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18/01/2023 | FRANCE | N°17/06248

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 3e chambre sociale, 18 janvier 2023, 17/06248


Grosse + copie

délivrée le

à



COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



3e chambre sociale



ARRET DU 18 JANVIER 2023



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/06248 - N° Portalis DBVK-V-B7B-NNHD



ARRET n°



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 NOVEMBRE 2017

TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE HERAULT

N° RG21501624







APPELANTE :



Madame [T] [B] [A]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]


non comparante







INTIMEE :



CPAM DE L'HERAULT aux droits de SSI (ex RSI)

[Adresse 1]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentant : Me Pierre-Emmanuel VISTE de la SCP AURAN-VISTE & ASSOCIES, avocat au barreau de ...

Grosse + copie

délivrée le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

3e chambre sociale

ARRET DU 18 JANVIER 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/06248 - N° Portalis DBVK-V-B7B-NNHD

ARRET n°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 NOVEMBRE 2017

TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE HERAULT

N° RG21501624

APPELANTE :

Madame [T] [B] [A]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]

non comparante

INTIMEE :

CPAM DE L'HERAULT aux droits de SSI (ex RSI)

[Adresse 1]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentant : Me Pierre-Emmanuel VISTE de la SCP AURAN-VISTE & ASSOCIES, avocat au barreau de BEZIERS

En application de l'article 937 du code de procédure civile, les parties ont été convoquées à l'audience.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 NOVEMBRE 2022,en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet et Mme Isabelle MARTINEZ, Conseillère, chargé du rapport.

Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet

Mme Isabelle MARTINEZ, Conseillère

Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Sylvie DAHURON

ARRET :

- Contradictoire.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour ;

- signé par Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet , et par Mademoiselle Sylvie DAHURON, greffier.

*

* *

FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES

Mme [T] [B], chirurgien-dentiste (ci-après le professionnel de santé), a fait l'objet d'une analyse de son activité professionnelle.

Le 28 septembre 2015 le professionnel de santé saisit le Tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Hérault d'une opposition :

- à la contrainte délivrée le 9 septembre 2015 par la caisse RSI Languedoc Roussillon pour un montant de 11 250,52 € pour " indu constaté suite au contrôle de facturation d'actes dentaires pour l'assuré [E] [X] ;

- à la contrainte délivrée le 9 septembre 2015 par la caisse RSI Languedoc Roussillon pour un montant de 9 797,20 € pour " indu constaté suite au contrôle de facturation d'actes dentaires pour l'assuré [S] [P] ;

- à la contrainte délivrée le 9 septembre 2015 par la caisse RSI Languedoc Roussillon pour un montant de 5 707,02 € pour " indu constaté suite au contrôle de facturation d'actes dentaires pour l'assuré [I] [R] ;

- à la contrainte délivrée le 9 septembre 2015 par la caisse RSI Languedoc Roussillon pour un montant de 14 742,972 € pour " indu constaté suite au contrôle de facturation d'actes dentaires pour l'assurée [C] [U] ;

Le 7 juillet 2016 le professionnel de santé saisit le Tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Hérault d'une opposition à la contrainte délivrée le 16 juin 2016 par la caisse RSI Languedoc Roussillon pour un montant de 2 475 € pour " facturations d'actes prothétiques côtés non réalisés concernant l'assuré [O] [F] " ;

Le 13 juillet 2016 le professionnel de santé saisit le Tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Hérault d'une opposition à la contrainte délivrée le 4 juillet 2016 par la caisse RSI Languedoc Roussillon pour un montant de 4 529,58€ pour " anomalies de facturations concernant les actes dentaires de l'assurée [Z] [G];

Le 18 juillet 2016 le professionnel de santé saisit le Tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Hérault d'une opposition :

- à la contrainte délivrée le 4 juillet 2016 par la caisse RSI Languedoc Roussillon pour un montant de 10 275,90 € pour " anomalies de facturations concernant les actes dentaires de l'assurée [L] [J] ;

- à la contrainte délivrée le 4 juillet 2016 par la caisse RSI Languedoc Roussillon pour un montant de 10 753,10 € pour " anomalies de facturations concernant les actes dentaires de l'assurée [H] [V] ;

Le 18 juillet 2016 le professionnel de santé saisit le Tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Hérault à l'encontre de la décision du 8 juin 2016 de la commission de recours amiable ainsi libellé : " au cours de sa séance du 8 juin 2016, la commission de recours amiable a examiné la requête par laquelle vous contestiez le rejet opposé par l'organisme conventionné, relatif à votre demande de remise gracieuse de prestations dentaires payées à tort concernant l'assuré [W] [D] pour un montant de 2 372,55 €. Vu les dispositions des Articles L133-4 et R.133-9-1 du Code de la Sécurité Sociale, attendu qu'aucun élément de votre dossier ne permet de déroger à la réglementation susvisée, la Commission, après en avoir délibéré, confirme l'indu réclamé ".

Le 7 novembre 2017 le Tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Hérault, sur audience du 3 octobre 2017, " ordonne la jonction des procédures susvisées sous le n° 21501624, rejette les exceptions de nullité et tout autre moyen contraire comme injuste et non fondé, valide les 8 contraintes litigieuses ci-dessus répertoriées pour leur entier montant sans préjudice des frais de notification qui sont à la charge de la partie opposante, confirme la décision de la commission de recours amiable s'appliquant au dernier indu et condamne le professionnel de santé à payer à la caisse la somme de 2 227, 55 € outre 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ".

Le 7 décembre 2017 le professionnel de santé interjette appel.

La CPAM de l'Hérault venant aux droits de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants demande à la Cour de :

- constater la péremption ;

- confirmer la décision ;

- condamner la professionnelle de santé, outre aux entiers dépens, à lui payer :

* 5 000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

* 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les débats se déroulent le 17 novembre 2022.

Bien que régulièrement citée le 18 octobre 20222, la professionnelle de santé ne comparaît pas.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1) sur la péremption

La caisse demande à la cour de constater la péremption d'instance en application des dispositions de l'article 386 du code de procédure civile en faisant valoir que l'appel intervient le 2 décembre 2017 et qu'aucun acte n'est intervenu pendant plus de deux ans avant que les parties ne soient convoquées le 28 juillet 2022 pour l'audience du 17 novembre 2022.

Concernant le contentieux de la sécurité sociale et de l'admission à l'aide sociale, le code de la sécurité sociale a comporté un article R. 142-22 qui en son dernier alinéa, depuis un décret du 18 mars 1986, limitait la péremption d'instance à l'hypothèse où les parties s'abstenaient d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui avaient été expressément mises à leur charge par la juridiction. Cette disposition avait été rendue applicable à la procédure d'appel par l'ancien article R. 142-30 du même code.

Cette limitation de la péremption d'instance que l'on retrouvait aussi en matière de contentieux prud'homal en vertu d'une autre exception textuelle ne tenait pas au seul caractère oral de la procédure dès lors qu'une jurisprudence constante faisait application des dispositions de l'article 386 du code de procédure civile au contentieux des baux ruraux en l'absence d'exception textuelle.

Le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 a abrogé au 1er janvier 2019 l'article R. 142-22 du code de la sécurité sociale, l'article 17 III du même décret précisant que ses dispositions relatives à la procédure étaient applicables aux instances en cours.

Concernant uniquement la première instance, le pouvoir réglementaire est rapidement revenu sur cette réforme par un décret n° 2019-1506 du 30 décembre 2019, applicable au 1er janvier 2020, qui introduit dans le code de la sécurité sociale un article R. 142-10-10, lequel limite à nouveau la péremption à l'abstention, durant deux ans, par les parties, d'accomplir les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction. Conformément à son article 9-III, cette nouvelle réforme a été rendue applicable à compter du 1er janvier 2020, y compris aux péremptions non constatées à cette date.

En application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit à l'accès au juge implique que les parties soient mises en mesure effective d'accomplir les charges procédurales leur incombant. L'effectivité de ce droit impose, en particulier, d'avoir égard à l'obligation faite ou non aux parties de constituer un avocat pour les représenter. L'ensemble des dispositions régissant la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d'appel instaure un formalisme allégé, destiné à mettre de façon effective les parties en mesure d'accomplir les actes de la procédure d'appel.

L'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme doit être lue à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme laquelle rappelle en un arrêt du 30 mars 2021, OORZHAK c. RUSSIE, n° 001-208885, que le " droit à un tribunal ", dont le droit d'accès constitue un aspect particulier, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'État, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation ; que toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s'en trouve atteint dans sa substance même ; qu'enfin, elles ne se concilient avec l'article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

Ces principes ont conduit la Cour européenne des droits de l'homme à reprocher au gouvernement en cause de ne pas indiquer quel serait le but légitime poursuivi par la norme et de ne pas préciser par exemple s'il s'agit d'assurer une bonne administration de la justice, de désengorger la juridiction de cassation en simplifiant l'attribution des pourvois, ou encore de raccourcir la durée d'examen des dossiers. Retenant que les explications du gouvernement défendeur ne permettent pas de déceler un but légitime visé par la mesure contestée et que cette dernière avait porté atteinte au droit du requérant à accéder à un tribunal, compte tenu de l'absence de but légitime déclaré, la Cour européenne des droits de l'homme a dit qu'il n'y avait pas lieu d'examiner la proportionnalité de la mesure.

L'ancienne limitation de la péremption d'instance à l'hypothèse où les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction participait d'un formalisme allégé retenu en considération des spécificités du contentieux alors dévolu au tribunal des affaires de sécurité sociale.

Il convient donc de rechercher si, en excluant la limitation de la péremption d'instance applicable au contentieux de la sécurité sociale au seul stade de l'appel, le pouvoir réglementaire n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit à l'accès au juge au regard de la légitimité des buts qu'il poursuit.

Il sera tout d'abord relevé que le contentieux prud'homal a connu un semblable retour au droit commun de l'article 386 du code de procédure civile. Mais cette évolution n'éclaire pas le présent débat dès lors qu'elle s'est accompagnée à hauteur d'appel d'un passage en procédure écrite et d'une assistance obligatoire par avocat ou par défenseur syndical, toutes réformes guidées explicitement par le constat de la complexité de plus en plus grande du droit du travail et de la nécessité corrélative d'offrir au contentieux prud'homal un traitement de droit commun adapté, toutes considérations qui ont permis de retenir que le retour au droit commun de la péremption d'instance poursuivait en cette matière un but légitime de bonne administration de la justice et de sécurité juridique et ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit à un procès équitable.

Concernant cette fois spécifiquement le contentieux de la sécurité sociale, le pouvoir réglementaire peut légitimement chercher à accélérer le traitement des procédures d'appel. Il y va en effet d'une obtention plus rapide par les parties d'une décision définitive et de la réduction du stock des affaires que doivent gérer les cours d'appel, laquelle gestion spécifique du retard ampute d'autant les moyens disponibles pour instruire et juger ces mêmes affaires.

Mais l'accélération du traitement des procédures peut être obtenu par deux types de moyens, directs ou indirects. Les premiers accélèrent les procédures qu'ils concernent directement, il en va ainsi des délais de procédure qui enserrent l'accomplissement d'un acte dans une durée précise ou de la standardisation des actes qui permet de les traiter plus aisément et donc plus rapidement. Les seconds visent au contraire à soulager les juridictions de certaines affaires dans l'espoir qu'elles puissent traiter dès lors plus rapidement les affaires restantes. Il en va ainsi de toutes les formalités qui ne facilitent pas le traitement des affaires auxquelles elles s'appliquent. Même si les moyens directs sont susceptibles d'effets indirects, ils ne sauraient se confondre au regard de leur légitimité.

L'alourdissement du formalisme procédural, dans le seul but de priver d'accès au juge les parties qui ne parviendraient pas à le maîtriser, en espérant que celles qui s'en seront accommodé avec succès puissent voir leur affaire traitée plus rapidement, ne saurait constituer en soi un but parfaitement légitime. Dans ce cas, le contrôle de rapport raisonnable de proportionnalité à l'atteinte au droit à l'accès au juge doit être particulièrement strict.

En l'espèce, compte tenu de l'engorgement de certaines cours d'appel, le retour au droit commun de la péremption d'instance, sous l'apparence de la réforme d'un délai de procédure, constitue effectivement l'imposition aux parties d'une formalité de vigilance les forçant à interrompre un délai, même dans l'hypothèse où elles n'ont aucune prétention à un traitement particulier de leur contentieux, uniquement pour éviter de perdre leur droit d'accès au juge.

Ce retour au droit commun ne se justifie pas par la cohérence d'une réforme globale de la procédure, celle-ci restant orale et sans représentation obligatoire, et il n'a même plus vocation à s'appliquer à la procédure de première instance depuis le 1er janvier 2020. Dès lors, il n'apparaît pas cherché à accélérer directement le traitement des procédures, mais uniquement à décharger les juridictions des affaires dans lesquelles il n'aura pas été respecté. Sa faible légitimité, seulement indirecte, n'est pas raisonnablement proportionnée à l'atteinte qu'il porte au droit à l'accès au juge concernant un contentieux mettant en oeuvre une législation d'ordre public qui assure la sanction de fautes inexcusables ainsi que la réparation de préjudices importants, notamment par des majorations significatives de rentes.

En conséquence, il convient de retenir que la péremption d'instance, qui résulte de l'application des dispositions de l'article 386 du code de procédure civile au contentieux de la sécurité sociale seulement à hauteur d'appel, doit être écartée en l'espèce afin d'assurer l'effectivité du droit d'accès au juge.

2) sur le fond

Même si la Cour n'est saisi d'aucun moyen par l'appelant, l'intimé requiert de statuer au fond.

La Caisse justifie du caractère certain de ses créances qui ont fait l'objet de contraintes qui, en l'état, ne sont plus critiquées.

Il n'est nullement établi que la résistance de la professionnelle de santé soit abusive.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Dit n'y avoir lieu à péremption ;

Confirme le jugement du 7 novembre 2017 du Tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Hérault ;

Y ajoutant ;

Condamne la professionnelle de santé aux dépens du présent recours ;

Dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts pour procédure abusive et à application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 3e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 17/06248
Date de la décision : 18/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-18;17.06248 ?
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