprunteurs solidaires suffit (cf. Cass. 1ère Civ., 4 juillet 2019, pourvoi n° 18-10.792).
Cependant, et dans la logique de la reconnaissance d'une opération commerciale unique entre le contrat principal et le contrat de crédit dédié à son financement, il est admis que le prêteur est tenu de vérifier la régularité formelle du contrat principal et d'informer l'emprunteur d'une éventuelle irrégularité afin que celui-ci puisse confirmer le contrat ou y renoncer.
A défaut, le prêteur commet une faute susceptible d'engager sa responsabilité.
Or, en l'espèce, un rapide examen du contrat de prestation de service aurait permis à Sofinco de constater la discordance entre la prestation promise et celle qu'il lui était demandé de financer. A défaut d'avoir vérifié la concordance entre la prestation promise à l'emprunteur et celle mentionnée comme étant financée, Sofinco a commis une négligence fautive lourde de conséquence, puisqu'elle a débloqué les fonds sur la base d'un procès verbal de réception mentionnant des travaux non promis, tandis que ceux qui l'avaient été n'ont jamais été réalisés.
Dans ce contexte, la cour infirmera le jugement qui a débouté M. Et Mme [F] de leurs demandes à l'encontre de Sofinco et les ont condamnés solidairement à payer à cet organisme une somme de 9.383,15 € en restitution du solde des sommes versées.
Statuant à nouveau, elle rejettera la demande financière de Sofinco du fait qu'elle a engagé sa responsabilité à l'égard des emprunteurs et contribué intégralement (sans aucune faute de la part de ses derniers) à la réalisation de leur préjudice matériel.
En revanche, faute de démonstration quant à la réalité d'un préjudice moral distinct qui - indépendemment des tracas liés à toute procédure judiciaire - serait spécialement imputable à l'organisme de crédit, la cour rejettera la demande indemnitaire complémentaire présentée à ce titre par les époux [F].
Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, Sofinco supportera les dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à payer à M. Et Mme [F] une indemnité au titre des frais qu'ils ont dû exposer dans le cadre de la présente procédure en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, et dans les limites de sa saisine,
- Infirme le jugement entrepris en ses dispositions relatives à la responsabilité de la société Sofinco-CA Consumer Finance ;
Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,
- Déboute la société Sofinco-CA Consumer Finance de sa demande de remboursement du solde du capital emprunté dans le cadre du contrat de crédit affecté souscrit par M. Et Mme [F] le 13 février 2017 ;
- Rejette la demande d'indemnisation présentée par M. Et Mme [F] au titre de leur préjudice moral ;
- Condamne la société Sofinco-CA Consumer Finance à payer à M. Et Mme [F] la somme de 3.500 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la société Sofinco-CA Consumer Finance aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT