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25/01/2023 | FRANCE | N°17/05351

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 3e chambre sociale, 25 janvier 2023, 17/05351


Grosse + copie

délivrées le

à



































3e chambre sociale



ARRÊT DU 25 Janvier 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/05351 - N° Portalis DBVK-V-B7B-NLE5



ARRÊT n°



Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 AOUT 2017 TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE D'AUDE

N° RG21400681





APPELANTES :



Madame

[L] [O] Veuve [K] ayant droit de Mr [D] [K]

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentant : Me Pierre ESPLAS, avocat au barreau de TOULOUSE







Mademoiselle [M] [K] ayant droit de Mr [D] [K]

[Adresse 14]

Apt 1

[Localité 4]

Représentant : Me Pierre ESPLAS, avocat au barreau...

Grosse + copie

délivrées le

à

3e chambre sociale

ARRÊT DU 25 Janvier 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/05351 - N° Portalis DBVK-V-B7B-NLE5

ARRÊT n°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 AOUT 2017 TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE D'AUDE

N° RG21400681

APPELANTES :

Madame [L] [O] Veuve [K] ayant droit de Mr [D] [K]

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentant : Me Pierre ESPLAS, avocat au barreau de TOULOUSE

Mademoiselle [M] [K] ayant droit de Mr [D] [K]

[Adresse 14]

Apt 1

[Localité 4]

Représentant : Me Pierre ESPLAS, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEES :

S.C.S. [12] aux droits de SCS [23]

[Adresse 18]

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentant : Me Etienne FOLQUE de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON

CPAM DE L'AUDE

[Adresse 5]

[Localité 2]

Mme [N] [Y] (Représentante de la CPAM) en vertu d'un pouvoir du 24/11/22

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 01 DECEMBRE 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet

Mme Isabelle MARTINEZ, Conseillère

Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Sylvie DAHURON

ARRÊT :

- Contradictoire;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet et par Mademoiselle Sylvie DAHURON, greffier.

*

* *

EXPOSE DU LITIGE, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Le 30 juillet 2012, Monsieur [D] [K], employé en contrat à durée indéterminée depuis le 1er mars 1999 en qualité de VRP exclusif au sein de la société (SA) Centre Régional Anti-Feu (CRAF) aux droits de laquelle est venue la société (SCS) [12], a mis fin à ses jours par pendaison à son domicile.

Le 10 février 2014, la [10] a pris en charge le suicide de Monsieur [D] [K] au titre de la législation relative aux risques professionnels, ce qu'a contesté la société [12].

Le 10 février 2021, suivant arrêt devenu définitif, la 3ème chambre sociale de la cour d'appel de Montpellier a confirmé le jugement rendu le 8 mars 2016 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude en ce qu'il a confirmé la décision de prise en charge du suicide de Monsieur [D] [K] au titre de la législation professionnelle et l'a déclarée opposable à la société [12].

Le 18 juillet 2014, parallèlement à la procédure susvisée ayant opposé la société [12] à la [10], Madame [L] [K] (la veuve) et Madame [M] [K] (la fille du défunt), en leur qualité d'ayants-droit de Monsieur [D] [K], ont saisi la [10] d'une tentative amiable en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur dans la survenance du suicide du salarié.

Le 26 septembre 2014, la [10] leur a notifié l'échec de cette tentative amiable.

Le 14 novembre 2014, Madame [L] [K] et Madame [M] [K] ont alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [12] dans la survenance du suicide de Monsieur [D] [K].

Suivant jugement contradictoire du 29 août 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude 'Déboute Mme [L] [O] épouse [K] et Mme [M] [K] de l'ensemble de leurs demandes ; Dit que les demandes de la CPAM de l'Aude sont, par suite, sans objet ; Rappelle qu'il n'existe pas de dépens devant la présente juridiction'.

Le 9 octobre 2017, Madame [L] [K] et Madame [M] [K], en leur qualité d'ayants-droit de Monsieur [D] [K], ont interjeté appel du jugement.

La cause, enregistrée sous le numéro RG 17/05351, a été appelée à l'audience des plaidoiries du 1er décembre 2022.

La société [12] a, avant tout autre moyen, soulevé la péremption de l'instance, au motif que Madame [L] [K] et Madame [M] [K] n'auraient accompli aucune diligence susceptible de faire progresser l'affaire avant le 25 novembre 2022, date à laquelle elles communiquaient leurs écritures et pièces.

Madame [L] [K] et Madame [M] [K] (ci-après 'les consorts [K]') ont, sur ce point, soutenu que les dispositions de l'article 386 du code de procédure civile ne trouvaient pas à s'appliquer en procédure orale, la direction de cette procédure leur échappant. Les consorts [K] ont, en outre, indiqué avoir manifesté leur volonté de poursuivre l'instance en sollicitant la fixation de l'affaire aux termes d'un courrier du 10 septembre 2019 et d'un courrier de relance du 16 juin 2021.

Les consorts [K] ont ensuite sollicité l'infirmation du jugement, en demandant à la cour de reconnaître l'existence d'une faute inexcusable de la société [12] dans la survenance du suicide de Monsieur [D] [K] le 30 juillet 2012, et, en conséquence, d'ordonner la majoration de la rente qui leur est servie à son taux maximum, ainsi que d'ordonner avant dire droit une mesure d'expertise médicale afin d'évaluer les souffrances endurées par le défunt, aux frais avancés par la caisse. A défaut d'ordonner une telle mesure, les consorts [K] ont sollicité 'une indemnité forfaitaire' d'un montant de 10 000 euros chacune. Madame [L] [K] et Madame [M] [K] ont, en outre, sollicité la condamnation de la société [12] au paiement des sommes suivantes, en indemnisation de leurs préjudices selon le barème '[16]' : 30 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral de Madame [L] [K] ; 15 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral de Madame [M] [K] ; 10 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral 'subi par sa petite fille'. Enfin, les consorts [K] ont demandé à la cour de condamner la société [12] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La société [12] a sollicité, quant à elle, la confirmation du jugement, en demandant à la cour de débouter Madame [L] [K] et Madame [M] [K] de leurs demandes et de les condamner aux dépens.

La [10], pour sa part, s'en est remise à l'appréciation de la cour quant à l'existence ou non d'une péremption d'instance, et quant à la reconnaissance ou non d'une faute inexcusable de l'employeur. La [10], qui ne s'est pas opposée à l'organisation d'une mesure d'expertise à condition que ces frais soient mis à la charge de la partir succombante, a ensuite sollicité la condamnation de la société [12] au remboursement de l'ensemble des sommes qu'elle sera éventuellement amenée à verser en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I.- Sur la péremption d'instance

Selon l'article 386 du code de procédure civile, l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.

Jusqu'au 31 décembre 2018, en application des dispositions combinées des articles R 142-22 et R 142-30 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction antérieure au décret n°2018-928 du 29 octobre 2018, l'instance introduite devant la cour d'appel est périmée lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.

Ces dispositions ont été abrogées au 1er janvier 2019, par le décret du 29 octobre 2018.

Le décret n°2019-1506 du 30 décembre 2019 a néanmoins rétabli à compter du 1er janvier 2020 le principe posé par l'ancien article R 142-22, par la création de l'article R 142-10-10 du code de la sécurité sociale, mais seulement pour la première instance.

Ainsi, depuis le 1er janvier 2019, par l'effet des dispositions nouvelles impliquant un retour au droit commun de la péremption, l'instance introduite devant la cour d'appel est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences de nature à faire progresser l'instance pendant deux ans, étant précisé que dans une procédure orale, les parties n'ont pas d'autres diligences à accomplir pour interrompre le délai de péremption que de demander la fixation de l'affaire.

En l'espèce, la société [12] demande à la cour de constater la péremption de l'instance au motif que les consorts [K] n'auraient accompli aucune diligence pendant plus de deux ans, entre le 1er janvier 2019 et le 25 novembre 2022 date à laquelle les appelantes ont communiqué leurs écritures et pièces.

Madame [L] [K] et Madame [M] [K] répondent que la péremption d'instance n'est pas encourue dans la mesure où, d'une part, selon elles, les dispositions de l'article 386 du code de procédure civile ne trouvent pas à s'appliquer en procédure orale, la direction de cette procédure leur échappant donc, et que d'autre part, elles ont manifesté leur volonté de poursuivre l'instance en sollicitant la fixation de l'affaire aux termes d'un courrier du 10 septembre 2019 et d'un courrier de relance du 16 juin 2021 ayant donc interrompu à deux reprises le délai de péremption.

Cependant, Madame [L] [K] et Madame [M] [K] ne justifient pas de l'envoi ni de la réception, par le greffe de la cour, des deux courriers dont elles se prévalent et dont ne dispose pas la juridiction dans le dossier d'appel. Madame [L] [K] et Madame [M] [K] ne rapportent donc pas la preuve d'une interruption du délai de péremption.

Néanmoins, il convient de rappeler qu'en vertu de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le principe de sécurité juridique implique que de nouvelles règles, prises dans leur ensemble, soient accessibles et prévisibles et n'affectent pas le droit à l'accès au juge dans sa substance même, ce droit à l'accès au juge impliquant que les parties soient mises en meure effective d'accomplir les charges procédurales leur incombant. L'effectivité de ce droit impose, en particulier, d'avoir égard à l'obligation faite ou non aux parties de constituer avocat pour les représenter.

En outre, selon la Cour européenne des droits de l'homme, le droit d'accès aux tribunaux n'étant pas absolu, il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'Etat, laquelle peut varier dans le temps et dans l'espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même.

De plus, elles ne se concilient avec l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

En l'espèce, il est acquis que l'ensemble des dispositions régissant la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d'appel instaure un formalisme allégé, destiné à mettre de façon effective les parties en mesure d'accomplir les actes de la procédure d'appel. L'ancienne limitation de la péremption d'instance à l'hypothèse où les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction, participait de ce formalisme allégé, retenu en considération des spécificités du contentieux de la sécurité sociale.

Or, d'une part, le rétablissement d'une règle de principe par l'abrogation d'une exception (soit l'extension tacite de l'article 386 du code de procédure civile par abrogation de l'article R 142-22 du code de la sécurité sociale) et le cantonnement d'une nouvelle exception par la place qui lui est attribuée dans sa codification (soit l'exclusion de la procédure d'appel du bénéfice du nouvel article R 142-10-10 du code de la sécurité sociale par son inscription au paragraphe relatif aux procédures applicables en première instance), ne présentent aucune difficulté particulière pour Madame [L] [K] et Madame [M] [K] représentées par un avocat, lequel est tenu à un devoir de compétence dans le contentieux qu'il choisit d'accepter.

Cependant, d'autre part, le retour au droit commun de la péremption d'instance en phase d'appel uniquement procède d'un alourdissement du formalisme procédural dans le seul but de priver d'accès au juge les parties qui ne parviendraient pas à le maîtriser, en vue de décharger les juridictions des affaires dans lesquelles il n'aura pas été respecté. Sa faible légitimité constitue, dans ces conditions, une atteinte disproportionnée au droit à l'accès au juge d'appel dans un contentieux mettant en oeuvre une législation d'ordre public.

Dès lors, la péremption d'instance résultant des dispositions de l'article 386 du code de procédure civile au contentieux de la sécurité sociale seulement à hauteur d'appel doit être écartée en l'espèce afin d'assurer l'effectivité du droit d'accès au juge.

II.- Sur la demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur

A.- Sur la faute inexcusable de droit édictée par l'article L 4131-4 du code du travail

Aux termes de l'article L 4131-4 du code du travail, le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale est de droit pour le ou les travailleurs qui seraient victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (anciennement dit '[11]', devenu le comité social économique, dit dorénavant 'CSE') avaient signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé.

En l'espèce, à l'issue de l'enquête administrative de la [10], il est apparu, notamment selon les déclarations de l'épouse veuve, que Monsieur [D] [K] : craignait de perdre son emploi de VRP avec l'arrivée de nouveaux contrats 'classique/privilège' qu'il considérait comme étant un frein à son activité; qu'il était peiné par la baisse de sa rémunération; qu'il était gêné par les facturations nouvellement imposées à ses clients de par les nouvelles règles de l'entreprise et appréhendait ainsi une perte d'autonomie commerciale de tarification; qu'il déplorait le fait que son avis et ses suggestions n'étaient jamais prise en compte, et que sa hiérarchie ne lui donnait pas de réponse suffisante quant à ses craintes causées par l'arrivée des nouveaux contrats; qu'il se plaignait d'un manque de reconnaissance de sa hiérarchie; que malgré sa grande ancienneté dans l'entreprise, il avait fait part, en début d'année 2012, à ses collègues de travail, de sa volonté d'en quitter les effectif; qu'il avait été vexé de recevoir une lettre de rappel à l'ordre en date du 30 janvier 2012 relativement à l'utilisation du véhicule de l'entreprise à des fins personnelles, sur dénonciation de son ancien collègue de travail devenu son supérieur hiérarchique.

Il ressort du rapport d'enquête paritaire établi le 30 avril 2013 suite au suicide de Monsieur [D] [K] que celui-ci avait fait part de ses craintes quant à son avenir professionnel à certains délégués du personnel. En outre, certains de ses collègues de travail de l'agence de [Localité 22] ont déclaré, dans le cadre de cette enquête, avoir constaté que Monsieur [D] [K] donnait l'impression d'avoir une appréhension à se rendre au travail sur la période de janvier 2012 à juin 2012 précédant son suicide, que son comportement avait changé celui-ci se traduisant par une baisse de moral, et que l'intéressé avait envisagé de quitter rapidement l'entreprise.

Cependant, les éléments rapportés par les salariés de l'agence de [Localité 22] postérieurement au décès de Monsieur [D] [K] ne peuvent être considérés comme des alertes sur la situation de l'intéressé.

De surcroît, les éléments de ce rapport ne permettent pas d'établir que Monsieur [D] [K] ou les institutions représentatives du personnel avaient alerté l'employeur sur son état de santé psychique, ni sur son mal-être, les membres de la délégation d'enquête paritaire ayant clairement précisé, en page 31 du rapport, que si le mal-être de l'employé était connu de certains délégués du personnel, ceux-ci n'en ont pour autant pas fait état à la direction pensant que la situation s'était clarifiée à l'issue d'une réunion commerciale à laquelle devait se rendre le salarié en juillet 2012. Il apparaît également que les supérieurs hiérarchiques de Monsieur [D] [K] n'avaient pas eu connaissance de sa volonté de quitter l'entreprise.

Par ailleurs, les autres éléments versés aux débats, tel que le rapport d'expertise du 30 juin 2011 du cabinet [15] ayant analysé les risques psychosociaux de l'entreprise [23] et [20] au sein des agences d'[Localité 9], [Localité 24], [Localité 21], [Localité 19], [Localité 17], [Localité 13], [Localité 8] et du siège social, ne caractérisent pas le moindre signalement d'un danger ou d'un risque constaté au sein de l'agence de [Localité 22] à laquelle était rattaché Monsieur [D] [K].

Ainsi, Madame [L] [K] et Madame [M] [K] ne rapportent pas la preuve d'un signalement, à l'employeur, du risque qui s'est réalisé, ce qui exclut le bénéfice de la faute inexcusable de droit.

B.- Sur la faute inexcusable prouvée de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale

Il résulte des dispositions de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale que lorsque l'accident ou la maladie professionnelle est dû(e) à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur en vertu des articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail, a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale susvisé lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La conscience du danger doit être appréciée objectivement, par rapport à la connaissance des devoirs et obligations que doit avoir un employeur dans son secteur d'activité.

En outre, il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ou de la maladie professionnelle dont celui-ci est atteint. Il suffit, en effet, qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

La survenance de l'accident ou de la maladie professionnelle ne peut toutefois caractériser à elle seule l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur. Il appartient à la victime qui la recherche, ou à ses ayants-droit, de démontrer que les éléments constitutifs de cette faute sont réunis.

En l'espèce, l'expertise auprès des [11] portant sur les risques psychosociaux réalisée le 30 juin 2011 par le cabinet [15] sur plusieurs agences de la société [23] et [20] ([Localité 9], [Localité 24], [Localité 21], [Localité 19], [Localité 17], [Localité 13], [Localité 8] et le siège social), n'a pas porté sur l'environnement de travail de Monsieur [D] [K] ni sur ses conditions personnelles de travail. Ainsi, contrairement aux allégations de Madame [L] [K] et Madame [M] [K], la preuve d'une dégradation des conditions de travail dans l'agence de [Localité 22] au sein de laquelle exerçait Monsieur [D] [K] n'est pas rapportée, ni celle de difficultés rencontrées personnellement par l'intéressé dans le cadre de son travail et dénoncées auprès de la direction.

En outre, tel que rappelé dans les précédents développements, si certains collègues de travail et délégués du personnel étaient informés des craintes de Monsieur [D] [K] quant à son avenir professionnel et quant à ses conditions de travail, leur signalement à l'employeur ou à un de ceux qu'il s'est substitués dans la direction n'est pas rapportée.

Les éléments versés aux débats, notamment issus des comptes rendus d'évaluation professionnelle et de l'enquête paritaire réalisée postérieurement au décès du salarié sur la base d'éléments concrets, établissent quant à eux que les objectifs fixés étaient atteints par Monsieur [D] [K] sans que ne soit rapportée la preuve d'une surcharge de travail ou d'un changement de ses conditions de travail ; que l'emploi de VRP de l'intéressé n'était pas menacé par l'arrivée des nouveaux contrats 'classique/privilège', ni l'autonomie dont il bénéficiait dans l'organisation de son travail ; qu'il donnait satisfaction et que ses qualité professionnelles étaient reconnues ; qu'il était bien intégré dans le collectif de travail et n'était pas isolé.

Il apparaît également à l'examen du rapport d'enquête paritaire, que la baisse de rémunération de Monsieur [D] [K] constatée à compter du 3ème trimestre 2011 est en lien avec le nombre d'extincteurs vendus, le prix moyen de vente, le 'ratio SAV' et le chiffre d'affaires. Il n'est donc pas démontré que cette baisse de rémunération soit directement en lien avec un environnement de travail modifié ou un changement des conditions de travail du salarié.

Par ailleurs, en l'état des visites médicales à l'issue desquelles Monsieur [D] [K] était déclaré apte sans restriction ni observation particulière, il n'est pas établi que l'employeur avait connaissance d'un état dépressif de son salarié.

De même, les éléments rapportés par les collègues de travail de Monsieur [D] [K] postérieurement à son décès, dans le cadre de l'enquête paritaire, ne peuvent caractériser la connaissance effective, par l'employeur, du mal-être de son salarié avant son décès.

Par conséquent, au regard de l'ensemble de ces éléments, la preuve n'est pas rapportée par Madame [L] [K] et Madame [M] [K] de ce que la société [12] avait ou aurait dû avoir conscience d'une fragilité de Monsieur [D] [K] sur le plan psychologique, ni d'une dégradation de ses conditions de travail, et ce d'autant plus qu'il existait au sein de l'entreprise depuis le mois d'octobre 2011 un dispositif d'alerte permettant aux institutions représentatives du personnel de saisir la direction sur des situations conflictuelles identifiées ainsi qu'un dispositif d'alerte 'CARE' offrant par échange téléphonique une écoute et un soutien psychologique à tout collaborateur, dont il n'est pas démontré l'activation effective par Monsieur [D] [K].

Au surplus, la seule circonstance que Monsieur [D] [K] ait été placé en arrêt maladie peu de temps avant son passage à l'acte ne suffit pas à caractériser la conscience d'un danger exposant l'intéressé qu'aurait dû avoir la société [12], et les seuls désaccords du salarié sur les nouvelles stratégies commerciales envisagées par l'entreprise ne rendaient pas prévisible la réalisation du risque.

Les conditions de la faute inexcusable de l'employeur ne sont pas réunies.

Le jugement querellé sera donc confirmé.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;

Rejette le moyen tiré de la péremption d'instance ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 août 2017 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude ;

Y ajoutant ;

Déboute Madame [L] [K] et Madame [M] [K] de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Madame [L] [K] et Madame [M] [K] aux dépens ;

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la juridiction le 25 janvier 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 3e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 17/05351
Date de la décision : 25/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-25;17.05351 ?
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