Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre civile
ARRET DU 26 JANVIER 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 19/07810 - N° Portalis DBVK-V-B7D-ONOB
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 24 juillet 2019
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER
N° RG 18/02111
APPELANTES :
SARL YANN SEGUIN EXPERTISE
prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités au siège social
[Adresse 2]
[Localité 1]
et
SA HISCOX, venant aux droits de la société HISCOX INSURANCE COMPAGNY LIMITED
société de droit luxembourgeois
sise [Adresse 4]
L-1855 LUXEMBOURG
dont la succursale française
immatriculée au RSC de Paris n°833 546 989, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités au siège social
sise [Adresse 5]
[Localité 7]
Représentées par Me Arnaud LAURENT de la SCP SVA, avocat au barreau de MONTPELLIER,
et assistées à l'instance par Me Nicolas JONQUET, avocat au barreau de MONTPELLIER et Me Sandrine DRAGHI-ALONSO de la SELARL CABINET DRAGHI-ALONSO avocat au barreau de PARIS
INTIME :
Monsieur [M] [W]
né le 18 Février 1963 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représenté par Me Philippe ANAHORY, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 27 septembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 octobre 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre
M. Frédéric DENJEAN, Conseiller
Mme Marianne FEBVRE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Camille MOLINA
ARRET :
- contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour fixée au 7 décembre 2022 prorogée aux 19 janvier 2023 et 26 janvier 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Camille MOLINA, Greffière.
*
* *
FAITS ET PROCEDURE
Par acte notarié du 10 novembre 2014, M. [M] [W] a acquis de M. [S] [U] et Mme [R] [T] une maison d'habitation située à [Localité 3]) au prix de 770 000 euros.
A l'occasion de cette vente, les vendeurs ont chargé la Sarl Yann Seguin Expertise, diagnostiqueur immobilier assuré auprès de la société Hiscox, de réaliser une mission de repérage des matériaux et produits contenant de l'amiante, qui a dressé son rapport le 29 août 2014.
Suivant facture du 8 avril 2015, l'acquéreur a fait réaliser une nouvelle analyse d'amiante par l'entreprise A2D Expertise. Le rapport en date du 21 avril 2015 fait état d'une présence d'amiante plus importante dans les dépendances, la chaufferie, le garage et les combles.
Par ordonnance du 11 février 2016, le président du tribunal de grande instance de Montpellier a confié une mission d'expertise judiciaire à Mme [O] [I], architecte DPLG, qui a dressé son rapport définitif le 13 novembre 2017.
Par actes d'huissier de justice en date des 8 et 15 mars 2015, M. [M] [W] a fait assigner la Sarl Yann Seguin Expertise et son assureur la société Hiscox Insurance Company Limited (HICL) devant le tribunal de grande instance de Montpellier aux fins, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de condamner solidairement les défendeurs à lui payer les sommes de 205 736,36 euros et 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par jugement contradictoire en date du 24 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Montpellier a statué comme suit :
- déclare recevable l'intervention volontaire de la société Hiscox Sa ;
- condamne in solidum la Sarl Yann Seguin Expertise et son assureur la société Hiscox Insurance Company Limited à payer à M. [M] [W] la somme de 145 612,04 euros ;
- condamne la Sarl Yann Seguin Expertise à payer à M. [M] [W] la somme de 2 500 euros correspondant à la franchise contractuelle (déduite de la condamnation in solidum) ;
- condamne in solidum la Sarl Yann Seguin Expertise et la société Hiscox Sa à payer à M. [M] [W] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejette toute autre demande ;
- condamne in solidum la Sarl Yann Seguin Expertise et la société Hiscox Sa aux entiers dépens ;
- ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration en date du 4 décembre 2019, M. [M] [W] a interjeté appel.
PRETENTIONS ET MOYENS
Par dernières conclusions déposées via le RPVA le 25 février 2022, la Sarl Yann Seguin Expertise et la SA Hiscox demandent à la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Béziers en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau de,
- mettre hors de cause,
- rejeter purement et simplement toutes demandes à leurs encontres,
A titre subsidiaire de,
- condamner la Sarl Yann Seguin Expertise et la société Hiscox Sa à indemniser M. [M] [W] de son préjudice qui ne pourrait s'exprimer qu'en termes de perte de chance de négocier le prix d'achat de l'immeuble à la baisse dont le montant sera fixé à une somme forfaitaire par la cour,
- rejeter toutes les autres demandes de préjudices quel qu'elles soient,
En tout état de cause,
- condamner M. [M] [W] à payer à la Sarl Yann Seguin Expertise et la société Hiscox Sa la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens dont distraction au profit de Me Lasry dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs prétentions, elles indiquent que :
- la Sarl Yann Seguin Expertise n'a pas commis de faute car elle a alerté sur la présence d'amiante, n'étant tenue d'examiner que les seuls panneaux visibles et accessibles lors de sa visite.
- les plaques amiantées se situaient sous les tuiles composants les toitures, de sorte que leur présence n'avait rien d'évident dans le cadre d'un constat visuel et non destructif effectué depuis l'intérieur des locaux dans les seules parties visibles et accessibles.
- la société A2D a pu avoir accès à certaines parties et matériaux sans avoir recours à des travaux destructifs, la présence des plaques litigieuses étant décelée à l'occasion des travaux d'aménagement.
- le diagnostic d'avant-vente ne doit être analysé ou définit comme un examen complet du bâtiment ou comme une radiographie du bâti.
- la Sarl Yann Seguin Expertise a parfaitement réalisé sa mission et rempli ses obligations tant contractuelles que réglementaires.
- l'oubli de retranscrire la présence d'amiante dans le local piscine par le diagnostiqueur en 2014, déjà repérée en 2012, n'est due qu'à une erreur matérielle de plume.
- il n'y a pas de relation causale entre la prétendue faute du diagnostiqueur et la présence d'éléments amiantés, ainsi le coût des travaux ne saurait être qualifié de préjudice, lesquels ne sont ni nécessaires ni obligatoires.
- concernant le préjudice lié à l'arrêt des travaux, rien ne prouve qu'ils ont été interrompus par la découverte de l'amiante.
- concernant les préjudices locatif et de jouissance paisible du bien, les rapports concluent à l'habitabilité de la maison sans aucun danger pour la santé de ses occupants.
Par dernières conclusions déposées via le RPVA le 18 janvier 2022, M. [M] [W] demande à la cour de :
- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné in solidum la Sarl Yann Seguin Expertise et son assureur Hiscox à payer les travaux de désamiantage.
- Porter la condamnation à la somme de 160 776,36 euros outre les 245 euros du coût du diagnostic A2D soit 161 021,36 euros.
- Confirmer le jugement allouant un article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
- Réformer le jugement sur les préjudices accessoires.
- Condamner in solidum la Sarl Yann Seguin Expertise et son assureur Hiscox à payer :
* 10 000 euros au titre du préjudice lié à l'arrêt des travaux d'embellissement,
* 20 000 euros au titre du préjudice de relogement pendant les travaux de désamiantage,
* 8 960 euros au titre du préjudice lié à l'absence de jouissance paisible.
- Y ajoutant, condamner in solidum la Sarl Yann Seguin Expertise et son assureur Hiscox, en cause d'appel, au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens d'appel.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que :
- des éléments visibles et accessibles contenant de l'amiante n'ont pas été relevés par l'appelante.
- le rapport présente des omissions et des non conformités, la Sarl Yann Seguin Expertise n'ayant pas mis en 'uvre les moyens nécessaires à la bonne exécution de sa mission.
- les fautes commises par la Sarl Yann Seguin Expertise constitue un manquement à son obligation contractuelle de réaliser un diagnostic conforme aux normes en vigueur.
- le surcoût de désamiantage nécessité par la présence de matériaux contenant de l'amiante fautivement non signalés par le diagnostiqueur constitue un préjudice certain, et en aucun cas une perte de chance.
- le coût des travaux nécessaires de désamiantage, afin de protéger la santé de M. [M] [W] et sa famille, est de 160.776,36 euros selon la situation n°3 du rapport de l'expert judiciaire.
- les préjudices doivent comporter le coût du rapport A2D, le préjudice lié à l'arrêt des travaux d'embellissement interrompus par la découverte d'amiante, le préjudice lié à la libération des lieux pendant à la durée des travaux d'au moins 6 mois, la perte de jouissance paisible depuis le mois d'avril 2015 jusqu'en novembre 2017 date du dépôt du rapport.
Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 27 septembre 2022.
MOTIFS
L'article 1240 du code civil (anciennement 1382 à la date des faits) énonce que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
Selon les articles R1334-15 et suivants du code de la santé publique, le diagnostiqueur doit identifier et localiser les matériaux et produits qui contiennent de l'amiante, accessibles sans travaux destructifs.
Il n'est pas contestable qu'a minima un élément visible et accessible contenant de l'amiante n'a pas été relevé par la Sarl Yann Seguin Expertise, appelante.
En effet, le rapport de repérage des matériaux et produits contenant de l'amiante effectué par la société Yann Seguin Expertise le 29 août 2014 a limité la présence d'amiante au "RDC-Hangar 2", alors que ce même diagnostiqueur l'avait antérieurement signalée en 2012 en un autre lieu du bien immobilier objet du litige.
Ce seul manquement non contestable peut suffire à justifier la faute du mandataire dans l'exécution de sa mission, ce professionnel aguerri ne pouvant s'en libérer en évoquant une prétendue erreur de plume, qui en tout état de cause ne l'exonère pas de sa responsabilité civile puisque constituant un fait pouvant causer à autrui un dommage.
L'expert judiciaire dans son rapport, qui est complet, clair et précis, indique en page 70 que le rapport de la Sarl Yann Seguin Expertise présente des omissions et non conformités. Il signale en page 74 l'existence d'erreurs ou omissions dans ce rapport du diagnostiqueur, en ajoutant que l'acquéreur par un déficit de rédaction des conclusions au moins n'a pas eu la totalité de l'information.
Ainsi le premier juge, après avoir signalé que des éléments visibles et accessibles contenant de l'amiante n'ont pas été relevés par le diagnostiqueur, par une motivation détaillée sur la faute de ce dernier que la cour fait sienne et adopte, a justement indiqué que le diagnostiqueur a manqué à son obligation contractuelle de réaliser un diagnostic conforme aux normes en vigueur.
Le premier juge a ensuite affirmé que la faute du diagnostiqueur a causé un préjudice certain qui correspond au coût des travaux de désamiantage, en précisant que la faute commise est la cause des frais supportés par l'acheteur tenu de procéder au désamiantage de l'immeuble et ne consiste pas en une perte de chance.
La perte de chance implique seulement la privation d'une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain.
Si M. [M] [W] conteste dans ses conclusions l'existence de toute perte de chance, la cour constate que les sociétés n'en discutent pas le principe dans leur subsidiaire.
Cette analyse du premier juge est contredite par le rapport de l'expert judiciaire en page 75, qui indique qu'en l'état actuel des connaissances, les occupants du bien ne courent pas de risque pour leur santé.
Le lien certain entre la présence de produits amiantés non signalés par le rapport du diagnostiqueur, et la nécessité de réaliser les travaux de désamiantage n'est dès lors pas établi.
Les appelants indiquent à juste titre que les travaux ne sont ni nécessaires ni obligatoires.
Ainsi, l'intimé n'évoque que la réalisation de travaux d'embellissement, sans nullement établir l'obligation de retrait de matériaux ou produits contenant de l'amiante, lesquels n'ont pas de conséquence quant à la jouissance des biens acquis par M. [M] [W], au dire de l'expertise judiciaire en page 76.
Présentement, M. [M] [W] qui occupe son bien et n'établit nullement une volonté de sa vente, ne peut se prévaloir que de la perte de chance concernant la valeur de son bien, mais aucunement d'un prétendu préjudice de jouissance dés lors que le bien est occupable en l'état actuel.
Il n'est pas établi de la nécessité des travaux de retrait des matériaux contenant de l'amiante, pour certains non accessibles sans travaux, et ne présentant pas de risque connu pour la santé en les laissant en leur état inerte actuel.
Le préjudice doit donc être limité, et ne peut correspondre, comme l'a décidé à tort le premier juge, au montant de la totalité des travaux de désamiantage, ce qui reviendrait à faire supporter au diagnostiqueur, certes responsable de son défaut d'information, mais sans lien avec la présence des produits amiantés, la totalité de travaux non obligatoires.
M. [M] [W] s'enrichirait alors du montant de ces travaux, sans pour autant avoir la nécessité d'y procéder, ce qui lui occasionnerait un enrichissement non justifié.
La condamnation liée à la faute du diagnostiqueur ne peut donc être constituée que de dommages-intérêts correspondant à la perte de chance de négocier une baisse du prix d'achat de la maison.
Estimant qu'une marge de négociation était possible dès lors que la présence d'amiante était révélée, la cour fixe l'indemnisation de cette perte de chance à la somme de 40 000 euros représentant l'équivalent arrondi d'une marge de 5% du prix de vente.
De même, la somme de 245 euros du coût du diagnostic A2D est due à M. [M] [W] qui a dû faire établir une nouvelle analyse d'amiante pour connaître le manquement du diagnostiqueur, nécessaire afin d'obtenir la désignation d'une expertise judiciaire.
Par ailleurs, le premier juge a valablement débouté de la demande de préjudice lié à l'arrêt des travaux car aucun élément suffisant n'est apporté prouvant que le demandeur a entamé des travaux interrompus par la découverte d'amiante. Il en va de même pour la demande au titre du préjudice locatif ou de jouissance car les rapports concluent à l'habitabilité de la maison sans danger pour la santé de ses occupants.
Par conséquent, il conviendra d'infirmer partiellement le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la Sarl Yann Seguin Expertise et son assureur la société Hiscox Insurance Company Limited à payer à M. [M] [W] la somme de 145 612,04 euros.
Parties globalement perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la société Yann Seguin Expertise et la société Hiscox Insurance Company Limited supporteront les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la Sarl Yann Seguin Expertise et son assureur la société Hiscox Insurance Company Limited à payer à M. [M] [W] la somme de 145 612,04 euros ;
Déboute M. [M] [W] de sa demande de condamnation in solidum de la Sarl Yann Seguin Expertise et son assureur la SA Hiscox à payer la somme de 160 776,36 euros pour les travaux de désamiantage ;
Statuant à nouveau,
Condamne in solidum de la Sarl Yann Seguin Expertise et son assureur la SA Hiscox à payer la somme de 40 000 euros de dommages-intérêts au titre de la perte de chance ;
Condamne in solidum la Sarl Yann Seguin Expertise et son assureur la SA Hiscox à payer la somme de 245 euros au titre du coût du diagnostic A2D ;
Confirme le jugement en ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne in solidum la Sarl Yann Seguin Expertise et la SA Hiscox aux entiers dépens d'appel ;
Dit n'y avoir lieu à condamnation en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière, Le président,