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délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 25 AVRIL 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 21/04870 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PDI2
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 21 JUIN 2021
TRIBUNAL DE COMMERCE DE BEZIERS
N° RG 2020001958
APPELANTS :
Monsieur [M] [S]
né le [Date naissance 4] 1967 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Adresse 6]
Représenté par Me Mathilde IGNATOFF, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Jean Marc NGUYEN-PHUNG de la SELARL SELARL PHUNG 3P, avocat au barreau de MONTPELLIER
S.A.R.L. L'EMERAUDE prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 6]
[Adresse 6]
Représentée par Me Mathilde IGNATOFF, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Jean Marc NGUYEN-PHUNG de la SELARL SELARL PHUNG 3P, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Madame [K] [W]
née le [Date naissance 2] 1982 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Assignée le 7 septembre 2021 en procès-verbal de recherches infructueuses
Monsieur [Y] [T]
né le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Assigné le 7 septembre 2021 en procès-verbal de recherches infructueuses
Ordonnance de clôture du 07 Février 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 FEVRIER 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseillère
M. Thibault GRAFFIN, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey VALERO
ARRET :
- Rendue par défaut
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Mme Audrey VALERO, Greffière.
*
* *
FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES:
Immatriculée le 16 juin 2009 au registre du commerce et des sociétés, la SARL Emeraude, qui exploite à l'enseigne « la bodéga » un fonds de commerce de bar-restaurant situé [Adresse 6], a été constituée, selon des statuts établis le 11 mai 2009, entre [K] [W] et [Y] [T] ; par une assemblée générale ordinaire du 11 mai 2009, [M] [S] a été désigné comme gérant de la société.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 25 février 2020, Mme [W] et M. [T] ont, par l'intermédiaire de leur conseil, demandé à M. [S] de convoquer une assemblée générale ayant pour ordre du jour sa révocation de ses fonctions de gérant et la nomination d'un nouveau gérant ; par référence à l'article 11 des statuts, il lui était notamment reproché la signature de quatre compromis de vente du fonds de commerce sans que les associés en aient été prévenus, la souscription d'emprunts générant des échéances pour 930,55 euros, la réclamation injustifiée de redevances de location-gérance à une société Topaze pour un montant de 12 000 euros, l'existence d'un contentieux prud'homal avec une personne désireuse de faire requalifier en contrat de travail un contrat de prestations de services et l'absence de convocation et de tenue des assemblées générales annuelles d'approbation des comptes.
C'est dans ces conditions que par exploit délivré les 27 avril et 28 avril 2020, M. [S] a fait assigner Mme [W] et M. [T] devant le tribunal de commerce de Béziers pour faire reconnaître l'existence d'une convention occulte entre les parties selon laquelle les défendeurs ne sont en réalité que des prête-noms pour la création et la gestion de la société, et ordonner que la propriété des parts sociales constituant le capital social de la société Emeraude, numérotées de 1 à 100 lui soit transférée ; la société Emeraude est intervenue volontairement à l'instance.
Par jugement du 21 juin 2021, le tribunal, après avoir donné acte à la société Emeraude de son intervention volontaire, a dit que M. [S] n'a pas qualité à agir et l'a débouté de toutes ses demandes.
M. [S] et la société Emeraude ont régulièrement relevé appel, le 28 juillet 2021, de ce jugement.
Ils demandent à la cour, dans leurs conclusions déposées le 9 septembre 2021 via le RPVA et au visa de l'article 1201 du code civil, de :
- juger que les conditions d'une convention occulte entre parties sont réunies et que Mme [W] et M. [T] sont intervenus en qualité de prête-noms,
- en conséquence, infirmer la décision déférée en toutes ses dispositions,
- juger l'action recevable,
- ordonner que la propriété des parts sociales constituant le capital social de la société Emeraude, numérotées de 1 à 100, soit transférée à M. [S],
- ordonner que sur la production de la formule exécutoire de la décision à intervenir, les formalités de modification des statuts pourront être effectuées par celui-ci ou tout mandataire de son choix,
- condamner chaque requis au paiement de la somme de 2500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de leur appel, ils font valoir pour l'essentiel que l'action de M. [S] est recevable, celui-ci étant un tiers à l'acte apparent que constituent les statuts mais pouvant en cette qualité se prévaloir de l'acte occulte, et que l'existence d'une convention de prête-nom par laquelle Mme [W] et M. [T], des amis proches, ont accepté de prêter leurs noms afin de constituer la société Emeraude se trouve établie par les pièces produites.
Mme [W] et M. [T] n'ont pas constitué avocat, la déclaration d'appel et les conclusions d'appelant leur ont été signifiées par exploit du 7 septembre 2021 établi selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile.
M. [S] et la société Emeraude ont déposé, le 10 janvier 2023, de nouvelles conclusions comportant une pièce nouvelle (n° 32 : deuxième attestation [F]), mais ses conclusions n'ont pas été signifiées aux intimés.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 7 février 2023.
Lors des débats l'audience, la cour a soulevé un moyen de pur droit tiré de l'absence de preuve par écrit de la contre-lettre, dont se prévaut l'appelant, et invité celui-ci à présenter ses observations par le biais d'une note en délibéré ; aucune note n'a cependant été déposée.
MOTIFS de la DÉCISION :
Aux termes de l'article 1321 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 : « Les contre-lettres ne peuvent avoir d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles n'ont point d'effet contre les tiers » ; ces dispositions sont reprises au nouvel article 1201 du code civil qui prévoit toutefois, reprenant la jurisprudence de la Cour de cassation, que si la contre-lettre n'est pas opposable aux tiers, ces derniers peuvent néanmoins s'en prévaloir.
En l'occurrence, M. [S] invoque une prétendue convention occulte par laquelle Mme [W] et M. [T] l'auraient substitué lors de la constitution de la société Emeraude en mai 2009 ; en tant que partie à la convention de prête-nom, alléguée, il a bien qualité pour agir en déclaration de la simulation et ne peut donc être considéré comme un tiers, sachant d'ailleurs que son action n'est pas prescrite, contrairement à ce qu'ont soutenu en première instance ses adversaires ; le point de départ de la prescription correspond en effet au refus par l'une des parties à la convention occulte invoquée d'en poursuivre l'application, qui correspond, en l'espèce, au courrier du 25 février 2020 par lequel ces derniers, se prévalant de leurs qualités d'associés, ont entendu le révoquer de ses fonctions de gérant ; c'est donc à tort que le premier juge a déclaré son action irrecevable.
Pour autant, si les tiers peuvent établir l'existence par tous moyens d'une contre-lettre, dont ils entendent se prévaloir, il est en revanche de principe que dans les rapports entre les parties, la preuve d'une contre-lettre doit être administrée par écrit lorsque l'acte apparent est lui-même constaté en cette forme, sauf l'hypothèse où la simulation a eu lieu dans un but illicite ; l'application de l'article 1321 susvisé suppose en effet l'existence concomitante de deux conventions, l'une ostensible et l'autre occulte, la seconde étant destinée à modifier les stipulations de la première ; ainsi, dans les rapports entre les parties, la preuve de la contre-lettre doit, hors le cas de fraude, être établie par écrit conformément à la règle de l'article 1341 de code civil (ancien), dès lors que l'acte apparent est lui-même écrit, et il ne peut être dérogé à cette règle, conformément aux articles 1347 et 1348 du même code, que s'il existe un commencement de preuve par écrit ou en cas d'impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ; il importe peu que l'acte apparent relève de la catégorie des actes de commerce, dès lors qu'il a été passé par écrit.
Dans le cas présent, l'acte apparent est constitué par les statuts de la société Emeraude établis le 11 mai 2009 selon lesquels Mme [W] s'est vue attribuée 50 parts numérotées 1 à 50 et M. [T] 50 parts numérotées 51 à 100, constituant le capital social de la société ; or, M. [S] ne produit aucune convention écrite tendant à établir que Mme [W] et M. [T] ne sont que des prête-noms intervenus, en ses lieu et place, dans la constitution de la société.
L'appelant communique diverses pièces, notamment des attestations de tiers, dont il résulte qu'il est à l'origine de la création de la bodéga qu'il exploite à [Localité 7], qu'il a effectué seul le dépôt de fonds à la banque CIC en vue de la création de la SARL, que Mme [W] et M. [T], faisant partie de son cercle d'amis, n'ignoraient pas qu'ils étaient des prête-noms, et qu'il a seul développé depuis 2009 l'entreprise, prenant les décisions importantes et effectuant divers travaux ; il produit également aux débats une promesse de cession du droit au bail des locaux, qui étaient alors inexploités depuis le 30 septembre 2007, signée le 6 mai 2009 avec l'ancien propriétaire du fonds de commerce, l'acte de cession réitératif établi le 25 mai 2009 avec celui-ci, le contrat de bail commercial régularisé le 17 juin 2015 avec le propriétaire des murs (la SCI Iseult), divers contrats de prêt conclus courant 2015 et 2016 avec la banque LCL destinés à financer des travaux, l'acte de cession d'une licence IV de débit de boissons en date du 10 janvier 2011, la demande de transfert à la préfecture de l'Hérault d'une telle licence et le contrat de location-gérance du fonds de commerce conclu le 3 avril 2018 avec une société Topaze, l'ensemble de ces actes étant toutefois accomplis en sa qualité de gérant de la société Emeraude.
Les relations d'amitié entretenues lors de la constitution de la société entre Mme [W] et M. [T], d'une part, et M. [S], d'autre part, ne sauraient à elles-seules caractériser, de la part de ce dernier, une impossibilité morale de se procurer un écrit ; en outre, il n'est invoqué aucun commencement de preuve par écrit émanant de Mme [W] et M. [T] de nature à rendre vraisemblable l'existence de la convention de prête-nom allégué et à permettre à M. [S] de le corroborer au moyen de témoignages et ou de présomptions.
Il n'est pas, non plus, soutenu, ni même allégué, que la prétendue convention de prête-nom dissimule une fraude, M. [S] n'apportant d'ailleurs aucun élément permettant de comprendre les raisons pour lesquelles il n'est pas apparu, en mai 2009, comme associé dans les statuts constitutifs de la société Emeraude, dont il a été nommé gérant par une assemblée générale ordinaire du 11 mai 2009, le jour même de l'établissement des statuts.
La preuve de la convention de prête-nom, qu'invoque M. [S], n'est donc pas établie en sorte que ce dernier ne peut qu'être débouté de l'ensemble de ses demandes.
Au regard de la solution apportée au règlement du litige, M. [S] doit être condamné aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement et par arrêt de défaut,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Béziers en date du 21 juin 2021 et statuant à nouveau,
Déclare l'action de [M] [S], recevable,
Au fond, le déboute de l'ensemble de ses demandes,
Le condamne aux dépens de première instance et d'appel,
le greffier, le président,