COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
N° RG 23/00213 - N° Portalis DBVK-V-B7H-PZ4H
O R D O N N A N C E N° 2023 - 23/213
du 03 Mai 2023
SUR LE CONTROLE DE LA REGULARITE D'UNE DECISION DE PLACEMENT EN RETENTION ET SUR LA PROLONGATION D'UNE MESURE DE RETENTION ADMINISTRATIVE
ET
SUR REQUÊTE DE L'ETRANGER EN CONTESTATION DU PLACEMENT EN RETENTION ADMINISTRATIVE
dans l'affaire entre,
D'UNE PART :
Monsieur [V] [J]
né le 06 Décembre 1987 à [Localité 2] (ALGERIE)
de nationalité Algérienne
retenu au centre de rétention de [Localité 6] dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire,
Comparant et assisté par Maître Emilie PASCAL LABROT, avocat commis d'office
Appelant,
et en présence de [B] [N], interprète assermenté en langue arabe
D'AUTRE PART :
1°) Monsieur LE PREFET DU VAUCLUSE
Service Eloignement
[Localité 1]
Non représenté
2°) MINISTERE PUBLIC :
Non représenté
Nous, Philippe BRUEY conseiller à la cour d'appel de Montpellier, délégué par ordonnance de Monsieur le premier président, plus spécialement pour les attributions dévolues par les articles L 741-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, assisté de Laurence MONDA, greffier,
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Vu les dispositions des articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu l'arrêté du 05 décembre 2022 de Monsieur LE PREFET DU VAUCLUSE portant obligation de quitter le territoire national sans délai ;
Vu la décision de placement en rétention administrative du 28 avril 2023 de Monsieur [V] [J], pendant 48 heures dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire ;
Vu la requête de Monsieur [V] [J] en contestation de la régularité de la décision de placement en rétention administrative en date du 29 avril 2023 ;
Vu la requête de Monsieur LE PREFET DU VAUCLUSE en date du 30 avril 2023 tendant à la prolongation de la rétention de Monsieur [V] [J] dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour une durée vingt-huit jours ;
Vu l'ordonnance du 01 Mai 2023 à 11 H 36 notifiée le même jour à la même heure, du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Montpellier qui a :
- rejeté la requête en contestation de la régularité de la décision de placement en rétention administrative formée par Monsieur [V] [J],
- ordonné la prolongation de la rétention administrative de Monsieur [V] [J] , pour une durée de vingt-huit jours à compter du 01 mai 2023,
Vu la déclaration d'appel faite le 02 Mai 2023, par Maître Emilie PASCAL LABROT, avocat, agissant pour le compte de Monsieur [V] [J], transmise au greffe de la cour d'appel de Montpellier le même jour, à 10 H 21,
Vu les télécopies adressées le 02 Mai 2023 à Monsieur LE PREFET DU VAUCLUSE, à l'intéressé et à son conseil, et au Ministère Public les informant que l'audience sera tenue le 03 Mai 2023 à 10 H 30,
L'avocat et l'appelant, qui ont pu préalablement prendre connaissance de la procédure, se sont entretenus, librement, dans le box dédié de l'accueil de la cour d'appel de Montpellier, les portes de la salle étant fermées pour assurer la confidentialité de l'entretien, en la seule présence de l'interprète , et ce, sur le temps de l'audience fixée, avec l'accord du délégué du premier président de la cour d'appel de Montpellier
L'audience publique initialement fixée à 10 H 30 a commencé à 11 H 05.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Assisté de [B] [N], interprète, Monsieur [V] [J] confirme son identité telle que mentionnée dans l'ordonnance entreprise et déclare sur transcription du greffier à l'audience : ' Oui j'ai été condamné à 8 mois d'emprisonnement. Je suis marié, j'ai des enfants en Algérie. Je travaille ici et j'envoie de l'argent là-bas. Je travaille dans les champs. Avant je travaillais à [Localité 5], et ensuite j'ai travaillé au Portugal. Je suis juste venu rendre visite à des amis en France et c'est à ce moment là que j'ai été interpellé. Je travaille au Portugal. J'ai été interpellé dans un quartier chaud de [Localité 5]. Oui je savais que je ne pouvais pas venir en France et que je pouvais pas sortir du Portugal. Si j'avais su je ne serai pas venu, je voulais juste venir 3 jours. Au Portugal je gagnais 720 euros par mois. Je n'ai pas de problème de santé. Oui j'accepte de quitter la France pour partir au Portugal. Non je n'ai pas de passeport. J'ai perdu mon passeport, je n'ai que la photo. Je parlais de mon permis de conduire qui est chez un ami. Je n'ai jamais déclaré que j'avais un passeport. J'ai juste dit que si j'en avais un je ne le présenterai pas. J'ai fait une demande d'asile car je suis menacé de mort dans mon pays '
L'avocat, Me Emilie PASCAL LABROT développe les moyens de l'appel formé contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention qui a prolongé le maintien en rétention de l'étranger.
Le président met dans le débat que les deux derniers moyens évoqués pourraient être de la compétence non pas du juge judiciaire mais du tribunal administratif.
Monsieur le représentant de Monsieur LE PREFET DU VAUCLUSE ne comparait pas mais a fait parvenir un mémoire tendant à voir confirmer l'ordonnance déférée.
Assisté de [B] [N], interprète, Monsieur [V] [J] a eu la parole en dernier et a déclaré sur transcription du greffier à l'audience : ' J'ai fait une demande d'asile au commissariat mais juste après j'ai reçu une OQTF que je n'ai pas compris. Quand j'étais en prison j'ai fait une demande d'asile mais il n'y a pas eu de suite. J'ai vraiment peur pour ma vie si je retourne en Algérie. '
Le conseiller indique que la décision et la voie de recours seront notifiées sur place, après délibéré.
SUR QUOI
Sur la recevabilité de l'appel :
Le 02 Mai 2023, à 10 H 21, Maître Emilie PASCAL LABROT, avocat, agissant pour le compte de Monsieur [V] [J] a formalisé appel motivé de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Montpellier du 01 Mai 2023 notifiée à 11 H 36, soit dans les 24 heures de la notification de l'ordonnance querellée, qu'ainsi l'appel est recevable en application des articles R 743-10 et R 743-11 du CESEDA.
Sur l'appel :
Sur la violation des droits de la défense et la méconnaissance du principe de libre communication entre le retenu et son avocat
L'avocate de Monsieur [V] [J] soutient qu'elle n'a pas été en mesure de s'entretenir librement avec son client car le juge des libertés et de la détention a refusé un tel entretien. Elle indique que l'association FORUM REFUGIES ne lui a transmis de nouveaux documents qu'à 9h26, ce qui impliquait qu'elle ait le temps d'en prendre connaissance. Elle ajoute qu'elle ne pouvait s'entretenir avec son client sans la présence de l'interprète.
Mais, le texte cité (article L 744-5 du CESEDA) est inopérant en l'espèce puisqu'il n'est pas allégué et encore moins justifié que Maître Emilie PASCAL LABROT aurait été empêchée de s'entretenirconfidentiellement avec son client dans un local prévu à cette fin au CRA de [Localité 6].
Par ailleurs, les difficultés de communication internes à la défense (transmission tardive de différentes pièces par FORUM REFUGIES à l'avocats) ne sauraient être invoquées comme étant une « entrave » à l'exercice des droits de la défense.
En outre, à supposer que l'interprète en langue arabe n'ait pas été présent dès 9 h 30, ce qui n'est pas démontré, il était possible pour l'avocate de commencer l'entretien avec son client, d'autant que l'intéressé parle suffisamment le français pour évoquer sa situation personnelle (ses précédentes garde à vue sans interprète en attestent). En outre, les documents produits (attestation d'hébergement, contrat de travail, attestation de sécurité sociales) sont rédigés en langue portugaise, qui n'est pas la langue parlée par l'interprète (arabe).
Enfin, il résulte de l'ordonnance du JLD de Montpellier du 1er mai que :
l'intéressé, convoqué à l'audience devant se tenir a 9h30, a été conduit au tribunal judiciaire à 9h.
l'audience a débuté à 9h37.
Son conseil avait donc la possibilité de s'entretenir avec lui avant le début de l'audience.
Le fait qu'il ait été refusé à Me PASCAL LABROT de s'entretenir avec son client à partir du 9h37 ne saurait dès lors être considéré comme une entrave à l'exercice des droits de la défense.
En l'état de ces différentes observations, aucune atteinte aux droits de la défense n'est caractérisée en l'espèce.
Le moyen sera par conséquent rejeté.
Sur l'absence d'interprète lors de la notification de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire
La loi des 16- 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III posent le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Il résulte de ces textes qu'à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître des recours contre les décisions prises par l'administration dans l'exercice de ses prérogatives de puissance publique.
Il résulte de l'article L 614-1 du CESEDA que l'étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français (OQTF) peut en demander l'annulation au tribunal administratif.
Selon L. 741-10 du CESEDA, l'étranger qui fait l'objet d'une décision de placement en rétention peut la contester devant le juge des libertés et de la détention (depuis le transfert opéré par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016).
Le législateur a ainsi organisé deux compétences parallèles, exclusives l'une de l'autre.
Il s'en déduit que le juge administratif est seul compétent pour connaître de la légalité de la décision d'OQTF, quand bien même son illégalité serait invoquée par voie d'exception à l'occasion de la contestation, devant le juge judiciaire, de la décision de placement en rétention (Cour de cassation, 1ère Civ., 27 septembre 2017, pourvoi n° 17-10.207, Bull. 2017, I, n° 201).
En l'espèce, le juge des libertés et de la détention n'a pas compétence pour contrôler, même par voie d'exception, la régularité de la notification de l'arrêté préfectoral d'OQTF. En effet, la régularité de la notification relève du contrôle du juge administratif.
Le juge des libertés et de la détention ne peut en conséquence faire droit à la requête en contestation de la décision de placement en rétention sur le fondement d'une notification irrégulière de l'OQTF.
Il y a lieu de rejeter le moyen de nullité.
Sur l'absence de notification de la notice d'information en matière d'asile
Le moyen tiré de l'absence de notification de la notice d'information prévue à l'article R. 531-3 du CESEDA n'est pas de la compétence du juge judiciaire pour les raisons juridiques précédemment invoquées.
Le moyen sera par conséquent rejeté.
SUR LE FOND
En application des dispositions de l'article L612-2 du ceseda: 'Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants :
1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ;
2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ;
3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet.'
En l'espèce, Monsieur [V] [J] a été écroué le 06 décembre 2022 au centre pénitentiaire d'[Localité 1]-[Localité 3] et condamné à la peine de 8 mois d'emprisonnement par le tribunal correctionnel d'Avignon le 07/12/22 pour « vol par effraction dans un local d'habitation ou un lieu d'entrepôt ».
Il est démuni d'autorisation de circuler ou de séjourner sur le territoire. Il a fait l'objet, le 05/12/2022, d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français assorti d'une interdiction de retour d'un an prononcé par la préfecture.
L'intéressé a été élargi du centre pénitentiaire d'[Localité 1]-[Localité 3] le 29/04/23.
Le Consulat général de la République démocratique et populaire d'Algérie à [Localité 4] a été saisi en vue de la délivrance d'un laisser passer consulaire.
Monsieur [V] [J] est en situation irrégulière en France. Il ne présente aucune garantie de représentation.
Il y a lieu en conséquence de confirmer l'ordonnance déférée.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement,
Vu l'article 66 de la constitution du 4 octobre 1958,
Vu les articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
Déclarons l'appel recevable,
Rejetons les moyens de nullité,
Confirmons la décision déférée,
Disons que la présente ordonnance sera notifiée conformément à l'article R 743-19 du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile,
Fait à Montpellier, au palais de justice, le 03 Mai 2023 à 11 H 34.
Le greffier, Le magistrat délégué,