Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre civile
ARRET DU 02 FEVRIER 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 20/03320 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OU3N
Décision déférée à la Cour ;
Arrêt rendu le 28 mai 2020 par la Cour de cassation sous le n°F19-10.017 cassant et annulant partiellement l'arrêt du 6 novembre 2018 de la cour d'appel de Montpellier (n° 16/01281) sur appel du jugement du tribunal de grande instance de Perpignan en date du 27 janvier 2016 (n° 13/04414)
Vu l'article 1037-1 du code de procédure civile ;
DEMANDERESSE A LA SAISINE:
SARL Nitroglisser'in
représentée en la personne de son gérant, domicilié ès qualités au siège social
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Jacques-Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et par Me Philippe NESE, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, avocat plaidant
DEFENDERESSE A LA SAISINE
S.C.I. Crejo 1
représentée par son gérant, domicilié ès qualités au siège social
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me VIAL de la SCP VIAL-PECH DE LACLAUSE-ESCALE- KNOEPFFLER-HUOT-PIRET-JOUBES, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 DECEMBRE 2022,en chambre du conseil, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 805 du code de procédure civile, devant la cour composée de :
M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre
Madame Marianne FEBVRE, Conseillère
M. Thibault GRAFFIN, Conseiller, magistrat de permanence
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Henriane MILOT
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Henriane MILOT, Greffier.
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* *
FAITS ET PROCEDURE
Le 20 décembre 2011, la société Crejo 1 (ou la SCI) a fait délivrer à la société Nitroglisser'In un congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction pour le 30 juin 2012.
Une mesure d'expertise pour déterminer la valeur de l'indemnité d'éviction a été ordonnée en référé le 16 janvier 2013 et l'expert a déposé son rapport le 13 juillet 2013.
La société Nitroglisser'In a informé la SCI de son intention de cesser l'exploitation et de restituer les clés puis a libéré les lieux le 26 août 2013 tandis que le 19 septembre 2013, la propriétaire a notifié à la locataire un acte comportant 'réitération de notification de droit de repentir'.
La société Nitroglisser'In a assigné la société Crejo 1 en nullité de l'acte de réitération du repentir, constatation de la libération des lieux avant l'exercice du droit de repentir et paiement d'une indemnité d'éviction.
Par jugement du 27 janvier 2016, le tribunal a jugé que le repentir était tardif, a dit que la société Nitroglisser'In avait droit à une indemnité d'éviction qu'elle a fixée à un certain montant.
Par arrêt rendu le 6 novembre 2018, la cour d'appel de Montpellier a confirmé ce jugement.
La société Crejo I a formé un pourvoi par déclaration du 2 janvier 2019. La Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier par un arrêt du 28 mai 2020.
Par un arrêt du 7 avril 2021, la cour de céans, désignée cour de renvoi dans une autre composition a ordonné une mesure d'expertise ayant pour but de déterminer la valeur de l'indemnité d'éviction. Le rapport d'expertise a été déposé le 5 juillet 2022.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 27 octobre 2022, la société Nitroglisser'In demande à la cour, au visa des articles L.145-14, L.145-58 et L.145-59 du code de commerce ainsi que de l'article 1353 du code civil, de confirmer le jugement à l'exception de la disposition relative au montant de l'indemnité d'éviction, et en conséquence de :
- Condamner la société Crejo 1 à payer à la société Nitrogglisser'In, avec intérêts au taux légal à compter du délaissement et subsidiairement de l'acte introductif d'instance du 14 novembre 2013 :
- la somme de 159.757, 25 € ou de 139.915, 85 € au titre de l'indemnité globale d'éviction ;
- la somme de 4.450, 06 € à titre de remboursement du dépôt de garantie ;
- la somme de 1.122, 27 67 € à titre de remboursement de trop payé d'indemnité d'occupation ;
- Condamner la société Crejo 1 à payer à la société Nitrogglisser'In :
- la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles de première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles devant la Cour de cassation ;
- la somme de 25.000 € au titre des frais irrépétibles d'avocat en cause d'appel ;
- Condamner la société Crejo 1 aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais de référé et d'expértises judiciaires dont distraction au profit de la Scp Auche - Hedou dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 13 octobre 2022, la société Crejo 1 demande à la cour d'infirmer le jugement, et, statuant à nouveau, de :
- Débouter la société Nitroglisser'In de sa demande de paiement d'indemnité globale d'éviction ;
- Débouter la société Nitroglisser'In de ses demandes d'indemnités accessoires de frais de déménagement ;
- Débouter la société Nitroglisser'In de sa demande de perte sur stock ;
- Débouter la société Nitroglisser'In de ses demandes complémentaires et nouvelles ;
- Débouter la société Nitroglisser'In de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Nitroglisser'In à verser une somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Nitroglisser'In aux entiers dépens.
Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 06 décembre 2022.
SUR CE
Selon l'article L. 145-14 du code de commerce,
'Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.'
La société Nitroglisser'in, en lecture de rapport de l'expert [R], n'apporte à celui-ci que deux critiques, que la cour peut qualifier de marginal s'agissant de la surface pondérée des locaux, arbitrée à 53m² par l'expert (page 12) et à 75m²12 par elle même, impactant la détermination de la valeur marchande du fonds, puis du coefficient de 8 retenu par l'expert 'compte tenu de la nature et des caractéristiques des locaux et de leur très bonne situation au regard de l'activité exercée' alors qu'elle qualifie cette situation d'excellente avec un coeficient de 10, impactant la détermination de la valeur du droit au bail.
La société Nitroglisser'in n'apporte aucun élément étayé pour permettre à la cour de considérer que l'expert [R] a procédé par erreur d'appréciation. Ces critiques seront rejetées.
La société Crejo 1 est beaucoup plus critique à l'égard du rapport, voire de l'expert, en formulant le grief principal d'une non-prise en compte de l'indemnité par la méthode de l'excédent brut d'exploitation, négatif sur les trois dernières années révélant une problématique structurelle et non conjucturelle.
L'expert a exclu cette méthode en raison d'un EBE négatif, 'ce qui ne signifie nullement pour autant que la valeur du fonds de commerce est inexistante'.
La cour, prenant en compte que cette méthode d'évaluation est en général appliquée lors d'une acquisition du fonds - ce qui n'est pas le cas de l'espèce - souligne que l'expert [R] a toutefois pris en compte la négativité de L'EBE lorsqu'il valorise le fonds de commerce à hauteur de 50% du chiffre moyen TTC (page 50), correspondant au bas de la fourchette d'évaluation ; encore et surtout, dès lors qu'au moins en partie L'EBE se trouve négatif par le fait de la SCI, qui a assuré au fil du temps la désertification de la galerie commerciale en l'orchestrant pour la transformer progressivement en halles purement alimentaires, une telle méthode d'évaluation ne pouvait être sérieusement envisagée.
Pour le surplus, l'expert, dont le travail circonstancié, clair et précis, conforme à la mission que la cour lui a confiée et en prenant en compte tous les éléments fixés par l'arrêt du 07 avril 2021 mérite approbation, a conclu ainsi son rapport :
'l'indemnité d'éviction due à la société Nitroglisser'in déterminée en fonction de la valeur marchande du fonds conformément aux dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce, déduction faite du chiffre d'affaires se rapportant aux ventes de chaussures sous la marque Dr [Z] est estimée à 99207€ ; le montant des indemnités accessoires est de 40708,85€.'
La SCI ne justifie en rien qu'un local était disponible à proximité, à l'époque de la fermeture de la boutique Neway exploitée par la société Nitroglisser'In. Au mieux fait-elle état - sans en justifier - d'une proposition de déplacement du fonds dans la cellule n°2, antérieure à 2005, ce que la société Nitroglisser'In conteste.
Le choix de la monographie applicable aux vêtements de prêt à porter plutôt que de celle applicable aux articles de sport est légitime dès lors que l'expert, au vu des fiches journalières de caisse de la société Nitroglisser'in, a procédé à une analyse fine et pertinente des articles vendus, entrant dans la destination du bail comme étant des vêtements de sport et de loisirs, à l'exception des chaussures Dr [Z], et a pu souligner qu'ils étaient exclusifs de tout matériel et articles de sport. L'expert, au regard de la réalité des articles vendus, a retenu que des jeans vendus sous les marques Quiksilver, Ripcurl, Oxbow dont la finalité est d'être utlisés par les pratiquants de sports de glisse devaient entrer dans la détermination de l'indemnité. Toutefois, même si'ls sont portés par des pratiquants de sport de glisse, ils entrent dans l'activité interdite de jeannerie de telle sorte qu'ils doivent être déduits, l'expert ayant chiffré le résultat après déduction en page 48 de son rapport.
La SCI critique encore l'extrapolation faite par l'expert au titre de l'exercice 2012/2013, incomplet puisque l'activité a cessé le 14 août 2013. Toutefois, l'évaluation du fonds sur trois ans devant être réalisée à exercices pleins, c'est à juste titre que l'expert a procédé à l'extrapolation jusqu'à la fin de cet exercice au 30 septembre 2013 en prenant pour base de son calcul le chiffre d'affaires effectivement réalisé du 01 octobre 2012 au 14 août 2013.
La cour fixera donc l'indemnité principale d'éviction à la somme de 97904€ correspondant à la valeur marchande du fonds déteminée au regard de l'analyse des trois derniers bilans, des caractéristiques des articles vendus (vêtements de gamme moyenne de marques spécialisées dans le domaine des sports de glisse), de la très bonne situation des locaux au regard de l'activité exercée, des départs et remplacements d'enseignes qui se sont succédés au sein de la galerie marchande entre 2010 et 2014 ayant entraîné des vacances de locaux préjudiciables à la commercialité générale du site, de la baisse du chiffre d'affaires enregistrée sur la période 2010-2011 à 2011-2013 en EBE largement négatif, particulièrement au cours de la dernière année, sur la base d'une valorisaiton de 50% du chiffre d'affaires TTC des trois dernières années, conformément aux travaux précis et circonstanciés de l'expert, dédution faite des ventes de jeans.
S'agissant des indemnités accessoires, les frais de démagement alloués par le premier juge à hauteur de 2500€ ne sont en rien justifiés, ni par facture, ni par un quelconque élément probatoire, ce d'autant plus que le fonds n'a pas été transféré.
S'agissant de la perte sur stock, l'expert n'a procédé à aucune recherche personnelle, se limitant à reprendre les montants arbitrés par le premier juge à hauteur de 15505€, représentant la moitié de la réclamation de la société Nitroglisser'in. La critique de la SCI au vu de l'état du stock passé au bilan arrêté au 30/09/2013 à la somme de 624€ est en cohérence avec une cessation d'activité au 14/08/2013 et une vente du stock de 'rossignols' à des fripiers de telle sorte que seul le montant de 624€ sera retenu de ce chef.
Le poste indemnités de licenciement est en revanche pleinement justifié puisque la société Nitroglisser'in a dû licencier son salarié, M. [U], en lien direct avec l'éviction. Elle produit tant le bulletin de salaire faisant état d'indemnités de licenciement, que le contrat de sécurisation professionnelle pour lequel elle a exposé un coût cumulé de 22703,59€.
C'est donc à une réformation partielle du jugement que procédera la cour en retenant un montant d'éviction de 97904€ au titre de l'indemnité principale et de 23327,59€ au titre des indemnités accessoires, avec intérêts au taux légal à compter de la date d'assignation du 14 novembre 2013.
Les demandes de la société Nitroglisser'in tendant à la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la SCI au paiement d'une somme au titre du trop versé d'indemnité d'occupation et une autre somme au titre du remboursement du dépôt de garantie n'entrent pas dans la saisine de la cour de renvoi telle que déterminée par l'arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 2020.
La SCI, partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile supportera les dépens d'appel, en ceux compris les frais d'expertise de M. [R].
Les diverses instances judiciaires nécessaires pour parvenir à la solution du litige ont conduit la SCI à exposer d'importants frais irrépétibles devant les juridictions d'appel qui seront évalués à 15000€.
PAR CES MOTIFS
statuant contradictoirement, par mise à disposition, en qualité de juridiction de renvoi et dans les limites de la saisine fixée par l'arrêt de cassation du 28 mai 2020
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 175508,85€ ;
statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la SCI Crejo 1 à payer à la SARL Nitroglisser'in la somme de 97904€ au titre de l'indemnité principale et celle de 23327,59€ au titre des indemnités accessoires, avec intérêts au taux légal à compter du 14 novembre 2013 ;
Confirme le jugement entrepris pour le surplus, dans les limites de la saisine,
Condamne la SCI Crejo 1 aux dépens d'appel, en ceux compris les frais de l'expertise de M. [R] ;
Condamne la SCI Créjo 1 à payer à la SARL Niroglisser'in la somme de 15000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT