Grosse + copie
délivrées le
Ã
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 17 JANVIER 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 21/02584 - N° Portalis DBVK-V-B7F-O64Q
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 15 MARS 2021
TRIBUNAL DE COMMERCE DE BEZIERS
N° RG 2020003358
APPELANTE :
S.A.S [Adresse 6] prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Fanny LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Aliénor DAGORY, avocat au barreau de BEZIERS substituant Me Marion DEJEANT, avocat plaidant
INTIMEE :
S.A.R.L. FESTES ET LAGARDE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 7]
[Localité 1]
Représentée par Me Sébastien LEGUAY de la SELARL SEBASTIEN LEGUAY, avocat au barreau de CARCASSONNE
Ordonnance de clôture du 03 Novembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 NOVEMBRE 2022,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Yves BLANC-SYLVESTRE, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller
Monsieur Yves BLANC-SYLVESTRE, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO
ARRET :
- Contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.
*
* *
FAITS, PROCÉDURE - PRÉTENTIONS et MOYENS DES PARTIES:
La SAS [Adresse 5] est une société de commerce de gros de boissons.
La SARL Festes et Lagarde a commandé à plusieurs reprises à la société [Adresse 5] du vin en vrac.
Ces commandes ont été emportées par la société Festes et Lagarde et ont fait l'objet de plusieurs facturations pour un montant total de 24 165 euros sur lesquelles il a été procédé à des règlements à hauteur de 13 958 euros.
Par lettre recommandée en date du 17 juillet 2020, la société Festes et Lagarde a été mise en demeure de régler la somme de 10 207 euros au titre du solde restant dû.
Par exploit d'huissier du 20 juillet 2020, la société [Adresse 5] a assigné en paiement la société Festes et Lagarde devant le tribunal de commerce de Béziers qui, par jugement du 15 mars 2021, a :
- dit que l'action engagée par la société [Adresse 5] n'est pas prescrite,
- débouté en conséquence la société Feste et Lagarde de son argumentation développée à ce titre,
- constaté que la société ne rapporte pas la preuve de la réalité des sommes dues,
- rejeté en conséquence les demandes de la société [Adresse 5] à l'égard de la société Feste et Lagarde,
- condamné la société [Adresse 5] à payer à la société Feste & Lagarde la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens,
- rejeté toutes autres demandes, plus amples ou contraires tenues pour injustes ou mal fondées.
Par déclaration enregistrée le 21 avril 2021, la société [Adresse 5] a relevé appel de cette décision.
Elle demande à la cour, en l'état de ses conclusions déposées et notifiées le 20 octobre 2022 via le RPVA, de :
- confirmer la décision du tribunal de commerce en ce qu'elle a déclaré l'action non prescrite,
- confirmer la décision du tribunal de commerce en ce qu'elle a rejeté la demande de condamnation de la société [Adresse 5] pour résistance abusive,
- infirmer la décision du tribunal de commerce ayant rejeté la demande de la société [Adresse 5] et ce faisant :
* déclarer la demande de la société [Adresse 5] recevable et bien-fondée, en conséquence,
* condamner la société Festes & Lagarde à lui payer la somme de 10 207 euros TTC en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la lettre de mise en demeure,
* condamner la société Festes & Lagarde à lui payer la somme de 800 euros à titre de dommages et intérêts,
* rejeter purement et simplement l'ensemble des demandes de la société Festes & Lagarde,
* condamner la société Festes & Lagarde au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- s'entendre dire que dans l'hypothèse ou à défaut de règlement des condamnations prononcées dans le jugement à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier, par application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 devra être supporté par le débiteur en plus de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, elle fait valoir que :
- l'action en paiement n'est pas prescrite, dès lors qu'elle bénéficie des dispositions relatives à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire, l'action n'ayant aucunement pour objet l'exercice d'un délai de réflexion, de rétractation ou de renonciation,
- le paiement est dû, dès lors qu'il est démontré que la société Festes et Lagarde a accepté les livraisons sans aucune réserve et réglé seulement une partie du prix,
- la société Festes et Lagarde a par ailleurs apuré elle-même les Documents Administratifs Electroniques confirmant l'exécution parfaite de la commande,
- la demande reconventionnelle n'est pas justifiée, dès lors qu'il est démontré le caractère non tardif et sérieux de l'assignation en paiement.
La société Festes et Lagarde sollicite, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 10 février 2022, de :
Vu les dispositions des articles L. 110-4 et suivants du code de commerce, 1315 et suivants du code civil,
A titre liminaire et infirmant la décision de première instance sur ce point :
- constater l'acquisition de la prescription de l'action en paiement engagée par la société [Adresse 6] à son encontre et la débouter de toutes ses demandes,
- confirmer la décision de première instance rendue à cet égard,
- constater en tout état de cause que la société [Adresse 6] ne rapporte pas la preuve de toutes les livraisons intervenues, et la débouter en conséquence de plus fort de toutes ses demandes et prétentions,
En tout état de cause :
- condamner la société [Adresse 6] au paiement d'une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
Elle expose en substance que :
- le point de départ de la prescription de l'action en paiement de la société [Adresse 6] se situe à la date de réalisation de la prestation, soit au jour de la livraison de celle-ci,
- la société [Adresse 6] est prescrite dans son action, dès lors qu'elle disposait d'un délai expirant au 12 juin 2020 pour agir et que la société Festes et Lagarde n'a jamais reconnu devoir les sommes réclamées,
- aucun délai de prorogation n'est dû, dès lors que l'article 2 de l'ordonnance du 25 mars 2020 est inapplicable aux délais prévus pour le remboursement de sommes d'argent en cas d'exercice de ces droits,
- l'engagement du débiteur n'est pas démontré, dès lors qu'aucun document contractualisé (devis, bons de commande, ou de retiraison) n'est apporté,
- la preuve de la livraison des quantités revendiquées n'est pas démontrée, les Documents Administratifs Electroniques ne valant pas preuve d'achat, mais constituant un simple document de transport en suspension de droits de douane, lesquels peuvent être apurés par le fournisseur lui-même, puisque disposant des codes sur le site des douanes,
- les échanges de courriels sont insuffisants à justifier d'un aveu judiciaire ni de la preuve des quantités livrées,
- la tardiveté et l'absence de bien-fondé de la demande lui ont préjudicié justifiant l'octroi de la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 3 novembre 2022.
MOTIFS de la DECISION
Sur la prescription de l'action :
La société Festes et Lagarde soulève la prescription quinquennale de l'action en paiement entreprise par la société [Adresse 6] en l'état de la dernière facture en date du 11 juin 2015, ce qui entraînerait une prescription de l'action au-delà du 12 juin 2020 ; elle rappelle que l'assignation lui a été délivrée le 21 juillet 2020, soit au-delà de cette date.
La cour rappellera cependant qu'il résulte des dispositions de l'ordonnance en date du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire que : « tout acte, action en justice, caducité, forclusion, prescription, péremption qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il est effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois » ; la cour rappellera aussi que l'article 1er de cette ordonnance dans sa rédaction modifiée en date du 3 juin 2020 a prévu l'application des dispositions de l'ordonnance aux délais qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020.
La cour dira en conséquence que tout acte accompli avant le 23 Août 2020 est réputé accompli dans le délai légal de la prescription lorsque celle-ci aurait été acquise pendant la période mentionnée.
La cour rappelle que la société [Adresse 6] a émis 5 factures entre le 18 mai 2015 et le 11 juin 2015 ; qu'il est donc constant que le délai de prescription pour agir en recouvrement de chacune de ces factures est arrivé à expiration pendant la période prévue à l'ordonnance du 25 mars 2020, modifiée ; que donc chacun de ces délais a été prorogé de deux mois à compter du 23 juin 2020.
La cour dira aussi que c'est à bon droit que le premier juge a indiqué que l'article 2 de l'ordonnance 2020-427 du 25 avril 2020 n'est pas applicable au cas d'espèce.
La cour dira qu'en faisant délivrer assignation le 21 juillet 2020, la société [Adresse 6] a agi dans le délai de la prescription ; que donc son action est recevable en la forme ; la décision entreprise sera confirmée de ce chef.
Sur les sommes demandées :
La société [Adresse 6] demande paiement de la somme de 10 207 euros au titre du solde dû pour les 5 factures émises entre le 18 mai 2015 et le 11 juin 2015 et ce au regard des paiements partiels intervenus entre le 27 mai 2015 et le 27 mars 2019.
Pour s'opposer au paiement de cette somme, la société Festes et Lagarde indique que :
- l'engagement du débiteur n'est pas démontré, dès lors qu'aucun document contractualisé (devis, bons de commande, ou de retiraison) n'est apporté,
- la preuve de la livraison des quantités revendiquées n'est pas démontrée, les Documents Administratifs Électroniques ne valant pas preuve d'achat, mais constituant un simple document de transport en suspension de droits de douane, lesquels peuvent être apurés par le fournisseur lui-même, puisque disposant des codes sur le site des douanes,
- les échanges de courriels sont insuffisants à justifier d'un aveu judiciaire ni de la preuve des quantités livrées.
La cour rappellera cependant qu'en droit et par application des dispositions de l'article L. 110-3 du code de commerce : « à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit disposé autrement par la loi » ; que l'article L. 123-23 du code de commerce prévoit : « la comptabilité régulièrement tenue peut être admise en justice pour faire preuve entre commerçants pour des faits de commerce ; » , qu'il en va ainsi de la production du grand livre.
La cour constate au cas d'espèce que la société [Adresse 6] produit aux débats notamment la copie de son grand livre qui porte mention de chacune des factures ainsi que des paiements effectués au titre de ces factures.
La cour constate également que la société [Adresse 6] produit aux débats chacune des factures portant de manière détaillée tout à la fois la nature de la livraison ainsi que le tonnage livré, de même que le coût unitaire à l'hectolitre et le coût total ; qu'elle produit aussi un document dénommé DAE sur lequel il est expressément indiqué de manière détaillée notamment le nom de l'entrepreneur de transport qui a pris livraison de la cargaison avec le numéro d'immatriculation du camion utilisé ainsi que la nature de la commande et son tonnage ; qu'il est constant que le véhicule mentionné et immatriculé [Immatriculation 3] appartient à la société Festes et Lagarde ; qu'ainsi donc c'est un véhicule appartenant à cette société qui est venu, à chaque fois, prendre livraison de la commande.
La cour rappellera que le DAE est un document destiné à l'administration des Douanes émis lors de la livraison et ce dans le cadre du suivi et contrôle des mouvements soumis à l'imposition des accises.
La cour constate enfin qu'il résulte d'un échange de mails entre les parties, à propos des sommes dues par la société Festes et Lagarde, que celle-ci n'a jamais contesté la nature et le tonnage livré, ni le montant des sommes demandées ; qu'au contraire, elle a toujours expliqué le retard à payer les sommes dues par : « hélas je n'ai pas le sou en ce moment' si je vous promettais quelque chose, ce serait vous mentir car je n'ai pas de perspective, je préfère être honnête avec vous » ou encore : « je n'ai pas de ventes en ce moment et donc rien de concret à vous proposer. ».
La cour dira en conséquence qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société [Adresse 6] rapporte la preuve tout à la fois de la réalité des livraisons faites et du solde restant dû au titre des factures émises; la cour infirmant la décision entreprise de ce chef condamnera la société Festes et Lagarde à payer à la société Les Domaines de Montariol Degroote la somme de 10 207 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure.
La cour dira qu'à défaut de règlement des sommes dues il pourra être procédé à l'exécution forcée par un huissier conformément aux dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 et ce en sus de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour fera aussi droit à la demande de condamnation de la société Festes et Lagarde à payer une somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ; en effet, la société Festes et Lagarde n'a jamais remis en cause ni la réalité ni le tonnage des livraisons avant la poursuite judiciaire ; elle a toujours cherché à gagner du temps dans le règlement des sommes dues et a refusé l'échelonnement proposé par la société [Adresse 6] dans son mail en date du 4 février 2019 (je vous propose de faire 4 chèques qu'on déposera tous les mois le jour de votre convenance) ; la cour dira que cette attitude a causé un préjudice à la société [Adresse 6] qui n'est pas compensé par l'allocation des intérêts au taux légal sur les sommes dues.
La société Festes et Lagarde sera également condamnée à payer une somme de 2 500 euros sur la base des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de toute la procédure (première instance et appel).
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Reçoit la SAS [Adresse 6] en son appel et le déclare régulier en la forme,
Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a dit la SAS [Adresse 6] non prescrite en son action,
Infirme la décision entreprise en toutes ses autres dispositions et statuant à nouveau,
Condamne la SARL Festes et Lagarde à payer à la SAS [Adresse 6] la somme de 10 027 euros avec intérêts au taux légal à compter du jour de la mise en demeure,
Condamne la SARL Festes et Lagarde à payer à la SAS [Adresse 6] la somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,
Dit qu'à défaut de règlement des sommes dues, il pourra être procédé à l'exécution forcée par un huissier conformément aux dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, modifiant le décret du 12 décembre 1996, et ce en sus de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Festes et Lagarde à payer à la société [Adresse 6] la somme de 2500 euros sur la base des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de toute la procédure (première instance et appel).
le greffier, le président,