Grosse + copie
délivrées le
à
3e chambre sociale
ARRÊT DU 15 Février 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08344 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OOPT
ARRÊT n°
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 DECEMBRE 2019 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CARCASSONNE POLE SOCIAL
N° RG18/00280
APPELANTE :
CPAM DE L'AUDE
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentant : Me Bruno LEYGUE de la SCP CAUVIN, LEYGUE, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
Madame [U] [P]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Sarah MASOTTA de la SELARL ALTEO, avocat au barreau de MONTPELLIER
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 JANVIER 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet
Mme Isabelle MARTINEZ, Conseillère
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mademoiselle Sylvie DAHURON
ARRÊT :
- Contradictoire;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet et par Mademoiselle Sylvie DAHURON, greffier.
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* *
EXPOSE DU LITIGE, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Le 12 avril 2017 à 11h30, Madame [U] [P], médecin du travail au sein du Service Interentreprises de Santé au Travail (le SIST) de [Localité 4], a déclaré avoir été victime d'un accident survenu dans les circonstances suivantes selon la déclaration d'accident du travail établie par l'employeur le 13 avril 2017 : 'la salariée déclare avoir été victime d'un choc émotionnel à la lecture d'un mail adressé par son directeur', le Docteur [S] [N] et le Docteur [D] [W] étant cités comme témoins.
Le certificat médical initial établi le 12 avril 2017 par le Docteur [Y] [G], accompagné d'un arrêt de travail, fait état d'un 'choc émotionnel senti à la réception d'un mail du directeur'.
Le 10 juillet 2017, à l'issue de son enquête administrative, la caisse d'assurance maladie de l'Aude a refusé de prendre en charge l'accident susvisé au titre de la législation professionnelle, au motif que 'les différents témoignages n'établissent pas l'existence d'un fait accidentel. De plus, les événements relatés ne permettent pas de caractériser un accident du travail au sens de la législation professionnelle'.
Le 3 août 2017, Madame [U] [P] a contesté ce refus devant la commission de recours amiable, laquelle n'a pas répondu dans les délais impartis.
Le 21 décembre 2017, Madame [U] [P] a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude en contestation d'une décision de rejet implicite.
Le 31 mai 2018, la commission de recours amiable a expressément rejeté la demande formée par Madame [U] [P] relativement à la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident dont elle a déclaré avoir été victime le 12 avril 2017.
Le 31 juillet 2018, Madame [U] [P] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude en contestation de la décision de rejet de la commission de recours amiable.
Suivant jugement contradictoire du 3 décembre 2019, le pôle social du tribunal de grande instance de Carcassonne, lequel s'est vu attribuer les litiges pendants devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude 'Ordonne la jonction des recours enregistrés sous les numéros 21700594 (18/00280) et 21800390 (18/00279) et dit qu'ils se poursuivront sous le numéro unique 21700594 (18/00280) ; Dit que la CPAM de l'Aude doit prendre en charge l'accident du 12 avril 2017 dont a été victime Mme [U] [P] au titre de la législation professionnelle ; Condamne la CPAM de l'Aude à payer à Mme [U] [P] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Rejette toute prétention contraire ou plus ample ; Condamne la CPAM de l'Aude aux dépens éventuellement engagés à compter du 1er janvier 2019".
Le 26 décembre 2019, la caisse d'assurance maladie de l'Aude a interjeté appel du jugement.
La cause, enregistrée sous le numéro RG 19/08344, a été appelée à l'audience des plaidoiries du 5 janvier 2023.
La caisse d'assurance maladie de l'Aude a sollicité l'infirmation du jugement, en demandant à la cour de rejeter les demandes formées par Madame [U] [P] et notamment celle relative à la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident dont elle a déclaré avoir été victime le 12 avril 2017.
Madame [U] [P] a sollicité la confirmation du jugement, et a demandé à la cour de condamner la caisse d'assurance maladie de l'Aude au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'article L 411-1 du code de la sécurité sociale dispose qu' 'est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise'.
Il est constant que l'accident du travail est constitué par un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle (d'ordre physique ou psychologique) quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.
L'accident se distingue ainsi de la maladie, d'apparition lente et progressive. Il n'est toutefois pas nécessaire que l'accident ait été causé par l'action violente et brutale d'une cause extérieure. Il suffit, en effet, que soit constatée l'apparition soudaine d'une lésion en relation avec le fait accidentel.
Les dispositions de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale consacrent donc une présomption d'imputabilité de l'accident au travail, dès lors que la lésion est survenue au temps et au lieu de travail.
La charge de la preuve de ce que cet accident est bien survenu au temps et au lieu de travail pèse sur le salarié qui invoque cette présomption d'imputabilité.
S'agissant toutefois d'une présomption simple susceptible de preuve contraire, l'employeur ou la caisse qui veut la combattre doit établir que l'accident a une cause totalement étrangère au travail.
En l'espèce, il est acquis que Madame [U] [P] a pris connaissance, le 12 avril 2017 à 11h30, alors qu'elle se trouvait dans son bureau, d'un mail adressé par Monsieur [M] [J], directeur du SIST, rédigé en ces termes :
'Bonjour [U],
[I] [T] vient de nous faire part de son extrême fatigue mentale face à votre comportement.
En effet, vous contredisez l'organisation générale du service de façon constante en donnant des ordres et contre-ordres à votre secrétaire.
Le dernier exemple porte sur les journées organisées à [Localité 5] pour chaque médecin au sujet desquelles vous ne voulez qu'une demi-journée alors qu'il a été exposé en CMT la nécessité d'organiser des journées entières par tout le monde.
Mme [T] demande à changer de poste, déclarant ne plus pouvoir supporter cette situation récurrente.
Je demande de vous mettre en rapport avec [A] pour nous organiser un rendez-vous afin de mettre un terme à cette situation.
Cordialement.
[M] [J], directeur'.
Madame [U] [P] a déclaré s'être sentie mal à la lecture de ce mail et s'être effondrée, en pleurs, ayant eu l'impression qu'on l'accusait de harcèlement envers sa secrétaire. Elle a, le même jour, informé la DIRECCTE Midi-Pyrénées de son mal-être à réception dudit courrier électronique.
Deux de ses collègues de travail, le Docteur [D] [W] et le Docteur [S] [N], ont attesté de l'état d'angoisse dans lequel se trouvait Madame [U] [P] à réception du mail susvisé, la première ayant constaté qu'elle était 'en larmes, toute rouge, les yeux bouffis, très angoissée et dans un état de sidération très inhibant (incapable de travailler)' et ayant rapporté cet événement auprès de ses confrères en dénonçant le fait que le directeur mette en cause l'intéressée 'd'une manière très choquante', et le second ayant été destinataire en copie du mail litigieux avant de personnellement constater que Madame [U] [P] se mettait à pleurer quand elle relisait ce mail.
En outre, contrairement aux réserves formulées par l'employeur dans le cadre de l'enquête administrative de la caisse, Madame [U] [P] n'a pas continué de travailler normalement, celle-ci ayant consulté son médecin en début d'après-midi et ayant informé son collègue de travail, le Docteur [S] [N], de ce qu'elle ne se sentait pas capable de co-animer avec lui la formation prévue l'après-midi.
Le certificat médical initial du 12 avril 2017 corrobore, le jour du fait accidentel, la survenance d'une lésion psychologique soudaine (choc émotionnel) à réception du mail du directeur.
Par ailleurs, les propos tenus par le directeur du SIST dans le mail litigieux ne doivent pas nécessairement être humiliants pour constituer un fait accidentel, la cour relevant en tout état de cause leur caractère fort et accusateur, parfaitement susceptible de provoquer un choc émotionnel chez Madame [U] [P], ce que n'a pas manqué de dénoncer le Docteur [D] [W] en qualifiant de 'choquante' l'interpellation de l'employeur.
Au surplus, le fait que Madame [U] [P] ait déclaré 'cela recommence' ou ait fait allusion à de précédentes difficultés relationnelles rencontrés par d'anciens collègues de travail avec la direction du SIST, ne suffit pas à caractériser une dégradation lente et progressive de ses conditions de travail ou de son état de santé, alors qu'il n'est pas démontré que l'intéressée ait présenté un signe dépressif auparavant.
Dès lors, au vu de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que la lésion psychologique litigieuse trouve son origine dans un fait précis et identifiable, à savoir la réception du mail du directeur du SIST le 12 avril 2017, au temps et sur le lieu du travail.
Les faits du 12 avril 2017 bénéficient ainsi de la présomption d'imputabilité au travail édictée par les dispositions de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale, sauf à la caisse d'assurance maladie de l'Aude d'établir que la lésion concernée a une cause totalement étrangère au travail.
Or, ni l'absence d'anormalité alléguée du fait accidentel, ni l'exercice par l'employeur de son pouvoir de direction, ne sont susceptibles de détruire cette présomption d'imputabilité. La caisse d'assurance maladie de l'Aude ne rapporte donc nullement la preuve d'une cause totalement étrangère au travail dans la survenance du choc émotionnel de Madame [U] [P].
Il s'ensuit que les faits survenus le 12 avril 2017 constituent un accident du travail au sens de la réglementation en vigueur, et que les soins et arrêts de travail subséquents doivent être pris en charge et indemnisés par la caisse au titre de la législation professionnelle.
Le jugement querellé mérite donc entière confirmation.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 décembre 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance de Carcassonne ;
Y ajoutant ;
Condamne la caisse d'assurance maladie de l'Aude à payer à Madame [U] [P] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la caisse d'assurance maladie de l'Aude aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la juridiction le 15 février 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT