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délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 15 NOVEMBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 20/04711 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OXN7
ARRET N°
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 06 OCTOBRE 2020
TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN
N° RG 2019J00310
APPELANTE :
S.A.S. PERNOD RICARD FRANCE venant aux droits de la SAS PERNOD
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Christine AUCHE HEDOU, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL SUD MEDITERRANEE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Philippe CODERCH-HERRE de la SCP SAGARD - CODERCH-HERRE ET ASSOCIES, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES
Ordonnance de clôture du 30 Août 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 SEPTEMBRE 2022,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller
M. Thibault GRAFFIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO
ARRET :
- Contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.
*
* *
FAITS, PROCEDURE - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception signé le 9 juillet 2018, la société coopérative Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée (le Crédit agricole) a avisé la SAS Pernod, devenue Pernod Ricard France, que la SAS François Fondeville lui avait cédé, dans le cadre d'une cession de créance le 5 juillet précédent, le lot n°9 'travaux préparatoires-terrassement-gros oeuvre', du marché à hauteur de 600 000 euros HT, signé entre elles le 15 mars 2018, relatif à des travaux sur les caves Byrrh dans le cadre d'une opération 'nouvelle distillerie' à [Localité 5].
Auparavant, par acte du 17 avril 2018, la société François Fondeville avait sous-traité, dans le cadre de ce marché, des travaux à la SAS Farines TP relatifs à la démolition du dallage avec création d'un hérisson et de réseaux enterrés pour un montant de 86 532,50 euros HT. Ces travaux sous-traités ont été garantis à hauteur de ce montant par la SA Compagnie européenne de garantie et cautions (CEGC), qui s'est portée caution le 15 juin 2018.
Par la suite, par avenant du 16 juillet 2018, étaient confiés à la société Farines TP des travaux supplémentaires pour un montant de 26 750 euros HT et le 5 septembre 2018, par un second avenant, lui étaient confiés d'autres travaux supplémentaires pour un montant de 7 000 euros HT.
Par jugement en date du 9 octobre 2018, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société François Fondeville.
Par lettre en date du 4 avril 2019, le Crédit agricole a mis en demeure la société Pernod de lui régler la somme de 77 458,26 euros, lui rappelant qu'en l'état de la cession de créance, elle ne pouvait utilement invoquer l'ouverture de la procédure collective, ni l'existence d'une sous-traitance non réglée.
En réponse, la société Pernod a fait valoir le 9 avril 2019 que ses obligations de paiement du solde sur ce marché s'orientaient par ordre de priorité sur l'action directe du sous-traitant, soutenant n'être redevable d'aucune somme.
Saisi par acte d'huissier en date du 1er juillet 2019, le tribunal de commerce de Perpignan a, par jugement du 6 octobre 2020 :
'- Déclaré la cession de la créance professionnelle opposable à la société Farines TP,
- Débouté la SAS Pernod de l'ensemble de ses demandes,
- Condamné la SAS Pernod à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée la somme de 77 458,26 euros outre intérêts au taux légal à compter du 12 octobre 2018,
- Ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- Alloué à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles,
- Condamné la SAS Pernod aux dépens de l'instance.'
Par déclaration reçue le 28 octobre 2020, la société Pernod Ricard France a régulièrement relevé appel de ce jugement.
Elle demande à la cour, en l'état de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 19 avril 2021, de :
«- Annuler ou, à tout le moins, réformer en totalité le jugement rendu (...) ;
- statuant à nouveau, vu l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier, les articles 13-1 et 14 de la loi du 31 décembre 1975, dire et juger que la cession de créance professionnelle est inopposable à la société Farines TP ;
- En conséquence, dire et juger que la SAS Pernod Ricard France venant aux droits de la SAS Pernod s'est valablement libérée en réglant 1e coût des travaux sous-traités à la société Farines TP et, sur subrogation, à la société CEGC ;
- Débouter la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée de l'ensemble de ses demandes (...) ;
- Condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée au paiement dc la somme dc 4 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée aux entiers dépens de l'instance.»
Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :
- le jugement n'a nullement repris son argumentation, n'y répondant pas et s'abstenant de toute réponse à la question fondamentale de la violation des dispositions de la loi du 31 décembre 1975,
- la cession de créances a été effectuée en violation des dispositions d'ordre public de la loi du 31 décembre 1975, étant à ce titre, irrégulière,
- l'entrepreneur principal ne peut céder ses créances sans avoir obtenu préalablement et par écrit un cautionnement personnel et solidaire d'un établissement qualifié (art 13-1 et 14 de la loi de 1975), à défaut, la cession de créance est inopposable au sous-traitant et le paiement de celui-ci ou de son subrogé est prioritaire sur la demande en paiement du cessionnaire,
- le montant du cautionnement (86 523,50 euros) ne couvrait pas la totalité des travaux sous-traités (120 282,50 euros), l'accord sur les travaux supplémentaires était antérieur à la cession de créances et ils auraient dû être couverts,
- l'engagement de caution doit être signé dès la conclusion du contrat de sous-traitance, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Le Crédit agricole sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 7 janvier 2021 :
«- Vu l'article 455 du code de procédure civile, les articles L.313-24 et suivants du code monétaire et financier, les articles 13-1 et 14 de la loi du 31 décembre 2017 sur la sous-traitance, débouter la société Pernod Ricard France de ses demandes (...),
- confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,
- y ajoutant, condamner la société Pernod Ricard France à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.'
Il expose en substance que :
- la demande de nullité du jugement est sans intérêt eu égard à l'effet dévolutif de l'appel ; le tribunal n'avait aucune obligation de reprendre les moyens développés par les parties, le visa opéré étant suffisant,
- le sous-traitant ne peut se prévaloir de ce que la caution garantissant le montant principal des travaux ne soit pas étendue aux travaux supplémentaires si le contrat de sous-traitance ne le prévoit pas,
- les dispositions de l'article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 ont été respectées,
- la société appelante ne justifie pas que les travaux de la situation n°4 correspondent aux travaux réalisés au titre des avenants,
- la société CEGC, du fait de son paiement, devient créancière non pas de la société Pernod maître d'ouvrage, mais du cautionné, la société Fondeville,
- la société Pernod ne peut établir aucune priorité de paiement et doit payer chacun de ses créanciers (la société Farines TP et elle-même).
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 30 août 2022.
MOTIFS de la DECISION :
1- Sur la nullité du jugement :
Selon les articles 455 et 458 du code de procédure civile, le jugement doit exposer à peine de nullité succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé.
Le jugement peut être annulé pour défaut de motifs, lorsque la motivation est de pure forme, d'ordre général, et ne traduit pas un travail d'analyse du juge ou, par équivalent, pour défaut de réponse à conclusions.
En l'espèce, le jugement comporte le visa des conclusions ainsi que l'exposé des moyens et prétentions de chaque partie.
Par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu, le premier juge a répondu aux prétentions et moyens formés par la société Pernod Ricard France, relatifs à l'opposabilité de la créance, qu'il fonde sur les dispositions de l'article L. 313-28 du code monétaire et financier, excluant, implicitement, mais nécessairement, toute application des dispositions légales sur la sous-traitance.
Il en résulte que la motivation répondant aux prétentions et moyens de chaque partie, elle ne peut être qualifiée de motivation apparente de nature à faire peser un doute légitime sur l'impartialité du juge.
La demande de nullité du jugement sera rejetée.
2- Sur la cession de créances :
L'article 13-1 de la loi du 31 décembre 1975 dispose que l'entrepreneur principal ne peut céder (...) les créances résultant du marché ou du contrat passé avec le maître de l'ouvrage qu'à concurrence des sommes qui lui sont dues au titre des travaux qu'il effectue personnellement.
Il peut, toutefois, céder (...) l'intégralité de ces créances sous réserve d'obtenir, préalablement et par écrit, le cautionnement personnel et solidaire visé à l'article 14 de la présente loi, vis-à-vis des sous-traitants.
L'article 14 suivant précise qu'à peine de nullité du sous-traité les paiements de toutes les sommes dues par l'entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous-traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l'entrepreneur d'un établissement qualifié, agréé dans des conditions fixées par décret. Cependant, la caution n'aura pas lieu d'être fournie si l'entrepreneur délègue le maître de l'ouvrage au sous-traitant dans les termes de l'article 1338 du code civil, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant.
A titre transitoire, la caution pourra être obtenue d'un établissement figurant sur la liste fixée par le décret pris en application de la loi n° 71-584 du 16 juillet 1971 concernant les retenues de garantie.
Le marché de travaux sous-traités, en date du 17 avril 2018, entre la société François Fondeville et la société Farines TP, concerne la démolition du dallage avec création d'un hérisson et de réseaux enterrés pour un montant de 86532,50 euros HT ; il a fait l'objet d'une garantie à hauteur de ce montant par la société CEGC, qui s'est portée caution le 15 juin 2018.
Il est établi que des travaux supplémentaires, ayant fait l'objet de deux avenants les 16 juillet 2018 et 5 septembre 2018 à hauteur de 26 750 euros et de 7 000 euros, également confiés à la société Farines TP dans le cadre de la sous-traitance, n'ont pas été garantis par une caution ; ces travaux (travaux de réseaux, d'hydrocurage, de pose d'un PI, de terrassements et raccordements) relèvent du lot n°9, ayant fait, le 5 juillet 2018, l'objet de la cession de créances au profit du Crédit agricole.
Le contrat de sous-traitance prévoit la possibilité de travaux supplémentaires, mais ne comporte aucune clause relative à la garantie des travaux sous-traités initiaux ou modificatifs.
Il n'est pas contesté qu'aucune délégation de paiement n'a été régularisée, ni que les travaux ont été réalisés.
La société Farines TP a émis quatre factures et un décompte général pour un montant global de 120 282,50 euros HT et a sollicité leur paiement auprès de la société Pernod Ricard France par lettre du 28 septembre 2018 sur le fondement de l'action directe et réitéré sa demande en paiement à hauteur de 33 750 euros par lettre du 24 janvier 2019 suite au versement effectué par la société CEGC. Il sera relevé qu'elle n'a pas émis de situation n°4, telle que le Crédit agricole en réclame le paiement sur la base d'un document émis par la société François Fondeville correspondant au coût global du marché ramené au mois de juillet 2018.
La société Pernod Ricard France a remboursé à la société CEGC la somme de 86 532,50 euros, versée à la société Farines TP en application de la convention de garantie du 15 juin 2018 et a versé la somme de 28 709,98 euros à cette dernière.
L'absence de caution des travaux supplémentaires sous-traités (et de délégation de paiement) rend inopposable au sous-traitant la cession de créances relative auxdits travaux que l'entrepreneur principal n'a pas effectués lui-même, le maître d'ouvrage, débiteur cédé, demeurant débiteur sur le fondement de l'action directe, peu important la date de ladite cession de créances.
La demande en paiement du Crédit agricole, en sa qualité de cessionnaire, sur le fondement de la cession des créances en date du 5 juillet 2018 d'une situation n°4 à hauteur de 77 458,26 euros ne peut ainsi prospérer à l'encontre de la société Pernod Ricard France, débiteur cédé.
Le jugement sera donc infirmé dans toutes ses dispositions.
3- Sur les autres demandes :
Le Crédit agricole, qui succombe, sera condamné aux dépens et au vu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, à payer la somme de 1 500 euros, sa demande sur ce fondement étant rejetée.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Rejette la demande de nullité du jugement critiqué,
Infirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 6 octobre 2020 et statuant à nouveau,
Dit que la cession de créances en date du 5 juillet 2018 entre la SAS François Fondeville et la société coopérative Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée est inopposable à la SAS Farines TP, sous-traitant,
Rejette la demande en paiement formée par la société coopérative Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée, cessionnaire, à l'encontre de la SAS Pernod Ricard France, maître de l'ouvrage et débiteur cédé,
Condamne la société coopérative Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée à payer à la SAS Pernod Ricard France la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de la société coopérative Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société coopérative Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée aux dépens d'appel.
le greffier, le président,