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06/09/2022 | FRANCE | N°20/00619

France | France, Cour d'appel de Montpellier, Chambre commerciale, 06 septembre 2022, 20/00619


Grosse + copie

délivrées le

à































COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



Chambre commerciale



ARRET DU 06 SEPTEMBRE 2022



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/00619 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OP6Y



ARRET N°



Décision déférée à la Cour :

Jugement du 17 DECEMBRE 2019

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN

N° RG 2019j158





AP

PELANTES :



SAS HJMH

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier REDON de la SCP DONNADIEU-BRIHI-REDON-CLARET-ARIES-ANDRE, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES



SAS VACANCES ET LOISIRS DU ROUSSILLON

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier ...

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

Chambre commerciale

ARRET DU 06 SEPTEMBRE 2022

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/00619 - N° Portalis DBVK-V-B7E-OP6Y

ARRET N°

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 17 DECEMBRE 2019

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN

N° RG 2019j158

APPELANTES :

SAS HJMH

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier REDON de la SCP DONNADIEU-BRIHI-REDON-CLARET-ARIES-ANDRE, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

SAS VACANCES ET LOISIRS DU ROUSSILLON

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier REDON de la SCP DONNADIEU-BRIHI-REDON-CLARET-ARIES-ANDRE, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

SARL EUROPE LOCATION

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier REDON de la SCP DONNADIEU-BRIHI-REDON-CLARET-ARIES-ANDRE, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

INTIMEE :

S.A. KPMG prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 6]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

Représentée par Me Georges DE MONJOUR, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 26 Avril 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 MAI 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre

Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller

Mme Marianne ROCHETTE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.

*

**

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES:

La SAS HJMH est la société mère d'un groupe de sociétés exploitant des unités de camping en Gironde et dans les Pyrénées-orientales.

Avec ses filiales, la SARL Le Florida et la SCI Palol, elle a confié au cabinet KPMG une mission de présentation de comptes annuels, ainsi qu'une mission de gestion sociale.

Courant 2013, elle a envisagé le rachat du camping 5 étoiles ' Le Calagogo' exploité à [Localité 3] (66) par la SAS Vacances et Loisirs du Roussillon (ci-après VLR).

Le 26 décembre 2013, elle a conclu avec les consorts [V] un protocole de cession d'actions portant sur l'intégralité des titres qu'ils détenaient dans la société VLR au prix provisoire de 17 086 000 euros payable à hauteur de 13'086'000 euros à la date de réalisation de la vente et au plus tard le 31 décembre 2015 s'agissant du solde de 4 millions d'euros donnant lieu à un crédit vendeur de 3'350'000 euros au taux de 4 % sur 24 mois.

C'est dans ce contexte que la SA KPMG a établi le 24 janvier 2014 « un dossier prévisionnel de développement HJMH de mars 2004 à mars 2017 » qui reprenait les conditions de financement de rachat du camping Le Calagogo au prix de 18'300'000 euros. Le 6 février 2014, elle a également rédigé «Prévisionnel de développement VLR ».

L'acte réitératif de cession d'actions a été signé le 31 mars 2014.

Afin de s'acquitter du crédit vendeur, la SAS HJMH a mis en vente la SARL Le Florida qui exploite un camping du même nom ainsi que les parts sociales de la SCI Palol propriétaire de l'immobilier d'implantation du camping Le Florida. Le 28 septembre 2014, elle a donné un mandat de vente à un agent immobilier pour un prix net vendeur de 3'443'899 euros ramené le 2 juillet 2015 à 3 millions d'euros. Le 7 août 2015, elle a signé avec les consorts [L]/[Z] un protocole de cession de la totalité des titres de la société Florida pour un montant de 800'000 euros sous condition suspensive de la cession de la totalité des parts de la SCI Palol au prix de 2'200'000 euros. Par acte sous-seing privé du 11 décembre 2015 et après levée des conditions suspensives, la SAS HJMH a cédé à la société Jet se substituant aux consorts [L]/ [Z] les titres détenus dans la société Florida et dans la SCI Palol aux prix convenus.

Au motif d'une contestation par le cessionnaire d'écritures figurant au bilan de l'exercice clos le 31 mars 2016 de la SARL Le Florida, les sociétés Jet, Le Florida et HJMH ont signé le 20 juillet 2016, un protocole transactionnel portant réduction de prix de vente à hauteur de 75'000 euros et abandons de créances détenues par deux sociétés du groupe (Heger loisifs et Europe location) sur la SARL Le Florida pour un montant respectif de 41'406,52 euros et 7306,06 euros.

Soutenant la responsabilité de l'expert comptable dans l'établissement de ce bilan contesté et lui reprochant également une erreur grossière affectant le prévisionnel de développement du groupe HJMH de janvier 2014 quant à l'imposition applicable à la plus-value résultant de la vente des titres des sociétés Le Florida et Palol, la SAS HJMH a mis en demeure la SA KPMG par courriers recommandés des 16 et 23 juin 2017 de déclarer à sa compagnie d'assurance le sinistre résultant de ses fautes génératrices d'un préjudice pour l'ensemble des sociétés du groupe.

Par courrier recommandé du 29 août 2017 répondant à celui du 16 juin précédent, la société KPMG a contesté que sa responsabilité puisse être engagée.

Par exploit du 19 juillet 2018, la SAS HJMH a fait assigner la SA KPMG devant le tribunal de commerce de Montpellier sur le fondement de l'article 1147 du code civil. La SAS VLR et la SARL Europe location sont intervenues volontairement à l'instance.

Par jugement du 17 décembre 2019, le tribunal de commerce de Perpignan a:

- dit que la SA KPMG a manqué à son obligation de conseil et a commis une faute dans l'appréciation des conséquences fiscales de la vente du camping le Florida,

- dit que la SA KPMG a manqué à son obligation de conseil et a commis une faute dans l'établissement des comptes non conformes aux obligations des parties,

- débouté la SAS HJMH de sa demande indemnitaire au titre du traitement fiscal de la plus-value sur la vente du camping le Florida,

- fixé le montant de l'indemnisation à 20 % des frais financiers sollicités, soit la somme forfaitaire de 18'000 euros à titre de dommages-intérêts,

- condamné la SA KPMG à payer la somme de 18'000 euros à titre de dommages-intérêts,

- débouté la société VLR de sa demande d'indemnité au titre de perte de marge en lien avec les fautes commises par la SA KPMG,

- débouté la SAS HJMH et ses filiales de sa demande d'indemnité au titre de préjudice de l'image,

- ordonné l'exécution provisoire,

- alloué à la SAS HJMH la somme de 5000 euros qui lui sera versée par la SA KPMG et aux dépens de l'instance.

La SAS HJMH, la SAS VLR et la SARL Europe Location ont régulièrement relevé appel, le 3 février 2020, de ce jugement.

Elles demandent à la cour, en l'état de leurs conclusions déposées et notifiées le 31 août 2020 via le RPVA, de :

Vu l'article 1147 du code civil,

- dire et juger que la société KPMG, représentée par son expert-comptable associé, M. [Y], a manqué à son obligation contractuelle de conseil envers la société HJMH, Europe location et VLR et en conséquence

- la condamner en réparation du préjudice subi, à payer à la société HJMH :

' la somme de 300 000 euros au titre de la perte de chance de ne pas vendre le camping le Florida ou de ne pas consentir de réduction de prix lors de la négociation de la vente de son camping,

' la somme de 23 263,09 euros au titre des frais financiers supportés par la société HJMH et ses filiales,

' la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice d'image,

' la somme de 75 000 euros en réparation du préjudice subi au titre de la réduction de prix de cession du camping le Florida,

- la condamner en réparation du préjudice subi, à payer à la société Europe Location :

' la somme de 11 358,82 euros au titre des frais financiers,

- la condamner en réparation du préjudice subi, à payer à la société VLR :

' la somme de 55 723,89 euros au titre des frais financiers,

' la somme de 626 768 euros au titre des difficultés de trésorerie générée par les fautes commises par la société KPMG et l'impossibilité de procéder aux investissements prévus,

- condamner la société KPMG à payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Soutenant l'engagement de la responsabilité contractuelle de la SA KPMG, elles font essentiellement valoir :

- que dans le prévisionnel de janvier 2014, la SA KPMG s'est trompée sur la fiscalité applicable à la cession des parts détenues dans les sociétés Le Florida et Palol présentée comme relevant du régime des plus-values professionnelles relatives aux cessions de titres de participation (exonérarion sous réserve d'une taxation d'une quote part des frais de 12 % au taux de droit commun de l'IS), sans tenir compte de la fiscalité applicable à la cession des parts d'une SCI à prépondérance immobilière assujettie au taux d'imposition de 33 %,

- le coût fiscal avait été de 811 570 euros au lieu de 139 522 euros soit une absence de prévisionnel de 672'048 euros dans la trésorerie,

- que la clause insérée dans l'acte de cession stipulant « les cédants ont été informés par leurs conseils corédacteurs des présentes des modalités d'imposition de la plus-value applicable à la présente cession » n'exonère pas la SA KPMG tenue d'une obligation de conseil dans le cadre de sa mission, les conseils corédacteurs n'étant intervenus qu'en qualité de juristes et non aux fins d'estimation de la trésorerie dégagée après impôt ni davantage aux fins d'information quant au coût fiscal de l'opération qui ne pouvait être connu qu'avec l'établissement du bilan de l'exercice clos au 31 décembre dans le cadre de la déclaration d'imposition annuelle,

- que lors des négociations sur la cession des parts de la société Florida, la SA KPMG l'avait assistée et avait été chargée de l'établissement du bilan de cession, contesté par l'expert comptable du cessionnaire dès le 20 janvier 2016 en ce que le règlement par HJMH (pour le compte de la société le Florida) de deux contrats de crédit-bail pour un montant total de 185'046,06 euros aurait dû donner lieu à la constatation d'une créance en compte courant de HJMH dans les livres de la société le Florida et d'un abandon de créances corrélatif alors qu'au lieu de cela, KPMG avait opéré un jeu d'écritures faisant perdre à la société Le Florida, le bénéfice de créances et de fonds,

- en raison du manquement à l'obligation de conseil et de l'établissement de comptes non conformes aux conventions des parties, elle avait dû consentir à une réduction du prix et ses filiales, à des abandons de créances, l'écart de trésorerie s'établissant à 123'712 euros,

- la perte de chance de ne pas vendre les deux sociétés est réelle car si elle avait connu la fiscalité applicable, elle aurait opté pour une solution différente ou n'aurait pas accepté de baisser le prix de vente, dont le solde après impôt n'avait pas permis le remboursement du crédit vendeur;

- le préjudice réside également dans les difficultés de trésorerie génératrice d'une explosion des frais et intérêts bancaires et dans la diminution de ses capacités financières empêchant la société VLR de financer de nouveaux investissements pourtant programmés (rénovation de 86 mobil-homes) soit une perte de marge de 626'768 euros sur deux ans ; s'y ajoute un préjudice d'image auprès des partenaires banquiers du fait d'une diminution de cotation ainsi que la réduction transactionnelle du prix auquel elle a été obligé de consentir,

- le lien de causalité est parfaitement établi puisque la faute de l'expert comptable avait entrainé l'impasse de trésorerie.

Formant appel incident, la SA KPMG sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 20 avril 2022 :

- (...)

- infirmer le jugement rendu le 19 décembre 2019 par le Tribunal de commerce de Perpignan en ce qu'il a :

' dit que la SA KPMG a manqué a son obligation de conseil et a commis une faute dans l'appréciation des conséquences 'scales de la vente du camping Le Florida ;

' dit que la SA KPMG a manqué a son obligation de conseil et a commis une faute dans l'établissement des comptes non conformes aux obligations des parties ;

' fixé le montant de l'indemnisation à 20% des frais 'nanciers sollicités, soit la somme forfaitaire de 18 000 euros, a titre de dommages-intérêts;

' condamné la SA KPMG a la somme de 18 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

' alloué à la SAS HJMH la somme de qui lui sera versée par la SA KPMG [au titre de l'article 700 du code de procédure civile] (sic)

' condamné la SA KPMG aux dépens de l'instance dans lesquels seront compris les'ais et taxes y a'érant et notamment ceux de gre'e liquidés selon tarifen vigueur. »

Statuant à nouveau, vu l'ancien article 1147 du Code civil :

- débouter les sociétés HJMH, VLR et Europe Location de l'ensemble de leurs demandes formulées à l'encontre de la société KPMG SA ;

- condamner in solidum les sociétés HJMH, VLR et Europe Location à verser la somme de 6 000 euros à la société KPMG au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum les Sociétés HJMH, VLR et Europe Location aux entiers dépens.

Elle expose en substance que :

- l'appréciation d'une faute dépend nécessairement de la détermination préalable des obligations incombant à l'expert comptable qui n'assume qu'une obligation de moyen,

- dans le cadre de l'opération globale de rachat des titres de la société VLR, la SAS HJMH s'est faite assister par un avocat rédacteur unique de l'acte de cession des titres, spécialiste de droit fiscal,

- ce même conseil l'avait assistée dans l'opération postérieure de cession des titres des sociétés le Florida et Palol et l'acte précisait bien que les cédants avaient été informés par les conseils corédacteurs « des modalités d'imposition de la plus-value applicable à la présente cession »,

- la SAS HJMH dénature le sens de cette clause pourtant claire qui n'avait pas pour simple objet d'informer le cédant du moment de l'imposition liée à la plus-value dégagée, d'autant que le prévisionnel de développement avait été établi deux ans avant la cession des titres du Florida et de Palol et qu'elle n'avait nullement été consultée dans le cadre de celle-ci,

- aucun manquement ne peut lui être reproché dans l'établissement du bilan de cession de la société le Florida, et il ne peut lui être imputer les conséquences financières d'un protocole d'accord transactionnel conclu sans qu'elle n'ait été informée de la difficulté,

- à supposer que les écritures passées dans le bilan de cession ne respectaient pas l'esprit du protocole de cession, il n'existe aucun préjudice puisque dans ce cas, les indemnités versées au titre de la transaction étaient dues,

- la perte de chance de ne pas vendre est inexistante car la cession des sociétés Florida et Palo avait été prévue dès l'origine pour financer le crédit vendeur et aucun acquéreur n'ayant été trouvé au prix escompté avant le terme convenu, de sorte que la prétendue perte de chance de vendre un meilleur prix est inexistante,

- la possibilité d'un recours à un autre emprunt n'est pas établie et aurait généré en tout état de cause un montant d'intérêts supérieur au montant de la plus-value non anticipée et il en aurait été de même si le crédit vendeur avait accepté en report,

- le préjudice allégué comme le montant des frais et intérêts bancaires chiffrés à plus de 90'000 euros ne sont pas justifiés et le lien de causalité avec l'impôt qui a dû être payé n'est pas établi, seules les difficultés à vendre le Florida et Palol pouvant expliquer la situation alléguée,

- le retard pris dans la rénovation du parc de mobil-homes est bien antérieur au complément d'impôt qu'elle a dû payer et réside exclusivement dans des difficultés de gestion préexistantes à la cession du camping Le Florida,

- le préjudice d'image n'est pas davantage établi.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 26 avril 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

En application de l'article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, devenu 1231-1, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Sur les fautes imputées à la société KPMG :

1) La société KPMG qui exerce notamment une activité d'expertise comptable et de conseil dans le champ de ses compétences a édité le 24 janvier 2014 à l'attention de la SAS HJMH un prévisionnel de dévelopement de mars 2014 à mars 2017 dans le cadre d'un 'Audit développement Gestion'.

Ce document intègre le projet d'achat des titres de participation détenus par les consorts [V] dans la société VRL et des terrains d'exploitation du camping. Il aborde la question de son financement notamment par la cession des titres des sociétés Florida et Palol pour un montant de 3'500'000 euros destinée à rembourser le crédit vendeur consenti à hauteur de 3'350'000 euros au taux de 4 % sur 24 mois. Estimant que la plus-value réalisée sur cette dernière vente s'établirait à 3'488'040 euros, son rédacteur, M. [Y], a précisé que : « Cette plus-value bénéficie du régime des plus-values professionnelles relatives aux cessions de titres de participation. Elle est donc exonérée sous réserve d'une taxation d'une quote-part de frais de 12% au taux de droit commun de l'IS. La plus-value imposable s'élève donc à 418'564 euros ».

Il n'est pas discuté que cette projection était erronée au regard de la fiscalité réellement applicable à la plus-value enregistrée au titre de la cession des parts de la SCI Palol à prépondérance immobilière impliquant au vu des déclarations et liasse fiscale produite, l'application d'un taux d'imposition de 33% sur la somme de 2 174 000 euros.

L'argument selon lequel ce prévisionnel avait été établi deux ans avant la cession des parts des sociétés Florida et Palol n'est guère opérant en l'absence de modification de la législation fiscale applicable entre le 24 janvier 2014 et le 11 décembre 2015, date de cession effective des titres. Il apparaît ensuite que les éléments essentiels des cessions entre la société HJMH et les consorts [V] n'ont pas varié sur la période de sorte que ce prévisionnel conservait toute son acuité au jour où l'opération destinée à financer pour partie l'acquisition des titres dans la société VRL a été réalisée.

La clause insérée dans l'acte du selon laquelle « les cédants ont été informés par leurs conseils rédacteurs des présentes, des modalités d'imposition de la plus-value applicable à la présente à la présente section » n'est pas de nature à exonérer la société KPMG de la faute commise car, par sa généralité, elle n'établit pas que le cessionnaire aurait reçu des rédacteurs de l'acte une information quant à la détermination de la plus-value imposable et du taux applicable. Les négociations ayant présidé à la cession des parts des sociétés Florida et Palol ont en tout état de cause été menées sur la base des informations données dans ce prévisionnel.

S'il peut se concevoir que l'obligation stipulé par le contrat lui confiant la réalisation de l'audit consistait dans la mise en oeuvre de tous les moyens et efforts nécessaires à sa réalisation, il reste que l'information à donner à la cliente quant à la fiscalité réellement applicable relevait quant à elle d'une obligation de résultat tenant l'absence d'aléas.

Il convient de retenir la faute de la société KPMG consistant à n'avoir pas correctement informé son client.

2) L'acte du 11 décembre 2015 portant cession des parts détenues par la société HJMH dans les sociétés Le Florida et Palol au prix de 2 200 000 euros et 800 000 euros, stipule que le prix provisoire de la totalité des titres de la société Palol a été déterminé au vu du dernier bilan arrêté au 31 mars 2015, faisant ressortir une situation nette de 176 095 euros. Il indique que ce prix provisoire correspond au prix définitif sous la réserve de la bonne exécution de l'engagement du cédant « de solder, à ses frais, tous les contrats de crédit bail, leasing souscrits par la société de sorte qu'au jour de la cession, la société n'ait plus aucune charge à cet égard. Le prix convenu, s'entendait en effet, tous matériels payés (et notamment tous mobil-homes payés), cette prise en charge par le cédant ne devant donner lieu pour le cessionnaire, à aucun supplément de prix, aucune charge supplémentaire, ni aucun remboursement au profit du cédant ». Le vendeur a ensuite garanti « que la situation nette comptable de la société au jour de la cession définitive, au vu d'un bilan comptable de la société dit 'bilan de cession'sera au moins égal à la situation nette au 31 mars 2015 savoir 176 095 euros, hors les conséquences du rachat des leasings. (...) ». L'acte de cession précise encore qu'un bilan de cession « devait être établi à la diligence et sous la responsabilité du cédant afin de pouvoir être remis au cessionnaire au plus le 60ème jour après la date de cession et que M. [Y] de la société KPMG, expert comptable de la société, interviendra pour l'établissement de ce bilan aux frais de celle-ci ».

Le bilan de cession une fois établi a rapidement été contesté puisque dans un courrier recommandé en date du 21 décembre 2015 adressé à la société HJMH, le représentant de la société jet 66, se plaignait que les factures dues au crédit bailleur pour un total de 185 046,06 euros avaient été soldées par un jeu d'écritures en date du 10 décembre 2015 aboutissant à une privation de trésorerie d'un même montant pour le cessionnaire, par le biais d'une réduction de créance à hauteur de 87 740 euros (écriture balançant avec le compte client et le compte tiers Europe location) et d'un remboursement à Europe location de la somme de 97 306,06 euros.

Aux courriers recommandés en date des 20 janvier 2016 et 16 juin 2017 émanant de l'expert comptable de la société rachetée et de la société HJMH, la société KPMG a seulement répondu à cette dernière que son bilan était conforme aux règles et méthodes comptables et qu'étant étrangère aux discussions, comme à la rédaction des protocoles de cession, elle ne pouvait être tenue responsable 'des modalités impératives suivants lesquelles les contrats de crédit bail devait être soldés'.

Les appelantes n'allèguent pas qu'il y aurait eu violation des règles et méthodes comptables et justifient que la société KPMG prise en la personne de M. [Y] expert-comptable, avait eu communication du protocole de cession de parts conclu sous conditions suspensives en date du 7 août 2015 contenant déjà l'engagement du vendeur de solder les contrats de crédit bail, leasing de manière à ce que la 'Société' n'ait plus aucune charge à cet égard. (Cf mail du 7 août 2015 du notaire transmettant à M. [Y] l'acte de cession des parts de la SCI Palol).

Informée de la teneur de l'accord des parties, KPMG aurait effectivement dû, au titre de ses obligations de diligence et de conseil, s'enquérir du contenu de l'accord définitif et informer sa cliente que le paiement réalisé selon les écitures en cause ne seraient pas exemptes de toutes critiques de la part du cessionnaire à partir du moment où elles avaient pour conséquence, non contestée, de la priver de sommes qui auraient dû se trouver dans la société au jour de l'entrée en jouissance.

Il convient de retenir cette faute.

Sur le préjudice invoqué de la perte de chance :

Il est constant qu'un préjudice peut découler du paiement d'un impôt auquel le contribuable est légalement tenu lorsqu'il est établi que le manquement du professionnel tenu à son égard d'une obligation de conseil l'a privé de la possibilité de renoncer à l'opération et de rechercher une solution au régime fiscal plus avantageux.

Soutenant que l'erreur sur la fiscalité applicable lui avait fait perdre la perte de chance de ne pas vendre le camping Le Florida, il apparaît en premier lieu que dès la signature du protocole de cession d'actions du 26 décembre 2013, il avait été décidé de recourir à un crédit-vendeur, technique à laquelle il est généralement recouru pour compléter un financement insuffisant, pour payer le solde du prix de 4 000 000 euros.

Il apparaît ensuite que la société KPGM a établi son prévisionnel de développement sur la base des seules orientations données par HJMH consistant à recourir à un financement selon les modalités suivantes :

- concours de plusieurs établissements financiers à hauteur de 10 000 000 euros

- crédit vendeur à hauteur de 3 350 000 euros sur 24 mois au taux de 4 %

- opération de crédit bail immobilier permettant in fine à HJMH de recevoir 2 350 000 euros

- versement d'une partie de la trésorerie par VRL à hauteur de 2 600 000 euros.

S'agissant du crédit vendeur, il n'a pas été demandé à la société KPMG de rechercher les modalités possibles de son remboursement de manière à permettre à sa cliente de choisir entre plusieurs options en fonction de l'intérêt financier de chacune. Ainsi l'erreur commise par la société KPMG sur la fiscalité applicable à la plus value obtenue sur la vente du camping Le Florida apparaît avoir été sans incidence sur la décision déjà arrêtée de recourir à cette vente pour honorer le crédit vendeur.

Les attestations émanant des deux établissements financiers indiquant qu'ils auraient 'étudié avec attention si demande leur avait été faite, une participation à toute solution de refinancement du crédit-vendeur' n'établit pas qu'un financement bancaire complémentaire à celui déjà accordé aurait au final pu être consenti.

La perte de chance de ne pas vendre le camping n'est donc pas établie.

Soutenant encore que l'erreur sur la fiscalité applicable lui avait fait perdre une chance de ne pas accepter une réduction du prix compte tenu de la possibilité de proroger le terme du crédit vendeur, il apparait en premier lieu que le terme convenu avait été impérativement fixé au 31 décembre 2015 tant dans le protocole de cession d'actions du 23 décembre 2013 que dans l'acte de cession lui-même en date du 31 mars 2014. Si dans son attestation du 12 décembre 2018, M. [O] [V] certifie s'être 'engagé auprès de l'acquéreur au moment de la transaction à lui accorder un report du délai de paiement dans l'hypothèse où celui-ci n'aurait pas réussi à vendre le camping Le Florida avant le terme, soit le 31/12/2015", il demeure que cette possibilité n'a pas été actée et qu'aucun élément ne permet de retenir les co-vendeurs qu'il a certes représentés à l'acte définitif de cession, auraient été également d'accord sur ce report.

Ainsi la décision de baisser le prix à 3 000 000 d'euros selon mandat de vente du 2 juillet 2015 faisant suite à celui du 28 septembre 2014 où le prix net net vendeur était fixé à 3 443 899 euros apparaît être davantage liée au jeu de l'offre et de la demande ainsi qu'à l'approche du terme convenu impliquant de pouvoir disposer de fonds dans les délais impartis.

Il apparaît donc que la perte de chance de ne pas accepter la baisse de prix invoquée n'est pas établie.

La société HJMH sera donc déboutée de sa demande en paiement de la somme de 300 000 euros à ce titre.

Sur le préjudice financier subi par la société HJMH du fait de la réduction du prix (75000 euros) consentie dans le protocole d'accord transactionnel en date du 20 juillet 2016 :

Dans ce protocole, la société HJMH a consenti une réduction du prix de cession des titres des sociétés Le Florida et Palol en considération du 'différend apparu entre les parties relativement à des écritures, qui selon la société Jet 66 aurait permis de solder les sommes dues au crédit bailleur par compensation avec des comptes clients et des comptes de tiers' (cf p.2).

La société KPMG ne conteste pas cette lecture comptable et se limite à invoquer la régularité des écritures concernées sans égard à ses conséquences qui se sont révélées contraires à la convention des parties qui stipulait une prise en charge par la société HJMH des crédits bailleurs sans aucune charge pour Jet 66.

En conséquence et tenant le fait que le bilan de cession arrêté au 10 décembre 2015 faisant ressortir une situation nette de 311 863 euros soit une différence positive de 135 768 euros avec la situation nette minimale prévue dans le cadre de l'acte de cession (176 095 euros), les parties, HJMH et Jet 66, se sont accordées sur une indemnité transactionnelle de 75 000 euros.

Mais comme justement soutenu par la société KPMG dans son courrier du 29 août 2017 même en considérant que les écritures litigieuses ne respectaient pas l'esprit des protocoles de cession et les engagements pris envers la société Jet 66, il demeure que la somme versée au titre de la transaction et autres abandons de créances régularisées le 20 juillet 2016 ne constituent que la conséquence de l'engagement en cause (prendre en charge le crédit bailleur sans charge pour le cessionnaire) et ne sauraient constituer une préjudice indemnisable puisque la cédante avait accepté de débourser les sommes correspondantes.

La société HJMH sera donc déboutée de cette demande.

Sur les préjudices financiers liés au déficit de trésorerie :

Les appelantes soutiennent en premier lieu avoir subi une impasse de trésorerie pour un montant total de 795 472 euros correspondant au surplus d'imposition chiffré à 672 048 euros, au décaissement de 75 000 euros et aux abandons de créance de 48 712 euros consentis dans le cadre du protocole transactionnel essentiellement par la société Héger ( 41 406,52 euros) qui n'est pas dans la cause et plus accessoirement par la société Europe Location ( 7306 euros).

Il a été retenu supra que le décaissement de la somme de 75 000 euros n'est pas un préjudice dont la société HJMH peut se prévaloir puisqu'elle aurait normalement dû intégrer dans ses prévisions de trésorerie la prise en charge des crédits bailleurs pour un montant beaucoup plus important de 185 048 euros. Par ailleurs, l'abandon de créance de 48 712 euros a été consenti par une société tiers qui n'est pas dans la cause.

Si le régime mère-fille d'un groupe de sociétés a essentiellement pour objectif de faire circuler les flux de trésorerie librement et à faible coût entre sociétés membres d'un même « groupe », il reste que l'impact sur les trésoreries respectives de la fiscalité appliquée à la vente du camping et des terrains est simplement affirmé sans analyse financière susceptible d'établir le lien de causalité direct et certain entre le déficit de trésorerie de chacune et l'imposition supportée par la société HJMH. Les appelantes se limitent à produire les extraits de compte général issu de leurs comptabilités respectives récapitulant les agios acquittés. Or, certains de ces extraits se rapportent pour partie (11 471,99 euros) à une période antérieure à la date à laquelle a été connue l'imposition réellement encourue soit le 31 mars 2016. Le lien de causalité entre les agios acquittés pour autre partie et l'erreur portant sur la fiscalité applicable n'est ensuite pas établi ni dans son principe ni dans son quantum alors même que l'impossibilité de vendre le camping Le Florida au prix initialement projeté et sa vente moyennant une réduction de prix de 440 000 euros a pu contribuer à ce déficit de trésorerie.

Les demandes formées au titre du remboursement des frais financiers seront donc rejetées et le jugement de première instance sera sur ce point réformé en ce qu'il a arrêté à la somme forfaiatire de 18 000 euros le montant des dommages-intérêts alloués à ce titre sans avoir pu préciser au demeurant qui en était, de la société mère ou des filiales, la bénéficiaire.

S'agissant de la société VLR ayant pour seul associé la société HJMH, il est établi qu'en février 2014, la société KPMG avait réalisé un prévisionnel de développement sur la base des données communiquées par la société HJMH portant sur le remplacement dès la saison 2014 de 173 emplacements occupés par des mobil-homes gérés par des tour opérators par des mobil-homes gérés en direct à proportion de 14 en 2014, 60 en 2015 et 53 en 2016.

Rien n'indique que la mission de la société KPMG aurait été d'examiner la possibilité financière de réaliser ces remplacements. Elle s'est donc été limitée à la recherche des résultats prévisibles à partir du programme arrêté par la société HMJH tel que précisé ci-dessus. Il apparaît ensuite que le retard pris dans la réalisation de ce programme est encore antérieur à la découverte en mars 2016 de la fiscalité applicable puisqu'au 31 décembre 2015 sur 74 remplacements prévus, seulement 34 avaient été effectivement financés. Ainsi, la société VRL qui soutient une perte de marge sur deux années sans préciser de quelles années il s'agirait, ne peut imputer à la société KPMG la marge perdue sur les exercices 2014 à 2015.

Sur l'exercice 2016, seul 7 remplacements sur 53 ont été financés. Mais d'une part le lien de causalité entre ce retard d'investissement et la fiscalité subie ne résulte que d'une simple affirmation nullement corroboré par une analyse comptable sérieuse, ayant été constaté que l'impossibilité de réaliser le prévisionnel préexistait à la découverte de cette fiscalité. D'autre part, la démonstration d'un préjudice résidant dans la perte de marge sur l'année 2016 aurait impliqué de déduire du chiffre d'affaires annuel attendu sur chaque mobil-home non seulement le coût du leasing et celui de la location du terrain nu mais également les autres coûts économisés (entretien, assurance...) et encore le chiffre d'affaires réalisé au titre des emplacements ayant continué à être gérés en tour opérateurs sauf à démontrer qu'ils ne l'étaient plus, ce dont s'abstient l'appelante.

La société VRL sera donc déboutée de sa demande en paiement au titre de la perte de marge.

Sur les autres préjudices :

La société HJMH ayant échoué à démontrer que les fautes commises par la société KPMG lui aurait occasionné un préjudice financier ne peut davantage imputer à celle-ci le préjudice d'image invoqué en sorte qu'elle sera également déboutée de sa demande en indemnisation à ce titre.

Sur les frais et les dépens :

La société HJMH, la société VLR et la société Europe location qui succombent, devront supporter les dépens de première instance et d'appel et payer à la société KPMG une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Réforme le jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 17 décembre 2019, mais seulement en ce qu'il a :

- fixé le montant de l'indemnisation à 20 % des frais financiers sollicités, soit la somme forfaitaire de 18'000 euros à titre de dommages-intérêts

- condamné la SA KPMG à payer la somme de 18'000 euros à titre de dommages-intérêts,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Déboute la SAS HJMH, la SAS VLR et la SARL Europe location de leurs demandes indemnitaires au titre des frais financiers,

Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions,

Déboute la SAS HJMH, la SAS VLR et la SARL Europe location de l'intégralité de leurs demandes indemnitaires,

Dit que la SAS HJMH, la SAS VLR et la SARL Europe location supporteront in solidum les dépens de première instance et d'appel et payeront à la société KPMG une somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

le greffier, le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 20/00619
Date de la décision : 06/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-06;20.00619 ?
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