Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre civile
ARRET DU 16 MARS 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 19/08125 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OOCI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 10 DECEMBRE 2019
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER
N° RG 17/06175
APPELANT :
Monsieur [C] [T]
né le 07 Octobre 1959 à [Localité 12]
de nationalité Française
[Adresse 11]
[Localité 4]
Représenté par Me Michel GOURON, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
INTIMEES :
SARL Caterpillar Commercial Services au capital de 407.640 euros, inscrite au RCS de Grenoble sous le n° B 434 398 996, représentée en la personne de sa gérante en exercice, domiciliée en cette qualité au siège social sis
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentée par Me Philippe SENMARTIN de la SELARL CSA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et Me Maxime SEGOUIN du cabinet HFWLLP, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
S.A.S Eneria prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 13]
[Adresse 13]
[Localité 9]
Représentée par Me Yann GARRIGUE substituant Me Fanny LAPORTE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et Me Xavier LEBRASSEUR de la SELARL MOUREU, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
S.A.R.L. Centre Mediterranéen D'expertise et de Diagnostic
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Isabelle MONSENEGO, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant non plaidant
Compagnie d'assurances Axa Assurances Iard Mutuelle
[Adresse 2]
[Localité 10]
Représentée par Me Charlène GRANIER substituant Me Georges INQUIMBERT de la SCP CHRISTOL I./INQUIMBERT G., avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
SA Generali France
[Adresse 1]
[Localité 8]
Représentée par Me François Régis VERNHET de la SELARL FRANCOIS REGIS VERNHET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant non plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 janvier 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre
Mme Cécile YOUL-PAILHES, Conseillère
M. Frédéric DENJEAN, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Charlotte MONMOUSSEAU
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour prévu le 02 mars 2023, délibéré prorogé au 16 mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Charlotte MONMOUSSEAU, Greffière.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 9 octobre 2000, M. [U] [L] a acquis le navire 'César II', équipé de deux moteurs de marque Caterpillar de type 3196.
En juillet 2001, la société Caterpillar a organisé un programme visant au changement et à la modification de ses aftercooler pour cette série de motorisation.
La société Eneria, concessionnaire Caterpillar en France, a informé les agents marins Caterpillar pour la mise en oeuvre de ce programme.
Le 7 mai 2002, les aftercoolers (circuits de refroidissement d'air d'admission) sur les moteurs bâbord et tribord ont été changés par la société Diesel Mer qui a demandé à Eneria de se charger de l'approvisionnement des aftercoolers de remplacement.
Le 28 juillet 2002, le navire 'César II' a subi un événement de mer à la suite duquel des travaux ont été effectués par la société Mediterrean Yachts Services. La société Generali, assureur de M. [L], a mandaté un expert.
Le 26 avril 2005, [U] [L] a vendu le navire à M. [C] [T] au prix de 410.000 €. La société Centre méditerranéen d'expertise et de diagnostic (CMED) a effectué une expertise de l'état du navire préalable à la vente.
M. [T] a confié l'entretien du navire à la société Cap Nautik.
En mai 2011, le navire 'César II' a subi une panne moteur. La société Lamy Marine a procédé à un diagnostic de la panne l'imputant à une casse sur défaut de pression d'huile.
Le 6 octobre 2011, à la demande de M. [T], une expertise judiciaire a été ordonnée en présence de M. [L], de la société Cap Nautik, et des sociétés Diesel Mer et Lamy Marine (assurée auprès d'Axa Iard Mutuelle) en leur qualité d'agent marin Caterpillar.
Par ordonnance en date du 31 octobre 2013, les opérations d'expertises ont été également rendues communes et opposables à la société Eneria, ayant fourni des aftercoolers en 2002.
Le 28 juin 2017, l'expert judiciaire a rendu un rapport contradictoire. Il a estimé que le sinistre réside dans un endommagement par corrosion à haute température des culasses, injecteurs et pistons, cet endommagement constituant un vice caché dû à un défaut de conception des aftercoolers qui laissent pénétrer l'eau de mer dans le collecteur d'admission.
Par des actes d'huissiers de justice en date des 6, 7, 8 et 28 décembre 2017, M. [T] a assigné devant le tribunal de grande instance de Montpellier la société Caterpillar commercial services, la société Eneria, la société CMED, la société Axa Assurances Iard Mutuelle et la société Generali France, afin d'obtenir la réparation de son préjudice.
Par jugement en date du 10 décembre 2019, ce tribunal a :
- déclaré irrecevable car prescrite l'instance engagée par M. [T] à l'encontre de la société Caterpillar commercial services, de la société Eneria, de la société Generali France, et de la société CMED ;
- rejeté les demandes formées par M. [T] à l'encontre de la société d'assurance mutuelle Axa Assurances Iard Mutuelle ;
- condamné M. [T] à payer à la société Caterpillar commercial services, à la société Eneria, à la société Generali France, à la société CMED, à la société Axa Assurances Iard Mutuelle la somme de 1.000 € chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté les demandes plus amples ou contraires ;
- condamné M. [T] aux entiers dépens dont distraction aux avocats aux offres de droit qui l'auront sollicitée.
M. [T] a relevé appel de ce jugement par une déclaration en date du 18 décembre 2019.
Le 30 août 2022, une ordonnance d'irrecevabilité a été rendue par le conseiller de la mise en état à l'encontre des conclusions de la société CMED, intimée, remises au greffe le 9 mars 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 16 mars 2022, M. [T] demande à la cour, au visa des articles 1147 et 1641 à 1645 du code civil, du code des assurances, ainsi que des articles L.5113-4, L.5113-5 et 5113-6 du code des transports, d'infirmer le jugement, et, statuant à nouveau, de :
- Condamner solidairement la société Caterpillar commercial services et la société Eneria à lui verser la somme de 210.124 € au titre de la réparation des moteurs du bateau 'César II' ;
- Condamner solidairement la société Caterpillar commercial services et la société Eneria à lui verser la somme de 387.000 € en réparation du préjudice lié à l'immobilisation du bateau 'César II' ;
- Condamner la société CMED à lui verser un montant de 597.124 € ;
- Condamner la société Axa Assurance Iard Mutuelle à lui verser la somme de 50.115 € ;
- Condamner la société Generali France à lui verser la somme de 33.000 € ;
- Condamner tous succombants à lui verser solidairement un montant de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens et notamment ceux d'expertise judiciaire.
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 11 avril 2022, la société Caterpillar commercial services demande à la cour, au visa des articles 1641 et suivants du code civil, de l'article L.5113-6 du code des transports, des articles 175 et 809 du code de procédure civile ainsi que du droit anglais, de confirmer le jugement sauf en ce qu'il n'a pas déclaré irrecevable l'action de M. [T] à son encontre, et, statuant à nouveau, de :
- Déclarer irrecevable l'action de M. [T] à l'encontre de la société Caterpillar commercial services au regard de l'impossibilité pour lui d'exercer une action directe à l'encontre de la société Caterpillar commercial services ;
à titre subsidiaire,
- Débouter M. [T] de ses entières demandes à l'encontre de la société Caterpillar commercial services ;
à titre très subsidiaire,
- Réduire à plus juste proportion le montant des demandes de M. [T] ;
à titre reconventionnel,
- Condamner M. [T] à payer 30.000 € à la société Caterpillar commercial services pour procédure abusive ;
en tout état de cause,
- Condamner M. [T] à payer 15.000 € à la société Caterpillar commercial services sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 9 mars 2022, la société Eneria demande à la cour, au visa des articles 1641 et 1648 du code civil, de l'article L.110-4 du code de commerce et de l'article 122 du code de procédure civile, de confirmer le jugement, et de :
- Débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner M. [T] à lui verser la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner M. [T] aux entiers dépens.
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 8 mars 2021, la société Axa Assurances Iard Mutuelle demande à la cour, au visa de l'ancien article 1147 du code civil, de confirmer le jugement et de :
- rejeter toutes les demandes plus amples ou contraires de M. [T] à son encontre ;
- condamner M. [T] à lui payer la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 17 juin 2020, la société Generali France demande à la cour, au visa de l'article L.114-1 du code des assurances, des article 2224 et 1147 ancien du code civil, de l'article 122 du code de procédure civile, de confirmer le jugement, et de :
- déclarer M. [T] irrecevable en son action à l'encontre de la société Generali France par application de l'article 122 du code de procédure civile ;
à titre subsidiaire,
- déclarer irrecevable l'action de M. [T] à son encontre de la société Generali France ;
en tout état de cause,
- Débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions ;
- Condamner M. [T] au paiement de la somme de 8.000€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- Condamner M. [T] à une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 17 août 2022.
MOTIFS
Sur la prescription de l'action en garantie des vices cachés
La société Caterpillar Commercial Services et la société Eneria soutiennent la prescription de l'action à leur endroit, laquelle est enfermée dans un double délai : le délai de prescription annal de l'article L.5113-6 du code des transports, applicable au fournisseur du constructeur et le délai de l'article L.110-4 du code de commerce, alors décennal.
En application du premier, l'expert ayant fixé la date d'apparition des vices cachés le 31 juillet 2002, M. [T] est forclos depuis le 31 juillet 2003 ; en application du second, les moteurs ayant été vendus en même temps que le navire en 2000, de telle sorte que l'action est forclose depuis 2010.
Il est de jurisprudence constante qu'avant la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, la garantie légale des vices cachés, qui ouvre droit à une action devant être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, devait également être mise en oeuvre à l'intérieur du délai de prescription extinctive de droit commun. Cette jurisprudence, rendue au visa de l'article 1648 du code civil, est transposable à la situation de l'espèce au visa de la prescription spéciale de l'article L. 5113-6 du code des transports.
Ainsi, le délai décennal de droit commun édicté à l'article L.110-4 du code de commerce ayant commencé à courir en 2000, année de la vente du navire à M. [L] et expiré au cours de l'année 2010 sans acte interruptif de prescription, le délai spécial annal n'a pu commencer à courir. A retenir la date d'apparition du vice fixée au 31 juillet 2002 par l'expert, le délai de droit commun était également expiré lors de l'assignation délivrée aux sociétés Caterpillar Commercial Services et Eneria en novembre 2012 et janvier 2013.
La Cour de cassation refuse d'appliquer de manière rétroactive les nouvelles règles de prescription, de telle sorte que M. [T] ne peut utilement se prévaloir de la nouvelle rédaction de l'article 2232 qui institue le délai butoir de 20 ans.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable les actions dirigées contre les sociétés Caterpillar Commercial Services et Eneria.
Sur l'action dirigée contre CMED
Cette société est intervenue le 26 avril 2005 pour procéder à la demande de M. [T] à une expertise avant achat de l'état apparent du navire 'César II'.
Pour retenir la prescription de l'action en réparation contractuelle à son égard, les premiers juges ont relevé au visa de l'article 2224 du code civil, que la prescription était acquise au 19 juin 2013 par application des dispositions de la loi nouvelle au jour de l'ordonnance du juge des référés du 09 octobre 2014 déclarant commune les opérations d'expertise à la société CMED.
Toutefois, ce n'est qu'au jour du dépôt du rapport d'expertise le 28 juin 2017 que M. [T] a eu connaissance de l'erreur de diagnostic de la société CMED lui permettant d'exercer son action par acte introductif d'instance de décembre 2017 de telle sorte que sur ce fondement, l'action n'est pas prescrite.
Selon le rapport d'expertise, l'intervention de cette société n'a pas eu lieu dans les règles de l'art puisqu'elle n'a pas demandé les carnets moteur qui auraient permis de voir qu'il y avait eu une intervention majeure de Caterpillar. CMED a fait une analyse d'huile quasiment neuve en se fiant aux dires du vendeur et n'a pas décelé que le bateau avait subi un événement de mer.
Actionnée sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la faute de CMED est ainsi clairement établie par les constatations de l'expert qui ne permettent pas à cette société de se soustraire au constat de sa responsabilité alors que chargée de vérifier l'état apparent du navire, elle n'a pas mis en oeuvre les moyens nécessaires pour révéler l'intervention majeure consignée dans les carnets moteurs et s'est satisfaite en conséquence d'une analyse de l'huile moteur après vidange récente préalable à son intervention.
Toutefois, le lien causal avec le préjudice revendiqué par M. [T] qui demande l'indemnisation du coût de réparation des moteurs et du préjudice de jouissance n'est pas caractérisé puisque l'insuffisance des moyens mis au soutien de sa mission d'expertise n'est qu'à l'origine d'une perte de chance pour M. [T] de ne pas acquérir le navire ou d'en négocier le prix. Tel n'est pas le fondement de sa demande dont il sera débouté.
S'agissant de l'action dirigée contre la société Generali France, il convient de rappeler que cet assureur est intervenu pour l'indemnisation le 10 octobre 2002 d'un sinistre survenu le 28 juillet 2002 sur une hélice du navire suite à un événement de mer. C'est à juste titre que les premiers juges sur la fin de non recevoir proposée par l'assureur au visa de l'article L.114-1 du code des assurances ont retenu la prescription de toute demande de M. [T] à son encontre dès lors que plus de deux années se sont écoulées entre cet événement de mer et la mise en cause de cet assureur par ordonnance de référé lui déclarant communes et opposables les opérations d'expertise. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré prescrites l'action contre la société Generali France.
S'agissant de l'action dirigée contre Lamy Marine et son assureur Axa, il convient de rappeler que la société Lamy Marine, concessionnaire Caterpillar, est intervenue sur une panne survenue en 2011 et a émis un devis de réparation en date du 15 juin 2011 pour un montant de 47898,65€.
Par une analyse juste en fait et en droit, les premiers juges ont débouté M. [T] de ses demandes dirigées contre ces sociétés en retenant, par une motivation que la cour adopte, que le devis en question mentionne expressément que le diagnostic est réalisé en l'état et sous réserve de démontage. M.[T] n'ayant pas donné suite en faisant procéder au démontage, n'a donc pas permis à la société Lamy Marine de constater la corrosion que l'expert a pu relever postérieurement et de s'interroger plus avant sur le diagnostic exact. Ainsi, la faute de la société Lamy Marine n'est pas caractérisée et le jugement sera confirmé en ce qu'il déboute M. [T] de ses demandes à son encontre et celle de son assureur.
L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'est pas, en soi, constitutive d'une faute susceptible de justifier l'octroi d'une indemnité pour procédure abusive, de telle sorte qu'à défaut pour la société Caterpillar Commercial Services et la société Generali France d'établir une quelconque intention de nuire, mauvaise foi ou légèreté blâmable à l'action de M. [T], leur demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive sera rejetée.
Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, M. [C] [T] supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe
Infirme le jugement en ce qu'il a déclaré prescrite l'instance engagée par M. [T] à l'encontre de la société Centre Méditerranéen d'Expertise et Diagnostic.
Statuant à nouveau de ce chef,
déclare recevable comme non prescrite une telle action,
déboute M. [C] [T] de ses demandes dirigées contre la société Centre Méditerranéen d'Expertise et Diagnostic.
Confirme le surplus du jugement.
Y ajoutant,
Déboute la société Caterpillar Commercial Services et la société Generali France de leurs demandes en condamnation de M. [T] pour procédure abusive,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque
Condamne M. [C] [T] aux dépens d'appel.
Le Greffier Le Président