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18/05/2022 | FRANCE | N°17/01733

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 3e chambre sociale, 18 mai 2022, 17/01733


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à



































3e chambre sociale



ARRÊT DU 18 Mai 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/01733 - N° Portalis DBVK-V-B7B-NC6A



ARRÊT n°



Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 FEVRIER 2017 TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE DES PYRENEES ORIENTALES

N° RG21500559





APPELANTE :
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S.A.R.L. DIAMCOUPE aux droits de la société AWS BETON-CUT

[Adresse 11]

[Localité 6]

Représentant : Me Baptiste LUTTRINGER de la SELAFA FIDAL, avocat au barreau de STRASBOURG, (avocat plaidant)

Représentant : Me Valérie VERNET SIBEL de la SELAFA FIDAL, avocat a...

Grosse + copie

délivrées le

à

3e chambre sociale

ARRÊT DU 18 Mai 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/01733 - N° Portalis DBVK-V-B7B-NC6A

ARRÊT n°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 FEVRIER 2017 TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE DES PYRENEES ORIENTALES

N° RG21500559

APPELANTE :

S.A.R.L. DIAMCOUPE aux droits de la société AWS BETON-CUT

[Adresse 11]

[Localité 6]

Représentant : Me Baptiste LUTTRINGER de la SELAFA FIDAL, avocat au barreau de STRASBOURG, (avocat plaidant)

Représentant : Me Valérie VERNET SIBEL de la SELAFA FIDAL, avocat au barreau de MONTPELLIER (avocat postulant)

INTIMES :

Monsieur [T] [L]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Pierre-Emmanuel VISTE substituant Me Valérie BOSC-BERTOU de la SCP DE TORRES - PY - MOLINA - BOSC BERTOU, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

CPAM DES PYRENEES ORIENTALES

[Adresse 2]

[Adresse 9]

[Localité 4]

Représentant : Me Jean daniel CAUVIN de la SCP CAUVIN, LEYGUE, avocat au barreau de MONTPELLIER

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 AVRIL 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet

Mme Isabelle MARTINEZ, Conseillère

M. Pascal MATHIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mademoiselle Sylvie DAHURON

ARRÊT :

- Contradictoire;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, faisant fonction de président spécialement désigné à cet effet et par Mademoiselle Sylvie DAHURON, greffier.

*

**

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL AWS BÉTON CUT a embauché M. [T] [L] suivant contrat de travail à durée déterminée du 19 mars 2012 au 18 mais 2012 en qualité d'opérateur. Le salarié avait préalablement été mis à la disposition de l'entreprise dans le cadre de contrats d'intérim.

Le 21 mars 2012, le salarié a été victime d'un accident du travail alors qu'il procédait, au moyen d'un burineur électrique TE 700, à la démolition de la partie supérieure d'un pilier dans le chantier de rénovation de l'Aubette, place Kleber à [Localité 10], un ancien corps de caserne du XVIII° siècle, depuis longtemps affecté à un usage commercial. La chute d'un bloc de pierre le blessait à la main gauche et devait conduire à l'amputation des doigts et à des greffes de peau.

Par lettre du 5 juin 2013, l'inspecteur du travail écrivait à la société Recours Assistance en ces termes :

« Suite à votre demande du 16/05/2013, j'ai l'honneur de vous apporter les éléments suivants concernant l'accident de travail dont a été victime M. [T] [L] le 21/03/2012 sur le chantier de l'Aubette à [Localité 10] alors qu'il était salarié d'AWS BÉTON CUT.

1) Nous avons été informés de la survenance de l'accident par la Police Nationale et avons procédé immédiatement à une enquête. Il s'agissait de travaux d'importance dans un bâtiment historique afin d'aménager la boutique APPLE. L'entreprise de gros 'uvre [W] et [V] avait confié la démolition des poteaux de soutènement de l'immeuble à AWS, poteaux en briques et pierres préalablement étayés par une structure métallique qui servait de plateforme de travail conforme aux règles de sécurité. M. [L] était sous le plafond à une hauteur approximative de 6 mètres au dernier niveau de la structure précitée. Il percutait la partie basse du chapiteau supérieur du poteau constituée à cet endroit de moellons. Un bloc de pierre pesant au minimum une dizaine de kilos s'est détaché et lui a écrasé la main. En compagnie du responsable du chantier ([W] et [V]) nous avons constaté que M. [L] avait entrepris la démolition du chapiteau par sa partie basse ce qui l'exposait à des chutes de pierres.

2) Par courrier en date du 26/03/2012, nous avons demandé à AWS BÉTON CUT de nous adresser le contrat de travail de la victime, le PPSPS initial, les coordonnées de son collègue, le mode opératoire retenu pour continuer les travaux avec PPSPS complémentaire, la démolition du poteau ayant été fragilisée par un mode opératoire inapproprié. Nous avons confirmé « qu'en l'état actuel de l'enquête, aucune infraction au code du travail ne peut être relevée ».

3) La méthodologie de découpe des murs porteurs datée du 11/01/2012 accompagnant le PPSPS daté du 10/01/2012 précise au point 4 que la démolition se fait de la tête vers le pied donc du haut vers le bas. Au regard de cette méthodologie et des constats relevés, M. [L] a attaqué la déconstruction du chapiteau par sa partie inférieure. Peut-être a-t-il agi de la sorte pour des raisons techniques liées à la dureté de la roche '

4) En date du 22/03/2012 AWS a établi un nouveau mode opératoire prévoyant l'utilisation d'un mini engin électrique commandé à distance. Ce changement confirme qu'après une analyse des risques sérieuse, l'employeur s'est rendu compte que la déconstruction manuelle était dangereuse, qu'il n'avait pas mis à disposition de son personnel du matériel adapté aux travaux à réaliser (L. 4121-1 du code du travail). Cet article n'est pas pénalement répréhensible au sens du droit du travail (obligation générale de sécurité).

5) Nous avons demandé à AWS par courrier en date du 12/04/2012 de procéder à l'avenir à une évaluation des risques rigoureuse afin d'anticiper les bons modes opératoires.

Conclusion : Seule une action devant le TASS peut être engagée par la victime en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur suite au manquement à une obligation générale de sécurité. »

Se plaignant de la faute inexcusable de l'employeur, M. [T] [L] a saisi le 9 juillet 2015 le tribunal des affaires de sécurité sociale des Pyrénées-Orientales, lequel, par jugement rendu le 21 février 2017, a :

constaté que l'action engagée par le salarié n'est pas atteinte par la prescription biennale ;

dit que l'accident de travail dont a été victime le salarié le 20 mars 2012 est dû à la faute inexcusable de son employeur ;

ordonné la majoration de la rente AT servie au salarié au maximum prévu par la loi ;

sursis à statuer sur les réparations et ordonné une expertise médicale, confiée au docteur [I] [P], demeurant [Adresse 7], avec la mission de donner au tribunal tous éléments permettant d'évaluer :

'la date de consolidation des blessures consécutives à l'accident de travail ;

'les souffrances physiques et morales endurées, jusqu'à la date de consolidation (selon barème de 0 à 7/7) ;

'le préjudice esthétique, selon barème de 0 à 7/7, provisoire (avant consolidation) et définitif (après consolidation) ;

'le préjudice d'agrément concernant la pratique régulière d'une activité de sport, de loisirs, de culture ou de famille spécifique ;

'le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de possibilité de promotion professionnelle, au regard de la formation professionnelle et des prévisions de carrière de l'intéressé ;

'le déficit fonctionnel temporaire total et partiel correspondant à la privation d'activités de la vie quotidienne et des agréments normaux de l'existence qui contribuent à la qualité de vie ;

'le préjudice sexuel, concernant les relations sexuelles et la fonction de procréation, l'aménagement d'un véhicule automobile ou d'un logement ;

dit que l'expert, d'une manière générale, donnera au tribunal toutes informations qu'il estimera utiles à la solution du litige ;

dit que l'expert effectuera ses opérations au contradictoire des parties en cause, examinera la victime et se fera remettre toutes pièces médicales ou autres utiles à l'accomplissement de sa mission ;

dit que le médecin expert déposera son rapport au secrétariat du tribunal des affaires de la sécurité sociale dans le délai de quatre mois à compter de sa saisine ;

dit que l'expert sera au final rémunéré sur présentation d'un mémoire de frais taxé par le président du tribunal des affaires de la sécurité sociale ;

condamné la CPAM des Pyrénées-Orientales à verser à M. [T] [L] la somme de 5 000 € à titre de provision à valoir sur son indemnisation définitive ;

dit que la CPAM des Pyrénées-Orientales, versera à la victime les indemnités lui revenant, au médecin expert les frais d'expertise, et en récupérera le montant sur l'employeur ;

condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 1 200 € au titre des frais irrépétibles exposés à ce jour ;

ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

dit que la cause sera rappelée à la demande de la partie la plus diligente ou d'office, à réception du rapport d'expertise.

Cette décision a été notifiée le 3 mars 2017 à la SARL AWS BETON CUT qui en a interjeté appel suivant déclaration du 23 mars 2017.

Le 23 juin 2017, l'expert médical déposait son rapport discutant le cas ainsi :

« 1°) L'examen de M. [T] [L] s'est déroulé à mon cabinet médical le 21 juin 2017, en présence du Dr [G] [B] (médecin expert missionné par la compagnie SECUREX).

2°) M. [T] [L] a été victime le 21 mars 2012 d'un écrasement de la main gauche, responsable d'une ouverture cutanée, de multiples fractures et de lésions vasculaires. La victime a été opérée en urgence, dans le but de sauver sa main ; cependant du fait de phénomènes nécrotiques, il a dû être repris chirurgicalement à de nombreuses reprises, pour en définitive arriver à une amputation quasi complète de sa main gauche.

3°) La consolidation est fixée au 30 juin 2014, date qui avait été retenue par les organismes sociaux, deux mois et demi après la dernière intervention chirurgicale. À compter de cette date, l'état de M. [T] [L] semblait stabilisé, tel que plus aucun traitement actif n'était nécessaire.

4°) Le traumatisme initial, les multiples interventions chirurgicales, les périodes d'hospitalisation, les soins de rééducation et les douleurs physiques et morales ressenties jusqu'à la consolidation, ont engendré un préjudice douloureux évalué à un taux de 5/7 dans une échelle ascendante allant de 0 à 7 /7.

5°) M. [T] [L] a subi jusqu'à la date de consolidation une altération de son apparence physique, aux conséquences personnelles préjudiciables, liées à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers, caractérisant un préjudice esthétique provisoire évalué à un taux de 3/7 dans une échelle ascendante allant de 0 à 7/7. Actuellement, la victime conserve un aspect disgracieux du fait de l'amputation de sa main gauche, des cicatrices de la région inguinale gauche et de la cuisse gauche (décrites au chapitre « examen » du présent rapport) responsables d'un préjudice esthétique permanent évalué à un taux de 3/7 dans une échelle ascendante allant de 0 à 7/7.

6°) M. [T] [L] déclare pratiquer avant son accident la moto, le vélo, l'escalade et le football. Aucune de ces activités ne peut être reprise, et de manière générale il existe une entrave sérieuse à toute activité de loisir nécessitant l'usage des deux mains.

7°) Du point de vue professionnelle, l'amputation de la main gauche est responsable d'une inaptitude totale et définitive aux activités professionnelles manuelles nécessitant l'usage des deux mains. Je signalerai cependant que M. [T] [L] ne semble posséder aucune formation professionnelle, ayant arrêté sa scolarité en classe de première, pour rentrer dans la vie active.

8°) Les différentes périodes d'hospitalisation complète, en hôpital de jour et les hospitalisations à domicile ont été responsables de périodes de déficit fonctionnel temporaire total correspondantes, soit du 21/03/2012 au 08/05/2012, du 18/06/2012 au 19/06/2012, le 21/11/2012, le 30/11/2012, le 13/12/2012, le 01/03/2013, le 19/04/2013, du 23/05/2013 au 09/06/2013, le 17/10/2013 et le 07/04/2014. Toutes les périodes intermédiaires et jusqu'à la consolidation médico-légale ont généré un déficit fonctionnel temporaire partiel à 50 %.

9°) M. [T] [L] conserve une amputation de la main gauche chez un sujet droitier. Ces séquelles sont constitutives d'un déficit fonctionnel permanent évalué à un taux de 40 % en référence au barème généralement utilisé en droit commun (barème indicatif d'évaluation des taux d'incapacité en droit commun ; Le concours médical ; 2003).

10°) Du fait du handicap présenté, il persiste une impossibilité à s'appuyer sur les mains, fait générateur de gêne dans l'accomplissement de certaines attitudes et positions lors des relations sexuelles.

11°) Aucun aménagement du logement n'a été nécessaire pour pallier au handicap conservé.

12°) Concernant la conduite automobile, l'état de M. [T] [L] justifierait de l'acquisition d'un véhicule automobile équipé d'une boite de vitesses automatique, d'une boule de volant, ainsi que de commandes centralisées installées à droite sur le volant. »

Suivant exploit d'huissier du 4 décembre 2018, la SARL AWS BETON CUT a assigné Maître [C] [D], en qualité de liquidateur judiciaire de la société ALLIAGE MANAGEMENT ' IMS EXPERT EUROPE, en intervention forcée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Pyrénées-Orientales en sollicitant la fixation de sa créance au titre de la garantie de la condamnation pouvant intervenir pour faute inexcusable dans la limite de 245 000 €, outre des frais irrépétibles.

Vu les écritures déposées à l'audience et soutenues par son conseil aux termes desquelles la SARL DIAMCOUPE, anciennement dénommée AWS BÉTON CUT, demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris dans son ensemble ;

à titre principal,

déclarer la demande du salarié irrecevable en tous les cas et mal fondée ;

à titre subsidiaire,

constater l'absence de faute inexcusable de l'employeur ;

rejeter l'intégralité des demandes du salarié ;

à titre plus subsidiaire, si la cour décide d'évoquer la liquidation des préjudices,

appeler en garantie et en déclaration de jugement commun la société ALLIAGE MANAGEMENT, prise en son établissement secondaire la société IMS EXPERT EUROPE, société anonyme d'un État membre de la CE, immatriculée au RCS de Paris sous le n° 804 200 889, ayant son siège social [Adresse 8], représentée par son liquidateur judiciaire, Maître [C] [D], SELARL FIDES, [Adresse 3] ;

lui réserver la possibilité de conclure plus amplement dans cette hypothèse ;

rappeler pour ce qui concerne la majoration de rente que le cas échéant seul le taux d'IPP opposable à la société devra être pris en compte pour la détermination du montant du remboursement par la société à la caisse de cette majoration de rente ;

rappeler qu'en application des dispositions de l'article L. 452-5 du code de la sécurité sociale, il appartient à la caisse primaire d'assurance maladie de faire l'avance des éventuelles condamnations qui seraient mises à la charge de l'employeur ;

ramener les demandes indemnitaires du salarié à de plus justes proportions ;

en tout état de cause,

condamner le salarié à lui payer la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et la somme de 3 500 € au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

Vu les écritures déposées à l'audience et reprises par son conseil selon lesquelles M. [T] [L] demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris ;

dire que l'employeur a commis une faute inexcusable au sens des articles L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale ;

dire que l'accident du travail du 22 mars 2012 dont il a été victime est dû à la faute inexcusable de l'employeur ;

prononcer la majoration de la rente au maximum en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale ;

à titre principal,

évoquer le litige sur la liquidation des préjudices ;

liquider les postes de préjudice tels qu'établis dans le rapport d'expertise médicale rendu le 23 juin 2017 avec date de consolidation au 30 juin 2014 ;

condamner l'employeur à lui verser les sommes suivantes :

'pour les préjudices extra patrimoniaux temporaires (avant consolidation) :

'  11 350 € au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

'  40 000 € au titre des souffrances endurées ;

'    3 000 € au titre du préjudice esthétique ;

'pour les préjudices extra patrimoniaux permanents (après consolidation) :

'146 800 € au titre du déficit fonctionnel permanent ;

'    5 000 € au titre du préjudice d'agrément ;

'  20 000 € au titre du préjudice esthétique ;

'  20 000 € au titre du préjudice sexuel ;

'pour les préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)

'136 283 € pour le véhicule Toyota au titre de l'adaptation du véhicule ;

'238 840 € pour le véhicule Renault au titre de l'adaptation du véhicule ;

'  50 000 € au titre de l'incidence professionnelle ;

à titre subsidiaire, si la cour décidait de ne pas user de sa faculté d'évoquer,

renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire, pôle social, de Perpignan, en ouverture de rapport pour liquider définitivement son dommage corporel ;

condamner l'employeur à lui verser à titre provisionnel la somme de 30 000 € à valoir sur son indemnisation totale compte tenu de l'ancienneté des faits litigieux ;

en tout état de cause,

condamner l'employeur au paiement d'une somme de 3 500 € au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens y compris les frais d'expertise.

Vu les écritures déposées à l'audience et reprises par son représentant selon lesquelles la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales demande à la cour de :

lui décerner acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour sur le point de savoir si l'accident dont a été victime M. [T] [L] le 21 mars 2012, est imputable ou non à une faute inexcusable de l'employeur ;

pour le cas où la faute inexcusable serait reconnue, enjoindre l'employeur de lui communiquer les références du contrat d'assurance qu'il aurait souscrit, le cas échéant, pour couvrir ce type de risque ;

fixer le montant des indemnités ;

dire que ces indemnités, prévues par les articles L. 452-1 à L. 452-3 du code de la sécurité sociale, qui seraient avancées par la caisse primaire d'assurance maladie, seront remboursées par l'employeur ou son assureur à la CPAM qui en aurait fait l'avance ;

dit que l'arrêt lui sera déclaré commun et qu'elle versera directement à M. [L] la majoration de rente mise à la charge de l'employeur en cas de reconnaissance d'une faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail du 21 mars 2012 ;

accueillir son action récursoire à l'encontre de l'employeur en cas de reconnaissance d'une faute inexcusable de sa part à l'origine de l'accident du travail et dire en conséquence qu'elle récupérera directement et immédiatement auprès de l'employeur l'ensemble des sommes dont elle aurait fait l'avance selon les modalités prévues aux articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la prescription

L'employeur fait valoir, en application des articles L. 431-2 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale, que l'action en reconnaissance de sa faute inexcusable serait prescrite par deux ans dès lors que le salarié ne justifie pas avoir perçu des indemnités journalières postérieurement au 26 avril 2012, date de clôture de l'enquête de la CPAM, alors qu'il n'a engagé son action que le 4 novembre 2014.

Le salarié répond qu'il a touché des indemnités journalières jusqu'au 1er juillet 2014 et qu'ainsi son action n'est pas prescrite.

La cour retient que le salarié produit en pièce n° 7 une attestation de paiement des indemnités journalières établie par la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales le 22 septembre 2016 faisant état, pour l'accident du travail en cause, du paiement de 803 jours à 48,30 € du 19 avril 2012 au 30 juin 2014, soit durant la totalité de la période.

Ainsi, la prescription biennale n'a commencé à courir qu'à compter du 1er juillet 2014 et elle ne se trouvait pas acquise ni au 4 novembre 2014, date de saisine de la caisse de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, ni même au 9 juillet 2015, date de saisine du tribunal des affaires de sécurité sociales. L'action est donc recevable.

2/ Sur la faute inexcusable

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur en vertu des articles L. 4121-1 à L. 4121-5 du code du travail, a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. La conscience du danger doit être appréciée objectivement, par rapport à la connaissance des devoirs et obligations que doit avoir un employeur dans son secteur d'activité.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié. Il suffit qu'elle en soit une des causes nécessaires pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres causes, fautives ou pas, auraient concouru au dommage.

Mais la survenance de l'accident ne peut toutefois caractériser à elle seule l'existence d'une faute inexcusable de l'employeur et il appartient à la victime de démontrer, outre la faute l'employeur dont elle se prévaut, le lien de causalité avec la réalisation de son préjudice, c'est-à-dire qu'il lui appartient d'établir qu'il se déduit bien des circonstances de l'accident que la faute inexcusable de l'employeur a effectivement concouru à sa réalisation. À ce titre, les circonstances de l'accident doivent être connues avec suffisamment de précision pour que le rapport de causalité soit utilement discuté au vu de l'équivalence des conditions de sa réalisation.

Le salarié soutient que la tâche qui lui a été confiée aurait dû être accomplie par un engin téléopéré et non pas manuellement au moyen d'un burineur électrique comme ce fut le cas. Il reproche à l'employeur d'avoir privilégié la rapidité de l'intervention du fait du retard qu'il rencontrait sur ce chantier et d'avoir rendu le pilier en cause inaccessible à un engin téléopéré en l'entourant d'échafaudage.

Le salarié ajoute que le PPSPS prévoyait que la démolition devait se faire de la tête vers le pied, donc de haut en bas, alors que la méthodologie employée a consisté à déconstruire par la partie inférieure. Il précise que suite à l'accident du travail, l'employeur a revu son mode opératoire et a utilisé un robot téléopéré pour la totalité de la démolition des autres piliers.

L'employeur répond en contestant la lettre précitée de l'inspecteur du travail. Il explique que le bloc qui a heurté la main du salarié ne pesait pas une dizaine de kilos comme indiqué dans cette lettre, ni encore moins 200 kg comme indiqué dans les conclusions du salarié, mais qu'il s'agissait d'une simple brique de structure traditionnelle pesant environ 1,8 kg.

Il soutient que le PPSPS a été respecté qui prévoyait une démolition manuelle par marteau piqueur électrique au R+1 de la tête vers le pied avec intervention sur échafaudage pour les travaux en hauteur et que si le salarié avait commencé par la base et non par le sommet du pilier il se serait retrouvé écrasé sous une tonne et demie de pierres. Il produit le témoignage de M. [H] [R], chef d'équipe qui indique :

« Nous avons tous deux piqué avec des machines Hilti de chaque côté du poteau et nous avons commencé par le haut du poteau du haut vers le bas. »

L'employeur ajoute qu'il n'a pu utiliser un robot Brokk 90 pour atteindre le sommet des piliers qu'une fois installée une date intermédiaire entre le 1er étage et le RDC et que cette utilisation exclusive d'un dispositif téléopéré, après l'accident du travail, ne constitue pas une mesure de sécurité supplémentaire, mais uniquement la continuité du chantier qui se modifiait.

2-1/ Sur la nécessité de recourir à un robot de démolition

Le salarié reproche à l'employeur de n'avoir pas utilisé de robot pour la démolition de la partie supérieure du pilier en cause et de lui avoir ainsi confié une tâche de démolition manuelle qui était dangereuse par nature. Mais il procède par simple affirmation dès lors qu'en l'espèce le pilier était trop haut pour être intégralement traité par le robot qui pouvait être amené sur le site en l'état du chantier.

La cour retient que les robots de démolition ne constituent pas les seuls équipements de travail appropriés en vue de préserver la santé et la sécurité des travailleurs au sens de l'article R. 4321-1 du code du travail et que l'usage d'un burineur électrique ne constitue en lui-même un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

En l'espèce, aucun élément produit ne permet de retenir que l'emploi d'un burineur électrique manuel était inadapté pour attaquer le haut du pilier. L'inspecteur du travail procède par simple affirmation, sans démonstration pertinente, quand il se contente de soutenir que l'établissement, le 22 mars 2012, par l'employeur d'un nouveau mode opératoire prévoyant l'utilisation d'un mini engin électrique commandé à distance confirme qu'après une analyse des risques sérieuse, l'employeur s'est rendu compte que la déconstruction manuelle était dangereuse.

La cour retient que ce changement de procédé, que l'employeur justifie par une évolution du chantier, ne permet pas d'établir la dangerosité intrinsèque de la déconstruction manuelle en l'absence de tout autre élément en ce sens.

2-2/ Sur la méthode de démolition manuelle

L'inspecteur du travail affirme encore qu'en compagnie du responsable du chantier ([W] et [V]) il a constaté que le salarié avait entrepris la démolition du chapiteau par sa partie basse ce qui l'exposait à des chutes de pierres. Le salarié reprend ce grief pour soutenir que l'employeur a ainsi commis une faute inexcusable.

Mais le PPSPS produit par l'employeur indique au contraire que le pilier devait être traité de la tête vers le pied et M. [H] [R], affecté à cette tâche avec le salarié, confirme que tous deux ont bien procédé ainsi.

La cour retient qu'à supposer que le salarié n'ait pas exactement procédé ainsi, ce qui expliquerait la chute d'un élément sur sa main gauche, rien ne permet de retenir que l'employeur aurait dû avoir conscience que le salarié risquait de commettre une telle erreur et qu'il aurait omis de le prendre les mesures nécessaires pour la prévenir, dès lors que le travailleur n'était pas isolé, qu'il travaillait avec M. [H] [R], chef d'équipe, que le PPSPS avait été régulièrement validé et qu'il n'était pas fautif, comme il a été dit précédemment, du simple fait qu'il n'ait pas prévu l'utilisation d'un robot de démolition pour la totalité de l'opération.

En conséquence, il n'apparaît pas que l'employeur ait commis une faute inexcusable, cause nécessaire de l'accident dont a été victime le salarié, lequel sera dès lors débouté de l'ensemble de ses demandes.

3/ Sur les autres demandes

Il convient d'allouer à l'employeur la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le salarié supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement en ce qu'il a constaté que l'action engagée par M. [T] [L] n'est pas atteinte par la prescription biennale.

L'infirme pour le surplus.

Statuant à nouveau,

Dit que la SARL DIAMCOUPE n'a pas commis de faute inexcusable.

Déboute M. [T] [L] de l'ensemble de ses demandes.

Condamne M. [T] [L] à payer à la SARL DIAMCOUPE la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Condamne M. [T] [L] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 3e chambre sociale
Numéro d'arrêt : 17/01733
Date de la décision : 18/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-18;17.01733 ?
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