Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre civile
ARRET DU 23 FEVRIER 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 20/02113 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OSXW
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 07 février 2020 - juge des contentieux de la protection de [Localité 7] -
N° RG 14/000758
APPELANTE :
S.A.S. Disponis
et pour elle son representant legal en exercice domicilie audit siege social
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Mélanie LEQUELLEC substituant Me Bruno FITA de la SCP FITA-BRUZI, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant
INTIMES :
Madame [J] [P] divorcée [C]
née le 26 Janvier 1971 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Charlotte CAZACH substituant Me Christelle NICOLAU de la SCP NICOLAU-MALAVIALLE-GADEL-CAPSIE, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant
Monsieur [Y] [C]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 5]
assigné le 29 juillet 2020 par acte remis à étude
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 JANVIER 2023,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marianne FEBVRE, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre
Mme Cécile YOUL-PAILHES, Conseillère
Madame Marianne FEBVRE, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Henriane MILOT
ARRET :
- par défaut ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Henriane MILOT, Greffier.
*
* *
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Suivant offre préalable du 28 avril 2011, la société Disponis a consenti à Monsieur [Y] [C] et Madame [J] [P], son épouse à l'époque - les époux ayant divorcé le 8 février 2019 - un prêt classique d'un montant de 5.098 € au taux nominal conventionnel de 7,74 % et au taux effectif global de 8,02 %, remboursable en 120 mensualités de 67,80 € chacune.
Faisant état d'échéances impayées avec un premier incident non régularisé en date du 10 juin 2013, la société Disponis leur a adressé une lettre recommandée avec accusé de réception portant mise en demeure les 5 et 25 novembre 2013.
Le 14 février 2014, le prêteur a obtenu du tribunal d'instance de Perpignan une ordonnance d'injonction de payer une créance de 4.513,89 €, dont Monsieur [C] a fait opposition le 10 mars 2014 en invoquant une plainte qu'il avait déposée à l'encontre de son ex-épouse accusée d'avoir signé l'offre de prêt à sa place.
Le juge saisi dans le cadre de cette opposition a ordonné la réouverture des débats par mention au dossier le 17 mai 2019, en invitant les parties à préciser et justifier du sort ou de l'état d'avancement de l'information judiciaire ouverte suite à cette plainte avec constitution de partie civile et, par ailleurs, en soulevant d'office le moyen tiré du défaut de remise aux emprunteurs d'un formulaire détachable de rétractation.
Vu le jugement rendu par défaut - en l'absence de Madame [P] - le 7 février 2020 par le tribunal judiciaire de Perpignan, qui a débouté l'établissement prêteur de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné aux dépens, cela après avoir constaté l'anéantissement de l'ordonnance d'injonction de payer du 14 février 2014 du fait de l'opposition,
Vu la déclaration d'appel de la société Disponis en date du 1er juin 2020,
Vu ses dernières conclusions, transmises le 3 décembre 2020, par laquelle l'appelante demande à la cour de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner Monsieur [C] et Madame [P] - avec exécution provisoire - à lui payer la somme de 4.513,89 € avec intérêts de retard au taux d'entrée du contrat, outre une indemnité de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
Vu les uniques conclusions prises pour le compte de Madame [P] le 15 octobre 2020, aux fins de voir réformer le jugement entrepris, constater la déchéance du droit aux intérêts de la société Disponis, condamner cette dernière - à défaut Monsieur [C], aux entiers dépens de première instance et d'appel et dire n'y avoir lieu à sa propre condamnation à ce titre ou sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'absence de constitution pour Monsieur [C] malgré la signification de la déclaration d'appel et des premières conclusions par un acte en date du 29 juillet 2020 délivré à domicile,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 12 décembre 2022,
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère au jugement ainsi qu'aux conclusions écrites susvisées.
MOTIFS
Monsieur [C] a régulièrement été assigné à domicile par acte du 29 juillet 2020 remplissant les conditions des articles 657 et 658 du code de procédure civile. Cette partie n'ayant pas constitué avocat, l'arrêt sera rendu par défaut conformément aux dispositions de l'article 473 du même code.
L'article 472 précise que si le défendeur ne comparaît pas, le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et fondée, au seul vu des pièces fournies par le demandeur.
En l'espèce, les demandes qui sont régulières en la forme et recevables, peuvent être examinées au fond.
A cet égard, il convient de rappeler qu'en vertu de l'article 1315 du code civil, il appartient à celui qui réclame exécution d'une obligation de la prouver conformément aux règles de preuve légalement admissibles, étant précisé que l'insuffisance de preuve est toujours retenue au détriment de celui qui a la charge de la preuve.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
En l'espèce, si la société Disponis demande à la cour de 'réformer en toutes ses dispositions la décision entreprise' tandis que Madame [P] conclut également à la réformation du jugement dont appel dans le cadre de son appel incident, la cour observe qu'aucune des parties ne vient critiquer spécifiquement le chef du dispositif par lequel le tribunal a - à juste titre constaté l'anéantissement de l'ordonnance d'injonction de payer du 14 février 2014 du fait de l'opposition faite par Monsieur [C] le 10 mars 2014 de l'ordonnance d'injonction de payer signifiée le 26 février précédent.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef non véritablement critiqué par aucune des parties.
Sur le fond, l'appelante fait essentiellement valoir que le tribunal a renversé la charge de la preuve en faisant peser sur lui l'obligation d'informer la juridiction au sujet d'une plainte et d'une procédure pénale qu'il n'avait pas lui-même initiée et à laquelle il est totalement étranger, invoquée en défense par Monsieur [C].
Pour débouter ce prêteur de ses demandes suite à l'anéantissement de l'ordonnance d'injonction de payer la créance de 4.513,89 € qu'il avait invoquée à l'encontre de Monsieur [C] et Madame [P], le tribunal d'instance de Perpignan a constaté que :
- par simple mention au dossier notifiée aux parties par le greffe le 15 février 2019, il avait ordonné la réouverture des débats après avoir notamment invité les parties à préciser et à justifier du sort ou de l'état d'avancement de cette plainte avec constitution de partie civile,
- les défendeurs n'avaient pas comparu,
- les parties s'étaient abstenues de déférer à l'invitation qui leur avait été faite, la partie en demande - sur laquelle pesait la charge de la preuve - invoquant les dispositions de l'article 4 du code de procédure pénale,
- les parties étaient tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instructions, sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus,
- par suite et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens, il convenait de rejeter l'intégralité des prétentions de la partie en demande dans la mesure où elle s'abstenait volontairement d'éclairer le tribunal sur les faits le cas échéant révélés par l'information judiciaire.
Madame [P] soutient quant à elle qu'elle n'avait pas eu connaissance de la plainte invoquée par Monsieur [C] et qu'elle n'avait pas été informée de la procédure sur opposition à injonction de payer suite à sa séparation d'avec Monsieur [C] et leur divorce, si bien qu'elle n'avait pas pu être représentée en première instance.
Au fond, elle ne conteste pas la créance de la société Disponis, confirme la notification de la déchéance du terme par lettres recommandées avec accusé de réception des 5 et 25 novembre 2013 et - dans le cadre de son appel incident - demande à la cour de prononcer à son égard la déchéance du droit du prêteur aux intérêts faute pour lui de justifier de l'existence d'un formulaire de rétractation détachable.
Sur ce point, la société Disponis objecte que le moyen tiré du défaut de remise d'un formulaire détachable de rétractation invoqué plus de cinq ans après la signature du contrat est prescrit et qu'en toute hypothèse, les énonciations du contrat, lesquelles sont suivies de la signature des emprunteurs, font état de la faculté de rétractation par le biais du bordereau détachable, dont les intéressés ont formellement reconnu être entrés en possession.
A ce stade, il convient de constater que la société Disponis produit bien l'offre préalable de prêt dont elle fait état, acceptée par Monsieur [C] et Madame [P] le 28 avril 2011 et que, comme elle le soutient à juste titre, c'était à Monsieur [C] qu'il revenait de justifier de la plainte pénale dont il faisait état dans le cadre de sa contestation, en excipant qu'il n'avait pas signé le contrat de prêt qui lui était opposé. Aucune des autres parties ne pouvaient par ailleurs répondre à l'interrogation de la juridiction du premier degré au sujet de l'état d'avancement de la procédure pénale éventuellement engagée suite à cette plainte dont il ne rapportait manifestement pas la preuve.
Le jugement mérite donc infirmation à ce titre.
Sur le fond, la cour observe que Madame [P] ne conteste pas l'existence des deux échéances impayées pour un montant de 135,74 € et de l'envoi par le prêteur de lettres prononçant la déchéance du terme.
S'agissant de sa demande de déchéance du droit aux intérêts et la question du bordereau de rétractation, il convient de rappeler à ce stade qu'aux termes de l'article L.311-12 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable en l'espèce telle qu'issue de celle de la loi du 1er juillet 2010 :
« L'emprunteur peut se rétracter sans motifs dans un délai de quatorze jours calendaires révolus à compter du jour de l'acceptation de l'offre de contrat de crédit comprenant les informations prévues à l'article L.311-18. Afin de permettre l'exercice de ce droit de rétractation, un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit. L'exercice par l'emprunteur de son droit de rétractation ne peut donner lieu à enregistrement sur un fichier.
En cas d'exercice de son droit de rétractation, l'emprunteur n'est plus tenu par le
contrat de service accessoire au contrat de crédit. »
La sanction du défaut de respect de cette obligation par le prêteur est la déchéance du droit aux intérêts, en vertu de l'article L. 311-48 dudit code, dans sa rédaction applicable en l'espèce :
« Le prêteur qui accorde un crédit sans communiquer à l'emprunteur les informations précontractuelles dans les conditions fixées par les articles L.311-6 ou L.311-43, sans remettre et faire signer ou valider par voie électronique la fiche mentionnée à l'article L.311-10, ou sans remettre à l'emprunteur un contrat satisfaisant aux conditions fixées par les articles L.311-11, L.311-12, L.311-16, L.311-18, L.311-19, L.311-29, le dernier alinéa de l'article L.311-17 et les articles L.311-43 et L.311-46, est déchu du droit aux intérêts. »
Par ailleurs, après avoir jugé que la reconnaissance écrite, par l'emprunteur, dans le corps de l'offre préalable, de la remise d'un bordereau de rétractation détachable joint à cette offre laissait présumer la remise effective de celui-ci, la Cour de cassation décide désormais qu' « il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu'il a satisfait à ses obligations précontractuelles et que (...), la signature par l'emprunteur de l'offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu'il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaire » (cf. Cass. 1ère civ., 21 octobre 2020, arrêt n°620 FS-P+B+I).
Enfin, s'agissant de la prescription, dans un avis en date du 19 septembre 2019 (arrêt n° 15014 P+B+I, RG n° U 19-70.013), la même chambre de la Cour de cassation a indiqué que le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts opposé par le souscripteur d'un crédit constitue une défense au fond. Ce n'est que lorsqu'elle tend à la restitution d'intérêts trop perçus que l'invocation d'une telle déchéance s'analyse en une demande reconventionnelle à laquelle la prescription est susceptible d'être opposée.
En l'espèce, Madame [P] ne prétend nullement obtenir un paiement ou un remboursement : elle demande simplement à la cour de constater la déchéance du droit aux intérêts de la société Disponis du fait que cette dernière ne justifie pas lui avoir remis une offre de prêt comportant un bordereau de rétractation détachable conforme aux exigences légales et réglementaires. En l'absence de demande reconventionnelle de sa part, le moyen de défense destiné à faire partiellement échec à la demande du prêteur échappe à toute prescription.
Sur le fond, la cour observe que la société Disponis s'appuie sur une copie de l'offre préalable de prêt acceptée par Madame [P] et Monsieur [C] ne comportant aucun bordereau de rétractation et dont les mentions par lesquelles les intéressés ont reconnu « rester en possession d'un exemplaire de cette offre doté d'un formulaire détachable de rétractation » sont en soi insuffisantes pour faire présumer une remise dudit formulaire.
Quant aux conditions générales de ce contrat rappelées par le prêteur dans ses dernières conclusions d'appel, au chapitre « Rétractation de l'acceptation », elles stipulent ceci : « Après avoir accepté, vous pouvez revenir sur votre engagement, dans un délai de sept jours à compter de votre acceptation, en renvoyant le bordereau détachable joint après l'avoir signé », ce qui n'est pas conforme aux exigences de l'article L.311-12 du code de la consommation susmentionné, devenu L.312-55 depuis la nouvelle codification applicable à compter du 1er mai 2011.
Il y a donc lieu d'accueillir le moyen de défense de l'intimée tiré de la déchéance du droit aux intérêts de la banque et de limiter la créance de la société Disponis à la somme de 3.324,64 €, obtenue à partir du capital emprunté (5.098 €), auquel on a déduit les échéances effectivement payées (67,80 x 29 = 1.966,20 €), soit un capital restant dû de 3.131,80 € majoré des frais d'assurance jusqu'à la déchéance du terme (6,65 x 29 = 192,85 €).
S'agissant de la somme de 179,05 € réclamée par le prêteur au titre de l'indemnité légale dans son décompte non daté, la cour fera d'office application de l'article 1152 du code civil en vigueur à la date de signature du contrat de prêt en constatant d'une part que la somme réclamée n'est en rien justifiée car elle ne correspond pas à l'application des dispositions contractuelles (8% de 4.199,24€ ne donnant pas ce résultat) et, d'autre part, une telle pénalité apparaît manifestement excessive au regard de l'équilibre global du contrat, dont le montant du crédit, la durée d'exécution du contrat, le taux d'intérêt mentionné et la déchéance encourue par le prêteur du fait du non respect des dispositions protectrices du code de la consommation.
Pour terminer, il n'y aura pas lieu d'accueillir la demande d'exécution provisoire présentée par l'appelante alors que le présent arrêt en est assorti de plein droit.
Parties majoritairement perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, Madame [P] et Monsieur [C] supporteront les dépens.
En revanche, l'équité et la situation des parties commandent de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à son encontre tandis que Monsieur [C] sera condamné à payer à payer une indemnité à ce titre à la société Disponis.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt rendu par défaut, et mis à la disposition des parties au greffe,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Disponis de ses demandes à l'encontre de Monsieur [Y] [C] et Madame [J] [P] et l'a condamnée aux dépens ;
Confirme le jugement entrepris pour le surplus, à savoir sur l'anéantissement de l'ordonnance d'injonction de payer en date du 14 février 2014 ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,
Condamne solidairement Monsieur [Y] [C] et Madame [J] [P] à payer à la société Disponis la somme de 3.324,64 €, qui sera exclusivement majorée des intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de Madame [J] [P] ;
Condamne Monsieur [Y] [C] à payer à la société Disponis la somme de 2.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Monsieur [Y] [C] et Madame [J] [P] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT