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délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 15 NOVEMBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 20/04121 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OWLS
ARRET N°
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 01 SEPTEMBRE 2020
TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN
N° RG 2019j00297
APPELANTE :
Madame [K] [P]
née le 09 Février 1961 à [Localité 5] (50)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Sylvain DONNEVE de la SCP DONNEVE - GIL, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES
INTIMEE :
S.A.S.U. MCS
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Philippe CODERCH-HERRE de la SCP SAGARD - CODERCH-HERRE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES
Ordonnance de clôture du 30 Août 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 SEPTEMBRE 2022,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller
M. Thibault GRAFFIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO
ARRET :
- Contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.
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* *
FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES:
La SAS MCS, qui exploite sous l'enseigne « MC Sauvaire immobilier » une activité de transaction sur les immeubles et les fonds de commerce au sens de l'article 1er de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, a conclu, le 10 juillet 2006, un contrat dit de négociateur non-salarié avec [K] [P] en vue de la prospection d'affaires à vendre ou à louer et de la conclusion de mandats écrits de vente ou de location en vue de la recherche d'acquéreurs ou de preneurs.
Il est stipulé au contrat, conclu sans détermination de durée, que le mandataire exercera son activité sans limite géographique de secteur, sur tous types d'opérations et de biens immobiliers objet de l'activité du mandant, qu'il percevra sur toutes les affaires réalisées par ses soins un pourcentage de la commission, TVA incluse, encaissée par le mandant (25 % pour l'apport d'une affaire à vendre ; 25 % pour la négociation menée à bonne fin d'une affaire) et que les parties pourront mettre fin au mandat par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un délai de préavis (un mois durant la première année du contrat, deux mois durant la deuxième année, trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes).
L'article 8-3 du contrat est ainsi stipulé : « Pour le cas où l'indemnité légale serait due au mandataire à l'occasion de la rupture du présent contrat, les parties entendent rappeler qu'il s'agit d'une indemnité compensatrice du préjudice subi et qu'il appartiendra en conséquence au mandataire de justifier de l'existence du préjudice, d'en justifier le montant et d'établir le lien de cause à effet direct entre la rupture et le préjudice allégué. Prenant en compte les contraintes spécifiques et importantes résultant des dispositions législatives particulières qui réglementent et limitent le développement et l'organisation de la mission de représentation de l'agent commercial dans le secteur de l'immobilier, notamment celles issues de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, les parties s'accordent expressément pour considérer qu'il n'existe pas d'usage applicable au présent contrat qui permettrait de fixer forfaitairement l'indemnité éventuellement due. Sous réserve des justifications précédemment rappelées, les signataires conviennent en outre que cette indemnisation ne pourra dépasser un montant maximum égal à 3 fois la moyenne mensuelle des commissions perçues par le mandataire au cours des 12 derniers mois ayant précédé la rupture ».
L'article 8-4 du contrat contient également une clause de non-concurrence par laquelle le mandataire s'interdit expressément, pendant une durée de 12 mois et dans un rayon de 30 km de l'agence actuelle et des éventuelles succursales à venir, de prêter son concours, directement ou indirectement, à quelque titre et de quelque manière que ce soit, à des opérations de transactions immobilières, le mandataire s'exposant, en cas de manquement à cette interdiction, au paiement d'une somme de 50 000 euros représentative de dommages et intérêts.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 4 avril 2019, la société MCS a notifié à Mme [P] la résiliation de son contrat de négociateur à l'issue d'un délai de préavis de trois mois, lui rappelant également les dispositions des articles 8-3 et 8-4 du contrat.
En réponse, Mme [P], par l'intermédiaire de son conseil, a, par courrier du 6 mai 2019, sollicité le versement d'une indemnité de rupture de 150 000 euros égale à 2,5 années de commissions, calculée sur une moyenne annuelle des trois derniers exercices de 60 903 euros arrondie à 61 000 euros, tenant compte de l'ancienneté des relations contractuelles et de la clause de non-concurrence prévue au contrat ; elle faisait notamment valoir que les dispositions de l'article 8-3 du contrat ne pouvaient déroger à celles d'ordre public de l'article L. 134-12 du code de commerce prescrivant de manière intangible le droit de l'agent commercial à percevoir une indemnité de cessation du contrat calculé sur la moyenne des commissions perçues au cours des trois derniers exercices comptables (sic).
Saisi par Mme [P], suivant assignation délivrée le 27 juin 2019, le tribunal de commerce de Perpignan a notamment, par jugement du 1er septembre 2020 :
' dit que le contrat de Mme [P] est un contrat d'agent commercial,
' dit que la clause de l'article 8-3 du contrat du 10 juillet 2006 est non écrite, car contraire aux dispositions des articles L. 134-12 et L. 134-16 du code de commerce,
' condamné la société MC Sauvaire immobilier à payer à Mme [P] la somme de 80 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2019,
' débouté Mme [P] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
' ordonné l'exécution provisoire de la décision,
' alloué à Mme [P] la somme de 4000 euros, qui lui sera versée par la société MC Sauvaire immobilier sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [P] a régulièrement relevé appel, le 1er octobre 2020, de ce jugement en vue de sa réformation partielle.
Elle demande à la cour, dans ses conclusions déposées le 27 avril 2021 via le RPVA, de condamner la société MC Sauvaire immobilier à lui payer la somme de 150 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2019 à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial et celle de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts compensatoires de son préjudice moral eu égard aux circonstances vexatoires de la rupture, outre l'allocation de la somme de 4500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de son appel, elle fait valoir pour l'essentiel que :
' le contrat liant les parties se réfère expressément aux dispositions du code de commerce sur le statut des agents commerciaux et a été exécuté après l'entrée en vigueur de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 appliquant aux négociateurs immobiliers non-salariés les dispositions du chapitre IV du titre III du livre Ier du code de commerce,
' la clause de l'article 8-3 du contrat, dont l'application aurait pour effet de priver l'agent commercial de l'indemnisation de son préjudice, pour limiter cette indemnisation à hauteur de trois mois de commissions, est illégale en vertu des dispositions d'ordre public des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce,
' compte tenu de son âge au moment de la rupture (58 ans), de la clause de non-concurrence, lui interdisant de travailler pendant une durée de 12 mois et dans un rayon de 30 km de l'agence, et de l'absence de reproches ou de griefs lui ayant été adressés durant l'exécution du contrat, l'indemnité de rupture doit être fixée à 2,5 années de commissions,
' les conditions vexatoires de la rupture après 13 ans d'exécution du contrat, sans motif, ni indemnité, justifie également que lui soient alloués des dommages et intérêts compensatoires de son préjudice moral.
Formant appel incident, la société MCS, dont les conclusions ont été déposées le 6 mars 2021 par le RPVA, sollicite de voir :
' infirmer le jugement rendu le 1er septembre 2020 par le tribunal de commerce de Perpignan en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [P] la somme de 80 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2019 et jugeant à nouveau sur ce point,
' réduire les prétentions indemnitaires de Mme [P] à de plus justes proportions,
' en tout état de cause, juger que l'indemnité de rupture ne saurait excéder 40 000 euros,
' confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
' débouter en conséquence Mme [P] de ses demandes, fins et conclusions,
' condamner Mme [P] à lui payer la somme de 2000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Elle soutient en substance que :
' quand bien même Mme [P] peut se prévaloir du statut des agents commerciaux, il lui appartient, en application de l'article L. 134-12 du code de commerce, de rapporter la preuve de l'existence et du montant du préjudice que l'indemnité réclamée viendrait compenser,
' or, l'intéressée, au terme de la période prévue par la clause de non-concurrence à laquelle elle était tenue, a repris, dès le mois de juin 2020, une activité de mandataire en transactions immobilières auprès d'une SARL Le Dijol-Janer immobilier et il est même probable qu'elle ait repris cette activité bien avant,
' les chiffres d'affaires visées dans l'attestation, que l'appelante verse aux débats, ne correspondent pas aux recettes déclarées aux services fiscaux et seuls doivent être pris en compte les chiffres d'affaires hors-taxes,
' l'ancienneté des relations contractuelles et l'existence d'une clause de non-concurrence n'ont pas à être prises en compte dans l'évaluation de l'indemnité, puisque la France a opté pour le calcul de l'indemnité selon les modalités prévues par le § 2 de l'article 17 de la directive du Conseil du 18 décembre 1986,
' l'obligation de non-concurrence n'a d'ailleurs pas à être indemnisée dès lors que la clause qu'il a stipulé est conforme aux dispositions de l'article L. 134-14 du code de commerce,
' les prétentions indemnitaires de Mme [P] doivent ainsi être revues à de plus modestes proportions et, en tout état de cause, ne sauraient excéder la somme de 40 000 euros,
' c'est à bon droit que le tribunal de commerce a estimé que Mme [P] ne justifiait pas d'un préjudice moral distinct du préjudice économique destiné à être compensé par l'indemnité de rupture.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 30 août 2022.
MOTIFS de la DECISION :
La société MCS ne soutient plus devant la cour l'inapplicabilité du statut des agents commerciaux au contrat la liant à Mme [P], exécuté après l'entrée en vigueur de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 étendant aux négociateurs immobiliers non-salariés les dispositions du chapitre IV du titre III du livre Ier du code de commerce ; elle ne conteste pas davantage le caractère illicite, au regard des dispositions d'ordre public des articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, de la clause contenue à l'article 8-3 du contrat limitant l'indemnité due en cas de cessation du contrat à un montant maximum égal à trois fois la moyenne mensuelle des commissions perçues au cours des douze derniers mois précédant la rupture et sous réserve de la justification par le mandataire de l'existence et du montant du préjudice subi en lien avec la rupture de son contrat.
Il résulte du premier alinéa de l'article L. 134-12 du code de commerce qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; l'article L. 134-13 du même code dispose que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial, lorsque la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ou lorsque selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence.
Dans le cas présent, la rupture du contrat, notifiée à Mme [P] par lettre recommandée du 4 avril 2019, n'est pas justifiée par une faute grave de celle-ci, une initiative de l'intéressée ayant manifesté son intention de cesser son activité ou un accord intervenu avec le mandant ; la lettre de rupture se borne à faire état, sans plus d'explications, de la décision de la société MCS de mettre un terme au mandat à l'expiration du délai de préavis de trois mois prévu contractuellement ; le droit de Mme [P] à une indemnité de cessation de contrat n'est donc pas contestable.
Il est de principe qu'une telle indemnité a vocation à réparer le préjudice de l'agent commercial qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties.
Pour l'appréciation du préjudice subi, il convient de retenir que la relation entre les parties a duré près de treize ans, que Mme [P] était âgée de 58 ans lors de la rupture du contrat, qu'elle ne bénéficiait au sein de l'agence immobilière exploitée par la société MCS d'aucune exclusivité pour l'exécution de son mandat sans toutefois qu'un secteur géographique lui ait été assigné et qu'il n'est pas justifié d'investissements particuliers qu'elle aurait effectués en vue du développement de la clientèle commune ; il y a lieu également de tenir compte du fait qu'elle a contracté un nouveau contrat d'agent commercial avec une société Le Dijol-Janer immobilier, exploitant une agence immobilière à Perpignan pour l'exécution duquel une attestation lui a été délivrée le 9 septembre 2020 par la CCI de Perpignan et des Pyrénées orientales.
Si Mme [P] a retrouvé une activité de négociateur immobilier non salarié à l'issue de la période de validité de douze mois de l'obligation de non-concurrence mise à sa charge par l'article 8-4 du contrat, la société MCS insinue qu'elle aurait repris une telle activité bien avant ; pour autant, le courriel adressé le 4 novembre 2019 à son ancienne adresse de messagerie professionnelle par un client de l'agence (M. [C]) à la recherche d'un bien immobilier à acquérir, ne saurait faire la preuve d'une violation de la clause de non-concurrence, alors que le client concerné atteste n'avoir pas eu de réponse à son message et n'avoir appris la cessation d'activité de Mme [P] qu'après s'être rendu à l'agence immobilière.
Au cours des trois années précédant la cessation du contrat (2016, 2017 et 2018), Mme [P] a bénéficié de commissions pour des montants hors-taxes s'élevant, respectivement, à 59 792 euros, 69 167 euros et 53 750 euros, soit une moyenne annuelle de 60 903 euros.
En l'état des éléments d'appréciation analysés, il apparaît que le préjudice subi par Mme [P] du fait de la cessation du contrat et de la perte de revenus en résultant a été justement évalué par le premier juge à la somme de 80 000 euros; le jugement doit dès lors être confirmé en ce qu'il a condamné la société MCS au paiement de ladite somme de 80 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2019.
Enfin, Mme [P] n'établit pas en quoi la rupture du contrat serait intervenue dans des conditions vexatoires justifiant que lui soient alloués, en plus de la réparation de son préjudice économique, des dommages et intérêts compensatoires d'un préjudice moral ; l'absence de motivation de la lettre de rupture, n'invoquant à son encontre aucun grief, ni reproche, n'est pas en soi constitutif d'un préjudice moral ; c'est encore à juste titre que le premier juge l'a déboutée de sa demande indemnitaire de ce chef.
Au regard de la solution apportée au règlement du litige, chacune des parties conservera à sa charge les dépens personnellement exposés en cause d'appel il y a lieu, dans ces conditions, de rejeter les demandes présentées tant par Mme [P] que la société MCS au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 1er septembre 2020,
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,
Dit que chacune d'elles conservera à sa charge les dépens personnellement exposés en cause d'appel,
Rejette les demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile tant par Mme [P] que la société MCS.
le greffier, le président,